Contenu du sommaire : Frontières de guerre, frontières de paix : nouvelles explorations des espaces et temporalités des conflits + Varia
Revue | L'Espace Politique |
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Numéro | no 33, 2017/3 |
Titre du numéro | Frontières de guerre, frontières de paix : nouvelles explorations des espaces et temporalités des conflits + Varia |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Frontières de guerre, frontières de paix : nouvelles explorations des espaces et temporalités des conflits
- Frontières de guerre, frontières de paix : nouvelles explorations des espaces et temporalités des conflits - Anne-Laure Amilhat-Szary, Amaël Cattaruzza Les frontières restent souvent associées dans les représentations géopolitiques traditionnelles à la notion de conflit. Ce numéro de L'Espace politique propose de questionner l'actualité de cette relation, en y ajoutant une réflexion sur la paix, qui reste moins travaillée en géographie politique. Il s'interroge d'abord sur la permanence de rapports de force aux frontières, dont le caractère westphalien perdure tout en se reconfigurant. Il dresse ensuite le constat, à travers différents cas d'études, d'un monde où les Etats ont perdu le monopole des politiques frontalières. D'autres acteurs (institution internationale, régionale, acteurs locaux) ont dans ce domaine un rôle croissant, et peuvent devenir facteurs de violence ou de rapprochement. Finalement, il revient sur l'influence des pratiques sociales, « par le bas », dans la transformation quotidienne des frontières, et leur caractère conflictuel ou pacifique.Borders remain associated to conflict in traditional geopolitical representations. This issue of L'Espace politique offers to question the current formulation of this relationship, adding to it a reflexion on peace, a notion much less explored by political geography. It first engages with the ongoing importance of power relations at borders, which Westphalian character persists while reconfiguring itself. It then assesses, through various case sutides, a world in which states have lost their monopoly over border management. Other stakeholders (international, regional or local actors) take a growing share of influence in this domain, becoming alternativement factors of violence or truce. Finally, the volume comes back to the influence of social practises and bottom-up initiatives in the everyday construction of borders, which in turn can endorse a pacific or conflictual.
1. La frontière comme rapport de force
- L'Ukraine ou les contours incertains d'un Etat européen - Denis Eckert La situation des frontières de l'Ukraine, Etat issu du démembrement de l'URSS en 1991, est d'une grande complexité. La crise politico-militaire de 2014, la déstabilisation du Donbass à l'Est et l'annexion par la Russie de la Crimée au Sud ont rendu le contrôle du territoire encore plus incertain. Une typologie systématique de ces situations frontalières est proposée, avec une réflexion sur la mise en place progressive des tracés actuels au cours de l'histoire. Cela permet de comprendre où la souveraineté de l'Etat ukrainien ne s'exerce que partiellement, et quels défis immédiats cette situation pose pour la stabilité interne du pays comme pour les Etats et puissances environnantes.The situation of the borders of Ukraine, a state that emerged from the breakup of the USSR in 1991, is extremely complex. The crisis of 2014, the destabilization of Donbas in the East, and Russia's annexation of Crimea in the South have rendered the control of the territory even more uncertain. A systematic typology of these situations is proposed, with a reflection on the progressive delineation of these borders in the course of history. This makes it possible to understand where the sovereignty of the Ukrainian state is exercised only partially, and what immediate challenges this situation poses for the internal stability of the country as for the surrounding states and powers.
- Faire frontière dans la paix : le Kosovo et la décentralisation de la concurrence ethno-politique - Carl T. Dahlman La résolution pacifique du conflit Kosovo-Serbie est restée insaisissable depuis deux décennies. De nombreuses propositions ont tenté de régler la question du statut du Kosovo pour créer une politique en paix en interne et avec ses voisins et prête à être intégrée dans une Europe élargie. Depuis la déclaration de l'indépendance du Kosovo en 2008, le principal moyen de résoudre la revendication territorial de la Serbie a été le processus de décentralisation: transférer l'autorité politique aux nouvelles municipalités avec majoritaires des minoritaires-ethniques. Les dialogues entre Belgrade et Pristina, parrainés par l'UE, ont abouti aux Accords d'avril 2013 et d'août 2015, qui permettraient à une communauté de municipalités à majorité serbe de créer une nouvelle entité gouvernementale, séparant le Kosovo des frontières ethnoterritoriales internes. Cet article utilise le concept de territorialité ethnopolitique pour examiner de manière critique (a) les origines historiques des frontières locales pour gouverner l'espace multiethnique du Kosovo et (b) les nouvelles frontières dessinées par la stratégie de décentralisation.Peaceful resolution of the Kosovo-Serbia conflict has remained elusive for two decades. Numerous proposals have attempted to settle the question of Kosovo's status to create a polity at peace internally and with its neighbors, and ready for integration into an enlarged Europe. Since the declaration of Kosovo's independence in 2008, the primary means of resolving Serbia's territorial claim has been through the process of decentralization: devolving political authority onto newly drawn Serb majority municipalities. The result of EU-sponsored Belgrade-Prishtina dialogues were the April 2013 and August 2015 Agreements, which would allow a Community of Serb-majority municipalities to create a new governmental entity, segregating Kosovo along internal ethnoterritorial borders. This article uses the concept of ethnopolitical territoriality to critically examine (a) the historical origins of local borders to govern Kosovo's multi-ethnic space and (b) the new borders drawn by the strategy of decentralization.
- L'Ukraine ou les contours incertains d'un Etat européen - Denis Eckert
2. La frontière, un produit multiacteur
- Au Sud-Liban, la Blue Line comme marqueur du post-conflit ? - Daniel Meier La région du Sud Liban a été marquée par une longue occupation militaire israélienne (1978-2000) qui s'est terminée par un retrait unilatéral. Lors de ce dernier, les Nations Unies ont délimité une ligne de retrait, dite ligne bleue (Blue Line). Malgré cela, les protagonistes en conflit, Israël et le Hezbollah, ont régulièrement violé cette ligne ce qui a fini par déboucher sur la guerre de l'été 2006. Outre les pertes humaines et matérielles, ce conflit a marqué le retour en force de la FINUL dans le jeu politique via la résolution onusienne 1701. Dès cette époque, la FINUL a pris l'initiative de marquer physiquement la Blue Line en mettant à contribution les belligérants par le truchement de rencontres tripartites. Cette contribution entend montrer que la mise en place d'un ordre international dans l'espace frontalier routinise la conflictualité politico-militaire régionale tout en favorisant l'imposition aux acteurs belligérants d'une géographie politique « post-conflit » incarnée par la Blue Line.The region of South Lebanon has been marked by a long Israeli military occupation (1978-2000). It ended with a unilateral Israeli withdrawal that allowed the United Nations to draw of withdrawal called the Blue Line. However, Israel as well as Hezbollah constantly violated this delimitation, which eventually ended up into a war during the summer 2006. Aside of the human and material losses, this conflict was marked by the come back of a strengthened UNIFIL. Thanks to UN Resolution 1701, the UNIFIL troops rose up to 15'000 and their mandate involved the disarmament of all non-state actors in South Lebanon. From this moment, UNIFIL took the initiative to mark the Blue Line on the ground through the involvement of both belligerents thanks to tripartite meetings. This paper contends that the imposition of an international order in this borderland normalize the regional politic-military conflict while in the same time supporting and imposing to the belligerents a “post-conflict” political geography embodied in the Blue Line.
- Les frontières de la Grèce : un laboratoire pour l'Europe ? - Guillaume Javourez, Laurence Pillant, Pierre Sintès Cet article explore l'impact de l'intervention de l'Union européenne aux frontières de la Grèce. En matière de réconciliation à la frontière gréco-albanaise, de coopération à la frontière gréco-macédonienne, ou de contrôle migratoire à la frontière gréco-turque, des institutions européennes voient le jour et transforment, alimentent ou contribuent à des dynamiques territoriales déjà à l'œuvre. C'est en explorant ces trois études de cas au sein de trois fragments de frontières grecques aux contextes socio-historiques très différents que les auteurs peuvent conclure à la recomposition de certaines instances ou acteurs étatiques à travers l'action de l'UE qui bon gré mal gré explore à ses frontières extérieures de nouvelles modalités d'intervention.This article analyses the impact of the European Union's intervention at Greece's borders. With regard to reconciliation at the Greco-Albanian border, cooperation at the Greek-Macedonian border or migration control at the Greek-Turkish border, European institutions are being set up and are transforming, nurturing or contributing to territorial dynamics already at work. It is by exploring these three case studies within three fragments of Greek borders with very different socio-historical contexts that the authors can conclude that certain state bodies or actors are being re-composed through the EU's willing and unwilling action, which voluntarily explores new forms of intervention at its external borders.
- Au Sud-Liban, la Blue Line comme marqueur du post-conflit ? - Daniel Meier
3. La frontière redéfinie « par le bas »
- Ordres de paix et ordres de guerre à la frontière syrienne - Leïla Vignal Le contrôle, les fonctions, les pratiques et les espaces de la frontière syriennes ont été profondément transformés au cours du conflit armé qui déchire le pays à la suite du mouvement révolutionnaire déclenché en Mars 2011. Ces transformations résultent d'un faisceau de cause : la fragmentation territoriale, politique et militaire intérieure du pays ; les différentes formes d'interventions extérieures ; l'importance des communautés de Syriens réfugiés dans les pays voisins de la Syrie ; l'évolution des positions de ceux-ci au cours du conflit ; le cadre juridique international qui organise la réponse humanitaire à ce conflit. Cet article interroge la façon dont le conflit a paradoxalement pour effet de confirmer la démarcation de la frontière westphalienne comme un ‘conteneur de guerre' (afin de préserver des ordres et des espaces de paix) tout en étant débordée, subvertie, et transformée par des espaces et des ordres de guerre.The control, functions, practices and spaces of the Syrian border have been profoundly transformed in the course of the Syrian conflict, started as an uprising in March 2011. These transformations result from a web of factors: the internal territorial, political and military fragmentation; the various external interventions into the conflict; the importance of the Syrian refugee communities in Syria's neighboring countries, and the changing border policies of the latter; the international legal framework that organizes the humanitarian response to the conflict. This article aims to illuminate the ways in which the conflict paradoxically confirms the Westphalian functions of the border in order to protect spaces and orders of peace, while at the same time it is undone and de-bordered by spaces and orders of war.
- Effacer la frontière : nouvelles pratiques urbaines et sociales dans la vieille ville méridionale de Nicosie, Chypre - Yannis Carmenos, Marion Sabrié En dépit des perpétuelles négociations intergouvernementales depuis 2003 et de la volonté du peuple chypriote, grec et turc, de réunifier l'île de Chypre, les pourparlers n'ont toujours pas abouti à l'été 2017. L'île est encore divisée et Nicosie n'est toujours pas la capitale d'un État unifié, unitaire ou fédéral. Pour autant, les initiatives bicommunautaires sont de plus en plus nombreuses et le dépassement du conflit semble faire son chemin grâce aux actions de la société civile même si, officiellement et dans les représentations, la situation ne s'est pas totalement améliorée. Toutefois, dans les faits, l'espace frontalier de la vieille ville de Nicosie Sud commence à être réinvesti et réanimé par ses habitants, ainsi que par les touristes, dont la fréquentation a bien repris depuis l'ouverture de postes-frontière en 2003. Des requalifications des friches urbaines et des rénovations des bâtiments délabrés sont en cours. La vieille ville méridionale subit le contexte géopolitique régional très tendu d'une part, mais d'autre part, elle se réinvente par les actions locales menées sur le terrain urbain par divers acteurs institutionnels pour tenter de gommer la frontière. La vieille ville de Nicosie sud devient un laboratoire de l'urbain original en raison de sa proximité avec la frontière.Despite everlasting intergovernmental negotiations since 2003 and the will of the Cypriots, Greek and Turkish, to reunify Cyprus, talks have yet to end in 2017. The island is still divided and Nicosia is still not the capital of a unified State. However, bicommunal initiatives are increasing and the overrun of the conflict seems to work its way through the actions of the civil society. Nevertheless, officially and in the minds of the people, the situation has not totally improved: a certain animosity can still be felt. In practice, the border area in the South of the old city of Nicosia is reinvested and revived by its inhabitants, as well as by tourists, whose venue has accelerated since the opening of border posts in 2003. Urban transformation of the wastelands and renovations of derelict buildings are in progress. The southern part of old city has become an innovative urban laboratory, thanks to its proximity with the border. The southern part of the old city is on one hand undergoing a very tense geopolitical context, but on the other, it is reinventing itself through local actions made on the urban terrain by various institutional actors to try to rub out the border. The old town of South Nicosia slowly becomes an urban laboratory thanks to its proximity to the border.
- Quand l'alisverissi transfrontalier fait vivre : Castellorizo et Kaş face aux crises - Ioannis Géorgikopoulos Située dans le sud-est de la mer Méditerranée face à la côte anatolienne, Castellorizo est l'île la plus orientale du territoire grec. Administrativement rattachée à l'archipel du Dodécanèse, Castellorizo fait preuve d'une permanence de liens, préexistants au tracé de la frontière, avec le reste de la région mais surtout avec l'Anatolie. Ces liens se réaffirment aujourd'hui par les échanges socio-économiques entre les Castelloriziotes et les habitants de la ville turque de Kaş. Inscrites dans la longue durée (période ottomane), ces pratiques transfrontalières relient solidarités translocales, réseaux et échanges de proximité sur fond de crises socio-économiques et politiques multiscalaires. En grec, comme en turc, « alisverissi » (alışveriş) signifie échange de biens mais aussi contact culturel. En utilisant les réseaux de relation et de voisinage, les habitants des deux côtés redécouvrent un fonctionnement socio-économique qui s'ancre de plus en plus dans leur réalité quotidienne. Les différentes formes de cette mobilité transfrontalière semblent contribuer à la survie économique des Castelloriziotes et des habitants de Kaş, et sont susceptibles de jouer un rôle important dans la réorganisation politique de la situation frontalière entre la Grèce et la Turquie.Situated in the south-eastern Mediterranean, close to the Anatolian coast, Castellorizo is the easternmost island of the Greek territory. Part of the actual Dodecanese regional unit, Castellorizo has been maintaining vivid links to the rest of the region during the Pre-modern Era. If we focus on the present informal commercial exchanges between the inhabitants of Castellorizo and those of the Turkish coastal town of Kaş, these links appear as reoccurring patterns of Ottoman-era neighbourhood ties. This cross-border trading tends to create stronger relationships between people living geographically close to each other and sharing equally unstable structural frames. In Greek, as in Turkish language, 'alisverissi' (alışveriş) is used to describe economic and cultural contact. Local and regional everyday practices give this cross-border mobility a subtly socio-economic dimension, which helps the two border people cope with internal and external crises. This fact should be further studied, since it can be used as a go-between for Greece and Turkey as far as the Aegean dispute is concerned.
- Ordres de paix et ordres de guerre à la frontière syrienne - Leïla Vignal
- Frontières de guerre, frontières de paix : nouvelles explorations des espaces et temporalités des conflits - Anne-Laure Amilhat-Szary, Amaël Cattaruzza
Varia
- Un paradigme arctique de sécurité ? Pour une lecture géopolitique du complexe régional de sécurité. - Pauline Pic, Frédéric Lasserre La question de la sécurité en Arctique fait régulièrement la une des journaux. Ancien épicentre stratégique, la région peine à se départir de cadres d'analyse traditionnels qui ne prennent pas en compte ses mutations récentes : changements climatiques, bien sûr, mais aussi ouverture progressive aux activités, intégration aux grands réseaux mondiaux… Ces mutations viennent largement renouveler les enjeux de sécurité dans la région. Alors que les sciences politiques et les Relations Internationales dominent les études de sécurité, un pan de littérature commence toutefois à émerger, s'attachant à remettre le territoire au cœur de l'analyse. Ce travail vient alors souligner la pertinence d'une analyse géopolitique de la sécurité dans la région, à la lumière des enejux actuels.Security in the Arctic is regularly mentionned as a major issue. It was a strategic hotspot during the Cold War, but inherited analitycal frames tend to be less relevant. Terrestrial boundary issues are now limited to the small unhabited rock that is Hans Island, maritime boundaries are being negociated under the legal frame of the Montego Bay Convention. Yet, new security challenges are emerging now that the region is undergoing major transformations. The progressive opening-up of the ocean opens new perspectives, both economic and political. From climate change to a progressive economic integration to global networks, security issues are therefore to be completely rethought. Analyzing litterature tackling security issues in the Arctic, this paper aims at understanding what are the main drivers to srategic shifts in security policies in the Arctic region. Following a brief historical overview of security issues in the region, the paper analyzes security discourses in the region through the main analytical frames of Security studies. It finally underlines that even tough security studies usually belong to the realm of International Relations and Political Science, however, some recent publications are starting to put forward a territorial approach to security issues. This paper would like to underline the relevance of a geopolitical approach regarding the Arctic region specifically, given the major changes that the region is going through currently.
- L'analyse géopolitique du terrorisme : conditions théoriques et conceptuelles - Daniel Dory Cet article de nature théorique présente les principales conditions permettant une analyse géopolitique du terrorisme. Partant des acquis des travaux géographiques et géopolitiques en la matière, il s'attache ensuite à surmonter les principaux obstacles -définitionnel et empirique- que toute recherche doit nécessairement affronter, en proposant une approche du terrorisme en tant que technique spécifique d'usage et de gestion de la violence politique. Ensuite, un cadre analytique systémique permet de préciser les éléments et les relations qui constituent la complexité du fait terroriste, lequel ne peut être pleinement compris qu'inséré dans une logique séquentielle de passage des différentes modalités de la dissidence vers la dynamique de l'insurrection. Enfin, les principaux aspects de l'émergence du terrorisme comme problème global sont brièvement évoqués.This paper presents a theoretical approach to the conditions for a geopolitical analysis of terrorism. Starting with a review of the main advances in the geographic and geopolitical literature dealing with the topic, it proceeds to discuss the two main obstacles -definitional end empirical- that all research in this field must deal with, insisting in the specific nature of terrorism as a technique of use and management of political violence. A systemic analytical framework is then proposed, based on the elements and relations composing the terrorist complex, which is only fully understandable when included in a sequence taking its roots in the different forms of dissidence and evolving towards the dynamic logic of insurrections. Finally, the main aspects of the emergence of terrorism as a global problem are briefly commented.
- Un paradigme arctique de sécurité ? Pour une lecture géopolitique du complexe régional de sécurité. - Pauline Pic, Frédéric Lasserre