Contenu du sommaire : Changement et intervention dans les organisations : l'apport de Marc Uhalde

La question de l'engagement des sociologues est classiquement renvoyée à la « neutralité axiologique » définie par Max Weber dans son ouvrage Lesavant et le politique. Elle se trouve pourtant réinterrogée par la redéfinition des rapports entre sciences et société d'une part, par les pratiques professionnelles d'intervention et de formation d'acteurs sociaux d'autre part, qui conduisent nécessairement à un travail de réflexivité sur la posture et la pratique du métier de sociologue. Marc Uhalde, par sa trajectoire professionnelle, ses activités et ses travaux de recherche, a largement contribué à étayer une figure singulière de l'engagement du sociologue dans la cité.

Cet article met en évidence les principales positions pédagogiques que Marc Uhalde défendait et mettait en  uvre au quotidien. Trois dimensions sont particulièrement présentées : la première consiste à préciser sa conception de l'ajustement entre des connaissances orientées vers la compréhension de situations sociales et celles orientées vers l'action, la deuxième développe sa conception de la réflexivité dans le travail pédagogique, et enfin la troisième dimension met en valeur l'importance du travail collectif pédagogique alors même que l'enseignement est le plus souvent une activité individualisée.

Trois sociologues, dont Marc Uhalde, et un ergonome conseil, intervenant tous dans les mondes de l'entreprise, se sont attelés à la construction d'un dispositif de formation « long » (20 jours), intra-entreprise, entrecroisant des connaissances théoriques et des pratiques d'intervention. Ce programme de formation-action vise à équiper les intervenants internes d'outils de compréhension et d'action issus de référents sociologiques et ergonomiques. La constitution de cette équipe pluri-disciplinaire a incité les intervenants à un travail de réflexivité sur leur conception de l'intervention et leurs pratiques, pour en dégager la trame d'une matrice pédagogique intégrant les deux référentiels dans une approche cohérente des facteurs humains.

Dépasser le « collectif » pour aller vers le « commun », tel a été par deux fois l'engagement de Marc Uhalde. À la fin des années 1990, en sa qualité d'animateur de l'équipe RITE3 entité du LSCI4, puis à compter de 2009, alors qu'il assurait le même rôle au sein de l'axe SEE5 du LISE6, Marc Uhalde suggéra à ces collectifs d'entreprendre la réalisation d'ouvrages.

Les travaux de Marc Uhalde ont porté principalement sur les processus de transformation des entreprises. Ils révèlent deux trajectoires différentes : cellede la crise sociale, appréhendée sous la forme d'un vécu collectif de crise, d'un état dans le mouvement d'une trajectoire de changement. La modernisation représente l'autre facette possible du changement social et repose sur des dynamiques d'apprentissage collectif en lien avec une qualité de dirigeance spécifique. Finalement, la sociologie émerge comme une ressource de compréhension, mais aussi d'intervention, notamment pour dépasser des situations critiques.

Distinguant, comme le fait Marc Uhalde, risque, incertitude probabiliste et incertitude radicale, l'article analyse les effets de la modernisation gestionnaire. Il met plus particulièrement l'accent sur les incertitudes épistémiques et identitaires ainsi que sur la façon dont les salariés s'engagent dans leurs activités pour ne pas subir les conséquences des transformations et de la crise qui les frappent de plein fouet au sein de leurs organisations. Les dynamiques identitaires dans lesquelles ils s'inscrivent leur permettent de résister et d'exister individuellement et collectivement.

La recherche intervention, théorisée par Marc Uhalde, est déployée dans les organisations par le sociologue pour produire des connaissances situées à des fins de transformation des rapports sociaux. Nous interrogeons la capacité de ce mode de recherche à produire des connaissances valides au regard de la discipline sociologique en le resituant dans la pluralité des rapports de production entre science et société. La recherche intervention, revisitée à l'aune des notions de « science en société » et de « démocratie technique », révèle les modalités hybrides qui la composent et en font une combinaison singulière entre production de connaissances à distance des acteurs de l'organisation et coproduction de sens et de capacités avec ces acteurs.

Cet article s'attache à souligner l'exigence normative dans la pensée de Marc Uhalde sur l'intervention sociologique, en particulier sur le plan éthique. Cet auteur n'a pourtant jamais versé dans la réflexion spéculative : cette exigence était une composante de la pratique d'intervention dans les milieux organisés. Discutant ces orientations, à l'aide des concepts de « régulation conjointe » et de « cité civique », l'article montre que Marc Uhalde a été particulièrement novateur. Pour les compléter, l'article suggère que l'enjeu principal d'une éthique de l'intervention se situe moins dans l'invention d'une éthique de l'intervenant que dans la clarification ou le renforcement de la base éthique des acteurs.

L'intervention sociologique interpelle le sociologue dans sa capacité à mobiliser de manière originale des concepts et des méthodes pour répondre aux singularités de l'univers social, objet de son intervention. Cette construction contingente sollicite le sociologue dans une multitude de rapports sociaux et d'interactions, questionnant ainsi sa posture et sa subjectivité. À partir d'une relecture secondaire d'une intervention conduite au début des années 2010, l'auteure se propose d'explorer cette dimension sensible du métier qui met à l'épreuve le sociologue. Et ce faisant, de comprendre en quoi une mise au travail de ses émotions et de ses affects est un matériau utile, précieux qui « raconte » sur le contexte, la situation et la relation d'intervention et qui in fine permet au sociologue de maintenir une implication distanciée.

Marc Uhalde notait en 2001 une transformation des demandes d'intervention sociologique et donc des formes de réponse que devait pouvoir proposer une sociologie de l'intervention en entreprise (Uhalde, 2001). Quatorze ans plus tard, qu'en est-il ? Que peut-on aujourd'hui dire des caractéristiques des demandes qui nous sont adressées et donc sur la manière d'y répondre, en sociologues praticiens, avec les spécificités de cette sociologie intervenante que Marc Uhalde a essayé dans ses travaux de mettre en lumière ? En quoi, tant la question des mécanismes des crises de régulation que les dilemmes de l'intervention sociologique, deux sujets centraux de ses réflexions, sont-ils aujourd'hui pleinement d'actualité dans notre pratique au service des organisations de travail ? Quelles nouvelles questions, quels nouveaux défis se posent néanmoins aux praticiens en 2015 ? C'est à ces questions que nous avons tenté de donner quelques pistes de réponse à l'occasion du colloque en hommage à Marc Uhalde, le 26 mars dernier. Cet article reprend et prolonge ces quelques réflexions.

L'article s'intéresse aux étudiants inscrits dans des formations de niveau master à visée professionnelle et qui exercent simultanément en entreprise dans le cadre de contrats en alternance. Alors qu'ils font l'expérience de la difficile réception de l'approche sociologique, comment les aider à voir la sociologie comme leur offrant des ressources pour répondre à des enjeux d'analyse et de proposition d'action là où ils voient d'abord les malentendus, incompréhensions, refus auxquels ils se heurtent ? La recherche-action est ici présentée comme constituant un moyen intéressant de faire comprendre comment leur discipline leur permet de répondre aux sollicitations dont ils sont l'objet.

Au-delà du diagnostic sociologique dont les méthodes et compétences afférentes sont relativement balisées, les pratiques et compétences mobilisées par les sociologues praticiens dans l'accompagnement des organisations sont peu explicitées. Un groupe d'analyse de pratiques animé pendant deux ans par Marc Uhalde et Mokhtar Kaddouri a mis en évidence les nombreuses tensions auxquelles le praticien est confronté lors de ces démarches et qui caractérisent ce type d'intervention par rapport à d'autres. L'analyse de pratiques montre que les praticiens ont développé des compétences éthiques comme principales ressources pour se protéger de ces tensions.