Contenu du sommaire : Voir et reconnaître. L'objet du malentendu
Revue | Gradhiva : revue d'anthropologie et de muséologie |
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Numéro | no 6, 2007 |
Titre du numéro | Voir et reconnaître. L'objet du malentendu |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier: Voir et reconnaître, l'objet du malentendu
- Voir et reconnaître, l'objet du malentendu
- L'homme de qualité - Laurent Barry p. 6-17 Si la pensée du racisme biologique –de Gustave Klemm à Joseph Arthur de Gobineau– n'apparaît que dans le courant du XIXe siècle, c'est, si l'on en croit les récits que nous proposent les historiens des sciences du vivant, que la pensée de l'inscription de l'individu dans une identité et un héritage proprement biologiques vient tout juste de prendre corps.Avant cela, la Nature est muette. Du moins ne fait-elle que se reproduire inlassablement à l'identique dans des destinées individuelles qui jamais n'influent elles-mêmes sur un héritage dont elles ne sont que les récipiendaires, jamais les auteurs, moins encore les arbitres.Pourtant, si le concept d'hérédité biologique n'apparaît que tardivement en tant qu'expression scientifique, cela ne signifie pas, comme le supposent nos modernes exégètes, que la pensée de l'inscription somatique soit totalement absente de la pensée des Anciens. Si elle n'y relève pas nécessairement d'un discours savant parfaitement construit, l'on en perçoit en revanche nettement les échos dans d'autres types de productions littéraires de l'époque.C'est, alors, à une relecture de certains de ces textes, qui mettent en scène une génétique d'avant la génétique, une pensée préscientifique d'une hérédité qui ne distingue pas encore, dans le legs humain, entre les parts respectives de l'inné et de l'acquis, de la nature ou de la culture, que l'auteur nous convie ici.If the thinking of the biological racism –from Gustav Klemm to Joseph Arthur de Gobineau– only appears in the 19th century, it is because, according to the accounts offered by the historians of living sciences, the idea of the individual as part of an identity and a specifically biological heritage had just been formed.Before this, the Nature is silent. At least, it only reproduces tirelessly to the identical, through individual destinies that never influence themselves on a heritage of which they are only receivers, never the authors, and even less the judges.However, as our contemporary exegetes suppose, if the biological heredity concept only appears late in terms of scientific expressions, it does not mean that the thought of the somatic inscription is totally absent from the thought of the Ancients. If it does not necessarily fall within a perfectly constructed scholarly view, one does however clearly perceive its echoes in other types of literary productions of the period. The author invites us then to a rereading of some of these texts that present a genetics before the genetics, a pre-scientific thought of a heredity that does not distinguish yet, in the human legacy, between the respective parts of the inborn and the acquired, of the nature or the culture.
- L'invention de l'art pariétal préhistorique - Béatrice Fraenkel p. 18-31 En 1906, Félix Regnault annonce à la Société d'anthropologie de Paris la découverte d'empreintes de mains humaines dans la grotte de Gargas (Hautes-Pyrénées). Fouilleur habitué de ce site qu'il arpente depuis trente ans, il n'avait pas « vu » les empreintes. L'article retrace la genèse multiforme d'un regard scientifique qui se déplace du sol vers les parois, qui s'approche des surfaces, qui les scrute pour en identifier les figures et les signes et finit par en concevoir une lecture. L'enquête montre comment la découverte de Regnault dépend d'une histoire savante associant une découverte initiale, celle d'Altamira, refusée et censurée par les autorités scientifiques d'alors, à des expériences ultérieures vécues comme des révélations et autorisant toute une communauté à « découvrir » de nombreux sites dont certains, déjà aperçus par les fouilleurs, avaient été oubliés.In 1906, Felix Regnault announced to the Anthropological Society in Paris the discovery of human handprints in the Gargas cave (High Pyrenees). As a regular digger of this site that he had walked up and down for the last thirty years, he had not “seen” the handprints. The article retraces the multi-form genesis of a scientific look that moves from the ground to the inner walls, that comes close to the surfaces, that scrutinizes them in order to identify the figures and the signs, and ends up by making a reading out of it. The survey shows how Regnault's discovery depends on an erudite story associating an initial discovery that of Altamira, refused and censured by the contemporary scientific authorities, to ulterior experiences seen as revelations and allowing an entire community to “discover” numerous sites, some of which, already noticed by the diggers, had been overlooked.
- Le sauvage en général - Jean-Pierre Goulard p. 32-43 Une gravure du début du XIXe siècle proposée par deux naturalistes, Spix et Martius, a très vite retenu l'attention. Elle a été reprise, souvent remaniée, dans les années suivant sa publication. L'analyse porte tout d'abord sur la combinaison des éléments qui ont servi à sa composition. La mise en parallèle du mode opératoire des emprunts qui s'en sont suivis cherche ensuite à montrer combien cette image a pu correspondre à une perception du sauvage devenue emblématique, assurant ainsi la pérennisation de cette représentation. Elle s'inscrit en effet dans la volonté de l'époque de savoir et de voir pour classer les éléments de la nature dans laquelle ce sauvage a toute sa place, à l'instar de la faune et de la flore.An engraving from the beginning of the 19th century suggested by two naturalists, Spix and Martius, gained attention very quickly. It was retaken, often reworked, in the years that followed its publication. The analysis points first of all at the combination of the elements that served for its composition. By drawing a parallel between the several operational modes of borrowings that followed up, the author searches thereafter to show how much this image could correspond to the perception of the savage, until becoming emblematic, something that at the same time assured its duration. Indeed, it fits with the will of the époque of knowing and seeing, to classify the elements of the nature in which this savage has its place, as the fauna and the flora.
- Yurupari ou les figures du diable - Dimitri Karadimas p. 44-57 Yurupari est une des figures emblématiques des sociétés indigènes du Nord-Ouest amazonien. Matérialisé par des flûtes lors des rituels d'initiation masculine, le personnage que celles-ci sont censées incarner reste en partie énigmatique. Les interdits auxquels sont soumis les femmes et les non-initiés, le rituel, le mythe... l'ensemble forme un « complexe » qui confine au sacré.D'abord associé au « malin » ou au « diable » par les missionnaires qui, au XIXe siècle, tentaient d'en éradiquer la présence et le rituel, ce complexe a longtemps fait l'objet, dans la littérature associée à cette aire culturelle, d'abondants débats où il intervenait en tant que construction protéiforme proche du monothéisme.L'article se propose de revenir brièvement sur les éléments composant ce complexe et de les éclairer à l'aide d'une analyse des énoncés mythiques et des iconographies de certains masques associés à l'éthologie des êtres qu'ils incarnent.La proposition d'analyse se fonde sur l'hypothèse que l'iconographie de la figure du diable véhiculée par les missionnaires aurait été reconnue comme « Yurupari » par les Indiens ; la reconnaissance aurait ainsi été l'œuvre des Indiens et non celle des missionnaires. La réflexion porte sur ces regards croisés du donné à voir, ainsi que sur les interdits de montrer et de regarder ; bref, le statut du « regard iconographique » est interrogé.Yurupari is one of the emblematic figures of the indigenous societies of the North-West Amazonia. Materialised by flutes during the masculine initiation rituals, the character they are supposed to incarnate remains partly enigmatic. The prohibitions to which the women and the non-initiated are submitted, the ritual, the myth... the whole forms a “complex”, that adjoins the sacred. At first associated to the “Satan” or the “Devil” by the missionaries who, in the 19th century, attempted to eradicate its presence and its ritual, this complex has for long been the subject, in the literature associated to this cultural region, of abundant debates in which it appeared in terms of a protean construction close to monotheism. The article intends to review briefly the different elements composing this complex in order to highlight them from the analysis of the mythic enunciations and the iconographies of a number of masks associated to the ethology of the entities they incarnate. The proposition of analysis will be based on the hypothesis that the iconography of the figure of the devil conveyed by the missionaries would have been recognised as “Yurupari” by the Indians; the recognition would thus have been due to the Indians and not to the missionaries. The reflection will bear on these crossed points of view of the given to see, and on the prohibitions to show and see; in brief the status of the “iconographic point of view” will be examined.
- Sacrés curios - Sandra Revolon p. 58-69 À Aorigi, à l'est des îles Salomon, comme ailleurs, les sculptures sur bois prennent leur sens selon le contexte dans lequel elles interviennent. Mais ce sens n'est pas attribué de manière définitive; au contraire, il fluctue au gré des catégories que traversent ces objets, passant du profane au sacré et, du même coup, de la sphère de l'aliénabilité à celle de l'inaliénabilité. Cette mobilité conceptuelle fut à l'origine de changements dans les regards successivement portés par les Owa sur les «bols des hommes» qui, d'abord créés à l'intention exclusive des Occidentaux dès le XIXe siècle, devinrent ensuite des objets rituels apuna, réservés aux initiés dans leurs relations avec les ancêtres des défunts assassinés.In Aorigi, to the east of the Solomon Islands, as elsewhere, wooden sculptures take their meaning according to the context in which they interfere. But this meaning is not definite; on the contrary, it fluctuates with the categories attached to these objects, passing from profane to sacred and, at the same time, from the sphere of the alienability to that of the inalienability. This conceptual mobility has been the cause of the changes in the ways the Owa successively looked at the “bowls of men” which, primarily created to the exclusive attention of the Occidentals of the 19th century, became afterwards apuna ritual objects, reserved to the initiated in their relationships with the ancestors of the assassinated defuncts.
- Du trophée à l'œuvre : parcours de cinq artefacts du royaume d'Abomey - Gaëlle Beaujean-Baltzer p. 70-85 Entre 1893 et 1895, des officiers français donnent au musée d'Ethnographie du Tro- cadéro une partie du butin de guerre saisi au Dahomey, vingt-sept objets exactement. Cet article propose de retracer la «biographie» de cinq de ces trophées, les informations sur ces objets étaient succinctes, incomplètes et/ou erronées. L'exposition de ces œuvres de grande taille, singulières dans le vocabulaire de la sculpture mondiale, a encouragé les chercheurs à en savoir plus. L'usage et le parcours de ces objets se sont ainsi révélés au fil du temps, sur plus d'un siècle, comme représentant un véritable défi pour la mémoire: celle des œuvres, des artistes, des pratiques religieuses et régaliennes à Abomey. La diffusion publique de ces objets, notamment par la photographie, a contribué à leur réputation dans le monde, incitant le gouvernement béninois à en commander des copies pour le musée d'Abomey. Enfin, à Paris, depuis 2000, certains de ces artefacts sont reconnus comme des chefs-d'œuvre universels et d'autres comme des remèdes contre l'amnésie historique, transformant timidement mais ouvertement le musée en lieu de mémoire de l'histoire coloniale.Between 1893 and 1895, French officers gave part of the war booties taken at Dahomey, twenty seven objects exactly, to the ethnographic museum of Trocadéro. This article seeks to retrace the “biography” of five of these trophies. Information about these objects were brief, incomplete and/or incorrect. The exposition of these pieces of large size, unusual in the language of world sculptures, encouraged the researchers to make further investigations. The use and the journey of these objects were thus revealed along the way of more than a century, representing a genuine challenge to the memory of the pieces, the artists, the religious practices and the regalia at Abomey. The public diffusion of the objects, notably by the photography, contributed to their worldwide reputation, inciting the Beninian government to order copies for the Abomey museum. Finally, since 2000, in Paris, some of these artefacts are recognized as universal masterpieces and others as remedies against the historical amnesia, transforming shyly but yet openly the museum into a site of memory of the colonial history.
Etudes et Essais
- Les « Chroniques éthiopiennes » de Marcel Griaule - Vincent Debaene p. 86-103 Publié en 1934, Les Flambeurs d'hommes de Marcel Griaule relate la première «mission Griaule», en 1928, dans la région du Godjam en Ethiopie. Quoique oublié aujourd'hui, l'ouvrage rencontre un succès certain lors de sa parution. Et il mérite qu'on s'y arrête à nouveau en raison de quelques singularités qui le rendent tout à fait unique et sans équivalent dans l'ensemble des récits ethnographiques du XXe siècle, à commencer par le fait que Griaule y parle de lui-même à la troisième personne. Cet article s'attache à rendre compte de ces singularités en situant ce curieux récit dans le contexte épistémologique de l'ethnologie de l'entre-deux-guerres. Les Flambeurs d'hommes peut en effet être lu comme un révélateur des contradictions de la discipline à cette époque. Il témoigne en particulier du rapport coupable de l'ethnologie à la littérature, la littérature étant à la fois ce dont il faut se défaire au nom du document et la technique dont on rêve en raison de sa capacité supposée à restituer «l'atmosphère morale» d'une société.Published in 1934, Marcel Griaule's Les Flambeurs d'hommes [Burners of Men] recounts the first “Griaule mission,” undertaken in 1928 in the Godjam region of Ethiopia. Although forgotten today, the book was initially published to considerable success. Indeed, it deserves a critical reappraisal based on several features which make it completely unique and without any equivalent in ethnographic literature of the 20th century, foremost among them Griaule's use of the third person when speaking about himself. To be properly understood, this curious text needs to be situated in the epistemological context of French ethnology of the interwar period. Indeed, Les Flambeurs d'hommes sheds light on the contradictions of the anthropological discipline of that era. In particular, it demonstrates ethnology's ambivalent relationship to literature, as literature is held to be, on the one hand, that which must be discarded on behalf of the objectivity of the document, and, on the other hand, a technique much desired for its alleged ability to convey and restore the “moral atmosphere” of society.
- Six personnages en quête d'objets - Marie-France Fauvet-Berthelot, Leonardo López Luján, Susana Guimarães p. 104-126 Pour mieux connaître les territoires qu'elle a colonisés en Amérique, l'Espagne a organisé des expéditions scientifiques comme la Real Expedición Anticuaria chargée, entre 1805 et 1809, d'inventorier, de décrire et de dessiner les monuments et sculptures précolombiens de la Nouvelle-Espagne. La collection « Latour Allard », acquise par la France en 1849 et aujourd'hui dans les collections du musée du quai Branly, est issue de cette mission scientifique.Grâce à des archives conservées au Mexique, en France et aux États-Unis, ainsi qu'aux dessins de l'expédition scientifique, nous avons pu retracer l'odyssée de cette collection de cent quatre-vingt-deux pièces archéologiques qui, dès son arrivée en France en 1825, a suscité bien des commentaires de la part des autorités du Mexique indépendant comme des milieux érudits français.To become more familiar with its colonized territory in Latin America, Spain organized scientific expeditions such as the Real Expedición Anticuaria, which was in charge of making inventories, to describe and draw the pre-Columbian monuments and sculptures of the New Spain between 1805 and 1809. The “Latour Allard” collection acquired by France in 1849, which today is part of the collection of the musée du quai Branly, was gained during this scientific mission.Thanks to archives conserved in Mexico, France and in the United States, and also to drawings of the scientific expedition, it has been possible to retrace the odyssey of this collection containing 182 archaeological objects, which on its arrival to France in 1825, provoked commentaries from both independent Mexican authorities and French schooled milieus.
- Les « Chroniques éthiopiennes » de Marcel Griaule - Vincent Debaene p. 86-103
Note critique et comptes rendus
- Morgan Jouvenet, Rap, techno, électro, le musicien entre travail artistique et critique sociale, préface de Pierre-Michel Menger - Denis-Constant Martin p. 126-127
- Benoît de L'Estoile, Le Goût des Autres. De l'Exposition coloniale aux arts premiers - Nicolas Menut p. 129-131
- Frank J. Korom - Nélia Dias p. 131-132