Contenu du sommaire : Le juste et le sacré : les territoires de la faute dans l'Égypte ancienne, en Mésopotamie et dans la Bible

Revue Droit et cultures Mir@bel
Numéro no 71, mai 2016
Titre du numéro Le juste et le sacré : les territoires de la faute dans l'Égypte ancienne, en Mésopotamie et dans la Bible
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Présentation - Bernadette Menu p. 9-13 accès libre
  • Recherches sur les interdits religieux des régions de l'Égypte ancienne d'après les encyclopédies sacerdotales - Sydney Hervé Aufrère p. 15-41 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Forme abrégée d'une contribution plus ample en cours de remaniement, ce texte, qui présente en marge les interdits sacerdotaux, fournit, à partir dudit Grand texte géographique d'Edfou mais aussi des vestiges des différentes versions connues de l'Encyclopédie sacerdotale provenant de Tebtynis ou de Tanis, une présentation synthétique de la tradition des interdits religieux en usage dans les quarante-deux districts et les districts supplémentaires de l'Égypte ancienne. On y met en perspective le fait qu'il ne subsiste plus qu'une faible proportion sur près de 840 interdits formant l'ensemble. Ces interdits, qui répondent au nom égyptien de bw.t, condamnent des actes dont le caractère déplacé entrerait en interaction négative avec la vie des dieux locaux telle qu'elle est présentée dans les mythologies régionales qui dressent un portrait des légendes des protagonistes divins, de l'émergence des noms des toponymes, des hydronymes et des lieux de culte. Le respect des interdits permet aux membres de la communauté de se reconnaître comme partie prenante des intérêts du district en ne froissant pas la sensibilité des dieux qui peuvent en retour, en cas de non-respect, porter préjudice à la prospérité de ladite communauté. Cela concerne un grand nombre de personnes, d'animaux et d'objets. Des listes complètes d'interdits dans des monographies consacrées à la mythologie de districts comme le Papyrus Jumilhac mettent en relief en tant que tels des animaux et leurs manifestations, des personnages, des attitudes, des faits commis à l'encontre des offrandes et du temporel divins, des faits se rapportant au rituel et à la magie, des actes de violence, des faits se rapportant au droit des gens, alors que les extraits notifient au plus deux ou trois interdits. Cependant, les vestiges qu'évoquent les auteurs de l'Antiquité classique permettent de constater qu'il existe de nombreux interdits alimentaires qui reposent sur le même principe, et dont on n'a trace que dans les omina calendériques et d'autres textes religieux.
    This text is an abridged version of a broader contribution presently undergoing modifications. It gives in margin the sacerdotal interdictions and provides, from the so-called Great Geographical text of Edfou and from the vestiges of the different known versions of the priestly Encyclopaedia from Tebtynis or Tanis, a synthetic presentation of the tradition of the religious interdictions in practice in the forty-two districts and the supplementary districts of Ancient Egypt. It clearly puts in perspective that but a few of the ensemble of almost 840 interdictions, subsist. These interdictions, which correspond to the Egyptian bw.t, condemn acts which, by their mischievous character, would have had a negative interaction with the life of the local gods as presented in the regional mythologies which depict the legends of the divine protagonists, of the emergence of names of the toponyms, of the hydronyms and of the places of cults. The respect of these interdictions permits the members of the community to realize that they play an important role in the decision-making of interest for the district by not frustrating the sensitivity of the gods, who can, in return, in case of non-respect, cause prejudice to the prosperity of the said community. That concerns a great number of persons, animals and objects. Complete lists of interdictions found in the monographs dealing with the mythology of districts such as the Papyrus Jumilhac put in relief as such, animals and their manifestations, personages, facts committed against offerings and of the divine temporal, facts related to the ritual and the magic, acts of violence, facts relating to the rights of the people, while the extracts notify at the most two to three interdictions. Moreover, the vestiges to which the classical authors of Antiquity refer to, permit to observe that several alimentary interdictions resting on the same principle also exist, traces of which are found only in the calendaric omina and other religious texts.
  • La répression des violences envers les animaux sacrés dans l'Égypte ptolémaïque - Bernard Legras p. 43-50 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Les sanctuaires égyptiens accueillaient des animaux sacrés « uniques » et des animaux sacralisés « multiples ». L'ensemble du dossier concernant la répression des violences envers ces animaux sacralisés dans l'Égypte ptolémaïque, comporte des sources littéraires gréco-latines et des sources documentaires grecques et égyptiennes. Il ne permet pas de conclure à l'existence de la peine de mort pour le meurtre des animaux sacralisés « multiples ». Le témoignage de Diodore, très souvent invoqué, illustre en fait une affaire de lynchage par une foule déchaînée à Alexandrie, et non le résultat d'une hypothétique sanction judicaire. Les témoignages documentaires papyrologiques, grecs et démotiques, n'en font pas mention.
    «Single» sacred animals and «multiple» sacralised animals were a feature of Egyptian sanctuaries. All of the evidence for the punishment of violence against these sacralised animals in Ptolemaic Egypt comes from Greek and Latin literary sources and Greek and Egyptian documentary sources. These sources do not allow us to conclude that the killing of such «multiple» sacralised animals was punishable by death. An account by Diodorus, frequently quoted in this context, refers to a lynching by an angry mob in Alexandria, rather than the enforcement of a hypothetical judicial punishment. Such punishments are not mentioned in Greek or demotic papyrological documentary accounts.
  • Les traces archéologiques des pillages de tombes - Bénédicte Lhoyer accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Les techniques de fouilles modernes permettent de mettre en lumière non seulement les artefacts retrouvés mais également les traces de profanation. Malgré la mise en place de systèmes de sécurité, les voleurs ont souvent fait preuve d'audace et de compétence pour parvenir au trésor funéraire. Certaines « scènes de crime » sont ainsi restées figées pendant des millénaires. Elles sont les témoins muets de cette activité illégale qui a sévi tout au long de l'histoire antique. Si les objets recherchés étaient les mêmes (bijoux, métal, onguent ou cosmétiques), les techniques d'effraction ont évolué de conserve avec l'architecture. Des pyramides aux étroits loculi d'Alexandrie, des outils, traces de pas ou de doigts, des trous et des galeries sont les preuves irréfutables d'une effraction. Les papyrus de la fin du Nouvel Empire sont également riches en renseignements concernant le statut social des voleurs, leurs relations et leurs façons d'écouler le butin.
    The techniques of modern excavations highlight not only the artifacts but also traces of desecretion. Despite of security systems, thieves often demonstrated venturesomeness and professional skill to access the funeral treasure. Thus some « crime scenes » remained frozen for millennia. They are silent witnesses of this illegal activity which raged throughout ancient history. Whether the targets were the same (jewellery, metal, ointments or cosmetics), technical burglary and architecture evolved side by side. To the pyramids up to loculi in Alexandria, tools, footprints or fingerprints, holes and galleries are irrefutable evidences of a break. The papyrus of the late New Kingdom are also precious to learn about the social status of our thieves, their relationships and their ways to sell their loot.
  • Du conflit archaïque au mythe osirien - Bernard Mathieu p. 85-117 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Deux principales structures mythiques ont innervé la société de l'Égypte ancienne et sa production littéraire, dès l'apparition des Textes des Pyramides : le mythe archaïque d'Horus et Seth, né au Protodynastique, et le mythe osirien, qui s'est diffusé très rapidement sur l'ensemble du territoire à partir de la Ve dynastie. Le premier, dont la fonction historiographique originelle est d'expliquer la constitution de l'État pharaonique et la dualité de l'Égypte, a servi de modèle à la pratique juridique et à l'activité administrative et gestionnaire. Le second, qui fixait les règles institutionnelles de la transmission du pouvoir royal, a permis d'élaborer une représentation idéologique de l'adversaire justifiant répression politique et violence étatique. Les deux modèles, toutefois, qui ont coexisté en se superposant parfois, contribuaient à leur manière à assurer la paix civile et la cohésion sociale.
    Two main mythical patterns have invigorated Ancient Egypt society and its literary production, as soon as Pyramid Texts appeared: the archaic myth of Horus and Seth, born during the Early Dynastic times, and the Osirian myth, which spread out quickly through the whole land from the Vth Dynasty on. The first one, the originally historiographical aim of which is to explain how the Pharaonic State was born and why Egypt was a dual entity, has been used as a model for juridical practice, administration and management. The second one, through establishing the institutional rules for transmission of kingship, has built an ideological description of the opposant, leading to justify political repression and State violence. Nevertheless, both patterns contributed, according to their own specificities, to civil peace and social coherence.
  • Le manquement professionnel au Moyen Empire et dans les inscriptions de Pétosiris (IVe s. av. J.-C.) - Bernadette Menu p. 119-145 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Le but de l'article est de souligner l'importance de l'abandon de poste comme faute grave à l'encontre du devoir professionnel – qu'il s'agisse de hauts fonctionnaires, de fonctionnaires ou de contremaîtres agricoles – dans des documents majeurs du Moyen Empire et dans les inscriptions du tombeau de Pétosiris. Le manquement dans l'accomplissement du devoir professionnel est assimilé à la fuite, à la désertion, acte contraire au maintien de la maât, l'ordre nécessaire.
    The aim of this paper is to underline the importance of abandonment of post as wilful misconduct in professional duty – by senior officials as well as civil servants or farm foremen – in some Middle Kingdom major documents and in the inscriptions in the tomb of Petosiris (4th century BCE). Failure to comply with professional obligations is tantamount to treason, desertion – an act contrary to the maintenance of ma‘at, the necessary order.
  •  « J'ai fait le mal consciemment et inconsciemment » - Anne-Caroline Rendu-Loisel p. 147-162 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Les prières et les rituels de l'ancienne Mésopotamie du deuxième et du premier millénaire av. J.-C., exposent les difficiles rapports entre l'homme et ses dieux. Pour composer avec ces derniers, l'individu doit respecter des règles que les divinités ont fixées. Les transgresser est passible de peines physiques, morales et sociales très dures. Et si l'individu est plongé dans la maladie ou est mis en marge de la société, c'est qu'il est coupable d'un crime qui a mis la divinité en colère. À travers l'analyse philologique du vocabulaire de la faute dans les tablettes cunéiformes en akkadien, le présent article propose une enquête sur ce qui est considéré comme une faute envers les dieux. En plaidant coupable, même pour un crime dont il n'a pas souvenir, l'individu peut alors négocier avec les divinités pour qu'elles reviennent à de bons sentiments à son égard.
    Prayers and rituals of Ancient Mesopotamia (2nd - 1st millenium BC) highlight the conflictual relationship between man and the divine world. In his daily life, man has to be very careful and must observe their rules. Otherwise, he will suffer many troubles: mental and physical illness and/or social exclusion. It is of the utmost importance for him to identify his sin, so that he may accomplish the appropriate ritual. After presenting the Akkadian vocabulary used for « sin » in the literary texts, I will focus on the lists of mistakes that a man may have done, and that may explain his terrible situation. I will end with the case when a man is guilty, though he has no idea about the nature of his fault.
  • Le rituel magique égyptien comme image du tribunal - Frédéric Rouffet p. 163-178 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    À travers l'étude du vocabulaire des textes magiques égyptiens, cet article met en évidence les mentions de vocables relevant du champ sémantique de la justice et du droit. Le rituel magique peut être assimilé à un tribunal, la présence de menaces au sein de certaines formules étayant cette hypothèse.
    Through the study of ancient Egyptian magical texts, this article brings out mentions of a specific vocabulary linked to justice and laws. The magical ritual may be compared with a trial and the numerous threats that could be found within the formulae come to support this hypothesis.
  • De Sumer au livre de Job : entre vérité, violence et contrat, ou comment vivre au Proche-Orient ancien - Françoise Smyth p. 179-194 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    L'état des questions concernant le droit en Mésopotamie, ici documenté grâce aux récents travaux de J.-J. Glassner et F. Joannès, doit introduire à tout effort de reconstituer l'histoire insolite d'un petit peuple privé de marques reconnues au Proche-Orient Ancien d'une légitimité politique (terre, peuple, roi). C'est en effet dans l'achèvement d'une composition littéraire conçue comme « loi », largement redevable à la tradition juridique mésopotamienne, qu'il revendique le territoire de son identité maintenue ou redécouverte. Cette rédaction mise au service, à partir du Ve siècle, d'un monothéisme plus ou moins exclusif, est corsetée d'un ensemble de stipulations d'origine sacerdotale portant sur le licite et illicite et clôturant ainsi cette identité menacée en diaspora comme en « Yehud », désormais multiethnique, sous gouvernement perse. À l'intérieur même du grand récit qui situe, emporte, proclame et contredit ce droit identitaire, la contre-histoire, la discussion ou la révolte s'expriment aussi, jusqu'à cette figure de Job – qui a fréquenté la sagesse égyptienne – et traîne en justice le Dieu censé sanctionner cet appareil rétributif.
    A state of questions regarding law in Mesopotamia is necessary for a proper effort at reconstituting the unusual adventure of a small people deprived of acknowledged marks of a political legitimacy in Ancient Near East (land, temple, king). It is in the completing of a literary composition, understood as « law », and largely in debt of Mesopotamian juridical tradition, that it claims the territory of its upheld rediscovered identity. Serving a more or less exclusive monotheism from the Vth c. B.c.e on, this writing is corseted by a system of mainly priestly stipulations on the « licit vs illicit » which closes off this threatened identity within diaspora or multiethenic Yehud, under Persian rule. Inside this mighty story itself which locates, carries along, proclaims and contradicts this identitary « law », contra-history, debate or revolt are also expressed until a figure like Job, who has met Egyptian Wisdom, puts on trial the very God meant to sanction this retributive apparatus.
  • Citoyenneté, droit pénal et procédures pénale et civile à Ptolémaïs sous les Lagides1 - Matthieu Vallet p. 195-216 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    La cite grecque de Ptolémaïs en Haute-Égypte a été fondée par Ptolémée Ier Sôtèr à la fin du IVe s. av. J.-C. Cette nouvelle fondation a nécessité l'envoi de colons grecs, la construction d'une ville, la création d'institutions civiques, mais surtout, l'octroi d'une Constitution et de lois à la cité. Malheureusement, seules quelques traces de ces lois nous sont parvenues. Néanmoins, des inscriptions et papyrus grecs des IIIe et IIe s. av. J.-C. nous permettent d'étudier l'intégration de la cité au sein de l'édifice judiciaire bâti par les premiers Lagides. Ce système se caractérise non seulement par une grande multiplicité des sources du droit (la volonté royale, les coutumes égyptiennes, les règles de droit importées par les colons grecs, les traditions des minorités ethniques en Égypte et les institutions poliades en sont les principales), mais aussi par un pluralisme juridique tenant compte de l'appartenance ethnique des sujets de la couronne lagide. La capacité de la cité à adopter des lois, l'existence d'une législation et d'une procédure pénale à Ptolémaïs, l'implication des magistrats de la cité dans la résolution des conflits entre particuliers, ainsi que les relations entre la justice civique et la justice royale constituent l'objet de la présente étude. Celle-ci repose sur l'analyse de quelques cas précis tant d'affaires pénales que civiles des IIIe et IIe s. av. J.-C. dans lesquelles les institutions de la cité sont impliquées.
    The Greek city-state of Ptolemais was settled by Ptolemy I Soter at the end of the fourth century BC. This new foundation in Upper-Egypt required Greek settlers, buildings, civic institutions and most of all, constitution and laws. Unfortunately only a few scraps of these laws are known. Nevertheless, Greek inscriptions and papyri from the third and second century BC allow us to observe the integration of the city in the legal system progressively built by the first Ptolemies. This system is particularly characterized by its pluralism and by the multiplicity of law sources (royal willpower, Egyptian customs, legal practices among Greek settlers, ethnical minorities' traditions and civic institutions). The city's ability to adopt laws, the attestation of civic criminal laws and procedures, the Ptolemais' magistrates' commitment in legal conflicts resolution and the relationships between these elements and the royal agents are the object of the following study. This study is based on the careful analysis of different particular examples of criminal and civil cases from the third and second centuries BC in which the civic institutions are involved.