Contenu du sommaire : Espace des disciplines et pratiques interdisciplinaires
Revue | Actes de la recherche en sciences sociales |
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Numéro | no 210, décembre 2015 |
Titre du numéro | Espace des disciplines et pratiques interdisciplinaires |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- La résilience des disciplines - Johan Heilbron, Yves Gingras p. 4-9
- L'origine sociale des disciplines - Yann Renisio p. 10-27 En se basant sur la variabilité des caractéristiques sociales des étudiants dans l'ensemble des universités françaises entre 2007 et 2011, cet article montre que la seule prise en compte de l'origine sociale des inscrits restitue un espace et des regroupements disciplinaires qui correspondent fortement à la classification en groupes de sections du Conseil national des universités. Cette concordance, redoublée par d'autres caractéristiques telles que le genre et le capital scolaire, permet de formuler l'hypothèse selon laquelle les hiérarchies plus ou moins explicites entre domaines de connaissance, présentées sous la forme d'arguments d'ordres épistémologique ou pratique, font également écho à des jugements sociaux de classe.Based on the variance of the social characteristics of students in all French universities between 2007 and 2011, this article suggests that their social origin is sufficient to account for a disciplinary space and the disciplinary groupings that strongly overlap with the classification by groups of the National Council of Universities. This overlap, confirmed by other characteristics such as gender or educational capital, justifies the assumption that the more or less explicit hierarchies between fields of knowledge, usually premised upon epistemological or practical arguments, correspond with class-based social judgments.
- Proximités épistémologiques et stratégies professionnelles : Qualifier l'interdisciplinarité au CNU, 2005-2013 - Yann Renisio, Pablo Zamith p. 28-39 Cet article analyse l'ensemble des qualifications aux fonctions de maître de conférences attribuées par le Conseil national des universités (CNU) entre 2005 et 2013 en effectuant deux types de traitement statistique. Le premier restitue un espace des relations entre disciplines sur la base des individus simultanément qualifiés par plusieurs sections du CNU. Le second rend compte du lien fort qui existe entre l'ouverture disciplinaire d'une section et les chances d'accès à un poste universitaire pour ses candidats. On soulève ainsi un enjeu important que les approches fondées sur la seule bibliométrie tendent à éluder : l'intrication des logiques académique et scientifique. Loin d'être aléatoire, la coqualification traduit à la fois des proximités épistémologiques et des stratégies d'insertion professionnelle. Dès lors, les déterminants sociaux qui favorisent, en amont, les dispositions à l'interdisciplinarité, et les logiques d'employabilité auxquelles elle semble répondre, en aval, permettent d'appréhender autrement les injonctions récentes à l'interdisciplinarité.This article analyses all the associate professor accreditations delivered by the National University Council (CNU) between 2005 and 2013 by subjecting them to two statistical operations. The first makes visible the relational space between disciplines through the case of individuals who have been simultaneously accredited by several sections of the CNU. The second accounts for the strong relationship between the establishment of a disciplinary section and the chances of securing an academic position for candidates. This sheds light on an important issue that approaches based solely on bibliometrics tend to bypass : the entanglement of academic and scientific logics. Far from being random, multiple accreditations express both epistemological closeness and professional strategies. The upstream social factors that facilitate the disposition toward interdisciplinarity and the downstream logic of academic marketability to which they seem to correspond make it possible to understand differently the recent calls for interdisciplinarity.
- Les collaborations interdisciplinaires : raisons et obstacles - Julien Prud'homme, Yves Gingras p. 40-49 Les nombreux débats sur le sens et l'utilité de la recherche interdisciplinaire s'enferment souvent dans des questions de définitions ou de distinctions subtiles entre « pluridisciplinarité », « multidisciplinarité » « transdisciplinarité » ou même « métadisciplinarité ». Ces subdivisions n'offrent toutefois qu'un éclairage limité sur la réalité des pratiques interdisciplinaires. Les chercheurs entretiennent-ils avec l'interdisciplinarité des rapports différents selon qu'ils appartiennent ou non aux disciplines principales de leur établissement ? Sont-ils sensibles au fait que publier dans les revues d'une autre discipline n'étend guère leur rayonnement ? Les chercheurs qui s'engagent dans des projets interdisciplinaires poursuivent-ils tous les mêmes objectifs ? Quelle est pour eux la mesure du succès, et comment coopèrent-ils entre eux ? Quels obstacles rencontrent-ils et qu'attendent-ils de leurs administrations ? Notre analyse porte sur les intérêts des chercheurs à réaliser des projets interdisciplinaires, sur leur perception des obstacles qui entravent l'atteinte de leurs objectifs, et sur les contraintes organisationnelles. Au-delà des différences liées aux étapes de la carrière, les chercheurs qui choisissent d'investir dans des collaborations intersectorielles s'entendent sur une revendication précise : celle d'un desserrement des contraintes académiques à court terme qui inhibent l'exploration interdisciplinaire, par essence plus incertaine et plus lente.The numerous debates about the meaning and the usefulness of interdisciplinary research are often stuck in questions of definition or subtle distinctions between “pluridisciplinarity,” “multidisciplinarity,” “transdisciplinarity” or even “metadisciplinarity.” These distinctions do not shed much light on the reality of interdisciplinary practices. Do researchers see interdisciplinarity differently depending upon whether or not they belong to the main disciplines within their own institutions ? Are they sensitive to the fact that publishing in journals of another discipline does not increase their visibility ? Do all researchers collaborating within interdisciplinary projects share the same objectives ? Which obstacles do they encounter and what to they expect from their institutions ? The analysis presented here focuses on the interests of researchers to engage in interdisciplinary projects, on their perception of the obstacles that they encounter as they work toward their goals, and on the organizational constraints. Beyond the differences related to the degree of advancement in their careers, the researchers who choose to invest in inter-sectoral collaborations agree on a specific requirement : the loosening of the short-term academic constraints that hinder interdisciplinary explorations, by definition slower and more uncertain.
- Quelle disciplinarité pour la recherche à l'échelle nano ? : La « nouvelle disciplinarité », aux « confins » des disciplines - Anne Marcovich, Terry Shinn p. 50-59 Les analyses d'histoire et de sociologie des sciences ont souvent pour pôle d'investigation les structures, l'organisation et le fonctionnement des disciplines scientifiques, les différences entre disciplinarité et interdisciplinarité devenant un champ de réflexion privilégié. En effet, des affrontements entre les partisans de la disciplinarité et ceux de l'interdisciplinarité se développent sur les terrains académiques, politiques et économiques. Cet article présente un cadre d'organisation et de fonctionnement de la recherche scientifique que nous appelons la « nouvelle disciplinarité » ; elle constitue une variante de la disciplinarité traditionnelle et contraste avec l'interdisciplinarité. Afin de mettre en évidence les caractéristiques spécifiques de la nouvelle disciplinarité, nous nous appuyons sur les données que nous avons recueillies dans une enquête sur la recherche en nanoscience. Les éléments clés de la nouvelle disciplinarité sont : « référent », « confins », « projet », « déplacement » et « temporalité ».Historical and sociological analysis of science often focuses on the structure, organisation and operations of scientific disciplines and eventually differences between disciplinarity and interdisciplinarity. Indeed, the study and advocacy of disciplinarity versus interdisciplinarity today frequently constitutes an academic, political and economic battle ground. This article suggests an alternative increasingly prevalent framework in the organisation and operation of research work that we here dub “the new disciplinarity” by contrast with “traditional disciplinarity”. We mobilize our abundant empirical data on nanoscale scientific research to document the characteristics and relations specific to the new disciplinarity. Key features of this new disciplinarity include “referent”, “borderland”, “project”, “displacement” and “temporality”.
- Aires culturelles et recompositions (inter)disciplinaires : La 6e section de l'EPHE et les études sur l'espace russe, soviétique et est-européen - Ioana Popa p. 60-81 L'article cible les débuts de l'institutionnalisation des études sur les aires culturelles à la 6e Section de l'École pratique des hautes études, à partir du milieu des années 1950. Il entend aller au-delà du discours programmatique présentant comme évidente l'association entre aires culturelles, en tant qu'objet, et interdisciplinarité, en tant qu'approche scientifique et organisationnelle, en mettant au jour les recompositions disciplinaires concrètes produites autour d'elles. Ces recompositions sont observées à l'échelle des spécialisations des acteurs institutionnels par rapport auxquels la Division des aires culturelles de l'EPHE se situe. Elles le sont aussi au niveau des compétences certifiées et des trajectoires des acteurs individuels qui initient ou participent à ses activités. Ces réagencements sont enfin analysés à travers les contenus de son programme, qui se démarque de la slavistique sans se réduire à la « soviétologie ». Une pluralité de logiques sont ainsi à l'œuvre : « disciplinarisation » d'un domaine de connaissances, pluri- et interdisciplinarité, mise sous tension des frontières disciplinaires par une circulation des savoirs aussi bien internationale que vers d'autres espaces sociaux, à travers l'expertise.This article focuses on the early institutionalization of area studies at the 6th section of the Ecole Pratique des Hautes Etudes, starting in the mid-1950s. It seeks to counter the conventional association between areas as an object of study and interdisciplinarity as a scientific and organizational approach by shedding light on the concrete disciplinary rearrangements generated by area studies. These new configurations are observed at the level of the institutional actors in relation to which the Area Studies Division of the EPHE situates itself, and of their specialization. They are also observed at the level of the accredited skills and trajectories of the individual actors who initiated its activities or took part in them. Finally, they are also analyzed at the level of the contents of its program, which is distinct from “slavistics” without however being confined to “sovietology.” Several dynamics are thus at work : the “disciplinarization” of a field of knowledge, pluri- and inter-disciplinarity, and the testing of disciplinary borders through the circulation of knowledge, both internationally and toward other social spaces, under the form of expertise.
- Vers une transformation des sciences humaines et sociales - Odile Piriou p. 82-107 Cet article décrit les transformations qui affectent la sociologie et les formations en sciences humaines et sociales depuis les années 2000. Le prisme disciplinaire retenu fait émerger des polarisations fortes sur la base de l'évolution des flux de production de titres et des types de diplômes développés par les filières. On est ainsi conduit à classer les disciplines en sciences humaines et sociales en trois catégories : les disciplines académiques, les disciplines académiques en voie de technicisation et les disciplines techniques. Le travail statistique met en évidence l'attractivité des disciplines techniques. Elle tient à la supposée employabilité qu'elles conféreraient aux étudiants. On montre également que la sensibilité des sciences humaines et sociales à cette influence dépend de déterminismes sociaux persistant dans leurs différences d'orientation et de fonction.This article describes the transformations that impacted sociology and other training programs in the social sciences and the humanities since the 2000s. The disciplinary lens used here sheds light on strong polarizations related to the evolving volume and the type of diplomas delivered by the various curricula. The disciplines of the social sciences and the humanities are thus classified into three categories : the academic disciplines, the academic disciplines being technicized, and the technical disciplines. Statistical analysis reveals the attraction exercised by technical disciplines, allegedly due to their capacity to prepare students better for the job market. The article also shows that the degree to which the social sciences and the humanities respond to this influence depends upon persisting social factors that inform their different orientations and their functions.
- Transgresser les frontières en sciences humaines et sociales en France - Johan Heilbron, Anaïs Bokobza p. 108-121 Fondé sur une analyse secondaire de l'enquête bibliométrique du CNRS sur les revues en SHS, cet article analyse le degré d'ouverture et de fermeture de sept disciplines en sciences humaines et sociales (sociologie, anthropologie, science politique, économie/gestion, histoire, philosophie, droit). Deux dimensions sont distinguées : l'ouverture vis-à-vis d'autres disciplines (indiquée par la proportion de références à des revues extra-disciplinaires) et l'ouverture internationale (indiquée par la proportion de références à des revues non-francophones). À partir de ces indicateurs, on constate que le poids des références intra-disciplinaires est toujours considérable, et que plus on monte dans la hiérarchie des revues, plus les revues citées sont des revues intra-disciplinaires. Rien n'indique donc la « fin » des disciplines et l'avènement d'un règne transdisciplinaire. Le poids de la « disciplinarité » varie cependant selon la discipline, opposant les disciplines fermées sur elles-mêmes (notamment économie/gestion, droit) aux disciplines plus ouvertes (sociologie). De façon analogue, l'ouverture internationale varie elle aussi considérablement, opposant les disciplines peu nationales (économie/gestion) aux disciplines les plus nationales (droit, sociologie). En tous cas, les revues citées ne sont pas « trans » ou « internationales », mais en réalité binationales, c'est-à-dire françaises ou américaines.Based upon a secondary analysis of the bibliometric survey of journals in the social sciences and the humanities conducted by the CNRS, this article analyses the degree of openness or closure of seven disciplines (sociology, anthropology, political science, economics/management, history, philosophy, law). It distinguishes between two dimensions : the openness toward other disciplines (indicated by the relative number of references to extra-disciplinary journals) and international openness (indicated by the relative number of references to non-francophone journals). Using these indicators, we show that the weight of intra-disciplinary indicators is still important, and that the more one moves up in the rankings of the journals, the more citations refer to the journals within the discipline. Nothing therefore indicates the “end” of the disciplines and the emergence of a transdisciplinary regime. Yet, the weight of “disciplinarity” varies according to the disciplines, and opposes disciplines closed upon themselves (in particular economics/management, law)to more open disciplines (sociology). Similarly, international openness also varies considerably, from disciplines that are not very national (economics/management) to more national disciplines (law, sociology). In these cases, however, cited journals are not “transnational“ or “international,” but actually bi-national, i.e. French or American.