Contenu du sommaire : L'esthétique du geste technique
Revue | Gradhiva : revue d'anthropologie et de muséologie |
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Numéro | no 17, 2013 |
Titre du numéro | L'esthétique du geste technique |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier L'esthétique du geste technique
- Introduction : Esthétique du geste technique - Sophie A. de Beaune p. 4-25
- De la beauté du geste technique en préhistoire - Sophie A. de Beaune p. 26-49 Quelles relations les outils de la préhistoire entretiennent-ils entre esthétique et fonction ? À partir de l'examen d'un objet qui présente la particularité de disposer de deux plans de symétrie perpendiculaires, le biface, la notion leroi-gourhanienne d'esthétique fonctionnelle est ici revisitée. L'auteur propose l'hypothèse que le geste qui se cache derrière l'outil est lui aussi susceptible de receler une certaine beauté, qui n'est pas étrangère à l'esthétique des objets eux-mêmes.What is the nature of the relationship between aesthetics and function in prehistorical tools ? This article revisits Leroi-Gourhan's notion of “ functional aesthetics ” via the analysis of bifaces – artefacts with two perpendicular planes of symmetry. I argue that the skilled act that lies behind the creation of the tool possesses its own form of beauty, one which is integral to the aesthetic of the tool itself.
- Du geste technique à la geste musicale - Marianne Lemaire p. 50-69 Cet article explore les diverses façons dont la musique, lorsqu'elle accompagne une tâche, lui apporte son concours. À partir de quelques exemples de chants de travail empruntés à des cultures diverses et à des contextes économiques différents, il montre que, si la musique est au service du travail qu'elle scande, elle l'est en dehors de toute considération réelle d'efficacité technique et au mépris des fruits qu'il est susceptible de porter ; elle soutient une tâche en cours de réalisation dont la finalité est écartée au profit du sens et même de la valeur que les chants s'emploient à lui donner ou, dans le cas du travail servile ou forcé, à lui rendre. De sorte que si le travailler peut être à l'origine du musiquer, il n'en est pas la finalité.This article explores the various ways in which music accompanies, modulates and alters the experience of work. Drawing on examples of work-songs from a range of different cultural and economic contexts, the article suggest that even though such songs are supposed to help the work along, their contribution in fact stands independently of any real idea of their technical efficacy or of productivity gains. They bolster an ongoing labour process whose goal or finality is bracketed out in favour of the meaning and even the value that they breathe into such labour or, in the case of forced labour, breathe back into it. It follows that though working may, in some cases, lie at the roots of musicking, it does not constitute its goal or finality.
- De l'adresse. Remarques sur l'esthétique des gestes du luthier - Baptiste Buob p. 70-93 La transformation du bois en musique est ce qui fait le sel de la vie d'un luthier. Une telle assertion, aux allures d'évidence, est pourtant tout à fait discutable. De nombreux luthiers ne sont pas du tout mélomanes et certains ont choisi d'exercer leur profession sans être en relation directe avec le monde de la musique. Ce texte propose d'explorer quelques-unes des raisons qui peuvent expliquer cet apparent paradoxe. Il ressort notamment que la pratique à l'établi est en elle-même gratifiante et que les luthiers fabriquent des instruments non seulement pour les utilisateurs finaux mais aussi pour leurs pairs. En cela, ils ne sont sans aucun doute pas différents d'autres artisans. Cependant, certains fabricants d'instruments ont développé une technophilie particulière – sans aucun doute héritière des principes d'économie propres au travail parcellisé – présupposant que l'habileté technique et le beau geste sont les garants d'un résultat lui-même esthétique.For a luthier, transforming wood into music is the very salt of life. This apparent platitude is, in fact, highly questionable. Many luthiers are not music-lovers at all and some of them chose their profession without having direct links to the world of music. This article explores some of the reasons behind this apparent paradox. It appears that for many luthiers, the practice of their craft is a pleasure in itself and their intended audience consists not only of their clients, but also their peers. This is doubtless true of craftsmen of all stripes, but certain luthiers develop a quite pronounced technophilia (which emerges out of the quest for efficiency proper to a task-based division of labour). One defining element of this technophilia is the idea that adroitness and efficiency guarantee, in and of themselves, the aesthetic quality of the end product.
- À main levée. La scarification comme œuvre - Michèle Coquet p. 94-117 La maîtrise d'un geste technique, et de ce qu'il produit, prédispose à l'admiration et à la valorisation esthétique tout observateur ignorant des règles présidant à sa réalisation. L'ignorance ne fait même qu'en accroître l'intensité. Les femmes bwaba (Burkina Faso) entretenaient soigneusement le mystère entourant leur savoir-faire relatif à l'inscription sur la peau de complexes compositions graphiques. Savoir graver une image dans la matière vivante des corps, savoir la composer puis la soigner de manière à garantir le résultat, avoir le courage d'infliger des blessures douloureuses et d'être confrontées aux risques d'infection constituaient quelques-unes de leurs compétences, à la fois techniques et morales. Ces femmes jouissaient toutes d'une grande estime et certaines d'entre elles d'une renommée qui s'étendait bien au-delà de leur village. C'est seulement lorsque ces compétences avaient été démontrées que leur renommée s'installait, entraînant dans son sillage la reconnaissance de la singularité de leur œuvre. Certaines scarificatrices étaient alors considérées comme des auteurs possédant leur propre style, susceptible d'être décrit en tant que tel.When faced with examples and end-products of technical skill and prowess, the lay observer is easily inclined to admiration. His ignorance only serves to heighten this emotion. Bwaba women of Burkina Faso long shrouded in mystery the techniques they used to inscribe the bodies of young men and women with their complex graphic compositions. Their skill-set was both technical and moral: carving an image into living matter; composing and then treating the wound in such a way as to ensure the right result; and possessing the courage to inflict these painful wounds and run the risk of causing infection. Such women were widely respected and their fame sometimes spread far beyond their own villages. Such fame had to be earned and with it came recognition of the originality of the scarifier's oeuvre. Some even came to be considered “ authors ”, possessed of a unique style, and were spoken of as such.
- Arts de faire, arts de vivre. Chefs-d'œuvre inconnus des compagnons du tour de France - Nicolas Adell p. 118-143 Le chef-d'œuvre, l'ouvrage qu'il faut réaliser pour obtenir le titre de « compagnon du tour de France », est réputé manifester la très haute compétence technique de son exécutant. Et sans doute s'y joue-t-il, parfois, l'expression d'une certaine virtuosité technique. Cependant, l'essentiel est ailleurs. Tous les aspirants au titre de compagnon sont d'excellents ouvriers dont la compétence est déjà reconnue, y compris au sein de la communauté compagnonnique. Aussi la réalisation du chef-d'œuvre vient-elle davantage rendre compte d'une manière de procéder, d'un style, d'une façon de vivre et d'agir son identité compagnonnique que d'un niveau technique. Plus que l'œuvre proprement dite, c'est l'ensemble du travail préparatoire et de la « vie avant l'œuvre » qui constituent le chef-d'œuvre à part entière et font l'objet essentiel de l'examen.To obtain the title of “ Compagnon du Tour de France ” (French Master Artisan), the young journeyman must produce a masterpiece that showcases his high degree of technical skill. And a certain technical virtuosity is certainly present in many of these pieces. Such virtuosity, however, is not really the point of the exercise. All journeymen are excellent artisans whose skill has already been recognised both within and without the community of Master Artisans. Accordingly, the masterpiece is better seen as testament to particular approach, a style, a way of living and enacting one's journeyman identity, than as proof of proficiency. Assessment of the piece is essentially an assessment of the body of work that precedes and paves the way for it.
Études et essais
- Dessins chamaniques et espace virtuel dans le chamanisme khakasse - Charles Stépanoff p. 144-169 Les tambours rituels, attributs principaux des chamanes de Sibérie, sont souvent ornés de nombreuses figures peintes. Les interprétations sémiotiques de ces dessins ont jusque-là laissé dans l'ombre certaines récurrences séculaires de composition particulièrement intrigantes. En s'appuyant sur une approche sensorimotrice, cet article défend l'hypothèse selon laquelle l'organisation des dessins modélise une coordination entre corps, espace réel et espace virtuel sur la scène rituelle.The ritual drums that play so central a part in Siberian shamanism are often decorated with a variety of painted figures. Semiotic interpretations of these figures have left unexplored a number of highly intriguing and centuries-old features of their composition. This article adopts a sensory-motor approach to their analysis, suggesting that their form can be understood in terms of an act of staged coordination between the body, real space and virtual space.
- Le Nouvel An chinois à Paris. Sur les scènes de l'altérité - Jing Wang p. 170-193 Les collections du musée du quai Branly consacrées à l'Asie contiennent des dizaines d'objets populaires, plutôt récents, venus de Chine et de la péninsule Indochinoise, qui tous évoquent les traditions du Nouvel An : papiers découpés, cartes de vœux, masque de lion, instruments à percussion… Ces mêmes objets sont présents, cette fois « animés » et chargés de sens, dans les fêtes du Nouvel An chinois – à la fois carnaval, procession religieuse et fête familiale – au cours desquelles les Asiatiques de Paris produisent et donnent en partage ce que tous leurs interlocuteurs politiques appellent leur « culture ». Malgré le caractère très public et officiel du Nouvel An, le cœur de son organisation – qui se trouve dans un temple – reste cependant méconnu de bien des acteurs costumés comme des spectateurs ordinaires. L'enquête éclaire la face invisible de ce monde et accède à son noyau polémique en suivant toujours la piste des objets sans qui la fête et le rite ne seraient pas ce qu'ils sont.The musée du quai Branly's Asian collections contain scores of relatively recent objects from China and Indochina associated with New Year celebrations: paper cut-outs, greetings cards, lion masks, percussion instruments, etc. We find these same objects, but this time very much “ alive ”, in Chinese New Year celebrations in Paris' Asian neighbourhoods. These celebrations (which are simultaneously carnivals, religious processions and family festivities) allow Parisian Asians to reproduce and share what their political and institutional interlocutors unfailingly refer to as their “ culture ”. Despite its highly official and public face, the New Year's organisational underpinnings remain mysterious for many participants and spectators. This article seeks to uncover these underpinnings by following the trace of those objects that make the festivities what they are.
- Dessins chamaniques et espace virtuel dans le chamanisme khakasse - Charles Stépanoff p. 144-169
Notes de lecture
- « Comment Homo devint faber. Comment l'outil fit l'homme. » - Françoise Sabban p. 194-207
- « L'Europe des esprits ou la fascination de l'occulte, 1750-1950. » - Giordana Charuty p. 208-219
Comptes rendus
- Aurélie Helmlinger. Pan Jumbie. Mémoire sociale et musicale dans les steelbands (Trinidad et Tobago) : Nanterre, Société d'ethnologie, coll. « Hommes et musiques », 2012 - Tommaso Montagnani p. 220-221
- Gaetano Ciarcia (dir.) Ethnologues et passeurs de mémoires : Paris-Montpellier, Karthala-Maison des sciences de l'homme de Montpellier, 2011. - Julien Bondaz p. 222-223