Contenu du sommaire : Mobiliser Fanon

Partant d'une réflexion sur les mouvements étudiants, cet article s'intéresse à ce que l'on a appelé le « moment fanonien » de l'Afrique du Sud. L'article adopte une posture critique vis-à-vis des usages réducteurs de l'œuvre de Fanon faisant de lui un penseur manichéen – des usages reproduits en partie par certaines avant-gardes autoproclamées, patriarcales et nationalistes, de ces mouvements. Le texte conclut en soulignant l'émergence de positionnements critiques au sein même des mouvements, ouvrant la possibilité d'une politique décoloniale et subalterne.

À partir de l'étude des relations et de la correspondance entre Frantz Fanon et Ali Shariati dans les années 1960 à Paris, cet article porte sur la question de la religion. La première partie revient sur la place de la religion dans l'œuvre de Fanon et de Shariati, et sur leur désaccord quant à ses usages dans la lutte nationale. La seconde partie s'intéresse à l'évolution de son rôle au cours des cinquante dernières années, avec notamment le surgissement de ce qu'on appelle le fondamentalisme religieux. Ce qui pose de nouvelles questions. Fanon a-t-il sous-estimé le rôle de la religion ? N'a-t-il pas pensé au réveil de la religion colonisée ? Le projet de réforme religieuse, souhaité par Shariati, a-t-il échoué dans les pays musulmans ?

Livre de chevet de sa génération, Les damnés de la terre de Frantz Fanon a été une des références majeures de la revue Souffles, publiée à Rabat de mars 1966 à janvier 1972. Cette revue, fondée par de jeunes poètes, a vite cristallisé un mouvement artistique, intellectuel et politique qui a rayonné au Maghreb et au-delà, et s'est radicalisée jusqu'à devenir le porte-parole du mouvement marxiste-léniniste marocain. Au-delà de l'influence de Frantz Fanon comme penseur de la décolonisation et du tiers-mondisme, ce livre a marqué ce groupe d'écrivains par la force de son style irradiant de colère et d'élan salvateur, et rejoint ses préoccupations les plus intimes dans la formulation d'un projet si profondément politique qu'il ne pouvait qu'être exprimé sur le mode de la possession, un des grands modes d'expression de l'imaginaire collectif de sociétés se percevant en crise.

En 1956, Fanon met fin à sa mission en Algérie. Sa conscience était devenue le « siège de débats impardonnables » puisque, comme il l'écrivait dans sa lettre de démission, « les bases doctrinales [de la psychiatrie] s'opposaient quotidiennement à une perspective humaine authentique ». Cet article revient sur l'ambivalence de Fanon à propos de la posture ethnopsychiatrique de son temps. Je suggère que ses écrits concernant le rôle des cultures dans l'atmosphère thérapeutique sont tout sauf cohérents, parce qu'ils sont irrémédiablement le fruit d'une époque fascinée par la maladie mentale des peuples colonisés mais également contradictoire, marquée par un foisonnement de théories pseudo-scientifiques et la violence exacerbée de la société coloniale. Son mode de raisonnement dans le domaine de la cure est néanmoins essentiel, parce qu'il nous force à laisser de côté toute tentative de vulgariser les cultures et à repenser la relation entre aliénation et altérité.

Cet article étudie un phénomène de colonisation intérieure par le sexe onirique, appelé maris de nuit. Publicisé par les Églises de réveil, celui-ci est placé, depuis plus d'une décennie au Gabon, sous le signe de la violence de la Bête. Le propos consiste en une mise en perspective des analyses de Fanon sur les rapports entre matériel onirique, libido de groupe et colonisation intérieure, au sens précis où il s'agit d'une colonisation de l'inconscient des individus et des groupes par la Bête. Une colonisation qui, en définitive, est sans rupture avec les pratiques, les pensées, les idées qui constituent la trame de la vie quotidienne des familles dans leur rapport au pouvoir et à l'État au Gabon. Cette mise en perspective est faite sur la base d'enquêtes de terrain à Libreville et sur les apports des auteurs qui ont, après Fanon, étudié les imaginaires de la colonisation.

Relire Fanon revient à le replacer dans son temps et sa position de psychiatre en situation coloniale, lui-même issu de l'empire en sa qualité de Martiniquais, et engagé dans le renversement de celui-ci au nom d'un universalisme révolutionnaire. Son œuvre demeure stimulante en ce qu'elle récuse toute interprétation culturaliste et identitaire du politique, comprend le rôle de la guerre dans le changement social, saisit l'importance de la culture matérielle et de ses techniques du corps, identifie le compromis entre « élites colonisées » et « bourgeoisie métropolitaine » sous-jacent à la colonisation et à la décolonisation. En revanche, Fanon ne se départit pas d'une appréhension essentialiste et anhistorique de la situation coloniale, ainsi que d'une vision assez pauvre de la subalternité sociale.

À l'ère de la mondialisation néolibérale, des guerres réduisant les hommes à des objets, où la parole subjective dérange, la pensée de Frantz Fanon – qui analyse les effets de la domination de l'homme par l'homme dans tous les registres du réel, politique, sociologique, anthropologique et subjectif, et trace une voie vers une véritable décolonisation de l'« être » – est d'une étrange actualité. Et ce d'autant plus que Fanon, indissociablement psychiatre, penseur du racisme et des luttes de libération, a mis en garde contre les régressions ethniques, les replis identitaires, et, plus encore, contre les conséquences psychiques, sur plusieurs générations, des traumatismes de guerre, des tortures et autres violences déshumanisantes.

Figure éminente de la révolution algérienne, Frantz Fanon a largement contribué à son internationalisation et à la mise en valeur de son contenu libérateur. Paradoxalement, alors que sa pensée partout dans le monde est mobilisée pour éclairer et impulser les luttes économiques, politiques et idéologiques pour l'affranchissement de toute forme de domination, elle subit en Algérie, depuis l'indépendance, une marginalisation et une « silenciation ». Cette contribution présente notre perception des circonstances historiques, politiques et idéologiques à l'origine de la marginalisation de l'œuvre de Fanon, à la fois dans le champ politique et psychiatrique, tout en mettant en évidence le mouvement de réappropriation de sa pensée par des élites d'horizons idéologiques divers. Elle vise à comprendre et à offrir des perspectives à la crise durable dans laquelle se trouve l'Algérie depuis le début des années 1990.

La figure tutélaire de Frantz Fanon est régulièrement brandie par les mouvements étudiants sud-africains en révolte contre l'institution universitaire et contre le gouvernement. Dans cet entretien, Achille Mbembe, qui, au-delà de son propre travail sur l'œuvre de Fanon, s'est personnellement engagé et exposé dans le débat sur la décolonisation de l'université et des savoirs en Afrique du Sud, revient sur les diverses mobilisations dont Fanon, « figure totémique » et « affect » plutôt que « concept » dans les discours des mouvements étudiants, a fait l'objet. Contre un recours simpliste à l'auteur des Damnés de la terre qui ne viserait qu'à légitimer le recours à la violence et contre une lecture réductrice de la décolonisation des savoirs qui ne serait que repli identitaire, il jette un regard lucide et engagé sur les transformations en cours dans la société sud-africaine.

Partant des mouvements étudiants de 2015 contre les frais universitaires et pour la décolonisation de l'université sud-africaine, cet article analyse le glissement progressif du pays vers l'alternance politique. L'ANC, soumis à une forte pression interne et externe, ne semble pas à ce jour avoir pris la mesure de la contestation sociale et politique auquel il fait face. Après plusieurs mobilisations de travailleurs sans précédent et la poussée d'une opposition politique toujours plus aguerrie au fil des scrutins, les récentes mobilisations étudiantes ont apporté une nouvelle forme de contestation radicale. Orchestrée par une jeune génération de militants, elle articule critique acérée de l'ordre socio-économique injuste hérité de l'apartheid, et rejet intégral et parfois violent, de la discrimination raciale et du colonialisme résilient en Afrique du Sud.