Contenu du sommaire : Désastres
Revue | Cahiers d'anthropologie sociale |
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Numéro | No 7, 2011 |
Titre du numéro | Désastres |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Désastres. Dirigé par Barbara Glowczewski et Alexandre Soucaille
- In memoriam. Nicolas Govoroff (1958 - 2011) - p. 7
- Présentation. Désastres - Glowczewski B., Soucaille A. p. 11-22
- Résister au désastre : entre épuisement et création - Glowczewski B. p. 23-40 De par le monde, certains médias et institutions réduisent les sinistrés de l'histoire, des climats ou des crises, au statut de victimes de forces incontrôlables, sans leur reconnaître le moyen d'être eux-mêmes acteurs d'alternatives sociales. Or la puissance de nouveaux agencements collectifs créés en réponse à des situations désastreuses existe partout comme le montrent la reconstruction villageoise de Bebekan à Java ou la lutte du collectif citoyen pour la restitution et le développement intégré du rail au Mali (cocidirail). L'anthropologie est appelée à s'engager dans la mise en valeur de ces expérimentations créatives et dans l'analyse critique des processus de stigmatisation et d'injustice sociale qui, sous prétexte d'urgence, étouffent les initiatives de résistance aux désastres locaux et globalisés.Throughout the world, certain media and institutions reduce populations that have suffered from political, economic or climatic crises to the status of victims of uncontrolable forces, thus depriving them of social agency. Nonetheless, the power of new collective assemblages created in response to disastrous situations exists everywhere: the reconstruction of Bebekan village in Java and the struggle of COCIDIRAIL (a citizens collective for the restitution and integrated development of the rail system) in Mali are but two examples. Anthropology is called upon to engage with and support these creative experiments, as well as to critically analyse the processes of stigmatization and social injustice that — in the name of emergency — stiffle initiatives of resistance to local and global disasters.
- Journal de l'éruption du volcan Merapi (26 octobre 2010-12 juin 2011) - Inandiak E.D. p. 41-60 Extraits de courriels envoyés de Java à ses amis. L'écrivain et journaliste française, qui vit au pied du volcan Merapi depuis plus de 20 ans, nous plonge au cœur des remous sociaux et de la réinvention quotidienne des sinistrés, 2500 familles dont les villages, les champs et l'économie ont succombé sous les nuées ardentes. Chamanes et experts se croisent dans ce lieu de destruction et de création, au moment de l'incertitude radicale sur ce qui va arriver.Extracts from emails sent from Java to her friends. The French writer and reportert, Elisabeth Inandiak, who has been living at the foot of the vulcano for over 20 years, immerges us into the heart of the social waves and the everyday life reinvention of the disaster victims, 2500 families whose villages, fields and economy have been destroyed by the pyroclastic. Shamans and experts intercross in this place of destruction and creation, in a moment of radical uncertainty on what is going to happen.
- Le retour de Lévi-Strauss : de la catastrophe à l'anthropologie - D'Onofrio S. p. 61-76 À partir des différentes significations du mot hébreu shoah, l'article explore l'importance qu'a pu avoir la destruction des Juifs d'Europe dans la pensée de Lévi-Strauss. Deux niveaux sont repérés auxquels Lévi-Strauss pose le problème de la catastrophe : le premier, plus explicite, assimile l'humanité entière à ceux qui ont payé le prix le plus important pour la construction de la société occidentale moderne : les Indiens d'Amérique. L'autre niveau fait un avec la méthode structurale. En particulier, l'article attire l'attention sur l'attitude critique de Lévi-Strauss, d'une part vis-à-vis du relativisme culturel, d'autre part vis-à-vis d'une certaine rigidité affectant d'autres sciences humaines, et notamment ces savoirs critiques (ou de la crise) que sont la psychanalyse et le marxisme. Cela permet de comprendre mieux dans quel sens sa subjectivité créatrice se déploie par rapport à la catastrophe, tout en s'identifiant avec le dispositif méthodologique qu'il a mis en place.Starting from the various meanings of the Hebrew word ‘shoah', the article investigates the role the destruction of the Jews in Europe had in the thought of Lévi-Strauss. Two levels have been found in the way Lévi-Strauss raises the problem of the catastrophe : the first one, which is more explicit, assimilates the whole humanity to those who paid everywhere the most important price in building modern western society, Native Americans. The other level is one with the structural method. In particular, the article focuses on the critical attitude of Lévi-Strauss, towards both cultural relativism and some rigidity affecting other human sciences, in particular psychoanalysis and marxism. The paper aims at clarifying in which way the creative subjectivity of Lévi-Strauss spreads with regard to the catastrophe while identifying with the methodological apparatus which he elaborated.
- Une ethnographie des catastrophes est-elle possible ? Coulées de boue et inondations au Venezuela et en France - Langumier J., Revet S. p. 77-90 Transposant la question posée par Gérard Lenclud, Elisabeth Claverie et Jean Jamin « Une ethnographie de la violence est-elle possible ? », Sandrine Revet et Julien Langumier interrogent la catastrophe en tant qu'objet de recherche à construire. Ils retracent d'abord rapidement l'histoire de l'intérêt que les sciences sociales et l'anthropologie, en particulier, ont porté à cet objet quelque peu marginal dans le champ académique. À partir des travaux de terrains récents des auteurs, des pistes de recherche sont ensuite esquissées pour défendre l'intérêt de la démarche anthropologique sur cet objet qui constitue un réel apport pour la discipline. En particulier, l'ethnographie permet de suivre un quotidien en perpétuelle recomposition après la catastrophe, tant du fait des interactions inédites entre habitants et « experts » provoquées par la crise, que des dynamiques mémorielles et identitaires ancrées localement et inscrites dans le temps long.Using the question posed by Gérard Lenclud, Elisabeth Claverie, and Jean Jamin in “Is an ethnography of violence possible?” as their point of departure, Sandrine Revet and Julien Langumier question disaster as an object of research to be constructed. They begin by briefly retracing the history of the interest that the social sciences, and particularly anthropology, have shown in this somewhat marginal topic within academics. Based on a discussion of the authors' recent field studies, they suggest new directions for research, arguing for the significant contribution of anthropological procedures to this topic and hence to the discipline as a whole. Specifically, ethnography allows for an account of daily experience as it is in perpetual recomposition in the aftermath of a disasters because it enables understanding both of the novel interactions between inhabitants and “experts” in the wake of the crisis and of the dynamics of memory and identity as they are locally anchored and as they unfold over the longer term.
- Bifurcations. Les vies lépreuses - Martin F. p. 91-104 Cet article s'intéresse à des personnes dont les liens d'appartenance, au niveau de la famille, du village et de la caste, ont été rompus à cause de la lèpre. Il retrace leurs parcours, depuis leur reconstruction de liens de parenté à partir de relations d'amitié, leur création d'un groupe sur la base d'expériences partagées – de la maladie, de l'exclusion et de l'itinérance à travers le pays –, leur élaboration d'une communauté inscrite dans l'espace urbain et leurs tentatives pour recouvrer une place dans la société. Il y est question avant tout de mouvement : de tentatives et d'explorations, de rencontres et de rapprochements, de processus de distinction, et de créations sociales. Ces personnes se trouvent prises dans un devenir perpétuel, tout comme leurs descendants qui héritent des conséquences de l'événement. Si l'expérience du désastre engage de nouvelles pratiques et de nouvelles formes d'existence, elle est aussi ce qui maintient les personnes à la marge, en raison même de leurs créations sociales.This article focuses on individuals who have experienced a break in their relationships with their family, their village and their initial caste because of leprosy. It shows how these leprosy people rebuilt social bonds, using friendship to reconstruct one's kinship, how they recreated a group on the basis of common-shared experiences, i.e. of the illness, of exclusion and of wanderings around the country, how they formed a community rooted in urban space and how they are attempting to re-insert themselves into Indian society. Emphasis is put on movement: tries and explorations, meeting and connections, distinctive process, and social creations. These people find themselves trapped into a perpetual “yet to be”, as their descendants who inherit from the event's repercussions. If the experience of disaster involves new modes of action and new states of being, it also keeps people in the margins of the society, as a matter of their social creations.
- Ambiguïtés de la folie - Pelbart P.P. p. 105-114 À partir d'auteurs comme Blanchot, Deleuze, Simondon, Tosquelles, Von Weizsäcker, aussi bien que de la démarche d'un groupe de théâtre brésilien constitué d'usagers psychiatriques, il s'agit de penser la dimension créatrice présente dans des situations-limites liées à la folie. Des notions comme « désastre », « catastrophe », « pathique », aident à situer ces contextes où l'écroulement psychique résonne avec une traversée vitale et même avec une expérimentation esthétique.Using the work of authors such as Blanchot, Deleuze, Simondon, Tosquelles or Von Weizsäcker, as well as the trajectory of a Brazilian theater group which includes users of psychiatric services, at stake is the creative dimension present in limit-situations related to madness. Notions such as “disaster”, “catastrophe” or “the pathical”, help in situating contexts where mental breakdown resonates with vital breakthroughs and even aesthetic experimentation.
- Le viol et la question du féminin - Soucaille A. p. 115-130 Le viol est une violence extrême qui n'est tributaire d'aucun événement particulier, il est événement lui-même ou événement dans d'autres événements. En cela, il est désastre, un désastre souvent très personnel, sans nécessité d'inclusion dans l'histoire, accident brutal qui, parce qu'il s'adresse au féminin, parce qu'il contraint par sa possibilité les attitudes et les mots des femmes, ne peut jamais être considéré comme tel. Le lien du viol au féminin est là : le viol agit déjà comme possible, et quand il advient, on sait qu'il opère une rupture radicale dans la vie sociale. Il y a en effet dans la violence du viol une part éminemment sociale, violence de sa perception sociale renvoyant au statut de la femme, violence de sa catégorisation juridique qui cartographie les attitudes, délimite les responsabilités. À quelles conditions cette violence et cette douleur sociale du viol en lien avec le féminin peuvent-elles être amenuisées ?Rape is extreme violence. It is an event in itself or an event inside another event. Rape is disaster, a personnal disaster, which doesn't necessarily needs to be historicized. It is a strong accident, but this accident is never recognized because being an attack to feminine gender, being a possibility in the women's life, the rape forces beforehand attitudes and words of women. The link between rape and feminine gender lies here : rape acts as a possible event, and when it occures, we know that rape causes a radical rupture in social life. Part of rape's violence is social, and this social violence is embodied in women's social status, in juridiscal categories mapping attitudes, distributing liabilities and responsabilities. At which condition can this gendered violence and pain caused by rape be reduced ?
- Par-delà les peurs : histoire d'une femme algérienne - Lebas C. p. 131-144 Cet article porte, à travers l'histoire de vie d'une femme algérienne, sur les manières dont on peut survivre au désastre, en survivant à ses peurs. Tout en mettant en évidence le poids de ces dernières sur le corps, il rend compte de la transformation et du déplacement des peurs d'un régime d'anticipation à un régime de narration. Ainsi, l'auteure donne à voir une autre géographie des peurs qui, incarnées dans et par des corps sexués, dessinent des espaces de pouvoir fluctuants, laissant deviner une tension permanente entre assujettissement et formation des subjectivités.This article looks, through an Algerian woman's story of life, on the ways in which one can survive the disaster, by surviving his fears. While highlighting the weight of the latter on the body, it reflects the transformation and movement of fears from a forethought regime towards a system of narration. Thus, the author reveals a new geography of fears which, embodied in and through gendered bodies, define wavering spaces of power, hinting a constant tension between submission and shaping of subjectivities.