Contenu du sommaire : Actualité de l'histoire sociale des idées politiques

Revue Raisons Politiques Mir@bel
Numéro no 67, août 2017
Titre du numéro Actualité de l'histoire sociale des idées politiques
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Actualité de l'histoire sociale des idées politiques - Mathieu Hauchecorne, Frédérique Matonti p. 5-10 accès libre
  • Dossier

    • Retour au concept : le structuralisme des Cahiers pour l'analyse - Frédérique Matonti p. 11-29 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les Cahiers pour l'analyse ont été fondés en 1966 – et ont disparu dans l'après Mai 68. La revue paraît ainsi dans une configuration intellectuelle et éditoriale dominée par des oeuvres unifiées sous le label « structuraliste ». Dirigée par un conseil de rédaction composé d'élèves de l'ENS Ulm (Jacques-Alain Miller, François Régnault, Alain Grosrichard, Jean-Claude Milner), rejoint par Alain Badiou, la revue donne une place prépondérante à Jacques Lacan et plus généralement à la psychanalyse. Mais elle est également partie prenante de la stratégie politico-intellectuelle d'Althusser, auteur l'année précédente de Pour Marx et Lire Le Capital. En ce sens, la revue est l'exemple le plus abouti de la politisation du structuralisme à la veille de Mai 68, soit la mise en équivalence de la radicalité politique et de la radicalité intellectuelle. Mais les Cahiers traitent aussi de philosophes politiques (Machiavel, Rousseau) ou des écrits politiques des philosophes classiques (comme Hume et Descartes), de même qu'ils choisissent la philosophie du concept (Canguilhem) contre la phénoménologie (notamment sartrienne). En s'appuyant sur le contenu de la revue mais aussi sur des entretiens déjà publiés avec ses animateurs, l'article montre comment il s'agit, contre l'offensive des sciences de l'homme, de redonner à la philosophie une place prépondérante.
      Return to the concept: the structuralism of Cahiers pour l'analyse
      The journal Cahiers pour l'analyse was created in 1966 – and disappeared after May 68. In these times, the intellectual and editorial configuration was dominated by texts gathered under the label of structuralism. Edited by a board of students at the École normale supérieure on Ulm street (Jacques-Alain Miller, François Régnault, Alain Grosrichard, Jean- Claude Milner), Alain Badiou joined in the end, the journal gave a great importance to Jacques Lacan and more generally to psychanalysis. But the journal was also a stakeholder of Althusser's political and intellectual strategy, one year after the publication of Pour Marx and Lire Le Capital. So, Cahiers pour l'analyse represents the most accomplished example of the politicization of structuralism at the eve of May 68, i. e. the equivalence between intellectual and political radicalisms. But the journal centered also on political philosophers (Machiavel, Rousseau) or the political writings of classical philosophers (like Hume or Descartes). As well, the board privileged the philosophy of concept (Canguilhem) upon the phenomenology (and moreover its sartrian interprÉtation). The article, by analyzing the content of the journal and published interviews of its authors, shows that the purpose was to give back the first place to philosophy as it was challenged by the social sciences.
    • Multitudes : aux origines d'une revue radicale - Antoine Aubert p. 31-47 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article revient sur la fondation en 2000 de la revue Multitudes. Portée par un groupe autour de Yann Moulier-Boutang, elle affiche dès son premier numéro sa proximité avec Antonio Negri, intellectuel italien alors en prison. Contrairement à d'autres revues comme Vacarmes ou Mouvements, qui sont plus directement issues des mouvements sociaux de 1995 et 1997, Multitudes affirme s'ancrer dans une autre temporalité. L'article entend interroger cette réalité en procédant à l'analyse des origines théoriques et politiques de Multitudes. Il s'agit alors, dans une perspective d'histoire sociale des idées, de réinsérer la revue dans les « années 1968 », moment où elle prend sa source et où les trajectoires d'Antonio Negri, Yann Moulier Boutang et Félix Guattari se croisent. Multitudes est ainsi issue d'une histoire des marxismes hétérodoxes, aussi bien trotskistes qu'opéraïstes, qui se forme dans les années 1970 et s'hybrident au fil des années 1980, moment de reflux militant et de crise théorique du marxisme.
      Multitudes: origins of a radical journal
      This article explains the foundation in 2000 of the journal Multitudes. Carried by a group around Yann Moulier-Boutang, Multitudes shows its closeness with the italian intellectual Antonio Negri who was in jail at this moment. Contrary to other journals as Vacarmes or mouvements which are more directly linked to the rise of social movements from 1995 to 1997, Multitudes claims its belonging to another temporality. This article intends to question this reality by proceeding to the analysis of the theoretical and political origins of Multitudes. Thanks to the method of social history of political ideas, the article reintegrates Multitudes within the context of “years 68” when it was born. Indeed, it is the moment when crossed the trajectories of Antonio Negri, Yann Moulier-Boutang and Felix Guattari. Multitudes arises from this history of unorthodox marxisms as trotskyism and operaism which starts during the 1970's and hybridize within the 1980's, when political struggles ebbed and marxisms collapsed.
    • La forme du collectif : Les Révoltes logiques, un cas de recomposition intellectuelle et militante dans l'après-68 - Ariane Revel p. 49-69 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article s'intéresse à une forme de travail intellectuel typique des années 1970, le collectif de recherche, à travers le cas des Révoltes logiques, collectif formé autour de Jacques Rancière et Jean Borreil entre 1975 et 1985, et de la revue qui en est issue. En travaillant à partir des numéros de la revue, mais aussi d'entretiens avec certains anciens membres du collectif de rédaction et d'archives liées à la vie du groupe, la recherche vise à montrer la manière dont les conjonctures militante et universitaire, et leur évolution, permettent de comprendre tout à la fois les trajectoires singulières des membres du collectif et la manière dont cette forme de travail émerge après 1968, se transforme dans les années 1970 et le début des années 1980, et finalement s'épuise. Les prises de position théoriques radicales qui sont celle des Révoltes logiques gagnent alors à être étudiées dans le cadre d'une histoire sociale des idées politiques qui prend en compte les positions des acteurs dans les différents champs auxquels ils appartiennent, et les effets de recomposition, tant sur le plan intellectuel que sur le plan militant, dont les recherches menées au sein du collectif sont tributaires.
      Working as a Collective. Les Révoltes logiques: a Case of Intellectual and Militant Recomposition After 68This article investigates a form of intellectual work typical of the 1970s, the “research collective”, studying the case of “Les Révoltes logiques”, a collective rallied around the philosophers Jacques Rancière and Jean Borreil between 1975 and 1985, and the journal that stemmed from it. Based on the content of the journal, on interviews with former members of the collective, and archives related to the life of the group, this research aims to show how changing militant and academic conjunctures make it possible to understand the singular trajectories of the contributors, on the one hand, and, on the other, how this form of work emerged after 1968, transformed during the 1970s and at the beginning of the 1980s, and ended finally exhausted. The radical theoretical positions assumed by the collective deserve therefore to be studied in terms of a social history of political ideas, which takes into account the positions of the actors in the different fields they belonged to, as well as the effects of the militant and intellectual recomposition on which the research carried out within the group depended.
    • Un « libéralisme scientifique » contre les gauches : La réception du néo-libéralisme américain en France dans les années 1970 - Kevin Brookes p. 71-94 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'objectif de cet article est de restituer les conditions de la réception des théories néolibérales américaines en France à partir de la trajectoire du groupe des « Nouveaux Économistes » qui en ont été les principaux promoteurs. Ce néo-libéralisme fonde sa légitimité sur les renouvellements méthodologiques et épistémologiques de la science économique aux États-Unis. Il prend la forme d'un « libéralisme scientifique » critiquant les défaillances de l'État en matière économique et sociale. Les médiateurs français du néo-libéralisme ont opéré un processus de retraduction et de réappropriation de cette idéologie pour l'adapter au contexte politique français, en privilégiant sa version radicalisée et positiviste théorisée sur les campus américains. Elle est alors mobilisée pour répondre aux contestations de la science économique et du capitalisme élaborées par des intellectuels du Parti socialiste, et se pose en critique du programme économique des gauches. L'article contribue d'une part à souligner la pertinence de la démarche contextualiste pour saisir la circulation transnationale des idées politiques, d'autre part à déshomogénéiser le néolibéralisme, en mettant en évidence la rupture idéologique qu'incarne ce moment de réception par rapport au néo-libéralisme d'inspiration ordo-libérale qui prévalait jusque-là.
      A “scientific liberalism” against the lefts. The reception of american neo-liberalism in France in the 1970sThe aim of this article is to understand the conditions of the reception of American neoliberalism in France based on a study of the trajectory of the “Nouveaux Économistes” who were its main proponents. This brand of neo-liberalism bases its legitimacy on the renewal of the methods and epistemologies of economics in the United States, which took the form of a “scientific liberalism” that criticised the failures of the State in the domains of the economy and society. The French intermediary of neo-liberalism translated and reclaimed this ideology in the French political context by putting forward its radicalised and positivist version which has been theorised at certain American universities. In turn it was used in opposition to contemporary critics of economics and capitalism formulated by some intellectuals within the Socialist Party and portrayed itself as an opponent of the economic agenda of the left in the wake of their electoral ascent. This article, on the one hand, underlines the relevance of the contextualist approach to the study of the circulation of political ideas, and on the other, “dehomogeneizes” neo-liberalism by making evident the ideological breach of the moment of its reception compared to the former prevailing neo-liberalism influenced by German ordo-liberalism.
    • Un néo-personnalisme transatlantique ? : La lecture par Paul Ricœur des philosophies rawlsienne et post-rawlsiennes - Mathieu Hauchecorne p. 95-118 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article prend pour objet la manière dont Ricoeur s'approprie les théories rawlsienne et post-rawlsiennes de la justice. Il entend notamment démontrer que la philosophie morale et politique que Ricoeur développe en lisant Rawls réfracte à bien des égards la position qu'il occupe au sein du champ religieux, et actualise à l'intérieur du champ de la philosophie française des années 1980 une intention politique et religieuse qui demeure proche du personnalisme et de l'existentialisme chrétien qui animaient Ricoeur dans sa jeunesse. Après être revenu sur la genèse du projet philosophique Ricoeurien dans les décennies d'après-guerre, l'article se centre sur l'étude comparée des livres 7 à 9 de Soi-même comme un autre et d'Amour et justice, pour y suivre la trace de cet ethos chrétien.
      A transatlantic neo-personalism? Paul Ricoeur's reading of rawlsian and post-rawlsian philosophies
      This article is concerned with Ricoeur's readings of rawlsian and post-rawlsian theories of justice. Its central argument is that the moral and political philosophy Ricoeur develops through his reading of Rawls refracts Ricoeur's position within the religious field and adapts to the requirements of the 1980s French philosophical field a political and religious intention which remains close to the personnalism and the christian existentialism of his youth. The article first considers the genesis of Ricoeur's philosophical project and then focuses on the books 7 to 9 from Soi-même comme un autre and Amour et justice, and investigates how they are informed by this Christian ethos.
    • Les intermédiaires dans la fabrique des idées économiques : L'économie aux Éditions Maspero et La Découverte au tournant des années 1980 - Jean-Michel Chahsiche p. 119-140 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article entend montrer l'intérêt de la notion d'« intermédiaires », qui désigne le travail de mise en relation de l'offre et de la demande d'un bien culturel, en histoire sociale des idées. Pour ce faire, on revient sur le renouvellement du volet économie du catalogue des éditions Maspero/La Découverte au tournant des années 80, alors que l'éditeur connaît d'importantes difficultés financières. Impulsé par François Gèze, qui succède définitivement à François Maspero en 1983, ce renouvellement du catalogue conduit à l'éviction de la littérature d'économie politique marxiste qui caractérisait l'édition économique chez Maspero dans les années 60-70. La ligne éditoriale adoptée par François Gèze et ceux qui l'entourent se caractérise par le développement d'une offre d'ouvrages pédagogiques (les collections « Repères » et « L'État du monde ») et la place centrale accordée à la jeune théorie de la régulation.Après être revenu sur les recompositions qui affectent les champs intellectuel, académique et éditorial et la position qu'occupent les éditions Maspero dans ces espaces, on s'attarde sur la trajectoire sociale de François Gèze, par contraste avec celle de François Maspero, afin de saisir les ressources et les contraintes qui pèsent sur le travail d'intermédiation. Enfin, les dernières parties reviennent sur le renouveau de la politique éditoriale en économie, et tentent de montrer que l'éviction des économistes marxistes du catalogue est moins le fruit d'un projet conscient des éditeurs que d'une politique éditoriale désormais orientée par la demande plutôt que l'offre intellectuelle, par contraste avec la période antérieure.
      The publishers in the making of economic ideas. The case of Maspero and La Découverte in the seventies and eightiesThis paper makes a case for the use of the notion of “intermediaries” (which refers to the practices of pairing supply and demand of a specific cultural good) in the social history of ideas. In that order, we focus on the renewal of the economic literature published by the Éditions Maspero/La Découverte at the beginning of the 1980's, as the publisher was close to bankruptcy. This renewal was led by François Gèze, who succeeded François Maspero at the head of the company, and resulted in the closing of the Marxist economics series that characterized the Éditions Maspero in the 1960-70's. The new animators of the publishing house favoured the development of pedagogic texts (the series “L'État du monde”, “Repères”) and gave a central place to the young regulation theory.The paper first underlines the transformations of the intellectual, academic and academic fields, and the position of the Éditions Maspero in those fields. In connexion with these structural transformations, we then focus on the social properties of François Maspero and François Gèze in order to grasp the resources and constraints that influence the intermediary work. In a second time, the article intends to show that the exiting of Marxist economics from the publisher's catalogue, rather than being the result of an ideological and conscious choice, is the result of an editorial policy now led by the anticipated needs of the demand, in contrast with the former period.
    • L'Europe sociale au ras du sol : Sociologie des pratiques ordinaires d'interprétation du traité de Rome - Karim Fertikh p. 141-163 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Histoire sociale des idées, l'article prend le traité de Rome pour objet et met en évidence des modes situés d'interprétation du traité dans ses dimensions sociales. Fondé sur une enquête archivistique portant sur une époque coïncidant avec la conclusion du traité et les premières années de la Communauté économique européenne, il part du principe que ce sont des actions quotidiennes qui fixent les possibilités d'intervention sociale des institutions nouvellement créées. Il explore ainsi les manières situées de lire le traité, et les enjeux auxquels ses interprètes s'affrontent et les expériences et routines qu'ils mobilisent pour se servir du traité.
      Social Europe au ras du sol. A Sociology of the Interpretations of the Treaty of Rome
      A social history of ideas, the article takes the treaty of Rome as its object and highlights modes of interpretation of the social dimensions of the treaty. Based on an archival inquiry on a period coinciding with the conclusion of the treaty and the first years of the European Economic Community, the article assumes that everyday actions determine the possibilities for social intervention of the newly created institutions. In this way, it explores the ways in which the treaty was read, the contemporary issues for its interpreters, and the experiences and routines they mobilized to make use of the text.
    • Le hacker et le professeur : Mise en débat de la propriété intellectuelle sur Internet aux États-Unis - Anne Bellon p. 165-183 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article s'intéresse aux échanges d'idées entre internautes militantes et professeurs de droit américains, autour d'une critique de l'extension de la propriété intellectuelle dans l'environnement numérique. Il montre comment la recherche juridique s'est nourrie de l'expertise et de l'expérience des premières communautés Internet, mais aussi comment les mobilisations qui accompagnent les réformes législatives et les batailles judiciaires contre les infractions aux droits d'auteur en ligne tissent des liens entre ces deux univers sociaux. Ces circulations contribuent à la légitimité et la visibilité des revendications politiques portées par les pionniers de l'Internet. Dans le champ juridique, elles entraînent l'émergence d'une nouvelle approche de la propriété intellectuelle et l'institutionnalisation progressive d'un domaine de recherche autour des droits de l'internaute dans la nouvelle économie numérique.
      The Hacker and The Professor. Questioning Intellectual Property on the Internet in the United States
      This article focuses on exchanges of ideas between Internet activists and legal scholars in the United States in order to question the extension of intellectual property in the digital world. It shows how the expertise and experience of virtual communities on the Internet has fueled legal research, and how protest movements against legislative reforms and legal prosecution to reinforce IP law has created new links between those two social environments. This circulation of ideas made political claims by Internet activists more visible and legitimate in the public space. In the judicial field, these ideas enable the appearance of a new approach of intellectual property law and the institutionalization of a new field of research around the definition of new rights in the digital economy.
  • Parcours de recherche

    • « Nous sommes peut-être beaucoup moins libres que nous le pensons » - Quentin Skinner, Astrid von Busekist, Mathieu Hauchecorne, Frédérique Matonti p. 185-203 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans cet entretien, Quentin Skinner revient sur son parcours et sur la manière dont se sont articulés son enseignement, ses recherches et son travail d'éditeur. Il précise la manière dont il conçoit l'articulation entre contexte social et contexte discursif dans l'étude de la pensée politique, ses positions vis-à-vis d'autres programmes de recherche comme celui de Leo Strauss ou le programme fort de la sociologie des sciences, et évoque la réception de son travail. En revisitant plusieurs thématiques qui jalonnent son oeuvre 202 - Entretien avec Quentin Skinner comme l'histoire de la conception néo-romaine de la liberté ou celle de la tradition rhétorique, il explicite enfin son rapport à la philosophie contemporaine.
      Interview with Quentin Skinner
      In this interview, Quentin Skinner comes back to his career and how his research activity has articulated with his teaching and his work as an editor. He makes clear how he conceives the connection between the social and discursive contexts in the study of political thought; he considers other research programs such as Leo Strauss's or the “strong programme” in the sociology of science; and he evokes the reception of his own work. As he reconsiders some of the thematics which structure his whole work (such as the history of the neo-roman conception of liberty or the circulation of the rhetorical tradition), he outlines how his historical work relates to contemporary philosophical debates.
  • Lectures critiques