Contenu du sommaire : Lire le monde au Moyen Âge : signe, symbole et corporéité
Revue | Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques — RSPT |
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Numéro | Tome 95, no 2, 2011 |
Titre du numéro | Lire le monde au Moyen Âge : signe, symbole et corporéité |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Articles
- Présentation - Emmanuel Falque p. 211-215
- La théologie symbolique face à la théologie comme science - Olivier Boulnois p. 217-250 La théologie symbolique recouvre l'ensemble des images métaphoriques par lesquelles on peut désigner Dieu, d'abord dans l'Écriture sainte, puis dans un discours théologique. Dans le néoplatonisme, ces symboles sont avant tout des empreintes du divin qui permettent, par contact, de s'unir au divin dans un acte de théurgie. Denys insiste sur leur caractère de dissemblance, qui nous renvoie vers le divin par contact, et non par une relation représentative. Au Moyen Âge, Jean Scot Érigène intègre l'ordre symbolique au discours, sous le nom de théologie négative, mais il insiste déjà sur la nécessité de déchiffrer rationnellement les symboles en vue d'une intelligence du divin. Le traducteur de Denys, Jean Sarrazin, plaçait la théologie symbolique à la charnière entre théologie affirmative (des noms divins) et théologie mystique. Dès la Summa fratris Alexandri, la théologie symbolique n'est plus que le premier degré, inférieur à la théologie des noms divins et à l'union mystique. Albert le Grand et Thomas d'Aquin maintiennent le caractère médiateur de la théologie symbolique entre l'affirmation et la mystique, tandis que Bonaventure suit Alexandre de Halès, mais tous maintiennent un « arraisonnement » de la théologie symbolique : la métaphore et le symbole impropres doivent pouvoir se ramener au concept propre. La théologie comme science l'a emporté.Symbolic theology confronted with theology as science
Symbolic theology covers the entire range of metaphorical images referring to God, first in the Holy Scripture and then in theological discourse. Within Neo-Platonism, these symbols are first and foremost imprints of the divine, that allow us, through their contact, to come into union with the divine in a theurgical act. Denys insists on their dis-semblance, which directs us to the divine through contact and not through a figurative relationship. In the middle ages, John Scottus Eriugena incorporated the symbolic order into discourse under the name negative theology but already he emphasized the necessity to rationally decypher symbols in light of divine intelligence. Denys' translator, Jean Sarrazin, placed theology at the cross-section between affirmative theology (of divine names) and mystical theology. With the Summa fratris Alexandri, symbolic theology becomes no more than the first degree, inferior to theology of divine names and to mystical union. Albert the Great and Thomas Aquinas maintain the mediating character of symbolic theology between affirmation and mystique, whereas Bonaventure follows Alexander of Hales, but all assign limits to theology : the improper metaphor and symbol must resolve their proper concept. Theology as science has triumphed. - Signum et vestigium dans la pensée de saint Augustin - Vincent Giraud p. 251-274 Cet article se propose de préciser les modalités du rapport qui lie, chez Augustin, la trace à ce qu'elle révèle, ainsi que les conséquences qu'une telle conceptualité originale implique pour une pensée de l'ego. La trace (vestigium), si elle est bien une des espèces du genre « signe » (signum) dans la mesure où sa matérialité fait naître autre chose en l'esprit de celui qui la considère, a néanmoins sa spécificité : en elle insiste et transparaît ce qu'elle exprime. Le signe veut être déchiffré ; la trace, elle, exige d'être identifiée et surtout suivie. La teneur ontologique du sensible se présente, dans la pensée de l'évêque d'Hippone, comme dépendant directement de sa portée herméneutique et de sa vocation eschatologique. Le concept augustinien de vestigium, apparaît, au terme du parcours, comme transversal au sensible et à l'âme elle-même, et ainsi comme condition de leur union. Avec le vestigium, Augustin prononce ainsi, bien des siècles avant la phénoménologie, l'impossibilité principielle d'un moi sans monde.Signum and vestigium in Saint Augustine's thought
This article attempts to specify the connective modalities which are the link in Augustine's thought between the trace and what it reveals, as well as what the consequences of such an original conceptuality might mean for a philosophy of the ego. If it is, indeed, one of the species that belongs to the genre of the “sign” (signum) to the extent that its materiality gives birth to something else in the mind of he who contemplates it, the trace (vestigium), nonetheless, has its own specific nature – that which it expresses is given emphasis and shows itself within it. A sign wants to be decoded ; the trace, itself, demands to be identified and, above all, to be followed. The ontological content of the sensible shows itself, in the thought of the Bishop of Hippo, to be directly dependent on his hermeneutic scope and his eschatological vocation. The Augustinian concept of the vestigium, ultimately appears as the transverse of the sensible and of the soul itself and thus as the condition of their union. In his vestigium Augustine thus announces, centuries before phenomenology, the primary impossibility of an ego without world. - Symbolisme et métonymies du sensible au divin chez Denys l'Aréopagite - Pedro Calixto Ferreira Filho p. 275-286 La métonymie du sensible chez l'Aréopagite a bien une fonction anagogique. Sa finalité est de conduire l'esprit humain à dépasser le sensible vers le Principe qui est au-delà du sensible et de l'intelligible. Cela présuppose que la sensibilité ne fait pas obstacle à la manifestation divine, elle en est au contraire la condition de possibilité. C'est grâce à la sensibilité que la divinité transcendante se met à la portée de notre nature d'êtres intelligibles mais aussi sensibles : le symbole révèle car il est sensible. La sensibilité est un lieu d'ouverture au monde, elle devient une modalité incontournable du dévoilement, la métonymie y joue alors un rôle essentiel. D'autre part, si la mystique dionysienne en tant que doctrine philosophique et religieuse se fonde sur la possibilité pour l'âme de s'unir au Principe de tout ce qui est, l'entrée dans les ténèbres ne nous rend pas étrangers au monde. En effet, la contemplation de Dieu est simultanément orientée vers la contemplation du monde : l'ec-stase mondaine s'accompagne d'une enstase ou plus précisément il n'y a extase qu'en vue d'une enstase.Symbolism and metonymy from the sensible to the divine in Denys the Areopagite
Metonymy of the sensible world has indeed an anagogical function for Denys the Areopagite. He aims to direct the human spirit beyond the sensible to the Principle that transcends the sensible and the intelligible. This presupposes that sensibility does not obstruct divine manifestation but rather enables it : it is through sensibility that we may, as intelligible but also sensible beings, access transcendent divinity : the symbol reveals because it is sensible. Sensibility is an exposure to the world, it becomes an unavoidable modality of revelation where metonymy plays a crucial role. Moreover, if dionysian mysticism, as a philosophical and religious doctrine, is founded upon the possiblity of the soul to unite with the Principle of all that is, entry into darkness does not make us strangers to the world. Indeed, contemplation of God is simultaneously contemplation of the world. Worldly ecstasy is accompanied by enstasy, or rather there can be ecstasy only with the perspective of enstasy in mind. - « De ma chair je verrai Dieu » : Relecture contemporaine d'un texte carolingien sur la vision béatifique - Philippe Richard p. 287-301 Réévaluant les sévères distinctions augustiniennes entre les « pauvres yeux corporels » et l'« esprit déjà purgé », la consultation lancée par Godescalc d'Orbais à propos du verset de Job « et de ma chair je verrai Dieu » tente de ressaisir toute la positivité de la médiation corporelle dans notre compréhension de ce que peut être la vision béatifique. Loup de Ferrières envisage ainsi la béatitude comme « déchirement d'un glaucome » placé devant nos yeux, et non comme passage à la limite d'un « corps sans œil ». S'ouvre ainsi pour nous la possibilité d'une pensée de la finitude en contexte carolingien.« In my flesh I shall see God ». A contemporary rereading of a carolingian text about beatific vision. Reassessing Augustine's drastic distinctions between one's «miserable corporeal eyes » and the «spirit once it has been cleansed », the confrontation initiated by Godescalc d'Orbais about Job's verse « In my flesh I shall see God » attempts to reaffirm the helpful mediation of the body as a means to grasp the essence of the beatific vision. Loup de Ferrières thus sees beatitude as the « tearing off of a glaucoma » that obstructs our vision, rather than a morphing into an « eyeless body ». Henceforth, we may begin to consider man's finite condition in the carolingian era.
- Querelle eucharistique et épaisseur du sensible : Bérenger et Lanfranc - Pascaline Turpin p. 303-322 À travers l'explication et la clarification de la controverse eucharistique du XIe siècle entre Bérenger de Tours et Lanfranc de Pavie, il s'agit de montrer que la problématique plus large dans laquelle elle s'inscrit porte sur la consistance ontologique du sensible et sur la fiabilité de nos structures mentales et corporelles du point de vue épistémologique. Comment comprendre en effet et comment expliquer qu'après la consécration eucharistique, nos sens perçoivent toujours du pain et du vin alors que la foi nous apprend que le corps et le sang du Christ sont présents ? L'examen de la position de Bérenger au sein de la querelle permet de déployer la thèse selon laquelle l'épaisseur du sensible ne dépend pas de nous, mais de Dieu.Eucharistic dispute and the substance of sensible things : Berengar et Lanfranc
As it explicates and elucidates the XIth century Eucharistic dispute between Berengar of Tours and Lanfranc of Pavia, this article purports to show that the broader issue at stake here is the ontological consistency of the sensible and the reliability of the structures of our mind and body from an epistemological viewpoint. Indeed, how can one understand let alone explain that, after the consecration of the Eucharist, our senses still perceive bread and wine whereas faith teaches us that the body and blood of Christ are present ? A close examination of Berengar's position in the controversy gives birth to the theory that the substance of sensible things does not depend on us but on God. - Voir le monde par les affects : Bernard de Clairvaux et la voie monastique - Jean Leclercq p. 323-341 « Chercher » et « regarder au-delà », telles pourraient être deux typiques majeures de l'être-au-monde-monastique, si l'on convient qu'il y a bien une « théologie monastique », c'est-à-dire une théologie spécifique, qui cherche moins la nouveauté que la transmission des auctoritates de la Tradition. Or si cette théologie est livrée et n'est donc pas une innovation, c'est qu'elle est aussi symbolique, si bien que toute réalité, historique ou naturelle, apparaît comme porteuse d'un au-delà proprement signifiant. D'où la prégnance des thèmes historiques et existentiels de l'absence, du manque, du désir, de la trace comme vestige qui sont autant de manières de faire valoir que si le contact avec la lettre ressortit à un langage amoureux, la reliance avec l'esprit s'apparente au mouvement de retour vers le principe originaire et essentiel, ce désir de ce qui paradoxalement ne nous manque plus, mais qui ne cesse malgré tout de se donner. D'où l'importance accordée à l'eschatologie et à la grammaire et au fait que, pour Bernard de Clairvaux, avant d'être ontologiquement consistantes, les choses sont référentes. C'est à ce niveau qu'il convient de saisir les efforts de cette discursivité non démonstrative, mais plutôt monstrative et affective, puisque seules la conversion et l'expérience seront les portes d'entrée d'un nouvel « être-au-monde » qui se vivra nécessairement dans le cloître, lieu de la reconfiguration ou de la réformation.Seeing the world through the affects : Bernard of Clairvaux and the monastic path « To seek » and « to see beyond » : these could be the two major axes of monastic life, if it is agreed upon that there is indeed a « monastic theology », in other words a specific theology that seeks novelty less than it seeks to transmit the « auctoritates » of Tradition. However, if this theology is transmitted and is therefore not an innovation, it is because it is also symbolic, so much so that reality, historical or natural, appears charged with a truly significant beyond. Hence, the relevance of such historical and existential themes as absence, lack, desire and trace as vestige, go to show that attachment to the letter conjures romantic language, whereas connection to the spirit participates in a return to an originating and essential principle, a desire for what paradoxically is no longer lacking but which never ceases to give itself. Thus the importance granted to eschatology and grammar and to the fact that for Bernard of Clairvaux things are referential before being ontologically coherent. It is at this level that one may appreciate the monstrative, rather than demonstrative, and affective discursivity since only conversion and experience shall open one to this relation-to-the-world which shall be experienced necessarily in the cloister, space of reconfiguration and reformation.
- Isaac de l'Étoile lecteur du livre de la nature - Christian Trottmann p. 343-362 Le livre des créatures et ceux de l'Écriture sainte figurent au sermon 9 du cistercien Isaac de l'Étoile dans un agencement de six livres très original. Cet article y revient après un point sur les données historiographiques concernant cet auteur. Mais il envisage surtout les correspondances entre les éléments physiques et les instances psychologiques développées au sermon 4 et dans la lettre sur l'âme et la spiritualité qu'elles illustrent. Ces correspondances tracent une voie d'intériorisation partant de l'éthique et qui culmine dans une prosternation des facultés supérieures de l'âme devant la divinité du Christ, évoquée à partir d'une lecture de la Transfiguration. Les correspondances avec le macrocosme ne sauraient laisser oublier que c'est l'âme qui est image de Dieu (ainsi qu'il est rappelé au sermon 2), même dans une spiritualité très équilibrée où l'affect garde une place importante.Isaac de l'Étoile. A reader of the book of nature
The book of creatures and the books of the Holy Scripture appear in the ninth sermon of the Cistercian monk Isaac of Stella in a very original arrangement of six books. After briefly outlining their author's historiographical background, the present article concentrates on the books themselves and concerns itself primarily with the correspondences between the physical elements and the psychological instances developed in the fourth sermon and in the letter about the soul and spirituality. Such correspondences initiate an interiorisation that begins with ethics and culminates with a prostration of the superior abilities of the soul before Christ's deity, evoked through a reading of the Transfiguration. The correspondences with the macrocosm should not conceal the fact that the soul itself is the image of God (of which we are reminded in the second sermon), even within a well balanced spirituality where affect holds an important place. - Lire l'univers visible : le sens d'une métaphore chez Hugues de Saint-Victor - Dominique Poirel p. 363-382 Présente d'Augustin à Thérèse de Lisieux, en passant par Alain de Lille, Nicolas de Cuse et Galilée, l'image du livre de l'univers a été particulièrement thématisée par Hugues de Saint-Victor († 1141) dans un passage fameux de son De tribus diebus. Pour mieux comprendre le sens de la métaphore chez cet auteur, on a examiné la valeur qu'il accorde à la nature, spécialement dans le De tribus diebus, puis la signification qu'il confère à la lecture, suivant le Didascalicon. Lire l'univers, pour Hugues, c'est bien plus que le regarder : c'est lier les créatures par un regard qui structure l'univers, c'est remonter de l'apparence à la signification, c'est admirer, dans le même regard et une tension unique, la beauté visible de la nature et la sagesse invisible de son auteur.Reading the visible universe : the meaning of a metaphor in Hugh of Saint-Victor
The image of the book of the universe which is recurrent in writings from Augustine to Teresa of Lisieux, via Alan of Lille, Nicholas de Cues and Galileo, is given particular thematic prominence by Hugh of Saint-Victor († 1141) in a famous passage of his De tribus diebus. In order to better grasp the author's understanding of the metaphor, the present article investigates the value he assigns to nature especially in the De tribus diebus, and the significance he confers to reading as per the Didascalicon. According to Hugh, reading the universe entails far more than merely looking at it : it implies connecting all creatures in the universe with an all structuring look, as well as moving up from appearance to significance. It also means at once gazing at and reaching for the visible beauty of nature and the invisible wisdom of its creator. - Le geste et la parole chez Hugues de Saint-Victor : l'Institution des novices - Emmanuel Falque p. 383-412 Hugues de Saint-Victor n'écrit pas une simple Institution des novices tel que cela se pratique ordinairement au Moyen Âge. Il inaugure à proprement parler une “philosophie du geste et de la parole” qui, loin de s'en tenir à de simples définitions, fait voir une rare harmonie de l'interne et de l'externe (intus et foris). Les gestes parlent et les paroles expriment. Dans cette double attention au corps et à la parole se déchiffre une philolosophie incarnée tant recherchée mais rarement trouvée. À y retourner, nous y retrouverons le poids de nos gestes comme aussi la gravité de nos mots.Gesture and Speech : Hugh of Saint-Victor's De Institutione novitiorum
Hugh of Saint-Victor is not writing a basic Institution of novices as it was commonly practiced in the middle ages. Instead, he is providing an initiation to a “philosophy of gesture and speech” which rather than just containing simple definitions exposes a rare harmony between the internal and the external (intus et foris). Gestures speak and speech is expressive. Through this two-fold attention to body and speech an incarnated philosophy is uncovered, one sought out but rarely found. Upon examination, we will rediscover the weight of our gestures and the gravity of our words. - De la théologie symbolique comme bon usage du sensible chez saint Bonaventure - Laure Solignac p. 413-428 Pourquoi Bonaventure, au début de l'Itinéraire de l'esprit vers Dieu, attribue-t-il le magistère de la théologie symbolique au Christ plutôt qu'au Pseudo-Denys ? Cette question est liée à la redéfinition bonaventurienne de cette même théologie symbolique comme « usage droit du sensible ». En mettant l'accent sur la dimension pratique et sensitive de cette discipline, le Docteur séraphique montre la nécessité de s'en remettre au Verbe incarné, spécialiste du monde sensible, pour apprendre à faire l'expérience trinitaire de toute créature.Of symbolic theology as the right use of the sensible in Saint Bonaventure's writings
Why does Bonaventure, at the beginning of the Journey of the Mind into God, assign to Christ the magisterium of symbolic theology rather than to Pseudo-Dionysius ? The question is related to Bonaventure's redefinition of this very symbolic theology as « the right use of the sensible ». By stressing the practicality and sensitiveness of this science, the seraphic Doctor demonstrates the need to trust the Word incarnate, specialist of the sensible world, in order to learn to enjoy the triune experience of all created beings.
Bulletins
- Bulletin d'histoire des doctrines médiévales - Gilles Berceville, Marta Borgo, Iacopo Costa, Adriano Oliva p. 429-472
- Bulletin de théologie littéraire - Jean-Pierre Jossua p. 473-503
Recension des revues
- Recension des revues - p. 505-530
- Notices bibliographiques - p. 531-536