Contenu du sommaire : Sociologies visuelles
Revue | L'Année sociologique |
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Numéro | vol. 65, no 1, 2015 |
Titre du numéro | Sociologies visuelles |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Études réunies et présentées par Pierre-Marie Chauvin et Fabien Reix
- Introduction - Pierre-Marie Chauvin, Fabien Reix p. 9-14
- Sociologies visuelles. Histoire et pistes de recherche - Pierre-Marie Chauvin, Fabien Reix p. 15-41 L'usage de l'expression « visual sociology » est reconnu et stabilisé dans les pays anglo-saxons, mais sa transposition francophone sous l'expression « sociologie visuelle » reste encore précaire et sujette à débat. Ainsi, le label « sociologies visuelles » est explicitement présenté au pluriel pour caractériser un champ francophone encore peu institutionnalisé. Si des visual studies à la sociologie visuelle, un tournant visuel a bien caractérisé les sciences sociales depuis la fin des années 1970, il s'est visiblement traduit par des orientations différentes dans le monde anglophone et le monde francophone. Dans le premier, la visual sociology s'apparente plutôt à une approche d'inspiration ethnographique, centrée sur la photographie plutôt que le film, sous l'impulsion de figures comme Howard Becker et Douglas Harper. Dans le second, la sociologie visuelle se caractérise par une sociologie plus souvent fil- mique que photographique, notamment autour du thème du travail, et par une activité plus souvent pédagogique que scientifique. Au-delà de la variété de ces sociologies visuelles, nous avons choisi d'identifier trois pistes de recherche particulièrement stimulantes offertes par les approches visuelles : l'articulation entre cas et types, la construction de séquences d'images, et l'exploitation des potentialités d'échange des images, notamment sous la forme de recherches participatives.isual Sociologies. History and Directions of Research
The use of the expression “visual sociology” is well recognized and stabilized in the Anglo-Saxon world, but its francophone translation under the phrase “sociologie visuelle” remains precarious and open to question. The label “sociologies visuelles” is explicitly presented in plural form in order to portray the francophone space, which is weakly institutionalized. From visual studies to the “sociologie visuelle”, a “visual turn” has characterized the social sciences since the end of the 1970's, but it has taken different forms in the English-speaking and the francophone worlds. In the former space, visual sociology is often associated with an ethnographic approach, using photography rather than film, following such figures as Howard Becker or Douglas Harper. Meanwhile, the francophone space characterizes itself by a more filmic than photographic sociology, especially about the theme of work, and by a more pedagogic than scientific activity. Beyond the diversity of visual sociologies, we identify three stimulating research directions offered by visual approaches : the articulation between cases and types, the construction of images sequences, and the exploitation of the communication potentialities offered by images, in particular in the form of participative research. - Quelles communautés d'action pour les « chercheurs avec images animées » en France ? - Béatrice Maurines p. 42-70 Cet article étudie, à partir d'une sociologie pragmatique, les formes de communautés d'action qui se constituent dans la recherche menée avec l'image fixe ou animée. Il rend compte des manières dont les « chercheurs avec image » en anthropologie et en sociologie se construisent ou non autour de « communautés d'action ». Celles-ci peuvent être scientifiques ou disciplinaires, elles sont alors souvent peu structurées, se positionnent dans le creux du social. Dans ce contexte, les « chercheurs avec image » valident leurs compétences disciplinaires par leurs écrits plus que par leurs films. Ce travail réflexif sur leurs pratiques les engagent à approfondir les connaissances scientifiques existantes. Elles proviennent du dispositif cinématographique qui conduit à « faire avec » les publics et à réveler de nouvelles articulations entre théorie et pratique.Researchers Dealing with Documentaries in France: Wich Communities of Action?
This paper tackles, from a pragmatist sociology standpoint, the different forms of community of action developed in the field of researches using photography or films. It accounts for the ways by which researches “with” images in anthropology and sociology build up a “community of action”. This can be a scientific and disciplinary one and in that case it is most of the time ill-structured and is situated in the depression's line of the social. In that respect, researchers “with images” mostly validate their disciplinary skills through written accounts rather than by their films. This reflexive work on their practices introduces them to a deepening of the existing scientific knowledge. These practices come form the peculiarities of the film device which lead the researchers to struggle along with the publics and reveal new articulations between theory and practice. - La sociologie filmique : écrire la sociologie par le cinéma ? - Jean-Pierre Durand, Joyce Sebag p. 71-96 Écrire la sociologie par ou avec le cinéma est un défi qui semble plus facile à tenir aujourd'hui avec la réduction des coûts de tournage et de montage en vidéo. Mais au-delà de cette apparence de facilité se posent des questions anciennes auxquelles la sociologie filmique ne peut se soustraire. Les images/sons et l'écrit relèvent de deux modes de connaissance des réalités sociales qui entrent en tension ; la sociologie filmique les conçoit comme complémentaires et organise leur combinaison. Pour atteindre cet objectif, les sociologues-cinéastes doivent apprendre à penser avec le cinéma, ce qui est bien loin de l'expression par la vidéo d'un résultat sociologique déjà acquis. Et ce d'autant plus que la caméra/micro est aussi un outil d'investigation. La réalisation d'un documentaire sociologique passe par l'apprentissage du langage cinématographique, tâche très ardue pour le sociologue, y compris parce que l'image/son sociologique ou ethnographique peut résister à la mise en narration. En même temps, de nouveaux outils tels que le multimédia et l'Internet ouvrent de nouvelles possibilités pour combiner la sociologie filmique et l'écrit.The Filmic Sociology: Using Cinema to Write Sociology?
Writing about sociology through or else with cinema is a challenge that seems easier to overcome given today's lower cost of filming and editing videos. Above and beyond this apparent improvement, however, there are a number of old questions that the filmic sociology cannot avoid answering. A film's images and sound, or else the way that it has been written, can both be used to apprehend the tensions that it creates between social realities – with the filmic sociology considering both to be complementary, hence a combination worthy of organising. To achieve this, sociologists-filmmakers must learn to think with the film, an ability that is very different from using video to express a sociological outcome that already exists. This is particularly true due to the fact that cameras/microphones also constitute tools of investigation. Creating a sociological documentary means learning a cinematographic language, which can be a very difficult task for sociologists, in part because of the way that sociological or ethnographic images/sounds resist the process of narration. At the same time, new tools (Multimedia, Internet) are creating new possibilities for combining filmed and written sociology. - Un film d'entretien est-il un film ? Ou comment un objet filmique particulier questionne les frontières du cinéma, les frontières de la sociologie - Réjane Hamus Vallée p. 97-124 Le film d'entretien est un genre particulier qui, depuis les années 1960, se développe en n'utilisant que des entretiens, ou quasiment. Or, ce genre pose problème aux sociologues français des trois vagues successives de sociologie visuelle et filmique en ce qu'il offre un objet filmique rare, à première vue peu visuel. L'article revient sur l'essor du genre, qu'il met en parallèle avec les réflexions de sociologues sur ses enjeux dans la décennie 1960. Puis il questionne la place du film d'entretien dans les années 1980 et 2000. Enfin, il met en avant le lien particulier entre socio- logie et image qu'expose clairement le « film d'entretien ». Comment allier la rigueur scientifique propre à la sociologie avec l'émotion esthétique du film ?Is Interview Movie a Film ? Or How a Specific Filmic Object Questions Cinema's Boundaries, Sociology's Boundaries“Interview movie” is a particular kind of film which, since the 1960s, develops by using only conversations, or almost. Yet, this kind of film raises problems to the French sociologists of three successive waves of visual and cinematic sociology, for that it offers a rare cinematic object, at first sight little visual. This article studies at first the development of the genre in parallel with sociologists' analysis on its stakes in the 1960 decade. Then it analyzes the interview movie in the 80' and the 90'. At last, it shows the particular link between sociology and image exposed by the interview movie. How to ally scientific rigor with the film's aesthetic emotion?
- Le Goût des autres : sociologie des intentions et intentions sociologiques - Fabien Truong p. 125-147 Le film français Le Goût des autres fut un énorme succès commercial et critique à sa sortie en 2000. Dans le même temps Pierre Bourdieu gagnait une audience, qui devait aller bien au-delà de la sphère universitaire de la sociologie. Le film a souvent été présenté comme une illustration créative et singulière de la théorie de « la violence symbolique », de la construction sociale des goûts esthétiques et de l'illégitimité culturelle, présentant Le Goût des autres comme un « film sociologique » innovant. Néanmoins, cette affinité entre le film et la théorie de Pierre Bourdieu a toujours été prise pour un acquis sans avoir été analysée sociologiquement. Cet article tente a contrario de décrire la dynamique entre la fiction et la sociologie 1) en enquêtant sur la façon dont la sociologie a pu influencer le processus de production du film, à partir d'un entretien mené avec la réalisatrice ; 2) en réfléchissant sur la façon dont la « règle du jeu » narrative du film peut questionner et interroger la sociologie. Le premier axe montre comment la connaissance sociologique a pu être intériorisée à travers les spécificités d'une trajectoire biographique, marquée par l'expérience du désajustement social, le second montre comment la fiction peut illustrer efficacement des phénomènes sociologiques spécifiques, à savoir l'expérience du vacillement social, le jeu des mises à distance sociales tacites et réciproques et les signes du possibleimprobable.The Taste of Others: Sociology of Intentions and Sociological Intentions
The French film The Taste of Others was a huge commercial and critical success when it was released in 2000. At the very same time Pierre Bourdieu gained an audience, which was to go far beyond the academic sphere of sociology. The film has often been presented as a unique creative illustration of Bourdieu's theory about ‘symbolic violence', social building of aesthetical tastes and cultural illegitimacy, presenting the Taste of Others as a break through ‘sociological movie'. Nevertheless, this affinity between the film and Bourdieu's theory has always been taken for granted and has never been analysed sociologically. This paper intends to do so by understanding the dynamics in between fiction and sociology by i) presenting a sociological inquiry about how sociology could have influenced the production process of the film, based on a personal interview with the movie maker; ii) reflecting upon how the narrative ‘rule' of the film can challenge sociology. The first concern shows how sociological knowledge can be integrated throughout the specificities of a biographical trajectory, marked by the experience of social misfits, the later shows how fiction can render particular sociological phenomenon in an efficient way: the experience of social vacillating, the reciprocal game of mutual distanciation in between groups and signs of improbable possibilities occurring in social life. - La culture et ses clichés : analyse sociologique des oeuvres de l'École de photographie d'Helsinki - Alain Quemin p. 148-168 La présente contribution part du constat que, dans la sociologie de l'art, domaine qui s'est pourtant considérablement développé depuis une vingtaine d'années, la sociologie visuelle au sens d'analyse des images reste encore très peu développée. Pourtant, cela n'est nullement dû à une impossibilité de procéder à une sociologie des œuvres visuelles. Afin d'étayer cette position, l'article vise, à partir d'un exemple particulier, à illustrer comment la sociologie de l'art peut analyser des œuvres visuelles. C'est la production de l'École de photographie d'Helsinki, présentée dans un ouvrage de synthèse, qui est ici retenue. Sont tout d'abord exposées les conditions d'émergence de la recherche, puis sont livrées quelques caractéristiques des artistes appartenant au mouvement considéré. L'objectivation sociologique appliquée aux images à travers notamment l'analyse de leur thématique et d'autres caractéristiques est alors mobilisée. Il s'agit de faire ressortir en quoi cette école de photographie qui se confond avec un pays ou, plus précisément encore, avec une ville, s'accompagne de certains traits culturels communs aux différents artistes et que nous pouvons relever à travers leurs œuvres, ici des photographies.Just Cultural Clichés ? A Sociological Analysis of the Works of theHelsinki School of Photography
Although the sociology of art has developed considerably in the last twenty years, visual sociology – intended here as the analysis of art images – remains underdeveloped. This dearth of visual studies in the sociology of art does not, however, imply that it is not possible to apply a sociological analysis to artistic works in the visual domain. In order to illustrate this point, this article presents a sociological study of the works of the Helsinki School of Photography. The context of this research is presented first, followed by a description of some of the salient characteristics of those artists who belong to the Helsinki School of Photography. Then, sociological objectivizing is mobilized through the process of analyzing the themes and other characteristics of the works. This case study demonstrates that certain themes and stylistic characteristics of works of art, in this case photography, can be identified in terms of artists' relationship to a specific country or even more precisely here to a city. Thus, common cultural traits shared by artists are expressed through their work. - A Type OF Interview With Photos: The Bipolar Photo Elicitation - Albertina Pretto p. 169-190 Le présent article a un double but : d'une part, de proposer une définition plus systématique d'un certain nombre de termes utilisés dans le contexte des photo-interviews et, de l'autre, de présenter une technique d'interview qui est aujourd'hui encore peu connue, la photo-elicitation bipolaire. On donnera ici une description de cette dernière en passant par les deux seules études (dont les auteurs ont connaissance) effectuées avec cette technique.The aim of this article is twofold: to propose a more systematic definition of a number of terms used in the context of interviews with photographs, and to present an interview technique which is still little known, the bipolar photo elicitation. The use of this latter technique will be illustrated through the only two research studies known to the author.
- Des images pour faire surgir des mots : puissance sociologique de la photographie - Jean-Yves Trépos p. 191-224 Élaborée pour résoudre de façon pratique des difficultés d'accès à une population, la technique d'enquête qui fait l'objet de cet article repose sur l'usage de photographies. Si l'épure de la technique se laisse assez bien résumer comme le passage d'un entretien libre à un entretien centré, via une étape qui utilise des mots qualificateurs, les résultats de l'enquête invitent à être attentif à plusieurs dimensions qui dépassent les technicités usuelles d'analyse de l'image et à les problématiser en termes de « prises » (ici, selon une sociologie pragmatique). Indicielles ou iconiques, les prises révèlent en fait un double ancrage dans la réalité photographiée, renforcé ou non par des mises en récit. De même, la capacité de thématiser et de valoriser signe une expertise capable de dire des situations qui se tiennent. Enfin, l'implication des enquêtés dans la réalisation de supports de communication à partir des photos va bien au-delà d'une contrainte d'engagement réussie et interroge la dissymétrie enquêteur/enquêté.Images to Raise Words: On the Sociological Power of Photography
Designed to favour a better access to a specific population, the technique of interview discussed here is based on photographs. Roughly speaking, it may be characterized as a move from a free interview to a centered one, via a step where standard words are used to qualify the pictures. It appears that we need to connect explicitly the usual techniques of coding the way people take a hold on pictures and a strong body of hypothesis (belonging here to pragmatic sociology). This allows us to identify two main ways to be anchored in the photographied reality, supported (or not) by narratives. The research also shows that the high ability to set themes and to give them the weight of values may be related to an expertise of lay persons. And, finally, when interviewed persons agree and take pleasure in sharing pictures with an anonymous other they are supposed to inform, it asks questions to the ordinary accepted dissymetry between the scholars and their public. - Sociologie visuelle et droit à l'image. La demande d'anonymat en question - Anne Jarrigeon p. 225-246 Le droit à l'image fait peser des contraintes de plus en plus importantes sur les pratiques photographiques de terrain et contribue à une certaine conformation esthétique de la photographie documentaire. Les chercheurs photographes jonglent souvent avec deux injonctions à l'anonymat, celle des sciences sociales garantissant traditionnellement aux personnes enquêtées la dissimulation de leur identité, et celle liée au respect du droit à l'image. Les procédures textuelles d'anonymisation se combinent alors dans l'écriture scientifique avec des procédés plastiques (floutage, cadrages spécifiques, évacuation des sujets vivants etc.)La demande d'autorisation, présentée comme nécessaire dans la perspective d'une publicisation des images, n'est pourtant pas toujours possible, ni même forcément compatible avec les enjeux de la recherche. L'interprétation du droit à l'image soulève des questions méthodologiques et épistémologiques. Cet article propose une contribution à la réflexion sur la sociologie et l'anthropologie par l'image à partir de l'étude des effets de ces contraintes juridiques sur les postures scientifiques.
Varia
- La multiplication des centralités à l'heure de la périurbanisation - Hérve Marchal, Jean-Marc Stébé p. 247-272 L'article entend analyser les processus contemporains de périurbanisation et d'étalement urbain en interrogeant l'émergence de nouvelles centralités. À partir de deux importantes recherches réalisées au sein de l'aire urbaine de Nancy située dans l'est de la France, le propos vise à comprendre, à travers les choix résidentiels et les pratiques quotidiennes des habitants du périurbain, comment se façonne leur rapport aux multiples centralités, qu'elles soient historiques ou émergentes.he Multiplication of Centralities in a Context of Urban Sprawl
This article intends to analyze current processes of peri-urbanization and urban sprawl by questioning the emergence of new centralities. Based on two important studies conducted within the urban area of Nancy – city located in the east of France –, this article aims to understand, through the residential choices and the daily practices of the inhabitants of the outer-ring suburbs, the pattern of their relationship to multiple centralities, whether these centralities are historical or emerging.
- La multiplication des centralités à l'heure de la périurbanisation - Hérve Marchal, Jean-Marc Stébé p. 247-272