Contenu du sommaire : Anthropologie, sociétés et santé

Jean-Pierre Dozon : Quand les Pastoriens traquaient la maladie du sommeil. Si l'activité des Pastoriens en métropole a donné lieu à de nombreuses analyses, leur action dans les colonies est beaucoup moins bien connue. Choisissant, dans cette dernière perspective, les recherches qu'ils ont pu mener dans la lutte contre la trypanosomiase ou « maladie du sommeil », l'auteur tente d'expliquer un paradoxe : les Pastoriens se sont finalement moins illustrés par leur efficacité dans la connaissance de cette maladie que dans la codification des pratiques sanitaires qui leur ont permis de jouer un rôle fondamental dans l'entreprise de colonisation.

Marc-Eric Gruénais : Mariages en ville et malnutritions aiguës. Quels peuvent être les processus sociaux à l'origine des malnutritions graves ? Une étude conduite à Brazzaville et portant sur quelques enfants hospitalisés nous a permis d'établir une relation entre le statut matrimonial des jeunes mères et l'état nutritionnel de leur enfant. En ville, les conditions du fonctionnement de l'alliance peuvent aller à l'encontre des stratégies familiales. Des familles s'opposent parfois à la reconnaissance de l'union entre des jeunes parents, les isolent alors progressivement au point qu'ils ne sont plus en mesure de subvenir aux besoins de leur enfant. L'hospitalisation, en dernière alternative, est loin d'être perçue comme une solution, surtout en raison de ce que représente sa fréquentation pour les Brazzavillois.

Thierry Berche : À propos d'une O.N.G. de développement sanitaire : l'Église catholique en Afrique et les soins de santé primaires. Les organisations non gouvernementales (O.N.G.) jouent un rôle important dans les pays du Tiers Monde comme en Occident. En Afrique francophone, notamment, l'Église catholique constitue une O.N.G. très active dans le domaine du développement et plus particulièrement dans le champ de la santé. À partir d'une expérience qui a porté sur sept pays africains visités de 1981 à 1983, cet article examine les problèmes que posent, dans des sociétés d'insécurité et de pénurie, les pratiques de cette O.N.G. sur le plan sanitaire, et aboutit à la conclusion que le modèle curatif proposé maintient, dans une paysannerie peu formée et peu organisée, le mal-développement (global et donc sanitaire), sans chercher à y porter remède.

Sylvie Fainzang : La « maison du blanc » : la place du dispensaire dans les stratégies thérapeutiques des Bisa du Burkina. S'appuyant sur l'exemple d'une société ouest-africaine, les Bisa du Burkina (ex-Haute-Volta), l'auteur, attentive aux processus intellectuels qui régissent les conduites observables en matière de recours thérapeutiques, s'interroge sur l'impact de la médecine occidentale sur les représentations locales relatives à la maladie et les stratégies liées à son apparition. Elle tente de montrer en particulier que la présence d'une institution relevant du système médical occidental, comme le dispensaire, trouve à s'insérer dans l'ensemble des institutions qui prennent en charge la maladie en milieu rural : en effet, loin d'introduire une rupture décisive avec celles-ci, la pratique biomédicale est intégrée, voire absorbée par la logique locale des stratégies thérapeutiques, elles- mêmes fondées sur un système cohérent de représentations de la maladie.

Emmanuelle Kadya Tall : Le contre-sorcier haalpulaar, un justicier hors la loi. La société haalpulaar est une société sénégambienne islamisée depuis le XIe siècle. Elle est très hiérarchisée et ordonnée en statuts. Dans cette société, le contre-sorcier rassemble toutes les valeurs de l'univers thérapeutique haal-pulaar à la fois du côté de la « magie » et de la « religion » ; il utilise le système étiologique le plus complet en manipulant un modèle théorique qui se veut fermé, mais que commande sa prise sur le réel. La spécificité du contre-sorcier tient au caractère contradictoire de son système de représentations et de sa pratique quotidienne : il affirme l'importance du statut et du lignage dans son étiologie tout en refusant d'en subir individuellement les conséquences. La fonction de contre-sorcier permet donc de faire des choses que la logique statutaire interdit.

Christiane Bougerol : Ensorcellement maternel et trouble mental aux Antilles : histoire d'un cas. Aux Antilles françaises, il n'y a pas de règle préférentielle ou d'exclusion à la clé des rapports entre un ensorcelé et son sorcier. Ici, l'auteur montre comment un ensorcellement attribué à la mère met l'ensorcelé dans une situation où il se trouve dépourvu du recours thérapeutique traditionnel, eu égard à la position de la mère dans les sociétés antillaises. Cette situation peut conduire l'ensorcelé à un dérapage vers les troubles mentaux.

Annie Hubert : Epidémiologie et anthropologie : « la preuve du pudding c'est quand on le mange». La collaboration entre l'anthropologie et les sciences biomédicales est rare et difficile en France. Néanmoins, un travail pluridisciplinaire de ce type a pu être réalisé avec succès sur le cancer du rhinopharynx, fréquent en Chine du Sud, dans l'Arctique et dans le Maghreb. Une enquête anthropologique comparative a été réalisée dans ces trois régions et a abouti à la recherche de carcinogènes chimiques en laboratoire. En conclusion, l'article expose les divers problèmes qui se posent lors d'une collaboration interdisciplinaire de ce type.