Contenu du sommaire : Prises de parole : les discours subalternes
Revue | Raisons Politiques |
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Numéro | no 68, décembre 2017 |
Titre du numéro | Prises de parole : les discours subalternes |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Prises de parole : L'indocilité des discours subalternes - Orazio Irrera, Daniele Lorenzini p. 5-8
Dossier
- (P)rendre la parole - Philippe Sabot p. 9-22 Cet article propose une réflexion sur la relation entre discours disqualifiants et sujets disqualifiés telle qu'elle se laisse penser à partir de la catégorie de l'infamie que Foucault élabore dans le texte-programme de 1977, « La vie des hommes infâmes ». Nous montrons que les modalités de la construction discursive du sujet sous le double aspect d'un assujettissement et d'une subjectivation correspondent à deux formes possibles de ce que nous nommons des « sujets-limites ». Il s'agit par conséquent d'expliciter tout d'abord cette notion de « sujet-limite » et les formes-sujets différenciées qu'elle permet de déployer avant d'étudier, à partir des dossiers documentaires consacrés à Herculine Barbin et à Pierre Rivière, la manière dont de telles formes permettent de rendre compte de l'articulation de ces sujets à leur audibilité et à leur visibilité sociales.Speaking and giving back speech
This paper aims to question the relationship between disqualifying discourses and disqualified subjects such as it emerges from the elaboration of the category of “infamy” by Foucault in his text-program “The life of infamous men” (1977). We argue that the dual terms of the subject's discursive construction (subjection/subjectivation) correspond to two possible forms of what we call “limit-subjects”. Firstly, we explain the notion of a “limitsubject” and highlight the various subject-forms it allows to manifest. Then, we explore the documentary dossiers related to the tragic lives of Herculine Barbin and Pierre Rivière to point out how these subjects can be questioned about their social audibility and visibility. - Une manifestation sans manifeste ? : La voix précaire de Bartleby - Guillaume Le Blanc p. 23-32 L'article entend revenir sur les processus d'inaudibilité et d'invisibilité qui affectent les plus précaires. Dans ce contexte, il propose une nouvelle interprétation du Bartleby de Melville en s'employant à montrer que sa formule « I would prefer not to » peut être comprise comme le dernier stade d'une parole qui renonce à elle-même plutôt que comme la formulation d'une résistance. Généralisant ce cas littéraire, il propose une description du processus d'invisibilisation sociale qui caractérise les vies précaires rendues inaudibles du fait de leur précarité.A manifestation without manifest? Bartleby's precarious voice
This article focuses on the processes of inaudibility and invisibility that affect the most precarious individuals. In this context, it offers a new interpretation of Melville's Bartleby, showing that his claim, “I would prefer not to”, can be understood as the last stage of a speech renouncing to itself rather than as the expression of a resistance. Generalizing this literary case, it elaborates a description of the process of social invisibilization which characterizes the precarious lives made inaudible through their precariousness. - Être présent au monde : Prise de parole et « subjectivation politique noire » en France - Pauline Vermeren p. 33-46 Cet article propose d'analyser la « subjectivation politique noire » en considérant les « mouvements nègres » de l'entre-deux-guerres. Les acteurs en question, identifiés à une communauté noire, se sont inscrits dans l'espace politique par la prise de parole à travers une occupation inédite des lieux, créant ainsi un espace de visibilité. La difficulté à formuler le problème racial en France amène à considérer la nécessité d'un changement de mode de pensée afin de comprendre en quoi l'usage anthropologique, politique et économique du corps de ces individus perçus en tant que Noirs, et notamment les enjeux sociopolitiques liés au corps de ceux qui ont été nommés « Nègres », a tenté d'occulter toute forme de subjectivité et de rendre inaudible leur voix, leur parole et donc leur présence au monde. Par la création de cette scène politique, ou encore de cette scène raciale, deux problématiques peuvent être explorées : le silence sur la race et l'embarras de l'identité.This article aims to analyze the “black political subjectivation” through an exploration of the “negro movements” in the interwar period. Those actors, considered as a black community, inscribed themselves within the political sphere thanks to a prise de parole and an unprecedented occupation of places which created a space of visibility. The difficulty to give voice to the racial issue in France entails the necessity of a change in our way of thinking in order to understand how the anthropological, political and economic use of the body of those “black” individuals and in particular the socio-political stakes linked to the body of those who were called “Negros” tried to conceal any form of subjectivity and to make their voice, their speech and therefore their presence in the world inaudible. Through the creation of this political scene, or racial scene, two issues can be explored : the silence about race and the hindrance of identity.
- Prendre la parole et être entendu : Lectures de l'analyse arendtienne de l'espace public par Seyla Benhabib et Iris Marion Young - Katia Genel p. 47-63 Le modèle de l'éthique de la discussion élaboré par Jürgen Habermas, désormais une référence incontournable pour penser l'espace public démocratique, ne permet pas forcément de saisir qui parle, comment les choses sont dites et entendues, et comment ceux que Nancy Fraser appelle des « contre-publics subalternes » peuvent apparaître institutionnellement et jouer un rôle politique. Or, une partie des critiques émises à l'encontre du modèle habermassien s'appuient sur la théorie politique élaborée par Hannah Arendt qui, certes, s'attache à la prise de parole singulière dans un réseau collectif, mais se représente aussi l'espace politique comme la construction d'une égalité entre inégaux dans laquelle les particularités privées et sociales sont laissées en dehors du domaine politique qui tend à être considéré comme un lieu neutre. Nous étudions ici cette référence ambivalente à Arendt chez Seyla Benhabib et Iris Marion Young à travers leur analyse de la « pensée élargie », afin de voir si on peut, à partir du modèle arendtien, faire droit à la singularité des paroles dans leurs dimensions expressive et affective pour redéfinir l'espace public démocratique. La question est celle de savoir si ce souci du singulier et des différences permet le maintien d'une perspective critique, et notamment critique de la domination.Speaking and being heard. Seyla Benhabib and Iris Marion Young's readings of the Arendtian analysis of the public spaceJürgen Habermas' model of discourse ethics, which has become an unavoidable reference for thinking the democratic public space, is not necessarily able to take into account the specificity of the person who speaks, how things are said and heard, and how what Nancy Fraser calls “subaltern counter-publics” may appear institutionally and play a political role. Yet, some of the criticism of the Habermassian model is based on the political theory developed by Hannah Arendt, who certainly highlights the importance of the singular speech in a collective network, but also conceives of the political space as the construction of an equality between unequal individuals in which the private and social characteristics are left outside the political field which tends to be considered as a neutral place. We study here this ambivalent reference to Arendt in Seyla Benhabib and Iris Marion Young's writings through their analysis of the “enlarged thought” to see whether one can, within an Arendtian model, give an account of the singularity of the speeches in their expressive and affective dimensions in order to redefine the democratic public space. The question we ask is whether this concern for the singular and the differences allows for a critical perspective and, in particular, for a critique of domination.
- Briser le silence : La prise de parole entre infrapolitique et parrêsia - Orazio Irrera, Daniele Lorenzini p. 65-82 Cet article explore la possibilité de faire dialoguer les travaux de James C. Scott sur l'« infrapolitique » et de Michel Foucault sur la parrêsia à partir du problème de la prise de parole. Il s'organise notamment autour de trois questions majeures : la première porte sur les manières dont la prise parole peut (et vise à) tester les limites d'une configuration donnée de rapports de pouvoir ; la deuxième concerne la dimension (éthique) du courage qui est inscrite au c ur de la prise de parole ; la troisième se focalise sur l'exigence, pour toute prise de parole, de se référer à quelque chose comme une « vérité ». À travers la confrontation des perspectives de Scott et Foucault, il s'agit de mettre en lumière deux façons différentes de penser le lien entre les conditions politiques de l'éthique (en tant que travail « ascétique » de soi sur soi) et les conditions éthiques de la politique (en tant que réseau complexe et mobile de rapports de force).Breaking the silence. The prise de parole between infrapolitics and parrēsia
This article explores the possibility of putting into dialogue James C. Scott's works on “infrapolitics” and Michel Foucault's analyses of parrēsia starting from the problem of the prise de parole. It is organized around three main issues: the first one deals with the ways in which the prise de parole can (and aims to) test the limits of a given configuration of power relations; the second one concerns the (ethical) dimension of courage inscribed at the heart of the prise de parole; the third one focuses on the need, for every prise de parole, to refer to a certain “truth”. Thus, through the confrontation of Scott and Foucault's perspectives, this article aims to highlight two different ways of conceiving the link between the political conditions of ethics (as an “ascetic” work of oneself on oneself) and the ethical conditions of politics (as a complex and mobile network of force relations).
- (P)rendre la parole - Philippe Sabot p. 9-22
Varia
- Définir la guerre : le problème de la discontinuité de la violence - Adrien Schu p. 83-92 Pour distinguer la guerre de la paix, le critère traditionnellement retenu est celui de la réciprocité de l'emploi de la violence. Si ce critère est consensuel, il n'en est pas moins problématique. En effet, il apparaît que la guerre ne se spécifie pas par un usage ininterrompu de la violence ; bien au contraire, elle recouvre une succession de phases de violences bilatérales, de violences unilatérales et même d'absence de violence. En cela, il est en fait impossible de définir la guerre par l'effectivité de la violence mutuelle. Nous entendons promouvoir ici un autre critère de distinction entre la guerre et la paix, permettant de contourner le problème que pose le caractère discontinu de la violence mutuelle. Pour ce faire, nous nous appuyons sur la notion de « volonté de s'affronter », initialement promue par Thomas Hobbes, dont nous proposons une réinterprétation restrictive, à même de préserver une autre distinction classique, celle entre la guerre et ce que l'on appelle, dans le champ des relations internationales, l'état de guerre.Defining war: the problem of the discontinuity of violence
To distinguish between war and peace, the criteria traditionally put forward is the reciprocal use of violence. Despite this criteria being consensual, it is nonetheless problematic. Indeed, it appears that war does not imply the uninterrupted use of violence; on the contrary, it is made of a succession of phases of bilateral violence, unilateral violence, and even absence of violence. As a consequence, it is actually impossible to define war by the effectivity of mutual violence. This contribution intends to promote another criteria to distinguish between war and peace that will get around the problem posed by the discontinuous nature of mutual violence. To do so, we will draw on Thomas Hobbes' notion of “the known disposition to contend by battle? of which we will put forward a restrictive interpretation, so as to preserve the classical distinction between war and what is called, in the field of international relations, the state of war.
- Définir la guerre : le problème de la discontinuité de la violence - Adrien Schu p. 83-92
Lectures critiques
- Démocratiser les frontières - Benjamin Boudou p. 93-99
- Kolja Lindner, Die Hegemoniekämpfe in Frankreich. Laizismus, politische Repräsentation und Sarkozysmus, Hambourg, Argument, 2017, 304 pages - Niklas Plaetzer p. 100-106