Contenu du sommaire : Genèse du comparatisme indo-européen
Revue | Histoire, Epistémologie, Langage |
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Numéro | vol.6, n°2, 1984 |
Titre du numéro | Genèse du comparatisme indo-européen |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Genèse du comparatisme indo-européen. Daniel Droixhe [Dir.]
Articles
- Avant-propos - Daniel Droixhe p. 5-16
- Adrianus Schrieckius : de la langue des Scythes à l'Europe linguistique - Pierre Swiggers p. 17-35 Adrianus Schrieckius De la langue des Scythes à l'Europe linguistique. Le but de cet article est d'examiner en détail l'argumentation d'un auteur de l'école flamande Adrian von Schrieck, ou Schrieckius (1560-1621). Schrieckius procède en historien de la civilisation indo-européenne; il s'efforce de montrer que la langue scytho-celtique ou belge a été la première langue après la confusion de Babel. Il opère une segmentation des formes des mots originaires; la liste des segments ainsi obtenus est alors comparée aux éléments des différentes langues. Les segments sont donc des formes universellement récurrentes.This paper presents a detailed analysis of the reasonnings of an author belonging to the Flemish School, Adrian von Schrieck or Schrieckius (1560-1621). His line of arguments is that of an historian of the indo-european civilization. He endeavours to show that the Scytho-celtic or Belgian tongue was the first to be found after the confusion of Babel. He carries out a segmentation of the word-forms of the original language; the resulting list of segments is then applied ta the words of various languages. These segments are therefore seen as universally recurrent forms.
- Quelques repères pour l'histoire de la notion de vocabulaire de base dans le précomparatisme - Jean-Claude Muller p. 37-43 Quelques repères pour l'histoire de la notion de vocabulaire de base dans le précomparatisme. Dès 1643 J. de Laet critique la comparaison des langues par permutation de lettres, et lui oppose des listes de mots choisis (parties du corps, noms de nombre, de parenté, de lieux). De nombreux auteurs ont adopté cette dernière méthode (Schulze, Bayer, Coeurdoux, Monboddo, etc.). Les similitudes toutefois sont généralement expliquées par l'emprunt, et la méthode ne portera véritablement ses fruits que lorsque l'on adoptera le modèle généalogique.As early as 1643 J. de Laet criticized the technic of comparing languages, based on the permutation of letters, and substituted a method of comparing lists of selected words (names for parts of body, numbers (one to ten), kindship and places). Numerous authors adopted the latter method (Schulze, Bayer, Coeurdoux, Monboddo, etc.). However, similitudes were generally explained on the basis of linguistic borrowing and the method became fruitfull only once the genealogical model was adopted.
- Adrien Reland à la recherche d'une méthode comparative - Michel Bastiaensen p. 45-54 Adrien Reland à la recherche d'une méthode comparative. A partir du vocabulaire utilisé par l'orientaliste Adrien Reland (1676-1718) pour désigner l'analogie, la convenientia entre éléments de différentes langues ou d'un même parler, on montre comment s'ébauche une méthode critique visant à déterminer les rapprochements pertinents. Si la correspondance peut être enregistrée de manière neutre, des critères permettent de supposer une cognatio (entre mots plutôt qu'entre langues), un rapport d'identité ou d'apparentement: proximité géographique, attention aux réalités spécifiques qui sont désignées, primat d'un certain type de vocabulaire de base, respect des relations qui inscrivent tel mot à l'intérieur de telle langue, etc. La référence à l'hébreu-langue mère (même formelle) et la timidité des règles phonétiques proposées limitent l'entreprise. Le sentiment qui domine est celui d'un langage tissé d'occultes correspondances. Mais un souci de rigueur, commandé par un solide bon sens, se fait jour, dans les incertitudes et l'évolution de l'expression. L'oeuvre de Reland prend place parmi les préliminaires indispensables à la constitution d'un comparatisme scientifique.On the basis of the terminology which the orientalist Adrien Reland (1676-1718) used to refer to analogy (the convenientia between various elements from different languages or from the same idiom) the author describes the construction of a critical method aiming at specifying the relevant compariso. n. One given correspondance may be simply neutrally noted; however there are criteria which allow the hypothesis of a cognatio (between words rather than between languages), an identity, or family relationship: these can be, geographical neighbourood, a special attention to the specifie realities that are referred to, the priority given to a certain kind of basic vocabulary, a qualification of the relationships which signal the belonging of a word to a given language, and so on. The attempt is hindered by the reference (even a formaI one) to hebrew as the mother language and the weakness of phonetic rules. The prominent feeling is that language is built upon a network of hidden correspondences. Through the hesitations and mutations of the terminology, however, then emerges a concern for coherence grounded in common sense. Reland's work may be ranked among the preliminaries necessary to the formation of scientific comparative linguistics.
- Linéaments d'une linguistique historique et comparée en Russie au XVIIIe siècle - F.M. Berezin p. 55-67 Linéaments d'une linguistique historique et comparée en Russie au XVIIIe siècle. Le courant général qui poussait, au XVIIIe siècle, vers l'étude historique et comparée des langues montre ses possibilités, en Russie, dans l'oeuvre de V. N. Tatiscev (1686-1750) et M. N. Lomonossov (1711-1765). Le premier souligne l'utilité de l'étude linguistique pour celle de l'étude des peuples. Ainsi l'unité d'une famille slave déjà bien identifiée est établie sur la base d'apparentements lexicaux (notamment dans son dialogue de deux amis sur l'utilité des sciences et des écoles de 1733). Tatiscev évalue l'action de divers facteurs de différenciation d'une même langue de base: dissémination géographique, contacts culturels imposés par la guerre ou la domination, échanges commerciaux. Il tâche de cerner la notion d'emprunt. Il distingue pour le vaste domaine qui l'occupe, trois nations-mères ayant donné lieu à des familles linguistiques: les Scythes (= groupe tartare), les Sarmates (= en particulier les langues finno-ougriennes) et les Slaves. S'y ajoute un groupe de «langues étranges». Lomonossov aborde le problème à un niveau plus général. Il insère le langage dans l'activité sociale et souligne en lui le reflet d'un environnement naturel en évolution. On possède des notes et brouillons pour une Lettre sur la similitude et l'évolution des langues (1755): s'y manifeste une conscience nette de l'unité historique des langues européennes, à travers la comparaison entre des équivalents latins, grecs, allemands et russes.The potentialities of the general Eighteenth-Century trend which tended towards the historical and comparative study of languages appears in Russia inworks of V. N. Tatiscev (1686-1750) and M. N. Lomonossov (1711-1765). The former emphasizes the relevance of linguistic studies for the inquiry about the origine of peoples. Thus, the unity of an already correctly identified slavic family is established on the grounds of lexical kindship (especially in his Dialogue de deux amis sur l'utilité des sciences et des écoles de 1733). Tatiscev evaluates the role of various differentiating factors for one basic language: geographicai spreading, cultural contacts forced by ware or political domination, trading relationships. He endevears to delineate the concept of borrowing. Con cerning the largedomains he deals with, he distinguishes the mother-nations which gave rise to as many language families: the Scythians (the Tartar group), the Sarmatians (yielding in particular the Finno-ougric languages) and the Slaves. To these is added a group of «stranges languages». Lomonossov tackles the problem from a more general view point. He inserts language into the domain of social activities and amphatizes the reflection in language of natural, evolving environment. We have ms notes and the draft of a Lettre sur la similitude et l'évolution des langues (1755), a work which, through the comparison of Latin, Greeck, German and Russian equivalents, testified to his consciousness of the historical identity of the european languages.
- Zur Geschichte der Satzgliedlehre. Die Grammatiktheorie des Abbé Girard - Ursula Brausse p. 69-81 Zur Geschichte der Satzgliedlehre. Die Grammatiktheorie des Abbé Girard. L'abbé Girard, surtout connu par ses travaux sur la synonymie (1718), a publié une grammaire particulièrement originale (1747). On y rencontre des conceptions typologiques (langue analogue vs langue transpositive), qui seront le point de départ de recherches qui s'épanouiront au siècle suivant. Sa conception des relations grammaticales le conduira à développer une terminologie propre et assez lourde, qui ne sera guère adoptée par ses successeurs. C'est le fonctionnement du système sous-jacent à cette terminologie, que l'on s'efforce de décrire ici, en partant de l'idée fondamentale selon laquelle l'analyse grammaticale doit avoir pour visée initiale, le fractionnement de la phrase.The abbé Girard, who is best known for his work on synonyms (1718), published a particularly original grammar (1747) wherein can be found typological conceptions (analoguous vs transpositive languages); these conceptions served as starting point for inquiries developped in the following century. His ideas of grammatical relations, will lead him to build an original, and rather cumbesome terminology, which his followers will not adopte Thispaper describes the organisation of the system underlying this terminology; this system is based upon the idea that grammatical analysis should initially aim at decomposing the sentence.
- Sir William Jones, Persian, Sanskrit and the Asiatic Society - Garland Cannon p. 83-94 Cet article commence par examiner la Grammaire of the Persian Language (1771) de William Jones dont le propos pédagogique était la formation linguistique et culturelle des administrateurs et militaires européens dans l'Inde. Offrant un autoenseignement, elle suggérait aussi le recours aux informateurs indigènes. Bien que Jones ne pût obtenir l'aide financière de la East India Company, sa grammaire devint un modèle pour des travaux systématiques sur des grammaires d'autres langues orientales (Arabe, Hindi, Persan). On décrit ensuite les buts et le travail de la Asiatic Society (fondée en 1784) liés à ses projets de recherche sur l'Asie, généralement inexplorée à l'époque. La politique coloniale britannique conduisit Jones à apprendre le Sanscrit pour constituer un condensé des lois rassemblées dans les Vedas. Ceci conduisit à la célèbre formulation de 1786, fondatrice du comparatisme, et aussi indirectement au système de translitération élaboré par Jones, qui ouvrait la voie à l'API. La Grammaire de Jones exerça une influence primordiale dans le travail linguistique de l'Asiatic Society, dans lequel le Sanscrit avait rejoint le Persan. L'accent · mis sur le Persan favorisa la formation de la tradition Persanne dans l'Inde. L'insistance sur le Sanscrit eut pour conséquence que la Société négligea les vernaculaires comme l'Indi ou le Bengali et fit peu pour répandre l'usage de l'Anglais. Une bonne partie du travail révèle une conception humaniste et philosophique de la linguistique appliquée. La place des membres de la Société dans l'Administration Anglaise leur permit d'exercer une influence considérable sur la politique linguistique dans l'Inde.Garland CANNON: Sir William Jones, Persian, Sanskrit and the Asiatic Society. This paper first examines Jones' pedagogical Grammar of the Persian language (1771) designed for language instruction, edification and entertainment of european administration and army personnal going to India; its generally self-teaching method specified simultaneous work with a native informant. Although Jones was unable to secure financial assistance from the East India Company, his Grammar became a model for authors of other systematic and accurate language leading grammars of oriental languages (Arabic, Hindustani, Persian). The paper then describes the aim and work of the Asiatic Society (founded by Jones in 1784) in its projected investigation of a generally unexplored Asia. The British colonial policy (governing Indians by Indian laws and customs) led Jones to learn Sanskrit in order to provide a digest of the laws from the Vedic. This led to the famous 1786 formulation founding comparative linguistics and indirectly to the Jonesian splein of transliteration, a step toward IPA. Jones' Grammar was often a primary influence in the Asiatic Society's linguistic work in which Sanskrit had now joined Persian and Arabic. The Society's step on Persian aided the tradition of Persian in India; with its emphasis on Sanskrit, the Society neglected vernaculars like Hindustain and Bengali and did little to stread the use of English. Their work reveals an early, philosophically-based humanist conception of applied linguistic. The Society members' importance in the English Administration gace them considerable influence in language policy-making in India.
- Etymology against grammar in the early 19th century - Henry M. Hoenigswald p. 95-100 Cet article discute de la véritable place de W. Jones dans l'histoire de la grammaire comparée, en s'opposant à la manie des précurseurs. C'est la réputation de Jones comme traducteur et comme champion de l'indianisme qui a donné une grande autorité aux quelques pages qu'il rédige sur l'origine des langues indo-européennes. Mais les discussions techniques qui ont été poursuivies par A. W. Schlegel et W. von Humboldt sont d'une tout autre importance.Etymology Against Grammar in the Early 19th Century. Against the «manie des précurseurs», this paper deals with the question of W. Jones's exact place in the history of the comparative linguistics. Jones's reputation as a translator and as the champion of India gave a great authority to his words on the origine of Indo-European languages. But,. in fact the technical discussions which was carried out by A. W. Schlegel and W. von Humboldt, are altogether different in importance.
- Adelung discovers the languages of Asia - George J. Metcalf p. 101-115 Adelung est un excellent exemple de la façon dont les théories peuvent influer sur l'interprétation des · faits. Quand il traite les données empiriques, Adelung ne suit pas les principes pragmatiques qu'il a posés. Sa théorie de l'origine et du développement du langage humain est mise en relation avec les variations linguistiques, tant spatiales que temporelles. L'application de sa théorie aux langues de l'Asie lui permet de localiser le Paradis originel et de découvrir la «Ursprache» elle-même. Pour finir, l'auteur présente quelques remarques sur l'évaluation du sanscrit faite par Adelung et sur ses relations avec Sir William Jones.Adelung Discovers the Languages of Asia. Adelung provides an excellent example of how theories can influence the interpretation of factual evidence. Adelung did not follow his proclamed pragmatic approach to the linguistic material he was dealing with. His theory of the origin and development of human speech is related to variation in language, both in time and place. The application of his theory to the languages of Asia, enabled him to locate the original Paradise and to find the «Ursprache» itself. Finally, some remarks are made on his evaluation of Sanskrit and his relations to Sir William Jones.
- Langue primitive et comparatisme dans le système de Carlo Denina - Claudio Marazzini p. 117-129 Langue primitive et comparatisme dans le système de Carlo Denina. De nos jours, La clef des langues (1804) de C. Denina est un ouvrage connu des spécialistes: il a été présenté dans Historiographia Linguistica 1983-1/ 2. Dans ce nouvel article, je traite des caractéristiques du comparatisme de Denina. Il était guidé par un sens aigu de l'histoire; Denina fondait son enquête sur la recherche de données concrètes. A son sens, le problème de la langue primitive était dépassé; il était nécessaire de ne comparer que les langues ayant une origine commune assurée. Au cours de cette comparaison, il rechercha les règles constantes (ou «clefs») de chaque langue; ces règles sont l'un des principaux objets de recherche parce qu'elles permettent de reconnaître les changements prévisibles différenciant les langues d'origine commune. Denina (comme Turgot) élabora donc une théorie proche des lois phonétiques, dégagée de tout universalisme et de toute symbolique du son.Nowadays, La clef des langues (1804) of C. Denina is known to scholars: it has been presented in Historiographia linguistica, 1983-1/ 2. My new intervention considers the characteristics of Denina's comparativism. He was guided by a strong sense of history; in fact Denina would found the inquiry on the research of concrete data. The problem of the primitive language was irrelevant. For Denina, it is necessary to compare only the languages that have a sure commun origine During this comparison he researched the constant mIes (or «clefs») of every language; these mIes are one of his principal objects of research, because they permit to recognize the foreseeable changes that differentiate the languages of commun origine So Denina (like Turgot) elaborated a theory similar to the sound laws, free from every universalism and from every explanation bound up with simbology of the sound.