Contenu du sommaire : Cosmos
Revue | Gradhiva : revue d'anthropologie et de muséologie |
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Numéro | no 22, 2015 |
Titre du numéro | Cosmos |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
dossier Cosmos
- « Cosmos Connections » - Sophie Houdart, Christine Jungen p. 4-23
- Choses cosmiques et cosmogrammes de la technique - John Tresch p. 24-47 Les choses peuvent évoquer et même contenir tout un cosmos : c'est la thèse de Martin Heidegger dans certains de ses écrits tardifs, qui parlent des choses en tant que « rassemblements ». Mais son analyse des choses s'inscrit dans une critique soutenue de la technologie et de l'« époque des conceptions du monde ». Dans cet article, je considère les objets techniques, eux aussi, comme des « choses cosmiques » à la Heidegger. Pour contrebalancer ses généralisations totalisantes, voire totalitaires, sur l'« arraisonnement », ainsi qu'une tendance, assez largement répandue parmi les critiques de la modernité, à ne présenter la technologie qu'en termes dystopiques, uniformes et claustrophobes, je propose le concept de « cosmogramme » : un objet concret qui cherche à résumer l'ordre du cosmos. Les cosmogrammes des sciences et de la technique occidentales peuvent servir de base à la comparaison et à la connexion du « monde industriel » avec d'autres manières d'organiser l'univers.Martin Heidegger's notion of things as gatherings which disclose a world conveys the “thickness” of everyday objects. Though part of a sustained criticism of modern technology, this essay extends his discussion of things to technological objects as well. As a corrective to his totalizing, even totalitarian, generalizations about “enframing” and “the age of the world-picture,” and to a more widespread tendency among critics of modernity to present technology in only the most dystopian, uniform, and claustrophobic terms, this essay explores two species of technical object: cosmic things and cosmograms. The first suggests how an ordinary object may contain an entire cosmos, the second how a cosmos may be treated as just another thing. These notions are proposed as a basis for comparison and connection between “the industrial world” and other modes of ordering the universe.
- Astromorphing. Des planètes, des visages et des ondes de longue portée en astrologie - Emmanuel Grimaud p. 49-73 L'astrologie possède sans doute en Inde son plus grand laboratoire, si l'on en croit l'éventail exceptionnel de situations dans lesquelles elle se trouve mobilisée. Elle jouit par ailleurs d'une reconnaissance institutionnelle, donnant lieu à des enseignements et des recherches très variées, au croisement de la science, de la médecine et de la divination. Contrairement aux idées reçues, elle possède une dimension expérimentale indéniable. Elle n'a jamais cessé de se réinventer au cours du temps, donnant lieu à de nouvelles formes de connexion aux astres, à un affinement des méthodes de calcul pour anticiper leurs fluctuations et à de nouveaux procédés pour magnétiser autrement tout ce qui nous entoure. C'est plus particulièrement à l'astromorphologie que cet article est consacré et aux techniques utilisées par un astrologue indien pour mesurer les emprises des astres à même le visage et leurs mécanismes d'influence à distance. La consultation astrologique est envisagée ici comme un lieu privilégié où faire des expériences en résonance dont on peut suivre en situation les enchaînements et les implications sur les personnes, modifiant leur rapport au corps et à l'environnement (astromorphose).India is undoubtedly astrology's largest testing ground, if one considers the extraordinary range of situations in which astrology figures. It is also recognised institutionally, giving rise to very varied teaching and research activities, at the intersection between science, medicine and divination. Contrary to received opinion, astrology quite definitely has an experimental dimension. It has constantly reinvented itself over time, producing new forms of connections with the stars, increasingly refined methods for calculating their fluctuations in advance and new procedures for magnetising differently everything around us. This article focuses particularly on astro-morphology, and the techniques used by an Indian astrologer to measure the power of the stars as they affect the human face, as well as the mechanisms of stars' action at a distance. The consultation with an astrologer is treated here as a privileged space for experiments in resonance whose consequences and implications can be followed up through the way the participants' relation to their body and to their environment is altered (astromorphosis).
- Les signatures des dieux. Graphismes et action rituelle dans les religions afro-cubaines - Julien Bonhomme, Katerina Kerestetzi p. 74-105 Cet article s'intéresse aux graphismes en usage au sein des religions afro-cubaines, notamment dans le palo monte et l'abakuá. Il examine comment ces signes, appelés firmas ou « signatures », participent à la dramaturgie rituelle. Qu'il s'agisse d'une cérémonie collective ou, plus modestement, d'un « travail » magique pour un patient, les graphismes saturent l'espace, les artefacts et les corps des participants. Ils servent à figurer les esprits des morts, les dieux, les astres ou tout autre agent non humain mobilisé par le rite. Ils donnent également à voir les actions invisibles que ces entités sont censées accomplir. Ils constituent en somme des diagrammes de l'action rituelle : à la fois une représentation de ses parties invisibles et le schème organisateur qui structure son déroulement. Combinant les approches sémiotique et pragmatique, l'article étudie à la fois ce que représentent les signes graphiques et ce qu'ils permettent de faire.This article is concerned with the graphic designs used in Afro-Cuban religions, particularly in Palo Monte and Abakuá. It examines how graphic signs, called firmas or "signatures", contribute to the spectacle of ritual. In collective ceremonies just as in the smaller-scale "work" of magic for a patient, these designs saturate the space, the artefacts and the bodies of the participants. Their function is to represent the spirits of the dead, the gods, the stars and any other non-human agents mobilised in the rite. They also reveal the invisible actions which these figures are supposed to carry out. As such, they are diagrams of the rituals, representing their invisible parts as well as the schema which structures their entire enactment. By combining semiotic and pragmatic approaches, we are able to explore both what these graphic signs represent and what they enable to be done.
- Petits récits destinés à joindre les deux bouts des particules au cosmos – en passant par la Suisse - Sophie Houdart p. 106-135 D'où gagner le sentiment de soi dans l'univers ? Partant du sentiment océanique cher au romancier Romain Rolland, cet article se propose de rendre compte, sous forme de petits récits, d'une enquête menée au CERN sur le Grand collisionneur de hadrons (LHC). Au regard de la littérature qui dresse en droite ligne une relation des particules au cosmos et présente la machine comme transcendance, il se situe à l'échelle humaine, au niveau de ce qu'il faut bel et bien pour connecter les unes à l'autre et éprouver le sentiment de ce qui nous déborde.How do we come to acquire a sense of self in the universe? The novelist Romain Rolland's concept of oceanic feeling will serve as an introduction to an account, in the form of short narratives, of a study carried out at CERN on the Large Hadron Collider (LHC). Unlike literature, which establishes a direct relationship between particles and the cosmos, and presents as self-evident the machine as a transcendence, it operates on a human scale, at the level of what is really required in order to connect the two extremes, and gives access to an experience of something which exceeds us.
- La lune de Saturne et le « nous » œcuménique. Entre astrobiologie et anthropologie - Istvan Praet p. 136-167 Cet article aborde l'exploration spatiale d'un point de vue anthropologique en privilégiant avant tout le domaine de l'astrobiologie et, plus particulièrement, les recherches menées aujourd'hui sur Titan, la plus grande lune de Saturne. Titan constitue l'un des sujets favoris des astrobiologistes : cette lune possède en effet toute une série de caractéristiques, parmi lesquelles une atmosphère très dense, qui lui confèrent un étrange air de famille avec la Terre. Mais comment en est-on venu à établir cette soi-disant familiarité ? Pour y répondre, je me propose d'étudier ce que j'appelle le « nous œcuménique », à savoir notre plus grand dénominateur commun. Quand les planétologues posent la question de savoir si nous sommes seuls dans l'univers, ce « nous » ne renvoie pas nécessairement au concept biologique de vie. Pour l'astrobiologie contemporaine, le « nous » peut parfois faire référence aux êtres dont la constitution est proche de celle des roches, des océans, ou même des planètes.This essay attempts to develop an anthropological perspective on the exploration of outer space. It focuses on astrobiology and, more specifically, on the on-going investigation of Titan, Saturn's largest moon. For astrobiologists, Titan is a favourite study object as it possesses a whole range of features, such as a dense atmosphere, that makes this celestial body eerily familiar and indeed 'Earth-like'. But how, exactly, is this purported familiarity established? Here, I tackle the question by examining what I refer to as the ecumenical 'we', that is, our most extensive common denominator. When space researchers wonder whether we are alone in the Universe, this 'we' does not necessarily refer to the biological concept of life. In contemporary astrobiology, 'we' are sometimes regarded as geological beings, ocean-like beings or planet-like beings, for example.
Études et essais
- À la marge des sciences coloniales ? La mission Dekeyser-Holas dans l'Est libérien (1948) - Julien Bondaz p. 168-191 En 1948, une mission de recherche et de collecte est organisée par l'Institut français d'Afrique noire (IFAN) à l'initiative de Théodore Monod. Conduite par un ethnologue et un zoologiste, Bohumil Holas et Pierre Louis Dekeyser, elle fournit un cas tout à fait intéressant de mission bidisciplinaire, permettant d'interroger la mixité des pratiques de terrain et les interférences entre sciences sociales et sciences naturelles qui en résultent. La mission Dekeyser-Holas dans l'Est libérien est aussi l'une des rares missions coloniales qui se déroulent dans un pays indépendant. Interroger ce paradoxe oblige ainsi à resituer ces recherches et ces collectes dans le contexte institutionnel et scientifique de l'IFAN à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. Décrire et analyser cette mission permet alors d'éclairer de manière inédite les enjeux politiques et disciplinaires de l'ethnographie et de la zoologie à la fin de la période coloniale.In 1948, on Théodore Monod's initiative, an expedition was mounted by the IFAN, the French institute for French West Africa, for research and field collecting. Headed by scholars from different disciplines - Bohumil Holas, an ethnologist, and Pierre Louis Dekeyser, a zoologist - it provides a particularly interesting example of combined practices in the field and of the interaction between the social and natural sciences which resulted from this. This assignment in Eastern Liberia was also one of the few colonial expeditions to take place in an independent country. In order to understand this paradox, we must situate, describe and analyse the expedition, and its research and collecting, in the institutional and scientific context of the IFAN just after the Second World War. This will enable us to shed new light on critical political and disciplinary questions concerning ethnography and zoology towards the end of the colonial era.
- Montrer l'autre pour dire le soi, montrer le soi pour dire l'autre. La « farce des Nègres » du bas-Tapajós (Amazonie brésilienne) - Émilie Stoll p. 192-221 En Amazonie brésilienne, les fêtes patronales ont la particularité d'insérer des éléments carnavalesques au cœur des activités religieuses. En général, le dernier jour de la neuvaine est accompagné de l'abattage d'un mât votif. Dans les villages riverains du bas-Tapajós, ce rituel est accompagné par une « farce des Nègres » mettant en scène, sur le ton de l'humour grotesque, une famille burlesque de Noirs. Nous proposons une étude structurale de cette comédie afin de montrer que, sous leurs aspects ludiques, ces représentations proposent une réflexion identitaire sur la place du paysan métis dans l'espace amazonien, ainsi qu'une réactualisation des enjeux de la fête catholique, à savoir : un hommage rendu au saint patron de la localité et un dialogue avec les entités garantes de la reproduction sociale.A distinctive feature of celebrations of patron saints' days in the Brazilian Amazon is that they insert carnivalesque elements into the religious activities. In general, a votive mast is cut down on the last day of the novena. In the villages of the Lower Tapajós basin, this ritual is accompanied by a "Negroes' Farce", portraying with grotesque humour a caricatural family of Blacks. We shall present a structural study of this farce, showing that beneath its entertaining aspects, it is a way of reflecting on the place of the métis peasant in the Amazon region, and of restoring the significance of the Catholic festival, namely the veneration of a local patron saint and a dialogue with the entities safeguarding social reproduction.
- À la marge des sciences coloniales ? La mission Dekeyser-Holas dans l'Est libérien (1948) - Julien Bondaz p. 168-191
Chronique scientifique
- Thierry Bonnot, L'Attachement aux choses : Paris, CNRS Éditions, 2014 - Fabienne Wateau p. 222-223
- Jean-Charles Depaule, avec la collaboration de Jean-Luc Arnaud, À travers le mur : Marseille, Parenthèses, 2014 - Jean-Philippe Garric p. 224-225
- Estelle Amy de la Bretèque, Paroles mélodisées. Récits épiques et lamentations chez les Yézidis d'Arménie : Paris, Classiques Garnier, 2013 - Jean-Charles Depaule p. 226-227
- Jean-Pierre Cometti et Éric Giraud (dir.), Black Mountain College. Art, démocratie, utopie : Marseille-Rennes, Presses universitaires de Rennes-cipM, 2014 - Jean-Charles Depaule p. 228-229
- Julien Bondaz, L'Exposition postcoloniale. Musées et zoos en Afrique de l'Ouest (Niger, Mali, Burkina Faso) : Paris, L'Harmattan, 2014 - Frédéric Keck p. 230-231
- Emmanuel Grimaud, L'Étrange Encyclopédie du docteur K. Portraits et horoscopes d'un astrologue indien : Nanterre, Société d'ethnologie, 2014 - Arnaud Esquerre p. 232-234
- Julien Bondaz, Florence Graezer Bideau, Cyril Isnart et Anaïs Leblon, Les Vocabulaires locaux du « patrimoine ». Traductions, négociations et transformations : Zurich et Berlin, Lit Verlag, 2014 - Sossie Andezian p. 235-237
- Daniel Fabre, Bataille à Lascaux. Comment l'art préhistorique apparut aux enfants : Paris, L'Échoppe, 2014 - Rémi Labrusse p. 238-240