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Revue | Revue française d'histoire des idées politiques |
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Numéro | no 43, 1er semestre 2016 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Avant-propos. La construction européenne et ses apories - Pierre-Yves Quiviger p. 9-23
Études
- La crise de la construction européenne : une fin de cycles ? - Étienne Balibar p. 25-43 On essaie d'interpréter la crise de la construction européenne comme l'effet du recouvrement de trois « fins de cycle ». La première correspond à l'achèvement du processus de mondialisation, qui a vu la « provincialisation » de l'Europe. La deuxième coïncide avec la « guerre civile européenne », dans laquelle se sont affrontées les idéologies « totales » de la modernité (socialisme, libéralisme, fascisme). Enfin la troisième, correspondant à la « construction communautaire » européenne, pivote autour de l'effondrement du « socialisme réel », qui conduit à la constitutionnalisation du libéralisme économique. Les effets de ce recouvrement se déroulent sous nos yeux. Ils laissent peu de doute sur le fait que les « projets » initiaux devront être remaniés de fond en comble à très brève échéance.This is an attempt to interpret the crisis of the European construction as an effect of three overlapping “ends of cycle”. Firstly, the end of the globalization process, which resulted in what has been called the “provincialization” of Europe. Secondly, the “European civil war” or the confrontation of the “totalizing” ideologies of modernity (socialism, liberalism, fascism). The third one, corresponding to the European “community construction”, is related to the collapse of “real socialism” and the subsequent constitutionalization of economic liberalism. The effects of this overlapping stand before our eyes, leaving little doubt as to the necessity of an in-depth overhaul of the initial “projects” in the very short term.
- Entre efficacité économique et justice politique, l'Union européenne en quête d'un équilibre social - Jean-Marc Ferry p. 45-64 Afin d'instruire la réflexion sur l'imaginaire social approprié au projet européen, on confronte trois modèles concurrents d'organisation, en ce qui concerne leur conception du rapport entre l'efficacité économique et la justice politique ─ soit : 1) Le modèle d'un ordre spontané suivant l'idéologie d'un ordre naturel, auquel renvoie l'économie politique classique ; 2) Le modèle d'un ordre administré, suivant l'idéologie d'un ordre planifié, auquel renvoie la critique marxienne de l'économie politique classique ; 3) Le modèle d'un ordre négocié, suivant l'idéologie d'un ordre concerté, auquel renvoient les impulsions données par la révision keynésienne à l'économie mixte et à l'État social redistributif.In order to consider the issue of the kind social imagination appropriate to the European project, three competing organization models connected to specific ideologies are being compared as to their views of the relation between economic efficiency and political justice : (1) the naturalist model of the spontaneous order, along the lines of classical economy; (2) the administrative model depending on the ideology of the planned order, along the lines of the Marxian criticism of classical political economy; (3) the negotiation model of the cooperative order, along the lines of the Keynesian revision and the impulse it gave to the mixed economy and to the redistributive framework of the Welfare State.
- État social, démocratie et construction européenne. Pour une citoyenneté sociale européenne - Édouard Delruelle p. 65-85 L'idée de « modèle social européen » n'est-elle qu'un leurre ou un objectif politique que les forces progressistes doivent continuer à promouvoir ? L'article s'interroge sur les fondements proprement philosophiques (souvent négligés) de l'État social – à la fois système assurantiel universel et institution d'un « citoyenneté sociale » (T.H. Marshall), dont la dynamique excède la forme de l'Etat-nation.Is the idea of a “European social model” but a decoy or is it a political aim that progressive forces need to keep on promote? This paper is concerned with the (often neglected) philosophical foundations of the welfare state – both a universal insurance system and the establishment of a “social citizenship” (T.H. Marshall) whose dynamics extend beyond the form of the nation-state.
- Dépasser les impasses du fédéralisme tutélaire européen - Michel Dévoluy p. 87-108 L'article appelle à une union politique pour la zone euro. La crise actuelle cristallise les contradictions internes de l'Union économique et monétaire. Le maintien des souverainetés nationales sur un espace doté d'une seule monnaie génère un fédéralisme tutélaire peu efficace et faiblement démocratique. Pour avancer, nous proposons une planification fédératrice. L'enjeu est la création d'un espace public européen et la sédimentation d'une société apaisée et forte dans le monde. Le programme de ces changements s'appuie sur les citoyens et le Parlement européen en contournant la toute-puissance du Conseil européen.This paper calls for political union in the euro zone. The current crisis crystallizes the internal contradictions of the Economic and Monetary Union. Maintaining the sovereignty of the nation-state members in a single-currency area is generating a scarcely efficient and hardly democratic tutelary federalism. In order to move forward, we suggest a federating planning. The issue rests on the creation of a European public sphere and in the sedimentation of an appeased globally-strong society. Such a program would rely on the European citizens and Parliament, bypassing the almighty European Council.
- Cinq thèses sur l'Europe - Cédric Durand p. 109-128 Cette contribution propose cinq thèses qui esquissent les contours de la question européenne en cette seconde décennie du vingt-et-unième siècle. La première thèse est de l'ordre du constat. L'euro est une des plus grandes catastrophes de l'histoire économique. Les deux thèses suivantes mettent en relation cet échec avec deux ressorts possibles de l'intégration européenne : d'une part, une logique d'alignement des institutions politiques sur des rapports de production capitalistes qui seraient articulés à l'échelle continentale, d'autre part l'instrumentalisation du déplacement des frontières étatiques pour cristalliser de nouveaux rapports de forces socio-politiques. Les deux dernières thèses avancent, d'une part, que l'Union Européenne n'est pas un champ stratégique pour le monde du travail et, d'autre part, que l'européisme ne peut pas être un internationalisme pour les subalternes.This contribution puts forward five theses which delineate the European issue in this second decade of the 21st century. The first thesis boils down to the observation that the euro is a major disaster in the economic history. The two subsequent theses draw a link between this failure and two possible levers for the European integration: on the one hand, the process of alignment of the political institutions on the capitalist relations of production as articulated on a continental scale, and on the other hand, the instrumental use of the displacement of state borders in order to crystallize a new socio-political balance of powers. The last two theses argue firstly that the EU is no strategic battlefield for the forces of labor and consequently that Europeanism cannot be a form of Internationalism for the subordinates.
- L'Union européenne ou un hybride à vocation subimpériale dans le capitalisme mondialisé - André Tosel p. 129-150 L'Union Européenne se donne comme production d'un espace, un outre-espace, au-delà de la spatialité nationale et nationaliste, fondé sur des Traités organisant à la fois la libéralisation économique et financière et s'ouvrant sur une perspective éthique et cosmopolitique. Dans son fonctionnement effectif, cet espace capture la souveraineté honnie dans une politique néolibérale au prix de plus en plus lourd pour les populations subalternes qui sont ainsi tentées par le retour de nationalismes et affrontées à la question d'un traitement civil de leur pluralité interne par les États. Le défi est là : cet outre-espace peut-il encore se réaliser et à quelles conditions, ou bien est-il menacé d'implosion par l'expansion de sa logique dominante ?The EU presents itself as generating a space beyond, beyond national and nationalist spatiality, an area founded on Treaties which organize the financial and economic liberalization and open up to a prospect both ethical and cosmopolitical. As it actually functions this space captures hated sovereignty in a neoliberal policy which grows more and more costly to subordinate populations who are therefore tempted to fall back into nationalism, as they confront the issue of a civil treatment of their inner plurality by the states. Here lies the challenge: can this space beyond still become actual and to what conditions? Or is the expansion of its own dominant logic threatening it of implosion?
- L'Europe et ses rapports de pouvoir - Jean Robelin p. 151-167 Si l'on assiste bien à la formation d'une véritable souveraineté européenne, celle-ci paradoxalement n'est pas proprement étatique. Son caractère transnational repose sur le fait qu'elle représente non les peuples européens, mais un capital financier globalisé, dont elle impose le modelé économique et social néolibéral, d'où son caractère antidémocratique, démontré ici, aux effets politiques dévastateurs.We are indeed witnessing the formation of a genuine European sovereignty which, however, is not properly state-like. Its trans-national character is based on the fact that it does not represent the peoples of Europe but a globalized financial capital whose neoliberal economic and social model is forced upon the Union. Hence its anti-democratic character and its devastating political effects.
- La construction du « mythe négatif » de l'Europe, corollaire des progrès de l'intégration ? Le cas de la nomination du haut représentant de l'Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, Federica Mogherini - Jean-Pierre Darnis p. 169-183 Souvent, la construction européenne est décrite en des termes négatifs. Au travers de l'exemple de la nomination du Haut-Commissaire Federica Mogherini, nous voulons défendre l'idée que la construction d'une représentation négative de l'Europe, un véritable « mythe négatif », ne reflète pas l'évolution de la construction européenne elle-même, un processus négocié qui ne remet pas en question la nature démocratique des États membres qui la composent et qui crée un espace démocratique européen.The European construction is often described negatively. Reflecting on the appointment of Federica Mogherini as High Representative of the European Union for Foreign Affairs and Security Policy, we contend that the building up of a negative representation of Europe, a genuine “negative myth”, does not reflect the evolution of the European construction itself, which, as a negotiated process, does not question the democratic nature of the member states, but creates a democratic European area.
- La participation des groupes d'intérêt dans la « nouvelle gouvernance européenne ». Une nouvelle forme de biopouvoir ? - Marc Maesschalck p. 185-204 La Commission européenne revendique un nouveau modèle de gouvernance depuis plus d'une décennie. L'action sur l'action des autres qui en résulte mérite cependant une critique généalogique plus stricte de sa supposée « nouveauté ». Quelle épistémè dirige en effet ces opérations d'agrégation des intérêts et les procédures de participation qui les accompagnent ? Une plongée dans les transformations de l'art de gouverner par la politique des langues au début du XXe siècle s'avère nécessaire pour comprendre les mécanismes d'union entre territoires et populations qui sont en jeu dans l'expansionnisme européen. La géolinguistique structuraliste du Cercle de Prague et du jeune Roman Jakobson marque un tournant dans l'art de gouverner qu'il est urgent d'évaluer pour sortir de la rhétorique moderne de la souveraineté.The European Commission has been claiming a new governance model for more than a decade. The resulting action on other people's action is nevertheless worth a stricter genealogical criticism of its so-called “novelty”. By what episteme are these operations of aggregation of interests and their related procedures for participation conditioned? It proves necessary to delve into the transformations of the art of government by language politics at the beginning of the 20th century in order to understand what mechanisms of union between territories and populations are at stake in the European expansionism. The structuralist geo-linguistics of the young Roman Jakobson and the Prague Circle is a watershed in the art of governing that urgently needs to be assessed if we want to escape the modern rhetoric of sovereignty.
- La politique fiscale peut-elle contribuer à la citoyenneté européenne ? - Fabrice Bin p. 205-230 Avec comme réalisation-phare l'harmonisation de l'assiette de la TVA, l'Europe fiscale a connu jusqu'aux années quatre-vingt-dix des progrès importants. Depuis, c'est plutôt la stagnation et il est difficile d'envisager un approfondissement de la citoyenneté européenne par le modèle de la citoyenneté fiscale hérité de 1789. Le transfert de la souveraineté financière à l'Union signifierait la fin des États-nations membres et le partage d'une compétence avec le simple transfert d'un impôt ne semble possible que pour les prélèvements sur les entreprises (outre la TVA, l'impôt sur les sociétés par exemple), bref, ceux qui ne rendraient pas solidaires financièrement les citoyens de l'Union. Une seule solution (très difficile) serait de sortir du bricolage pour adopter un discours de solidarité fiscale opposé à la dévalorisation de l'impôt des doctrines néolibérales, dévalorisation concomitante des politiques de concurrences fiscales, dommageables pour la solidarité financière des États membres et des citoyens.With a harmonized basis of assessment for VAT as its highlight, fiscal Europe progressed significantly until the 90'. Since then, it has more or less been stagnating, making it hazardous to foresee a deepening of European citizenship along the lines of the heritage of fiscal citizenship bequeathed by the French Revolution. A transfer of financial sovereignty to the Union would mean the end of its nation-states members. Sharing taxation power within the limits of a mere tax-transfer seems possible only in the case of business-taxes (VAT and corporate taxes, for instance), precisely the ones unable to establish financial solidarity between Union citizens. A unique (very difficult) solution would be to stop tinkering and seriously talk of fiscal solidarity as opposed to the current neo-liberal doctrinaire underrating of taxes. It would involve the depreciation of those tax-competitive policies so harmful to the financial solidarity between states and between citizens.
- Apartheid en Europe : le défi de la citoyenneté/civilité dans un temps de guerre imprévisible - Marie-claire Caloz-Tschopp p. 231-254 À partir d'une pratique de recherche et de citoyenneté dans les politiques de la migration et du droit d'asile, du chômage, et aussi d'une analyse des dilemmes se posant aux travailleurs des services publics, un problème de philosophie politique et de ses enjeux est formulé : dans la construction européenne, il existe un lien dialectique entre les politiques d'apartheid et les nouvelles formes guerrières d'extrême violence imprévisible, et entre celles-ci et la citoyenneté/civilité. Les conflits, contradictions, apories dans les liens entre l'apartheid, la guerre et la citoyenneté/civilité nous informent sur l'existence d'un défi de la dialectique de la possibilité/impossibilité humaine de la pensée (philosophie) et de l'action (politique).Practices of citizenship and research in policies of migration and asylum, and in unemployment as well as the analysis of the dilemmas faced by civil servants, allow for the formulation of a problem of political philosophy and its related issues: there exists in the European Construction a dialectical relation between apartheid policies and new unforeseeable and extremely violent forms of war as well as between the latter and civility/citizenship. These conflicts, contradictions and aporias in the relations between apartheid, war and citizenship/civility tell us about the challenge issued by the dialectics of the human possibility/impossibility of human thought (philosophy) and action (politics).
- Identité culturelle de l'Europe et diversité culturelle en Europe : l'Europe (n') a-t-elle (qu') une âme ? - Laurent Martin p. 255-272 Cet article revient dans un premier temps sur l'émergence et la trajectoire conceptuelle des notions d'identité, d'exception et de diversité culturelles européennes que les différentes instances de l'Europe communautaire ont beaucoup employées depuis les années 1970. Il interroge également, dans un deuxième et troisième temps, les notions de multiculturalisme et de dialogue interculturel qui ont connu des fortunes diverses dans le discours européen à la même époque. Reposant la vieille question de l'un et du multiple, du singulier et de l'universel, l'usage de ces notions renvoie à l'interrogation sur la capacité de l'Europe à faire place à la différence, à bâtir une unité politique et culturelle sans sacrifier la diversité de ses composantes.This paper first comes back on the emergence and the conceptual trajectory of the notions of European cultural identity, exception and diversity, which the various Community bodies extensively made use of since the 70'. It then considers successively the notions of multiculturalism and inter-cultural dialogue, which underwent contrasted fortunes in the European discourse during the same period. Raising the old question of the one and the multiple, of the singular and the universal, the use of such notions reflects the underlying issue of Europe's ability to allow for differences and build up a political and cultural unity without sacrificing the diversity of its components.
- Culture démocrate-chrétienne et identité européenne : idéalisme et/ou pragmatisme ? - Bruno Béthouart p. 273-288 Après avoir réfuté une légende portant sur le projet d'une « Internationale noire », et celle de l'antériorité des sentiments européistes de la démocratie chrétienne, il est intéressant de présenter deux grandes figures marquées par leur foi chrétienne en réponse à cette aporie : Jacques Maritain dans une approche idéale de l'Europe au cœur de la tourmente nazie, Robert Schuman dans une démarche aussi pragmatique qu'innovante au lendemain du second conflit mondial.Once the legends of a projected “Black International” and of the anteriority of “Europeanist” feelings among Demo-Christians is refuted, it is interesting to introduce two major figures whose Christian faith left a deep mark on their answers to this aporia: Jacques Maritain's ideal approach of Europe in the midst of the Nazi period, Robert Schumann's both pragmatic and innovative approach in the aftermath of WW2.
- Racines chrétiennes de l'Europe ? Sur le rapport entre ressources religieuses, identité et sphère publique européennes - Graziano Lingua, Martine Canestrelli p. 289-304 Revenir au débat du début des années 2000 sur les « racines chrétiennes de l'Europe » peut constituer un instrument utile pour réfléchir sur la nature de l'intégration politique européenne et sur sa crise actuelle. La discussion sur l'introduction ou pas d'une référence à Dieu et à la religion dans les documents constitutifs de l'Europe mettait moins en jeu la question du rapport entre État et Églises, que celle de la détermination des bases pré-politiques susceptibles d'engendrer un sentiment de loyauté et d'appartenance chez les citoyens européens. En comparant les positions d'auteurs tels que J. Weiler, J. Habermas et J.-M. Ferry, l'auteur interroge les différences entre les divers modèles d'intégration et les présupposés théoriques sur lesquels ils reposent. À partir de cette courte comparaison, l'article esquisse quelques voies par rapport aux exigences posées par l'intégration européenne aux citoyens croyants et aux Églises, partant de la conviction qu'il est plus important de développer une conscience critique et démocratique à l'intérieur des religions que de revendiquer des identités pour la poursuite d'objectifs simplement sécuritaires.Going back to the debate on the “Christian roots of Europe” at the turn of the century may prove instrumental to a reflection on the nature of European political integration and of its current crisis. What was at issue in the debate whether a reference to God and religion should be introduced into the European incorporation documents was less the relation between churches and states than the definition of the pre-political conditions allowing the European citizens to share a sense of loyalty and common belonging. Comparing the view of authors lie J. Weiler, J. Habermas and J.-M. Ferry, this paper investigates the differences between various models of integration as well as their theoretical tenets. It then outlines a few possible ways of dealing with the requirements imposed by the European integration on the believers and the churches. The starting point is the belief that it is more important to develop a democratic and critical sense within the religions than to raise identity claims simply in order to achieve safety objectives.
- La crise de la construction européenne : une fin de cycles ? - Étienne Balibar p. 25-43
Lectures critiques
- Lectures critiques - Anne-Sophie Chambost p. 305-310