Contenu du sommaire : Sur le vif. Photographie et anthropologie
Revue | Gradhiva : revue d'anthropologie et de muséologie |
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Numéro | no 27, 2018 |
Titre du numéro | Sur le vif. Photographie et anthropologie |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier Sur le vif. Photographie et anthropologie
- Introduction. L'anthropologie face à ses images - Camille Joseph, Anaïs Mauuarin p. 4-29
- Un savoir incertain. La photographie et le document anthropologique au tournant du XXe siècle - Elizabeth Edwards p. 30-57 Cet article met en relation la production de documents photographiques en anthropologie et les changements épistémologiques qui affectèrent la jeune discipline moderne dans les années 1890. L'analyse se concentre sur trois textes rédigés à cette époque par des anthropologues britanniques, qui mettent en regard la photographie et la preuve anthropologique : celui d'Everard im Thurn en 1893, de Maurice V. Portman en 1896 et d'Alfred C. Haddon en 1899. Cette série d'instructions photographiques révèle des approches différentes et concurrentes des concepts de pertinence, de validité et d'efficacité du document visuel. Je montre que les débats qui les traversent traduisent le passage d'une objectivité mécanique à une objectivité complexe. Cela se produit notamment à travers une nouvelle appréhension de la photographie, qui ne sert plus à contrôler l'excès d'informations, mais à développer une nouvelle objectivité disciplinaire visant à saisir et analyser l'abondance de la culture elle-même.This essay considers the production of photographic documents in anthropology in relation to the epistemological shifts in the emerging modern discipline in the 1890s. It will focus the analysis through three key statements in British anthropology on the relationship between photography and anthropological evidence from that period, those from E. im Thurn, M.V. Portman and A.C. Haddon in 1893, 1896 and 1899 respectively. These statements emerge from shifting and competing concepts of appropriateness, validity and effectiveness of the visual document. I argue that these debates articulate a shift from a mechanical objectivity to a complex objectivity. This was constituted in particular through the photographic management of a shift from the control of informational excess to a newly figured disciplinary objectivity which aimed to capture and analyse the abundance of culture itself.
- La description graphique. Dessins et photographies dans les carnets de terrain et le travail de conservateur de Henry Balfour - Christopher Morton p. 58-89 Cet article explore les échanges fluides entre le dessin et la photographie dans le travail du premier conservateur du Pitt Rivers Museum de l'université d'Oxford, Henry Balfour (1863-1939). En étudiant de près deux carnets de terrain compilés dans les années 1920 par Balfour lors de missions dans le nord-est de l'Inde et en Afrique de l'Est, j'examine les usages distincts et complémentaires du dessin et de la photographie, tant sur le terrain que dans le document plus formel du carnet. Il s'agit plus généralement de mettre en lien le rapport de Balfour au document visuel avec sa formation aux sciences naturelles reçue dans les années 1880, et de comprendre sa pratique au regard des approches anthropologiques du XIXe siècle et de la manière dont, à cette époque, étaient envisagées les relations entre la collecte de données textuelles, dessinées et photographiques et leur présentation dans le musée.This article considers the fluid interchange between drawing and photography in the work of the first curator of the University of Oxford's Pitt Rivers Museum, Henry Balfour (1863–1939). By examining in detail two 1920s fieldwork journals compiled by Balfour in Northeast India and East Africa, the article discusses the complementary and differentiated use of drawing and photography by Balfour in the field as well as in the more formal journal document. Moving beyond, the article examines Balfour's approach to visual evidence more broadly, situating him in the context of his training in natural sciences in the 1880s, as well as wider 19th century anthropological understandings of the relationship between textual, artistic, and photographic data gathering and presentation in the museum setting.
- Cadrage cannibale. Les photographies de Tristes Tropiques - Vincent Debaene p. 90-117 Les premières pages de Tristes Tropiques condamnent avec virulence les récits d'exploration et « albums de photographies » consacrés à des populations prétendument primitives. C'est en particulier l'usage manipulateur du cadrage que Lévi-Strauss dénonce. Pourtant, la publication en 2001 du journal de Luiz de Castro Faria, anthropologue brésilien qui l'accompagnait lors de sa deuxième expédition, a montré que les célèbres photographies des Indiens nambikwara qu'on trouve dans Tristes Tropiques étaient elles-mêmes souvent cadrées de très près, évitant la ligne télégraphique ou le poste missionnaire à l'arrière-plan, sans parler de la présence même des ethnographes en casque colonial. Comment comprendre ce paradoxe, qui frôle la contradiction ? Faut-il en conclure, comme beaucoup de critiques l'ont fait, que Lévi-Strauss a été pris à son propre piège, qu'au fond, son livre participe à la mystification qu'il condamne, et que l'esthétique photographique de Tristes Tropiques en est la preuve la plus éclatante ?The first few pages of Tristes tropiques are a scathing critique of narratives of exploration and of “photographic albums” representing so-called primitive peoples. In particular, Lévi-Strauss condemns the manipulative use of framing. However, in 2001, the publication of the journal of Luiz de Castro Fario, the Brazilian anthropologist who accompanied Lévi-Strauss during his second fieldwork, showed that the famous photographs of Nambikwara Indians found in Tristes Tropiques were in fact framed very closely so as to eliminate telegraphic lines or missionary posts in the background, not to mention ethnographers wearing colonial helmets. How are we to understand this paradox that borders on contradiction? Are we to conclude, like many other commentators before us, that Lévi-Strauss couldn't evade his own trap and that, in the end, his book participates in the mystification he denounced, as vividly demonstrated by the photographic aesthetic of Tristes tropiques?
- Des images typiques. L'anthropologie physique et la photographie aux États-Unis dans les années 1920-1930 - Camille Joseph p. 118-143 Dès la fin du xixe siècle, la photographie servit aux anthropologues à valider l'existence de types physiques. Dans les années 1920 et 1930 aux états-Unis, cet usage typologique des portraits n'avait pas entièrement disparu, alors que les idées eugénistes connaissaient un grand succès, tant scientifique que politique. Mais au même moment, l'anthropologie physique devenait le lieu d'une nouvelle approche statistique, laquelle, sous l'impulsion de Franz Boas en particulier, aboutissait à une critique radicale du concept de « type » et des classifications raciales. Cet article s'intéresse à l'articulation entre le portrait anthropométrique et le « type », en examinant différents usages et réemplois de ces images dans les publications scientifiques d'Aleš Hrdlika et de Franz Boas, et dans le projet d'exposition des « races de l'humanité » au Field Museum de Chicago qui vit le jour en 1933.At the end of the 19th century, anthropologists used photography to validate the existence of physical types. In the 1920s and 1930s, at a time when eugenics were enjoying growing interest both in the political and scientific fields, the typological use of portraiture had not entirely vanished from anthropological practices in the United States. However, physical anthropologists were paying more and more attention to a new statistical approach, notably under the influence of Franz Boas, thus undermining the concept of “type” and racial classifications. This paper focuses on the articulation between anthropometric portraiture and “type” by examining the various uses, practices and diffusion of such images in the work of Aleš Hrdlika and Franz Boas, as well as in the Races of Mankind exhibition that opened in the Field Museum of Chicago in 1933.
- Races (1930). À propos d'un ouvrage oublié de Jean Brunhes - Teresa Castro p. 144-175 Publié en 1930 dans la collection « Images du monde », que Florent Fels dirige chez Firmin-Didot, l'ouvrage Races du géographe Jean Brunhes constitue ce qu'on pourrait appeler un atlas de vulgarisation. Illustré par un matériel photographique hétérogène (clichés du xixe siècle, images d'agences photographiques, photographies de tournage de films hollywoodiens, etc.), le livre est le support d'un discours paradoxal sur la diversité humaine. Cet objet, fruit d'une culture visuelle à cheval entre deux disciplines (la géographie humaine et l'anthropologie) et deux sphères d'activité (la vulgarisation scientifique et l'édition artistique), produit un discours que nous analyserons ici en l'inscrivant dans le paysage scientifique et éditorial de l'époque. Une attention particulière est accordée aux liens entre Races et un autre projet auquel le géographe fut intimement lié : la collection d'images des Archives de la Planète (1912-1931) d'Albert Kahn.Published in 1930 in the series “Images du Monde” directed by Florent Fels at Firmin-Didot, Races by geographer Jean Brunhes represents what one may call a popular science atlas. Illustrated by a heterogeneous photographic material (19th-century views, images from photo agencies, scenes from Hollywood movie sets, etc.), the book delivers a paradoxical discourse on human diversity. This object, the visual culture of which is at the crossroads of two disciplines (human geography and anthropology) and two activity spheres (scientific vulgarisation and artistic publishing), produces a discourse that I analyse here by situating it in the scientific and publishing context of the period. Particular attention is paid to the relations between Races and another project in which Jean Brunhes was closely involved: Albert Kahn's image collection for the Archives de la Planète (1912-1931).
- Entretien avec Christine Barthe - Christine Barthe, Anaïs Mauuarin p. 176-195
Études et essais
- Dans les archives photographiques de la reconstruction de Beyrouth - Sophie Brones p. 196-225 Le contexte des démolitions extensives qui marquèrent le début de la politique de reconstruction du centre de Beyrouth sous la houlette de la société foncière privée Solidere, à la fin de la guerre civile (1991), voit naître la constitution d'une collection photographique aujourd'hui riche de plusieurs milliers d'images. Cet article rend compte d'une recherche qui traite simultanément des dispositifs de production et d'archivage de la photographie et des représentations elles-mêmes, afin de saisir les écarts entre ce que la photographie donne à voir et ce qu'on lui fait dire. En l'utilisant comme source pour l'écriture d'une nouvelle histoire urbaine, Solidere valorise la photographie documentaire qui s'avère pourtant inefficace pour neutraliser un quartier au passé mouvementé.The end of the civil war (1991) was a context of extensive demolitions characterizing the beginning of the politics of reconstruction of Beirut's city centre under the auspices of the real estate company Solidere. At that time, a photographic collection with more than several thousand images today was constituted. This essay is the result of a research that simultaneously examines the question of the production and archival processes of photographs and that of the representations themselves in order to understand the gaps between what photographs actually show and what they are made to say. While examining the recent evolution of the status of photography in Lebanon, I show that by using photography as documents to write urban history, Solidere is faced with the inability of photographic images to neutralise a neighbourhood's troubled past.
- La Grande Guerre dans l'imagerie de Max Ernst. Sainte Cécile ou l'« orgue des morts » - Rachelle Viennot Hüwel p. 226-253 Le présent essai offre un nouveau regard sur le tableau Sainte Cécile peint par Max Ernst (1891-1976) en 1923 – jusqu'ici jugé comme une allégorie de la vision intérieure, le paradigme du surréalisme naissant – à la lumière du passé de l'ancien combattant de 14-18. La fouille du substrat visuel et textuel de sa subtile combinatoire laisse apparaître la brûlante mémoire de la Grande Guerre comme tissu matriciel ; les strates sémantiques sont calquées sur le langage argotique du poilu et du Feldgrau : mises face à ce vocabulaire des images a priori inertes, elles deviennent parlantes. En confrontant le tableau avec la matière lexicale argotique et les Calligrammes d'Apollinaire, l'analyse montre le procédé langagier opérant de la polysémie et du mode citationnel. Le décryptage permet la lecture limpide d'une imagerie hallucinatoire à l'effet surréalisant.The present essay offers a new approach of Saint Cecilia painted 1923 by Max Ernst (1891-1976) – judged until now as an allegory of inner vision, the paradigma of beginning surrealism – in the light of the past of the former soldier during 1914–18. The exploration of the visual and textual substrate of his subtle combinations let emerge the injured memory of World War I as a substantial matrix: the semantical strata are patterned on the slang of the poilu and the Feldgrau; faced with this vocabulary first not saying pictures become eloquent. The analysis which confronts the painting with the argot lexical material and Apollinaire's Calligrammes shows the language modus operandi based on polysemy and quotations. The decoding allows a clear reading of an hallucinatory imagery with surrealistic effect.
- Dans les archives photographiques de la reconstruction de Beyrouth - Sophie Brones p. 196-225
Chronique scientifique
- Marc Décimo, Des fous et des hommes : avant l'art brut, suivi de Marcel Réja, L'Art chez les fous : le dessin, la prose, la poésie (1907), édition critique et augmentée : Dijon, Les presses du réel, coll. « Les hétéroclites », 2017 - Giordana Charuty p. 254-257
- Anna Lowenhaupt Tsing, Le Champignon de la fin du monde : sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme : Paris, La Découverte/Les Empêcheurs de penser en rond, 2017 - Frédéric Keck p. 258-259
- Pierre Singaravélou et Sylvain Venayre (dir.), Perrine Chambon et Odile Demange (trad.), Histoire du monde au XIXe siècle | Pierre Singaravélou, Tianjin Cosmopolis : une autre histoire de la mondialisation : Fayard, 2017 | Paris, Seuil, coll. « L'univers historique », 2017 - Frédéric Keck p. 260-261
- Guillaume Lachenal, Le Médecin qui voulut être roi : sur les traces d'une utopie coloniale : Paris, Éditions du Seuil, coll. « L'univers historique », 2017 - Florent Papin p. 262-264