Contenu du sommaire : Les classes sociales au foyer
Revue | Actes de la recherche en sciences sociales |
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Numéro | no 215, décembre 2016 |
Titre du numéro | Les classes sociales au foyer |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Classes, genre et styles de vie dans l'espace domestique - Pierre Gilbert p. 4-15
- Ferme, pavillon ou maison de campagne : Les formes résidentielles de l'embourgeoisement agricole - Gilles Laferte p. 16-37 L'habitat dans les campagnes est très divers, à l'image des groupes sociaux qui y résident. On y trouve les fermes et les pavillons des agriculteurs, le bâti populaire des ouvriers ruraux, les petites zones pavillonnaires et les « cœurs de village », les résidences secondaires et les « belles maisons » de campagne jusqu'aux demeures bourgeoises et aux châteaux des anciens notables. Nous nous intéressons ici à l'habitat des agriculteurs céréaliers. Par une approche localisée et relationnelle, les pratiques résidentielles des agriculteurs sont repositionnées par rapport à celles des autres groupes sociaux des espaces ruraux. L'habitat est ici saisi comme un outil parmi d'autres d'objectivation des capitaux économiques et culturels. Ainsi, depuis l'après-guerre, de l'impossible château qui reste le privilège des mieux nés, à la mise en ordre pavillonnaire de la ferme, jusqu'à la gentrification rurale récente, les pratiques résidentielles des agriculteurs matérialisent leur mobilité sociale ascendante du côté des franges économiques de la petite bourgeoisie.The rural habitat is extremely diversified and reflects the diversity of the social groups that inhabit it. It includes the farmers' farms and their suburban-style houses, the social housing of rural workers, the residential areas and the “village centers,” second houses and beautiful country houses, bourgeois mansions and castles belonging to the former gentry. This article focuses on the housing of cereal-producing farmers. Using a local and relational approach, it seeks to situate the residential practices of these framers in relation to those of other rural social groups. It uses human habitat as one instrument among others that makes it possible to objectivize economic and cultural forms of capital. Since the Second World War, whether it is the rare castle that remains the privilege of those born into gentry families, the morphing of farms into suburban houses, or the recent wave of rural gentrification, the residential practices of farmers materialize their upward social mobility toward the economic fractions of the petty bourgeoisie.
- Du luxe bon marché : Travail de service et classement social dans les résidences fermées de Buenos Aires - Eleonora Elguezabal p. 38-55 Cet article explore l'articulation entre la forme que prend la division du travail d'entretien et de service de la résidence et le classement social des habitants. À partir d'une enquête menée dans la ville de Buenos Aires (Argentine) dans la seconde moitié des années 2000, il étudie l'appropriation d'équipements et services réservés jusque-là aux résidences des classes supérieures (accueil, piscine, courts de tennis, salle de gym, etc.) par des classes moyennes habitant des copropriétés issues de nouveaux projets immobiliers. L'article met en évidence une condition de cette appropriation : la précarisation de l'emploi et du travail des employés qui mettent à disposition ces biens et services. En quoi consiste et que signifie disposer, chez soi, de ce luxe bon marché ? L'enquête montre que l'accès à ces biens et services n'est pas le même ici que dans les résidences des classes supérieures, et que les positions de ces ménages vis-à-vis de la précarisation des employés de la copropriété divergent en fonction de leur appartenance à différentes fractions des classes moyennes.This article explores the articulation between the form of the division of maintenance and servicing labor and the social classification of inhabitants. Based upon fieldwork conducted in Buenos Aires in the second half of the 2000s, it analyzes how the middle classes inhabiting condominiums created during the latest wave of real estate developments have appropriated equipment and services that were until then the privilege of wealthier groups (front desk, tennis courts, gym, etc.) The article shows that the growing precariousness of jobs among the employees who provide these goods and services has been a condition of this cultural appropriation. What defines these cheap luxuries? And what does it mean to have access to them at home? Fieldwork suggests that access to these goods and services is not the same as in the case of wealthier groups, and that the way in which the households view the precarious condition of condominium employees varies according to which fraction of the middle classes they belong to.
- Échapper à l'enfermement domestique : Travail des femmes et luttes de classement en lotissement pavillonnaire - Anne Lambert p. 56-71 Comment l'espace domestique et les normes de genre qui s'y jouent contribuent-ils à définir les positions de classe des individus et des fractions de classes au sein des mondes populaires ? Une monographie menée entre 2008 et 2012 dans un lotissement de l'Isère montre que la dynamique des rapports sociaux de sexe constitue une ligne prépondérante de perception et de classement du monde social au quotidien, au-delà des différences socio-économiques objectivées dans le bâti et l'aménagement des maisons. Les résistances à l'ordre sexué imposé par les nouvelles charges domestiques forment le fondement de micro-hiérarchies dans l'espace local, opposant trois groupes de femmes et de rapports à l'emploi : les jeunes femmes de cités, qui ont progressivement renoncé à leur activité salariée dans le tertiaire peu qualifié pour se mettre au service de la maisonnée ; les ouvrières du coin, qui travaillent en horaire décalé et assument le quotidien en alternance avec leur conjoint ; les jeunes femmes plus dotées qui partent travailler « dans les bureaux » de la grande agglomération voisine. Peu présentes la journée au lotissement, ce sont elles qui sont au sommet de la hiérarchie sociale locale et incarnent la norme d'émancipation.How do domestic spaces and the gender norms that are played out through them contribute to defining the class position of both individuals and subgroups within the lower middle classes? A monographic work conducted between 2008 and 2012 in a suburban residential area in Isère suggests that the dynamics of gendered social relations represents a crucial factor in the daily perception and the classification of the social world, beyond socio-economic differences materialized in housing and domestic décor. The resistances to the gendered order imposed by the new forms of domestic labor provide the basis for the micro-hierarchies of local space. They oppose three groups of women in relation to employment: young women living in social housing who have gradually renounced waged activity in low-qualified jobs of the service industry in favor of domestic work; local workers who have odd shifts and can thus cope with domestic labor in alternation with their partner; better-educated young women who find “office” jobs in the neighboring city. Mostly absent from the residential area during the day, the members of this latter group occupy the top position in the local social hierarchy and embody a norm of emancipation.
- Qui débarrasse la table ? : Enquête sur la socialisation domestique primaire - Martine Court, Julien Bertrand, Géraldine Bois, Gaële Henri-Panabière, Olivier Vanhée p. 72-89 L'article propose une analyse de la socialisation familiale au travail domestique au cours de l'enfance et de l'adolescence. En s'appuyant sur des récits rétrospectifs, recueillis auprès de jeunes issus de familles nombreuses (quatre enfants et plus) et de leurs parents, il montre comment ces jeunes étaient ou non sollicités pour les tâches ménagères et les soins à leurs cadets quand ils étaient enfants, et met au jour les logiques sociales qui président à ces sollicitations ou à leur absence. Dans la grande majorité des familles, la participation des enfants à ces tâches est genrée et inégale, les filles étant nettement plus mises à contribution que leurs frères. Cette sollicitation des enfants varie cependant en fonction des appartenances sociales des familles, des ressources économiques et culturelles qui y sont associées, et des conceptions de l'enfance qui y sont dominantes.This article analyzes family socialization through domestic work in the course of childhood and adolescence. It builds upon retrospective reminiscences collected from young individuals coming out of numerous families (four children and over) and from their parents. It shows how these younger individuals were solicited or not for domestic tasks and for caring for their younger siblings when they were still children. It sheds light on the social logic that determines whether this solicitation take place or not. In the vast majority of families, the participation of children to these tasks is gendered and unequal, and girls are much more often solicited than their brothers. Yet, the solicitation of children varies with the social standing of families, the economic and cultural resources attached to this status, and the conceptions of childhood that predominate.
- « Nos volets transparents » : Les potes, le couple et les sociabilités populaires au foyer - Benoît Coquard p. 90-101 La « bande de potes » ou le « clan » constituent des formes de sociabilité primordiales pour les jeunes ruraux de classes populaires. C'est ce que dégage une enquête ethnographique par observation au sein de groupes d'amis composés surtout de couples, dans un contexte de déclin des structures d'encadrement locales. Parce qu'elle apporte des ressources matérielles et symboliques essentielles au maintien de certaines solidarités, la sociabilité dans les foyers conjugaux réunit des groupes d'amis, essentiellement formés par le biais des affinités masculines. Tandis que les femmes sont reléguées à des rôles de second plan, les hommes affichent une maîtrise de l'espace et du temps du foyer. L'article montre ainsi comment la sociabilité amicale dans les foyers reproduit une domination masculine qui fait écho aux rapports de pouvoir au sein des couples, ainsi qu'aux inégalités structurelles entre hommes et femmes sur le marché du travail dans ce type de territoire rural et industriel. Cette reproduction est analysée à partir d'observations de scènes d'apéritifs qui se tiennent dans des logements en partie réaménagés par les jeunes couples en vue d'accueillir des amis.The “bunch of buddies” or the “clan” represent forms of primordial sociability for the lower middle class youth of rural areas. This is what results from an observation-based ethnographic fieldwork done within groups of friends consisting primarily of couples, in the context of a decline of local socialization structures. Because the sociability that takes place without households provides crucial symbolic and material resources for the perpetuation of some forms of solidarity, it brings together groups of friends, most often constituted through the channel of masculine affinities. While women are relegated to secondary roles, men seem to be in control of time and space within the household. The article shows how friendship-based household sociability reproduces a form of masculine domination that reflects power relationships within the couple as well as structural inequalities between men and women in terms of access to the labor market in these type of industrial and rural areas. This reproduction is analyzed through the observation of “apéritifs” taking place in houses partly reorganized by young couples in order to accommodate friends.
- Troubles à l'ordre privé : Les classes populaires face à la cuisine ouverte - Pierre Gilbert p. 102-121 À partir d'une enquête localisée dans le grand ensemble des Minguettes (Vénissieux), cet article analyse la réception par les classes populaires d'un dispositif architectural inédit dans les cités HLM. Adoptée par les « nouvelles classes moyennes » à partir des années 1980, la cuisine ouverte est aujourd'hui introduite dans ces quartiers par les concepteurs de la politique de rénovation urbaine, qui voient là un habitat moderne et attractif censé permettre d'y recréer de la « mixité sociale ». Les habitants rejettent pourtant de façon massive ce dispositif, qui vient contrarier en profondeur leurs styles de vie populaires – marqués notamment par une gestion spécifique du propre et du sale, la possession d'espaces personnels et réservés à l'entre-soi de sexe. Certains ménages appartenant aux fractions stables des classes populaires s'installent malgré tout dans les logements neufs avec une cuisine ouverte, dans laquelle ils voient un attribut symbolique de leur petite promotion sociale. Ils s'approprient alors celle-ci de façon hétérodoxe, à travers des usages éloignés de ceux des premiers adeptes de ce modèle, qui leur permettent de limiter la perturbation que celui-ci exerce sur leurs styles de vie.Based upon fieldwork done in the projects of the Minguettes (Vénissieux), this article shows how the lower middle classes experience a novel architectural arrangement for social housing. Adopted by the “new middle classes” in the 1980s, the open kitchen is today introduced in these neighborhoods by the promoters of a policy of urban renovation. They see it as a modern and attractive form of habitat that is supposed to generate social diversity. Yet, inhabitants overwhelmingly reject this arrangement, which is fundamentally at odds with their lifestyles, characterized in particular by a specific understanding of cleanliness and dirtiness and by the distinction between personal spaces and spaces dedicated to gendered sociability. Some households that belong to the stable fractions of the lower middle classes nonetheless move into new housing with an open kitchen, and consider it as the symbolic manifestation of a minor upward mobility. In such cases, they appropriate the open kitchen in unorthodox ways that depart from those envisioned by its early proponents and allow them to limit the impact it has on their lifestyle.