Contenu du sommaire : Rester liés
Revue | Terrain |
---|---|
Numéro | no 36, mars 2001 |
Titre du numéro | Rester liés |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Revue de presse du numéro 36
Dossier thématique
- La séparation, mais le lien - Benoit Bastard p. 5-16 La problématique de la séparation et du lien se trouve au cœur de la question familiale. Les relations de couple autant que les rapports enfants-parents sont faits de proximité et de prises de distance, à travers lesquelles les individus se constituent et prennent, le cas échéant, leur autonomie. Quant à la question du divorce, elle oppose séparation et liens d'une façon particulièrement aiguë. D'un côté, les couples revendiquent la réversibilité des alliances dans lesquelles ils se sont engagés dès lors qu'elles ne leur donnent plus les satisfactions attendues. De l'autre, on attend d'eux qu'ils continuent de s'entendre assez bien pour assurer la circulation des enfants entre eux.Separation, but the tie that bindsThe question of the family centers around problems having to do with separation and bonds. Intracouple as well as parent-child relationships are based on proximity and distance, an interplay whereby individuals form and assume their autonomy. Divorce sharpens the edge of the aforementioned problems. On the one hand, couples lay claim to the principle that allows them to reverse marital bonds when the latter no longer satisfy their expectations. But on the other hand, the two persons in the now separated couple are supposed to continue getting along with each other, at least well enough to see to it that the children move back and forth between them.
- Recomposer l'espace intime et familial - Claude Martin p. 17-32 Après séparations et divorces, un nombre croissant de ménages connaissent aujourd'hui une nouvelle étape du cycle de vie familial, que l'on qualifie de recomposition familiale. Bon nombre de questions traversent l'esprit des protagonistes de ces familles complexes, concernant bien sûr le rôle et la place de chacun, les relations aux ex-conjoints et aux beaux-enfants, mais, plus concrètement encore, la question de l'espace intime et de l'espace familial. Pouvons-nous envisager de vivre ensemble et où ? Chez toi, chez moi, chez nous, dans un nouveau lieu ? Dans quels meubles ? Les tiens, les miens ? La recomposition d'un ménage complexe met donc au centre de l'histoire conjugale des arbitrages d'un type nouveau concernant la domesticité. Les questions de logement, d'espace, d'aménagement, de préservation de l'intimité, la complexité de la vie quotidienne surdéterminent en quelque sorte l'idée de refaire famille. Dans ces familles dites recomposées, il y a le couple et son espace, les deux familles dissociées, mais qui restent constituées par la circulation des enfants ; la famille composée étant le résultat de cette complexe alchimie, faite du croisement de tous ces éléments de trajectoire et de la projection sur l'avenir.Rearranging the couple's and family's private spaceOwing to separations and divorces, a growing number of households are undergoing a new phase in the family's life cycle, as they work out new living arrangements. Several questions arise for members of these “complex” families — questions about, of course, each person's role and place, about the relations with ex-spouses and stepchildren, and, more concretely, about the family's and couple's private space. Is it possible to imagine living together? Where – at your place, my place, our place…in a new place? With what furniture – mine, yours? Given these rearrangements, the history of married life in these households centers around negotiations of a new type about life at home. Questions about housing, space, household equipment, intimacy, everyday life… tend to weigh too heavily on the idea of re-making a family. These “rearranged” family patterns comprise the couple with its space as well as the two separated families that, nonetheless, maintain ties because of the children. Rearrangements result from this complicated alchemy that combines all the elements in the family's itinerary and its projection into the future.
- Quitter ses parents - Emmanuelle Maunaye p. 33-44 Comment évoluent les rencontres parents-enfants après le départ de ceux-ci de la maison familiale ? Elles prennent tout d'abord pour les jeunes le sens d'un retour. La maison des parents est encore considérée comme le chez-soi où ils souhaitent retrouver leur espace – notamment celui de leur « chambre » – ainsi que leur rôle et leur place d'enfant. Puis, progressivement, les rencontres se transforment, prenant davantage la forme d'une visite. La maison familiale est plus considérée comme un lieu de rencontre où l'on prend plaisir à voir ses parents que comme un chez-soi. Cette transformation accompagne la modification des relations intergénérationnelles de la dépendance à l'indépendance et à l'établissement de nouveaux rapports d'adulte à adulte, fondés sur le registre des relations affectives et électives. Le franchissement d'étapes introduisant à des rôles sociaux d'adulte – l'entrée dans la vie professionnelle et surtout la formation d'un couple – soutient ces réajustements et y contribue. Cette individualisation des relations intergénérationnelles ne signifie pas une rupture des liens, elle ne nie pas le maintien d'une proximité affective importante mais librement consentie.Leaving home: Keeping the right distanceHow do parent-child relationships evolve once the children leave home? For young people, they take on the meaning of a return home. Initially, they still think of their parent's house as “home”; and they want to find their own space (in particular, their room) as well as their place and role as a child. But gradually, changes occur in these meetings, which become more like visits. The family house is then considered more as a place where one enjoys seeing one's parents than as home. This change occurs as intergenerational bonds evolve from dependence to independence and the establishment of new adult-to-adult relations based on affinity, feelings and choices. These readjustments are facilitated by the young person taking on the social roles of adulthood — starting to work and forming a couple. This individualization of intergenerational relations does not signal a break in ties; nor does it keep the parties from feeling very close but on the basis of their free consent.
- Dénouer les noces - Noria Boukhobza p. 45-56 En pleine modernité urbaine, au cœur des grands ensembles, l'exigence des mères d'origine algérienne concernant le mariage de leurs filles se réduit à deux critères : que ce mariage soit licite et que leurs filles choisissent un musulman. De manière très paradoxale, sous l'apparence d'un « bon mariage », accepté et permettant d'accéder au « trône de la mariée », les noces les plus conformes à la tradition sont déjà porteuses d'un projet de rupture. Celui-ci détermine même le choix du conjoint, et les manipulations qu'opèrent mères et filles – parfois séparément, parfois de concert – révèlent la « face cachée » du mariage. Le mariage en deux temps et selon deux modèles d'union (civil dans un pays et religieux dans l'autre) offre en effet la possibilité de manipuler le rite des noces. « Dénouer les noces » devient alors un parcours complexe. Reste à savoir de quel mariage on divorce dans ce contexte et les possibles conséquences sur une nouvelle alliance.Untying wedding bandsIn highly modern urban centers, mothers of Algerian origins have two major requirements as regards the marriage of their daughters: the marriage should be lawful, and the daughter should choose a Muslim. Quite paradoxically, the weddings that most closely follow tradition and look like “good marriages” (which allow access to the “bride's throne”) convey plans for a rupture. These plans determine even the choice of the spouse. The manipulations by mother and daughter – separately or together – reveal the “hidden face” of marriage. A marriage in two steps and under two models (civil law in one country and religious law in another) provides the possibility of manipulating wedding rites. “Untying wedding bands” thus becomes a complex process. But from which marriage is a divorce made? And what are the possible consequences on a new marriage?
- La médiation redécouverte - Marian Roberts, Simon Roberts p. 57-68 Cet article retrace l'émergence de la médiation en tant que nouvelle approche de la gestion des conflits familiaux ; il traite également de la manière dont les conjoints en cours de divorce ont expérimenté la médiation. Objet de nombreuses pressions, la médiation survivra-t-elle en tant que mode d'intervention autonome ou sera-t-elle incorporée dans le processus traditionnel de règlement des conflits ? Cette question reste ouverte.Mediation rediscovered: English divorce transformedMediation has emerged as a new way to manage family disputes. How do parties to a divorce experience mediation? Given pressures from many different sources, the question arises of whether mediation will remain autonomous or be co-opted as a full part of the traditional procedure in lawsuits.
- Le veuvage, une séparation inachevée - Vincent Caradec p. 69-84 Cet article se propose d'étudier l'expérience contemporaine du veuvage, à partir d'entretiens réalisés avec des veufs et des veuves ayant perdu leur conjoint après la retraite (ou peu de temps avant). Dans un premier temps, il décrit comment ces veufs et ces veuves font face à cette disparition : en s'efforçant de trouver un sens à leur situation de survivant ; en cherchant de nouvelles occupations et de nouveaux investissements ; grâce au soutien des proches. Dans un second temps, il se penche sur les mécanismes qui conduisent au repli sur soi, mais aussi sur les nouvelles relations privilégiées qui se développent parfois : plutôt avec une amie pour les veuves, avec une nouvelle conjointe pour les veufs. Enfin, il s'attache à montrer que, contrairement à l'évidence, le décès du conjoint ne marque pas la fin du lien conjugal : le travail de la mémoire amène à trouver une « bonne distance » avec le défunt qui, dans la plupart des cas, reste très présent dans la vie du survivant.Widowhood, an incomplete separationInterviews with widows or widowers who lost their spouse after or right before retirement are used to study contemporary widowhood. Widowed spouses face up to this loss by endeavoring to find a meaning for their situation as a survivor, by looking for new ways to spend time and energy, or by accepting support from persons close to them. The ways the survivor withdraws into her/himself are described as well as the new friendships – usually a female friend for widows or a new spouse for widowers – that may take shape. Contrary to what seems obvious, a spouse's death does not signal the end of the marital bond: the “work” of memory helps to find the “right distance” to be kept with the deceased, who, in most cases, is still quite present in the survivor's life.
- La séparation, mais le lien - Benoit Bastard p. 5-16
Repères
- « Les gens des fleurs restent, les diplômés partent » - Alex Strating p. 85-96 L'économie du village hollandais de Rijnsburg est dominée par le commerce des fleurs : on y trouve environ 400 petites entreprises. Les négociants sont des grossistes et ils effectuent eux-mêmes l'achat, le transport et la vente des fleurs. Leurs clients sont, en majorité, des fleuristes d'Europe occidentale et centrale. Pour mener leurs affaires, les négociants dépendent essentiellement de leurs réseaux de parenté. C'est dans le cadre de ces réseaux qu'ils apprennent les astuces du commerce, qu'ils recrutent de la main-d'œuvre et qu'ils ont accès aux informations et au capital. Les négociants de Rijnsburg réussissent parce qu'ils sont ancrés dans une communauté locale aux réseaux de parenté exceptionnellement étendus et solides, issus d'une préférence pour les mariages endogamiques locaux. Les gens qui vivent du commerce des fleurs ont tendance à se marier et à s'installer dans la communauté, à la différence de ceux qui optent pour une carrière différente. Ce processus, résumé par les gens du lieu par la phrase « les gens des fleurs restent, les diplômés partent », assure la reproduction des réseaux de parenté locaux et d'un commerce basé sur la parenté.“The flower people stay, the diploma people leave”: Kinship, family and the flower trade in a Dutch communityThe flower trade dominates the local economy in Rijnsburg, a village in the Netherlands, where aproximately 400 small wholesale companies are based. The traders do the buying, transporting and selling of the flowers themselves; most of their customers are flower shops in western and central Europe. Traders rely heavily on kinship networks to run their businesses. In these networks, the tricks of the trade are learned, labor is recruited, and access is obtained to capital and information. These wholesalers succeed because they are embedded in a local community with exceptionally large and strong kinship networks, which have resulted from a preference for local endogamous marriages. People in the flower trade tend to marry and settle inside the community whereas people who opt for other careers tend to marry out and settle elsewhere. As the local people say, “The flower people stay, the diploma people leave” – an apt description of the process underlying the reproduction of local kinship networks and of the kinship basis of the flower trade.
- Faire et défaire les « monuments » - Berardino Palumbo p. 97-112 L'auteur propose une lecture ethnographique de certains textes d'histoire locale qui, au cours des quatre derniers siècles, ont décrit les « monuments » de Catalfaro, un centre urbain de l'intérieur de la Sicile du Sud-Est. Son attention porte en particulier sur les églises de S. Nicola-S.S. Salvatore et de S. Maria della Stella, édifices qui, de la moitié du xvie siècle à aujourd'hui, ont été le siège de ces églises, et sur les écrits qui leur ont été consacrés par des savants locaux. Il montre comment sépultures, cadavres, temples grecs et autels romains, églises de rite grec et églises latines s'inscrivent dans un régime d'historicité marqué par l'emploi de stratégies rhétoriques qui permettent un jeu continu et toujours politique de construction-déconstruction des rapports entre antériorité et postériorité, entre authenticité et non-authenticité, entre histoire et mémoire. La dimension « monumentale » des églises de Catalfaro découle donc du fait qu'elles soient des lieux perturbés et perturbants, des espaces topologiques de mémoire, soumis à des manipulations constantes.Constructing and deconstructing “monuments”An ethnological interpretation is made of descriptions, over four centuries, in the local history of the “monuments” of Catalfaro, a town in southeastern inland Sicily. Attention is focused on what local scholars have written about the St.Nicola, St.Salvatore and St.Maria della Stella churches and on the buildings themselves, which have been devoted to religious services since the mid-16th century. Tombs, corpses, Greek temples, Roman altars, and churches of the Greek or Latin rite all fit into a “system of historicity” marked by the use of rhetorical strategies, which have made possible an ongoing “game” – one that has always been political – of construction/deconstruction of relations between: “anteriority” and “posteriority”, authentic and non-authentic, history and memory. The “monumental” dimension of the Catalfaro churches thus ensues from the fact that they are disturbed and disturbing places, constantly manipulated topological spaces of memory.
- L'invention patronale d'une industrie artisanale - Philippe Hamman p. 113-128 Cet article s'intéresse aux politiques patronales mises en œuvre durant la seconde moitié du xixe siècle dans une grande entreprise paternaliste de l'est de la France : la faïencerie de Sarreguemines. Le travail de ses dirigeants est ici abordé sous un angle original, à partir d'un matériau singulier : les assiettes à décors historiés réalisées à la fabrique. Au moment même où la faïencerie se transforme en une entreprise industrielle, ses directeurs engagent un véritable travail d'invention de ce qui serait une « industrie artisanale ». Dans cette perspective, c'est la construction de la figure d'un ouvrier exemplaire, avec pour support la production même de la fabrique, qui nous retient : les patrons jouent sur le contenu des décors des assiettes qui sont réalisées par la main-d'œuvre céramiste pour lui proposer par ce canal des modèles de vie conformes à leurs aspirations.Employers invent a craft industry: The making of an exemplary worker in the Sarreguemines ceramics factory (1848-1913)The paternalistic policies pursued during the second half of the 19th century at the ceramics factory in Sarreguemines, eastern France, are examined from an original approach and on the basis of special material: the decorated, story-telling plates made there. As this workshop was changing into an industrial firm, its directors proved to be quite inventive by creating what would become a craft industry. They proposed the figure of an exemplary worker: the stories that workers painted onto the plates held up to them models of life-styles in conformity with what the “boss” wanted.
- La domestication du tourisme - Noël Barbe, Jean-Christophe Sevin p. 129-142 Depuis la fin des années 60, le massif du Jura, qui semblait voué à un déclin socio-économique, apparaît comme le support de nouveaux usages parmi lesquels une pratique emblématique du ski. Celle-ci n'est plus seulement pensée comme utilitaire ou comme strictement locale, mais construite comme une ressource économique, un facteur de développement et un élément identitaire. On peut isoler, de ce point de vue, deux périodes dans l'histoire récente du tourisme d'hiver jurassien. La première, qui voit sa naissance puis son développement, s'articule principalement autour du ski alpin et d'aménagements lourds. Durant la seconde, la pratique du ski de fond est développée. Elle s'insère dans une vision de l'aménagement touristique où l'argument aménageur se fait en termes de préservation des sites, de tourisme diffus, d'aménagement intégré.Domesticating tourism: Cross-country skiing in the Jura Mountains (1900-1996)Prior to the late 1960s, the Jura Mountains had seemed doomed socially and economically. But this French mountain range has emerged as a place for new activities, in particular skiing. No longer seen as being merely utilitarian or strictly local, skiing has become an economic resource, a factor in development and an element in local identities. Two periods in the recent history of winter tourism in this area can be identified. The first hinged on Alpine skiing and necessitated major facilities. The second centers around cross-country skiing and fits into a vision that sees development as being “integrated”, and as conserving sites and spreading tourism out over the countryside.
- En « Arlésienne » ou « le voile islamique » à l'envers ? - Danièle Dossetto p. 143-158 Le volontarisme culturel provençal est examiné au fil d'un siècle à partir de la notion de « frontières » géoculturelles ou sociales et de l'exemple du vêtement local. L'auteur montre d'abord l'endo-ethnographie en train de construire, assez loin de la réalité dont elle est censée rendre compte, sa propre géographie du costume. Il s'arrête ensuite sur des moments où le volontarisme culturel et le domaine politique interfèrent. Une première coupe est proposée avec l'analyse de la notion de « pays d'Arles », recouvrant l'aire vestimentaire, telle qu'elle est développée dans le cadre du régime de Vichy. Une seconde est fournie par une observation de terrain au moment des élections municipales de 1995. Des mainteneurs de tradition s'interrogent sur l'accès au costume de deux jeunes beurs intégrées dans un groupe folklorique.Dressed in a local costume or the other side of the Islamic veil? The geographic and social space of costumes in ProvenceThe notion of geographical, cultural and social borderlines and the example of costumes are used to examine the local determination, over the past century, to maintain the “culture” of the Provence area of France. The emerging endogenous ethnology of this area has views rather far removed from the reality – the geography of local clothing – it supposedly describes. Periods when the aforementioned determination and politics interfered with each other are discussed. The idea of an “Arles country” (covering an area corresponding to a type of dress) as it was developed under the WW II Vichy government is presented along with the results of field work conducted during the 1995 local elections. Some guardians of the tradition raise questions about two young persons of North African origins wearing the local costume as part of a folkloric group.
- « Les gens des fleurs restent, les diplômés partent » - Alex Strating p. 85-96