Contenu du sommaire : Les syncatégorèmes
Revue | Histoire, Epistémologie, Langage |
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Numéro | vol.25, n°2, 2003 |
Titre du numéro | Les syncatégorèmes |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Les syncatégorèmes
Articles
- Présentation - Irène Rosier-Catach p. 5-7
- À propos des syncatégorèmes : consignification et signification adjacente dans la tradition logicogrammaticale grecque - Jean Lallot p. 9-32 Dès Aristote se fait jour une distinction entre signification pleine, autonome typiquement celle des lexèmes nominaux et verbaux et signification adjacente, associée, accidentelle correspondant peu ou prou à ce que les modernes rangent sous la signification 'grammaticale'. Chez Aristote et ses commentateurs, c'est le verbe composé prossēmaínein, traduit ici par 'sursignifier', qui réfère par excellence au deuxième type de signification; il reçoit pour compléments, notamment, le temps verbal, la fonction copule, divers quantificateurs. Chez les grammairiens (l'étude porte ici sur l'usage d'Apollonius Dyscole), prossēmaínein n'apparaît plus, mais d'autres composés de sens technique font référence à divers aspect de la sémantique 'grammaticale': sussēmaínein, 'consignifier' désigne par excellence le mode de signifier des prépositions, des conjonctions et des articles, dont le sens est flexible et dépendant du contexte grammatical étroit où ils apparaissent; paruphístasthai, qui peut souvent se traduire être signifié conjointement', se dit alors de la signification grammaticale (personne, nombre, modalité, etc.) qui s'associe dans une forme fléchie à la signification lexicale portée par le lexème (on est proche ici du prossēmaínein aristotélicien); paremphaínein, qui renvoie aussi avec prédilection aux accidents grammaticaux, s'oppose à paruphístasthai, de diathèse médio-passive, par sa diathèse toujours active. Quant à l'ancêtre matériel du syncatégorème médiéval, le mot grec sunkatēgórēma, totalement absent des textes grecs qui nous sont parvenus, il n'est attesté que dans un témoignage de Priscien, selon qui le mot désignait, chez les 'dialecticiens', par opposition au nom et au verbe, seules véritables parties du discours, tous les autres mots en tant que 'consignifiants'. On n'est sans doute pas loin ici du sussēmaínein d'Apollonius.As early as Aristotle's times, a distinction is made between full, autonomous signification typically, that of nominal and verbal lexemes •and adjacent, associated, 'accidental' signification, which basically corresponds to what modern grammarians refer to as 'grammatical' signification. In the works of Aristotle and his commentators, this second type of signification is called prossēmaínein, a compound verb translated here by 'sursignifier' (to 'signify additionally'); its complements are, notably, verb tense, the copula, various quantifiers. In the works of the grammarians (our study focuses on Apollonius Dyscolus), prossēmaínein is no longer present, but other compounds with technical meanings refer to various aspects of 'grammatical' semantics: sussēmaínein (i. e. 'consignifier', to 'consignify') is used for the signifying mode of prepositions, conjunctions, articles, whose significations are flexible and depend on the narrow grammatical context in which they appear; paruphístasthai, which may be translated as 'to be jointly signified', designates the grammatical signification (person, number, modality, etc.) which is associated, in an inflected form, to the lexical signification borne by the lexeme we are here close to prossēmaínein, as used by Aristotle; paremphaínein always active which also essentially refers to grammatical accidents, is opposed to paruphístasthai, always medio-passive. As for the material ancestor of the medieval sunkatēgórēma, the Greek word is totally absent from the Greek texts that have come down to us. It is attested only in a testimony by Priscian: according to him, for the 'dialecticians', sunkatēgórēma meant any word, as far as it is a 'consignifying' word, apart from and opposed to nouns and verbs 'the only true parts of speech. Its meaning is most probably not very far from Apollonius's sussēmaínein.
- Varron et Priscien : Autour des verbes Adsignificare et Consignificare - Alessandro Garcea, Valeria Lomanto p. 33-54 Après avoir analysé les occurrences des verbes adsignificare (calque du grec prossēmaínein) et consignificare (calque de sussēmaínein) chez Varron et chez Priscien, nous nous proposons de mettre en lumière la structure de leurs systèmes des partes orationis. Des critères d'ordre différent sont exploités: vériconditionnel (sujet et prédicat d'un énoncé assertif minimal), sémantique (constituants sémantiques / constituants asémantiques), énonciatif (parties indépendantes / parties consignifiantes). Chaque critère est évoqué par des métaphores (navire, quadrige, organes principaux et organes secondaires du corps humain) opposant les logiciens aux grammairiens. Varron privilégie une simplification des critères, dont il ne retient que les seuls temps et cas, propriétés primitives en philosophie du langage; Priscien, quant à lui, superpose plusieurs paramètres, en dressant des classifications hétérogènes, dont les commentateurs médiévaux auraient mis en évidence les contradictions.After analysing the occurrences of the verbs adsignificare (loan translation of the Greek prossēmaínein) and consignificare (loan translation of sussēmaínein) in Varro's and Priscien's works, we will focus our attention on the structure of the systems of partes orationis formulated by these two authors. Different parameters are used: vericonditional (subject and predicate of a minimal assertive proposition), semantic (semantic / asemantic constituents), declarative (independent / consignificant parts). Each parameter is recalled by metaphors (ship, quadriga, primary and secondary organs of the human body) which oppose the logical approach to the grammatical one. Varro proposes a simplification of the taxonomic criteria, by retaining only time and case, the basic properties in the philosophy of language; Priscian, who superimposes many parameters, conceives heterogeneous taxonomies, which the Medieval commentators will
- Priscien Boèce, les Glosulae in Priscianum, Abélard : les enjeux des discussions autour de la notion de consignification - Irène Rosier-Catach p. 55-84 Le terme syncategorema, traduit par consignificantia, n'est attesté en grec que dans les Institutiones en latin du grammairien Priscien, et ne s'introduit qu'au XIIe siècle dans les commentaires grammaticaux, le couple syncategorema / categorema datant de la fin du XIIe siècle. La réflexion se mène d'abord autour des termes de la famille de consignificare. L'héritage antique est multiple et varié. Priscien utilise, de manière contradictoire, un critère fonctionnel (est consignifiant ce qui n'est pas une des parties principales), un critère sémantique (être partie du discours c'est indiquer un concept de l'esprit), un critère d'autonomie de signification (est consignifiant ce qui n'est pas signifiant par soi-même). Boèce utilise la notion en cinq acceptions, qui s'appliquent à des catégories différentes de termes ou de morphèmes: les prépositions et conjonctions, les parties du composé, le temps, le verbe être, les quantificateurs. Les Glosulae sur Priscien à la fin du XIe siècle, et surtout dans la révision ultérieure attribuable à Guillaume de Champeaux, retiennent que les parties consignifiantes signifient la chose signifiée par le mot auquel elles sont adjointes. Abélard, lisant ces gloses, hésite: la solution des grammairiens est problématique, mais si, comme le veut Boèce, les parties consignifiantes n'avaient pas de signification, on ne pourrait expliquer leur rôle sémantique dans l'intellection totale de la proposition. À partir de là, il proposera la solution, réellement novatrice, appliquée d'abord à la copule et élargie aux autres parties consignifiantes, qu'elles correspondent à un «acte de l'esprit».The term syncategorema, translated by consignificantia, only exists in Greek in the Latin Institutiones of the grammarian Priscien, and is introduced in the XIIth century in the grammatical commentaries, the couple of terms syncategorema / categorema emerging even later, at the end of the XIIth century. Thus the discussions first focus on the terms connected to consignificare. The antique heritage is multiple and diversified. Priscien uses, in a contradictory way, a functional criterium (a part which is not one of the main parts of speech is consignifying), a semantic criterium (to be a part of speech is to indicate a concept of the mind), a criterium of autonomous meaning (something is said to consignify if it does not signify by itself). Boethius uses the notion in five different ways, applying to various terms or morphemes: prepositions and conjunctions, parts of a compound, tense, the verb to be, quantifiers. The Glosulae on Priscian, at the end of the XIth century, and especially in the later revision by William of Champeaux, claim that the consignifying parts signify the thing signified by the word to which they are attached. Abelard, reading those gloses, hesitates: the grammarian's solution is not satisfactory, but if, as Boethius wants it, the consignifying parts did not have any meaning, then it would not be possible to explain the semantic role they have in the intellection of the whole proposition. He will thus devise a really innovative solution, which he applies first to the copula and then extends to the other consignifying parts: they correspond to a «mental act».
- Les syncatégorèmes au XIIIe siècle - Frédéric Goubier p. 85-113 Si les syncatégorèmes restent au XIIIe siècle ce qu'ils étaient auparavant des mots qui, dépourvus d'autonomie sémantique, dépendent des autres, à savoir les catégorèmes le cadre dans lequel ils sont appréhendés change. La dépendance sémantique qui caractérise les syncatégorèmes s'inscrit dans une approche compositionnelle du langage naturel: ils déterminent le terme qui les complète et, ce faisant, ils modifient les conditions de vérité de la proposition. La description d'un syncatégorème passe donc avant tout par l'analyse des impacts qu'il peut avoir sur une proposition en fonction de la composition de celle-ci. À chaque impact correspond une architecture propositionnelle précise, représentée le plus souvent par une «phrase-type», un sophisma. Au total, les caractéristiques d'un syncatégorème, ou plus précisément de la classe de phénomènes dont il est le porte-drapeau (distribution, exclusion, etc.) correspondent à une collection de problématiques analysées au sein d'une sémantique plus ou moins formelle du langage naturel.In the 13th Century, the syncategoremata remain what they were previously: words which, because of their lack of semantic autonomy, depend upon others namely, the categoremata. But the framework within which they are studied changes. If being semantically dependent is still their main lexical feature, this dependence has to be considered insofar as it pertains to a compositional approach. By determining the term which «completes» them the syncategoremes modify the proposition's truth conditions; the different modifications they can effect according to their syntactical environment constitute the lens through which they are mainly studied. The impacts they can have each correspond to a propositional configuration, usually figured via a type sentence a sophisma. The collection of sophismata matches the list of the syncategoremes' features, that is to say, a list of problems analyzed within a formal semantics of natural language.
- La sémantique des syncatégorèmes chez Walter Burley (1275-1344) et Richard Brinkley (fl. 1365) - Laurent Cesalli p. 115-144 Le présent article cherche à circonscrire la contribution sémantique propre des syncatégorèmes située entre la pure et simple absence de signification et la signification pleine ou autonome des catégorèmes en se fondant sur des textes de deux auteurs réalistes du XIVe siècle. On examinera également le rapport entre termes dénominatifs et syncatégorèmes, ainsi que ce syncatégorème particulier qu'est la copule, ce qui nous conduira à considérer la relation existant entre sémantique des syncatégorèmes et sémantique des propositions. En conclusion, on formulera l'hypothèse selon laquelle il existe un «régime sémantique syncatégorématique» commun aux syncatégorèmes, aux dénominatifs et aux propositions, dont la particularité est de présenter une structure binaire comprenant une «place vide» comme constituant essentiel.The aim of the present paper is to describe the syncategoremes' genuine semantic contribution located between the mere lack of signification and the categoremes' complete or autonomous signification basing our work on some texts written by two 14th century realist philosophers. We will also consider the syncategoremes' relation to denominatives as well as to the copula, which will lead us to investigate the link existing between syncategoremes' semantics and propositional semantics. In conclusion, the hypothesis will be formulated that there is a «syncategorematic semantic regime» common to syncategoremes, denominatives and propositions, whose peculiarity is to show a binary structure including an «empty space» as an essential constituent.
- Guillaume d'Ockham et les syncatégorèmes mentaux : la première théorie - Claude Panaccio p. 145-160 Dans un court passage de son Commentaire des Sentences (Ordinatio I, dist. 2, quest. 8), Guillaume d'Ockham, en réponse à une objection, expose une théorie de l'origine des concepts syncatégorématiques dans l'esprit qui a beaucoup étonné les commentateurs récents. Selon cette approche, les concepts syncatégorématiques seraient dérivés des syncatégorèmes linguistiques par un processus complexe de réaffectation, qui prend sa source dans la représentation mentale des mots. Ockham a par la suite abandonné cette position, qu'il associait à sa première théorie des concepts en général (la théorie dite des ficta), mais elle n'en est pas moins remarquable sur le plan philosophique. On s'emploie ici à élucider le mécanisme cognitif ainsi postulé par le venerabilis inceptor, par un examen détaillé de l'unique développement qu'il y ait jamais consacré.In a short passage of his Commentary on the Sentences (Ordinatio I, dist. 2, quest. 8), William of Ockham, in reply to an objection, offers a theory of the origin of syncategorematic concepts in the mind which has brought about much surprise among recent commentators. According to this approach, syncategorematic concepts are derived from linguistic syncategoremata through a complex process of re-assignment, grounded in the mental representation of words. Ockham later abandoned this position, which he associated with his former general theory of concepts (the so-called theory of ficta), but it is nevertheless philosophically quite remarkable. The object of this paper is to elucidate the cognitive mechanism thus conjectured by the Venerabilis Inceptor, by scrutinizing the only exposition he ever made of it.
Discussions
- Simboli, voci, oggetti et similia. Note di discussione su : F. Lo Piparo, Aristotele e il linguaggio. Cosa fa di una lingua una lingua, Roma-Bari, Laterza, 2003 - Costantino Marmo, Stefania Bonfiglioli p. 161-194 Cet article a pour but de lire et d'interpréter encore une fois le célèbre incipit du De interpretatione, à travers une reconsidération du signifié de quelques termes aristotéliciens essentiels, comme, par exemple, sýmbolon, sunth 'kē et phōn'. Le départ de la note est constitué par un livre de Franco Lo Piparo, Aristotele e il linguaggio, qui est très fécond dans cette direction, en vertu de son approche philologique et comparative par rapport à de nombreux autres textes peripatéticiens, pas seulement ceux qui sont consacrés aux questions linguistiques. L'article suit deux lignes principales. La première prête attention au rôle que la théorie d'Aristote sur l'articulation linguistique, axée autour du terme grámma, peut avoir joué dans sa sémantique, et, en outre, dans toute théorie grammaticale ultérieure. La deuxième envisage les problématiques de la référence et leur possible influence sur le débat moderne: celle du prâgma, considéré d'un point de vue sémiotique, et non pas ontologique comme c'est l'usage, et celle de l'homoíōsis, dont la nouvelle traduction par «similarité» va impliquer beaucoup de questions concernant l'iconicité.The aim of this paper is to read and interpret once again the famous beginning of De Interpretatione, reconsidering the meaning of some basic Aristotelian terms such as, for instance, sýmbolon, sunth 'kē and phōn'. The starting point is a book written by Franco Lo Piparo, Aristotele e il linguaggio, which gives many suggestions in this direction through a philological and comparative approach to many Aristotelian texts, not only those explicitly devoted to linguistic issues. The paper follows two main lines of analysis. The first pays particular attention to the role which Aristotle's theory of linguistic articulation, focused on the term grámma, might have played in his semantics, and later on all grammatical theories. The second deals with the issues of reference and their possible influence on the modern debate: that of prâgma, considered not in the usual ontological way but in a semiotic way, and that of homoíōsis, whose translation by similarity involves several questions about iconism.
- Simboli, voci, oggetti et similia. Note di discussione su : F. Lo Piparo, Aristotele e il linguaggio. Cosa fa di una lingua una lingua, Roma-Bari, Laterza, 2003 - Costantino Marmo, Stefania Bonfiglioli p. 161-194
Lectures et critiques
Comptes rendus
- Darbo-Peschanski Catherine. Constructions du temps dans le monde grec ancien, 2000 - Létoublon Françoise p. 195-199
- Walter Burley. Quaestiones super librum Posteriorum, 2000 - Cesalli Laurent p. 199-204
- Nina Catach. Histoire de l'Orthographe française, 2001 - Chevalier Jean-Claude p. 204-206
- Claude Gruaz et Renée Honvault. Variations sur l'orthographe et les systèmes d'écriture. Mélanges en hommage à Nina Catach, 2001 - Chevalier Jean-Claude p. 206-207
- Jürgen Trabant, Sean Ward (Eds.). Trends in Linguistics. New Essays on the Origin of Language, 2001 - Saint-Gérand Jacques-Philippe p. 207-209
Notes de lecture
- Pruvost Jean. Les dictionnaires de langue française, 2002 - Delesalle Simone p. 210-210
- Ogereau F. J.-B. Gourinat [Trad.]. Essai sur le système philosophique des stoïciens, 2002 - Garcea Alessandro p. 210-211
- Choi Yong-Ho. Le problème du temps chez Ferdinand de Saussure, 2002 - Fehr Johannes p. 211-211
- Françoise Etienvre. Rhétorique et patrie dans l'Espagne des Lumières. L'oeuvre linguistique d'Antonio de Capmany, 2001 - Guilhaumou Jacques p. 212-212