Contenu du sommaire : La reconnaissance.
Revue | Raisons Politiques |
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Numéro | no 61, février 2016 |
Titre du numéro | La reconnaissance. |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
- La reconnaissance. Lectures hégéliennes - Charlotte Epstein, Thomas Lindemann p. 5-6
Dossier
- Vers une reformulation antagonique de la lutte pour la reconnaissance - Charlotte Epstein, Thomas Lindemann p. 7-25 Les articles réunis dans ce dossier sont presqu'intégralement le fruit d'un workshop international organisé au CERI en juin 2014. Prenant comme point de départ un engagement critique envers la littérature de la reconnaissance, notre propos était de revenir sur les traces de l'Hegel de la Phénoménologie de l'esprit pour reformuler le concept de la lutte pour la reconnaissance. Ce retour nous offre un approfondissement des concepts contemporains de la reconnaissance très largement influencés par une conception consensuelle dans la littérature classique malgré l'accentuation de la reconnaissance comme lutte à l'instar d'Axel Honneth. Centré sur ce retour antagonique de la conception originale d'Hegel, ce workshop réunissait des philosophes, des politistes, des théoriciens du social et des Relations internationales ainsi que des sociologues et des juristes. Dans cet article, nous introduisons des contributions diverses et suggèrerons comment des conversations au-delà des frontières disciplinaires sont susceptibles de reformuler le concept de reconnaissance et de préparer son utilisation dans les analyses critiques des phénomènes politiques et sociaux prenant davantage en compte ses dimensions antagoniques et actionnelles.Towards An Antagonistic Reformulation of the Struggle for Recognition: Forum. Introduction
The articles brought together in this volume are (mostly) the fruits of an international workshop held in Paris in June 2014, co-organised with Ole-Jacob Sending. Starting from a critical engagement with the recognition literature, its purpose was to chart a path back to Hegel, in order to mine the resources that a return to the original formulation of the struggle for recognition in the Phenomenology of Spirit provides for deepening contemporary understandings of the concept of recognition, beyond the “consensual” bend it has broadly taken in that literature, notwithstanding Axel Honneth's focus on recognition as a struggle. Centred on this return to Hegel, the workshop brought together philosophers, political, social and international relations theorists, as well as sociologists and legal scholars. In this article we introduce the various contributions, and draw out how the conversations generated across these disciplinary perspectives enable us to rethink the concept of recognition and pave the way for its utilisation in critical political and social analyses that more explicitly foreground its antagonistic and “agency” dimensions. - La lecture honnéthienne de Hegel dans La lutte pour la reconnaissance - Haud Guéguen p. 27-43 Cet article vise à interroger l'usage qu'Axel Honneth fait de la philosophie de Hegel dans sa théorisation de la reconnaissance, et ceci suivant un triple objectif. Il s'agit d'abord, à un niveau génétique, de comprendre comment et pourquoi Honneth en est venu, dès son ouvrage Kritik der Macht, à l'idée qu'il y avait une nécessité à réactualiser le motif hégélien de la « lutte pour la reconnaissance ». À partir de quoi, nous cherchons dans un second moment à montrer en quel sens l'interprétation de Hegel que propose Honneth dans La lutte pour la reconnaissance apparaît déterminante pour comprendre le sens de la « lutte » qui est en jeu dans sa propre théorie de la reconnaissance. Ce qui, à un niveau davantage critique, nous conduit pour finir à présenter les objections qui, à partir d'interprétations alternatives de la philosophie hégélienne, ont pu être adressées à la théorie de la lutte de la reconnaissance élaborée par Honneth. Objections qui, à chaque fois, entendent souligner que la suspension, par Honneth, de la figure du maître et de l'esclave que l'on trouve dans la Phénoménologie de l'esprit constitue une limite de taille dès lors que, comme Honneth, on se place dans la perspective d'élaborer une théorie critique de la société.The Honnethian reading of Hegel in The struggle for Recognition
This article aims to examine the use of Hegel's philosophy in Axel Honneth's theorization of recognition. We follow a triple objective. First, at a genetic level, we want to understand how and why Honneth, from his work Kritik der Macht, reaches the point where he needs to update the Hegelian motif of the “struggle for recognition”. Second, we seek to show in what sense the interpretation of Hegel suggested by Honneth in The struggle for recognition appears critical to understand the meaning of the “struggle” in his own theory of recognition. At a more critical level, we are driven eventually to present the objections, based on alternative interpretations of Hegelian philosophy, that have been directed to Honneth's theory of “struggle for recognition”. These objections always emphasize that the suspension by Honneth of the figure of the master and slave found in the Phenomenology of Spirit is a critical limit if we deal, as Honneth, with the development of a critical theory of the social. - Hegel : de la reconnaissance à l'intégration - Bernard Bourgeois p. 45-51 Hegel est aujourd'hui présenté comme le philosophe de la reconnaissance ; or si le moment de la reconnaissance joue bien un rôle dans la Phénoménologie de l'esprit, il est loin d'avoir l'importance centrale ou la portée fondatrice qu'on lui prête. La vie humaine pleinement accomplie n'est pas construite, chez Hegel, sur la reconnaissance comme lien horizontal, intersubjectif ou interactif, mais plutôt sur ce à quoi elle conduit : l'intégration – lien vertical – à un tout, l'État.Hegel: from recognition to integration
In this article Bernard Bourgeois returns to Hegel's concept of recognition in the Phenomenologyof Spirit to lay down some definitional bases for our forum. Bourgeois carefully unpacks the meaning of Hegel's concept (its raison d'être, how it unfolds, and it ends) and the place it occupies in his thought. Recognition, he shows, is a necessary failure propelling forward Hegel's dialectic of becoming human, which is to say, free. He shows the need to widen the contemporary focus in social theory on recognition alone to a broader appreciation of the role it Hegel sees it playing as a moment in a dynamic process of integration into a larger whole. - La charge affective de la non-reconnaissance dans la dialectique hégélienne du maître et du serviteur - Gaëlle Demelemestre p. 53-67 À la relecture marxisante de la dialectique hégélienne du maître et du serviteur, qui y voit l'expression de la lutte des classes, a fait suite une volonté de certains commentateurs de revenir à la logique interne du développement de l'esprit manifestée par cette figure parabole. En la dépassionnant, ils en ont proposé une version purement analytique, détaillant les différents contenus de conscience ponctuant chacune des étapes de la dialectique. Une telle interprétation objectivante permet-elle cependant d'épuiser les enseignements livrés ici par Hegel ? Le lexique affectif très violent auquel recourt Hegel dans ce passage nous amène à en douter. Le présent article entend montrer ce que l'on gagne, dans la compréhension des processus de reconnaissance et de déni de reconnaissance, à reconsidérer la place que Hegel accorde aux affects dans ce moment de confrontation des deux consciences.The emotional significance of non-recognition in the Hegelian dialectic of master and servant The Marxist interpretation of Hegel's dialectic of master and servant as the expression of class struggle has been countered by the will of some commentators to go back to the internal logic of the development of the spirit shown by this figure-parable. Precluding the passions, they have articulated a purely analytical account, detailing the various contents of consciousness punctuating each stage of the dialectic. However, does such an objectifying interprÉtation exhaust the lessons delivered here by Hegel? The very violent emotional lexicon used by Hegel in this passage leads us to be skeptical about that point. This article thus aims to reassess the centrality of emotions in this moment of confrontation of the two consciousnesses; and to show how it helps to better understand the process and denial of recognition.
- La rationalité normative : impulsions hégéliennes - Jean-François Kervégan p. 69-85 L'article examine les ressources que la pensée de Hegel pourrait offrir à la théorie actuelle de la rationalité normative, en particulier grâce au concept d'éthicité (Sittlichkeit) qu'elle propose. L'examen porte d'abord sur la théorie hegélienne du « droit abstrait », qui développe une vision originale du rapport entre « droit subjectif » et « droit objectif ». Sont ensuite étudiés les rapports entre normativité juridique et normativité morale, à propos desquels les arguments de Hegel convergent jusqu'à un certain point avec ceux du positivisme juridique. Enfin, l'article analyse la théorie institutionnelle des « dispositions » éthiques de Hegel, qui cherche à dépasser l'opposition entre vision subjectiviste et vision objectiviste de la société.Normative rationality: Hegelian impulses
This article examines the resources which Hegel's thought could offer to the current theory of the normative rationality, in particular by means of the concept of ethical life (Sittlichkeit). The examination concerns at first Hegel's theory of the “abstract law”, which develops an original vision of the relationship of law and right. Relationships between legal and moral normativity are then studied, about which Hegel's arguments converge to a certain extent with those of legal positivism. Finally, the article analyzes Hegel's institutional theory of the ethical “dispositions”, which tries to overtake the opposition between subjectivist and objectivist visions of the society. - Institutionnaliser la reconnaissance : Ou comment classer les institutions ? - Christian Lazzeri p. 87-104 Cet article propose une typologie des institutions politiques en rapport avec l'échange et la distribution des différentes formes de reconnaissance. Partant du fait que les mobilisations collectives et les conflits dans les sociétés contemporaines adressent des demandes de reconnaissance aux institutions sous la forme de demande de droits, de promotions, de certification, de nominations, ou de déclarations publiques multiples, cette typologie distingue trois catégories pures de pratiques institutionnelles : celles par lesquelles les institutions expriment des normes sociales de reconnaissance ; celles par lesquelles les institutions corrigent les « distorsions » dans l'échange de la distribution de reconnaissance et celles par lesquelles elles produisent directement de la reconnaissance sous la forme de l'estime publique. Ces catégories pures peuvent évidemment se combiner et, à travers l'étude de ces combinaisons, l'article « teste » la validité de chacune de ces pratiques complexes.Institutionalizing recognition? Or how to classify institutions
This paper delineates a typology of political institutions in connection with the exchange and the distribution of diverse forms of recognition. Taking for granted that collective mobilizations and conflict in contemporary societies address claims to recognition to the institutions (claims to rights, promotions, certifications, or multiple public statements), this typology distinguishes between three “pure” categories of institutional practices: between social practices by which institutions express social norms of recognition; practices by which institutions correct the “distortions” in the exchange or distribution of recognition and those by which they produce directly recognition (as public esteem). These “pure” categories may obviously be combined, and through the study of these combinations, this paper “tests” the validity of such a typology. - La lutte pour la reconnaissance entre États, nations et cultures - Alain Caillé p. 105-114 La lutte pour la reconnaissance thématisée par Hegel ne concerne pas seulement les sujets individuels. Elle est tout aussi active entre États, nations et cultures. Mais on ne peut bien la comprendre qu'en croisant l'analyse de Hegel avec les découvertes de Marcel Mauss dans l'Essai sur le don. Individuels ou collectifs, les sujets luttent pour se faire reconnaître comme des donateurs.The Struggle for recognition between States, Nations and Cultures
Hegel's analysis of the struggle for recognition between individuals needs to be extendedto States, Nations and Cultures. To understand it properly, it should be combined with Marcel Mauss'discovery in The Gift. This article states that what subjects (individual or collective) are aiming at, through this struggle, is to be recognized as givers, that their generosity and creativity be acknowledged.
- Vers une reformulation antagonique de la lutte pour la reconnaissance - Charlotte Epstein, Thomas Lindemann p. 7-25
Varia
- Le social-libéralisme, du label politique au concept scientifique - Thibaut Rioufreyt p. 115-127 Équivalent de social-traître pour les uns, de social-démocrate moderne pour les autres, le vocable « social-libéral » connaît un succès massif dans le débat politico-médiatique depuis le milieu des années 1990. Rompant avec les usages ordinaires du terme, cet article se propose d'esquisser les contours d'un véritable concept de social-libéralisme. À partir de l'analyse de contenu de 2000 textes d'intellectuels et de responsables politiques du Parti socialiste, il s'agit d'entrer dans le vif de la chair discursive et de répondre de manière documentée à une question centrale pour le devenir de la gauche européenne : comment les élites social-démocrates ont intégré dans leur manière de penser et de gouverner des éléments issus du néo-libéralisme et comment tentent-ils de le légitimer théoriquement ?Social-liberalism: From a political label to a scientific concept
Equivalent of “social-traitor” for some, of modern social-democrat for others, the socialliberal term achieves a massive success in the political and media debate since the mid- 1990s. Breaking with ordinary uses of the term, this article intends to sketch the outlines of a concept of social-liberalism. From content analysis of 2,000 texts of intellectuals and political leaders of the French Socialist Party, it is getting to the heart of discursive flesh and responding, documented manner, to a central question for the future of the European left: how social democratic elites have integrated into their way of thinking and governing elements from neoliberalism and how they attempt to legitimize in theory? - Le marxisme et les guerres du climat : Les théories critiques face aux évolutions de la violence collective - Razmig Keucheyan p. 129-143 Cet article s'interroge sur le lien entre théories critiques et stratégie militaire. Après avoir examiné le rapport entre marxisme et stratégie militaire d'un point de vue historique, nous évoquerons les réflexions sur la violence en cours dans les pensées critiques actuelles. Nous verrons que rares sont celles qui prennent en considération la violence militaire comme modalité particulière de la violence collective. Ce constat est problématique, car une part importante de cette violence demeure aujourd'hui militaire. Nous aborderons ensuite un corps de doctrine militaire en plein essor à l'heure actuelle : l'écologie militaire. Celui-ci s'interroge sur les implications militaires du changement climatique. Il constitue de ce fait un point d'observation fécond pour appréhender les transformations de la violence collective dans les années à venir. Nous tâcherons de dégager quelques-uns des enjeux que soulève ce corps de doctrine du point de vue des théories critiques contemporaines.Marxism and climate wars. Critical theories and the evolutions of collective violence
This article reflects on the link between critical theories and military strategy. After having examined the relationship between Marxism and military strategy in a historical perspective, we will turn to the different approaches of collective violence in contemporary critical theories. Few of them take into account military violence as a specific form of collective violence. This is problematic, since an important part of collective violence today remains military. We will then describe a fast-developing military doctrine: military ecology. This doctrine takes as its object the military implications of climate change. Thus, it represents an interesting observation point to grasp the transformations of collective violence in the years to come. We will try to address certain challenges this doctrine raises for contemporary critical theories. - Faire régner la discipline : La fonction-Psy à l'épreuve de l'histoire récente de la psychologie - Paul Mengal p. 145-155 La fonction-Psy occupe une place de plus en plus importante dans notre vie quotidienne. Cantonnée à l'origine dans le milieu scolaire et, un peu plus tard, dans celui de l'institution psychiatrique, elle tend aujourd'hui à se répandre dans le milieu de l'entreprise. Dans le même mouvement, la psychologie a rompu avec une tradition qui la liait aux sciences de la nature. Cette évolution se repère de la même façon dans l'histoire de l'économie. En particulier, la psychologie behavioriste, se présente aujourd'hui comme une technologie de contrôle du comportement permettant de satisfaire aux impératifs de la production mais aussi aux exigences de sécurité qui garantissent le bon fonctionnement de la vie économique. En ce sens, elle contribue à la réalisation de ce que G. Agamben appelle le « paradigme concentrationnaire ».Enforcing discipline. Psy-function tested by the recent history of psychology
Increasingly, the Psy-function is playing a bigger part in our daily life. If the Psy-function initially emerged around the figure of the child in the school environment, and subsequently in the context of psychiatric institutions, it is now also playing a role in the corporate world. Simultaneously, psychology brokes away from a tradition that linked it to natural sciences. A simlilar evolution can be observed in economic history. Specifically, behaviorist psychology presents itself as behavior control technology that meets production imperatives as well as security standards, which guarantee a wellfunctionning economy. In that sense, it contributes to the realization of what G. Agamben called “the concentrationary paradigm”.
- Le social-libéralisme, du label politique au concept scientifique - Thibaut Rioufreyt p. 115-127
Lectures critiques
- La force de la vérité. À propos de Ronald Dworkin, Justice pour les hérissons. La vérité des valeurs, Genève, Labor et Fides, 2015, 554 pages - Alain Policar p. 157-165
- Vera Nikolski, National-bolchévisme et néo-eurasisme dans la Russie contemporaine. La carrière militante d'une idéologie, Paris, Éditions Mare et Martin, 2013, 418 pages - Ivan Chupin p. 167-169
- Christophe Béal (dir.), Philosophie du droit. Norme, validité et interprétation, Paris, Vrin, collection « Textes clés de philosophie », 2015, 378 pages - Giulia Oskian p. 171-173