Contenu du sommaire : Parler en public
Revue | Politix |
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Numéro | vol 7, no 26, 1994 |
Titre du numéro | Parler en public |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Parler en public - Coordonné par Dominique Cardon, Jean-Philippe Heurtin et Cyril Lemieux
- Éditorial - p. 1
- Dialogue sur l'espace public - Keith M. Baker, Roger Chartier p. 5-22
- Prises de paroles, prises de silence dans l'espace athénien - Silvia Montiglio p. 23-41 Prises de parole, «prises de silence» dans l'espace athénien. Silvia Montiglio. [23-41] Cette étude se propose de comprendre l'articulation entre la parole et le silence à l'assemblée de l'Athènes classique. Pris entre le droit/devoir d'intervenir pour le bien commun et le souci de montrer sa retenue, l'orateur jalonne ses discours de prétéritions afin de suggérer qu'il ne parle que dans l'intérêt collectif, et cela d'autant plus qu'il se loue lui-même ou qu'il insulte ses adversaires. Pour que son silence soit efficace, cependant, il doit déclarer son intention de se taire. Car le silence réel, le vide de parole, est perçu comme un indicateur de malaise ou d'impuissance, dans le cadre d'un rapport qui se veut conflictuel entre l'orateur et le public : celui-ci étant représenté comme tumultueux, l'orateur doit le dompter par ses paroles et par sa voix. En même temps, le tumulte de l'auditoire est une marque de succès pour l'orateur, qui ne connaît pas l'approbation silencieuse. Il en va autrement à Rome, où le silence du public indique son admiration, voire son consensus. Cet écart doit s'expliquer en évoquant l'importance majeure de l'égalité de parole dans la définition de la démocratie athénienne : là où l'auditoire est constitué de parlants virtuels, son silence apparaît comme un comportement négatif, signifiant l'embarras, le rejet, la stupidité.Utterances and silences in the Athenian sphere. Silvia Montiglio. [23-41] This article aims at understanding the articulation betweeen speech and silence in the assembly of ancient Athens. The orator, concerned as he is with the rights and duties of intervening for the public good, as well as with the need to show his restraint, makes an abundant use of pretentions in order to suggest that he speeks only for the common interest, all the more that he often praises himself and insults his opponents. However, he must declare his intention to remain silent, because the sudden absence of words is interpreted as a sign of impotence. As a matter of fact, the representation of the relationship between the orator and his audience does not allow silent eloquence: since the public is supposed to be tumultuous, the speaker must display his voice and words to keep it under control. At the same time, the uproar of the audience is considered to signify the success of the orator, who ignores silent admiration. By contrast, in Rome the audience's silence implies admiration and even consensus. This difference is to be related to the importance of equality of speech for the definition of Athenian democracy : given that the audience is composed of potential speakers, its silence reflects a negative attitude, evoking embarrassement, rejection or stupidity.
- La chaire, la prédication et la construction du public des croyants à la fin du Moyen Âge - Hervé Martin p. 42-50 La chaire, la prédication et la construction du public des croyants à la fin du Moyen Âge. Hervé Martin. [42-50] Le but de cet article est de réfléchir sur l'articulation entre la prédication, destinée à enseigner les vérités de la foi catholique, un lieu de parole, la chaire, et un public, celui des croyants. En chacun de ces trois domaines, l'on se propose de revenir sur un certain nombre d'idées reçues. L'image classique du prédicateur en chaire demande à être affinée, pour restituer le concret des situations de parole. Surtout, il convient de se détacher de la vision d'un public homogène de croyants. Pour qualifier l'articulation des trois domaines, on proposera de parler de «parole instituée-, cherchant à souligner à travers l'emploi de ce terme l'interdépendance étroite entre des locuteurs attitrés, des règles discursives contraignantes et des lieux d'intervention privilégiés. C'est en cernant de plus près ce phénomène que l'on visera à éclairer les modalités de la christianisation approfondie du Bas Moyen Âge.The pulpit, preaching and the construction of a public of faithfuls at the end of the Middle Ages. Hervé Martin. [42-50] The purpose of this article is to study the articulation between the preaching, which aim is to teach the Catholic faith, the place of speech, the pulpit, and a public, the faithfuls. For each of these three domaines, one must question preconceived ideas. The classic image of the preacher on his pulpit needs to be sharpened in order to restitute the actual situation of speech. Above all, it is necessary to reconsider our vision of the faithfuls as a homogeneous public. To qualify this articulation, one will consider the «instituted speech» to underline the close interdependence between entitled speakers, constraining discursive rules and privileged places of intervention. The study of this phenomenon will contribute to shed light on the modalities of the thorough christianisation during the lower Middle Age.
- Paroles publiques et figures du public en France dans la première partie du XVIIe siècle - Hélène Merlin p. 51-66 Paroles publiques et figures du public en France dans la première partie du XVTIe siècle. Hélène Merlin. [51-66] Le XVIIe siècle voit en France se consolider la structure absolutiste du pouvoir dont R. Koselleck a montré qu'elle repose sur la scission du public et du particulier. Les Belles Lettres, activité publique du particulier, se trouvent en position de perturber ce partage rationnel : en publiant le particulier, en projetant le public dans des représentations variées, l'activité 'littéraire» se détache et de la sphère privée et de la sphère publique mais de façon contemporaine à leur scission même, c'est-à-dire en l'accompagnant et en la travaillant, pour produire une figure du public qui tient à la fois de la nouvelle configuration socio-politique et de l'ancien modèle du corps politique.Public discourse and forms of the public in France during the first part of the 17th Century. Hélène Merlin. [51-66] During the 17th Century, the absolutist structure of the power is consolidated in France, and, according to R. Koselleck, this structure is based on the dissociation between the public and the private. Les Belles Lettres, a public activity of the private, is in a position to break this rational division of things : by publishing the private and by projecting the public into a number of representations, the «literary- activity separates itself from the private and the public sphere but at the very moment when these two spheres are dissociated : the literary activity accompanies and help this dissociation, producing a form of the public which is both part of this new socio-political configuration and of the old model of the political body.
- Le pouvoir absolutiste face aux manières conviviales des cercles au XVIIe siècle - Claudine Haroche p. 67-75 Le pouvoir absolutiste face aux manières conviviales des cercles au XVIIe siècle. Claudine Haroche. [67-75] En 1634, le cardinal de Richelieu fait savoir qu'il souhaite interrompre les réunions du cercle Conrart et faire de cette coterie une compagnie, un corps soumis à l'autorité de l'Etat : l'Académie Française. L'étude de la transformation d'une sociabilité privée, relativement informelle, en une sociabilité institutionnalisée et académique permet de distinguer, globalement, deux conceptions dans les manières d'être en société au XVIIe siècle. Celle, tout d'abord, de la Monarchie absolue, qui s'efforce (par le rituel de cour et les règles de l'étiquette, en particulier) de hiérarchiser les relations, d'ordonner et de contrôler les réunions comme les propos pour soumettre et dominer. Celle ensuite qui commence à se dessiner dans les cercles, encourage dans les propos et les conduites, une manière d'être aimable et civile, relativement libre et égalitaire.The absolutist power in front of the convivial manners of the Cercles during the 17th Century. Claudine Haroche [67-751 In 1634, the Cardinal Richelieu interrupts the meetings of the Conrart circle and declares this clique a compagnie, thus transforming it into a body subject to State authority, in this case, the French Academy. The analysis of the passage from a private sociability (relatively informal) to an institutionalised and academic sociability, enables the distinction of two conceptions of 'ways of behaving' in society during the 17th Century. First, the conception of the absolute Monarchy which strives to establish (through court rituals and rules of etiquette, in particular) a hierarchy of relationships, to organize and control meetings and subject matters in order to subdue and dominate. The second conception, which starts appearing in the circles, encourages an agreeable, civil, relatively free and egalitarian manner as far as subject matters and attitudes are concerned.
- Procès, affaire, cause. Voltaire et l'innovation critique - Elisabeth Claverie p. 76-85 Procès, Affaire, Cause. Voltaire et l'innovation critique. Elisabeth Claverie. [76-85] A partir des années 1760, Voltaire entreprit la défense passionnée d'un certain nombre de personnes accusées de crimes par des juges de Parlement (Calas, Sirven, le Chevalier de la Barre). Entreprendre cette défense équivalait à porter des accusations et en conséquence à transformer l'arène judiciaire, dont les procédures étaient tenues secrètes en une arène publique. L'innovation critique introduite par Voltaire au cours de l'affaire Calas, tient au fait que pour défendre ce dernier, le philosophe n'a pas cherché à susciter des adhésions par l'invocation d'un lien social ou communautaire (rang, ordre, appartenance religieuse) mais a avancé une définition nouvelle de l'honneur à travers laquelle il a fait de Calas un représentant -du genre humain». On peut repérer ici la mise en place d'un paradigme centré autour de la notion de Cause, qui sera régulièrement utilisé, au moins jusqu'à une date récente, dans les opérations de critique politique.The Trial, the Case, the Cause. Voltaire and the critical innovation. Elisabeth Claverie [76-851 In the 1760's, Voltaire took on the impassioned defense of a number of people accused of crime by judges of Parlement (Calas, Sirven, Chevalier de la Barre). Undertaking this defense meant accusing and, as a consequence, transforming the judiciary arena, in which procedures were secret, into a public arena. The innovation introduced by Voltaire during the Calas case was that, in order to defend him, the philosopher did not look for social or religious support, but brought forward a new definition of honour, making Calas a representative of the "human kind". In so doing Voltaire created a paradigma centered on the notion of Cause, used regularly, and until recently still, in political criticism.
- Prises de parole démocratiques et pouvoirs intermédiaires pendant la Révolution française - Jacques Guilhaumou p. 86-107 Prises de parole démocratiques et pouvoirs intermédiaires pendant la Révolution française. Jacques Guilhaumou. [86-107] Cet article a pour objectif de préciser à grands traits l'ampleur et la cohérence des travaux récents sur les prises de parole publique légitime, dès le début de la Révolution française. L'émergence, ensemble, de procédures égalitaires de formation de l'opinion et de la volonté, sous la catégorie de souveraineté du peuple et de pratiques intersubjectives diversifiées et inédites de délibération et de décision, élargit considérablement le champ politique légitime, limité pendant l'année 1789 au discours d'assemblée. A l'horizon de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, on voit se constituer progressivement, par la multiplication des prises de parole démocratiques, un espace d'intercompréhension langagière, configurant un nouvel espace public de réciprocité. Il s'est également agi de caractériser la relation universalisante, au fort potentiel esthétique, qui s'établit, à partir de l'été 1792, entre l'expression particulière sous forme d'adresses de telles paroles «populaires» et la nouvelle dynamique généralisante du discours d'assemblée.Democratic utterances and Intermediary powers during the French Revolution. Jacques Guilhaumou [86-107] The purpose of this article is to describe schematically the fullness and the coherence of recent studies on the legitimate public utterances dating back to the very begining of the French Revolution. The advent of egalitarian procedures in the shaping of both opinion and will — under the cover of the people's sovereignty, together with varying and original intersubjective practices of deliberation and decision — greatly extends the legitimate political field, limited during the year 1789 to speeches in the national assembly. With the Declaration des droits de l'homme et du citoyen, a space of language-intercomprehension is progessively constructed by the multiplication of democratic utterances, outlining a new public space of reciprocity. The aim of this article is also to characterize the universalizing and rather aesthetic relation between these particular 'popular' utterances, in the form of addresses, and the new generai izing dynamic of the speech in the assembly, from and after the summer of 1792.
- Architectures morales de l'Assemblée nationale - Jean-Philippe Heurtin p. 109-140 Architectures morales de l'Assemblée nationale. Jean-Philippe Heurtin. [109-140] L'hypothèse sur laquelle repose cet article est que le dispositif architectural des salles d'assemblées parlementaires, loin de n'être qu'un ensemble d'agencements arbitraires, investis de différentes représentations symboliques de l'activité parlementaire légitime, est un véritable système de consolidation réciproque d'ordres possibles de l'activité des députés. Il est possible dans cette optique d'extraire des différentes solutions architecturales des salles d'assemblée depuis 1789, des grammaires différentes dont chacune fixe des formes légitimes et antagonistes d'activités parlementaires. Cet article se propose ainsi d'analyser ces diverses grammaires du lien parlementaire adossées aux agencements architecturaux, constitutives d'autant d'ordres parlementaires légitimes permettant l'identification pour les députés des modes d'action ajustés à l'Assemblée.Moral architectures of the National Assembly. Jean-Philippe Heurtin. [109-140] The hypothesis of this article is that the architectural device of the Parliamentary Assembly rooms, far from just being an arbitrary setting, with symbolic representations of legitimate parliamentary activity, is a genuine system of reciprocal consolidation of possible orders of members' activity. It is thus possible to extract different grammars from the various architectural conceptions of Assembly rooms since 1789- Each of these grammars establish legitimate and antagonistic forms of parliamentary activities. This article analyzes these various grammars associated with architectural devices, each constituting a legitimate parliamentary order, which allow members to identify appropriate types of action according to this Assembly.
Note critique
- De l'usage de la Nation par les historiens, et réciproquement - Steven Englund p. 141-158
- L'histoire des âges récents. Les France de P. Nora - Steven Englund p. 159-168
Lectures
- M. Pollak, Une identité blessée. Études de sociologie et d'histoire - J. Siméant p. 169-173
- R. David, dir., Lamartine. La politique et l'histoire - R. Ponton p. 173-175
- J. Bourdon, Haute fidélité. Pouvoir et télévision. 1935-1994 - B. Le Grignou p. 175-177
- P. Portier, Église et politique en France au XXe siècle - J. Le Goff p. 177-180
- H. S. Jones, The French State in question. Public law and political argument in the Third Republic - A. Loïs-Couteau p. 180-182
- Revue des Revues - p. 183-193
- Dispositif de recherches. Le Groupement pour la recherche sur les mouvements familiaux - Michel Chauvière, Bruno Duriez p. 194-198
- Résumés / Abstracts - p. 199-201