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Revue | Nordiques |
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Numéro | N°36, automne 2018 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Editorial - p. 5
Dossier. Réformer l'éducation en Europe du Nord
- La quête d'un ethos suédois : un invariant dans la réforme des curricula ? - Pierre Colla p. 11 En partant d'un enjeu actuel du débat suédois contemporain sur l'éducation – la nécessité de sensibiliser les écoliers à des « valeurs » citoyennes fédératrices –, l'article montre comme la définition et l'actualisation du socle éthique est le fil rouge des initiatives de réforme du système scolaire au XXe siècle. La place prépondérante de l'antidogmatisme et du culte de l'autonomie dans ces réformes a fait écran à cette refondation permanente, qui se décline à travers trois grandes étapes. Dans le cadre de la construction d'un tronc commun d'éducation « citoyenne » (medborgarskola), entre 1948 et 1960, la désacralisation des canons des humanités coïncide avec un penchant pour le psychologisme et l'inculcation d'un habitus mental « moderne », socialement responsable. De manière implicite, la conformité du message scolaire aux objectifs idéologiques du modèle devient le critère régulateur de la réforme des curricula. Dans la phase de consolidation du système, l'importance grandissante des enseignements relatifs à la vie de couple et aux questions éthiques fondamentales entraîne une double posture : refus de tout « endoctrinement », dans les domaines controversés, et construction parallèle d'une sphère non négociable : des croyances validées désormais sur la base d'un consensus démocratique explicite, de l'expertise pédagogique ou du sondage. La libéralisation des curricula entreprise au début des années 1990 marque la fin d'une programmation didactique universelle et contraignante ; cependant, le schéma antérieur – selon lequel des « valeurs » certifiées et opérationnalisées doivent être séparées de la masse des savoirs – reste d'actualité, en assurant l'unité du système.Drawing from a burning issue of the ongoing Swedish debate on education – namely, the need to raise pupils' awareness of unifying civic “values” – the article shows how the definition and the upgrading of the moral premises of school teaching run as a red thread throughout the reforms in the XXth century. The modernising, antidogmatic emphasis of these reforms has eclipsed the importance of a refoundation process, which is spelled out through three distinct stages. Between 1948 and 1960, throughout the building of a universal “citizen's” school (medborgarskola), a behavioral reshaping of school matters was aimed at fostering a “modern”, socially competent habitus. In the field of humanities, an instrumental approach of the canon spreads out: conformity with the ideological goals of the “Swedish model” became implicitly a regulating criterion for school curricula. In the subsequent phase of consolidation, the growing importance of interpersonal relations and fundamental ethical questions in teaching leads to a twofold pedagogic stance: on the one hand, the repudiation of any kind of « indoctrination », in controversial items and, on the other hand, the outlining of a few undisputable, empirically grounded, base values. Democratic consensus, pedagogical expertise or public surveys become the only source of legitimacy for the normative dimension of school teaching. The liberalization of curricula undertaken in the early 1990s marks a break with the previous form of detailed and binding national curriculum. Nonetheless, the institutional production of specific “values”, abstracted from subject-matter knowledge and ready to be operationalized, has not come to an end. On the contrary, such a dialectics seems to play a crucial role for the stability of the system.
- La Finlande construit l'école du nouveau millénaire - Jouni Välijärvi p. 27 Les municipalités ont joué un rôle essentiel dans l'organisation de la scolarisation en Finlande. L'éducation publique de base couvre 97 % des élèves. Cependant, jusqu'au milieu des années 1990, il revenait au gouvernement de compenser les grandes disparités de ressources entre territoires, de contrôler le curriculum et les programmes, et d'assurer la certification des enseignants. Depuis, le contrôle central a été réduit, notamment en fermant l'inspection académique. La Finlande n'a plus de système d'évaluation des élèves au niveau national. Après avoir été très bien notées dans les comparaisons internationales, les écoles finlandaises ont vu ces résultats s'affaiblir alors que les inégalités entre élèves augmentaient. Le pays s'attaque à ce problème en réformant le curriculum au niveau national et en initiant deux « forums », l'un sur l'école compréhensive et l'autre sur l'éducation des enseignants. L'article s'intéresse aux principaux objectifs et contenus de ces processus en cours.Local authorities have played a key role in organizing and running schools in Finland. Public (basic) education covers 97% of the pupils. However, the central government balanced the huge differences between municipalities in their resources, controlled the curricula and textbooks, and set strict criteria for teacher's certifications until the mid1990s. Since then control has been reduced, e.g. by closing down the school inspectorate. Finland does not have any more national testing in basic education either. After having great success in international comparisons on learning outcomes, the Finnish results have steadily declined and the variation between students increased. Finland is addressing the new challenges by reforming the national core curriculum and starting two new ‘Forums', one on comprehensive school and the other on teacher education. The article deals with the main purposes and content of these processes.
- Entre débats nationaux et guerre froide : réformer l'école primaire égalitaire en Finlande dans les années 1960 et 1970 - Ville Okkonen p. 45 1968 vit la mise en place par le Parlement finlandais d'un nouveau système d'école publique. Ce nouveau système remplaça une scolarité traditionnelle où le classement des élèves tendait à reproduire les divisions sociales. Dans cet article, nous analysons dans une perspective historique la résistance à cette réforme, en replaçant celle-ci dans le cadre de la guerre froide et de l'histoire finlandaise. Elle est analysée comme une expression de la droite conservatrice finlandaise, que nous trouvons ici motivée essentiellement par la peur de la gauche et du socialisme. Le nouveau système scolaire était vu comme une tentative de la gauche d'acquérir plus de pouvoir et de détruire la société traditionnelle. Les conséquences de la guerre civile de 1918 avaient tenu la gauche éloignée de certaines parties de la société finlandaise, en particulier la haute administration, les écoles et les universités. Le débat sur l'éducation des années 1950-1960 montre un affaiblissement de la domination de la droite dans ces secteurs, alors que la gauche renforçait sa position au Parlement, au gouvernement, dans les cercles culturels et dans ceux de l'expertise légale et sociale. La droite considéra ce retour de la gauche, et en particulier la lutte pour le nouveau système d'école publique et le nouveau statut des écoles privées, comme une attaque contre l'ordre social traditionnel.The parliament of Finland decided on the comprehensive school in 1968. It meant a big breakage from the traditionalistic, school system that reproduced class cleavages. In this article, the resistance to comprehensive school reform is analyzed from a historical perspective. How national history and of the Cold War appeared in the political conflicts of the school reform. The rightist and conservative resistance to the comprehensive school is explained with the historical analysis of the reform process and surrounding debates. According to the research results, the resistance to the comprehensive school was before anything motivated by the fear of the left and socialism. The comprehensive school was seen as an insidious mechanism for the left to gradually take power and unsettle the traditional social order. The aftermath of the Finnish Civil War (1918) had sealed the left's expulsion from upper administration, schools and universities. This marginalization began to stagger in the 1960s when the left strengthened its position in parliament, government and in those cultural institutions in which it had been weak or without representation. The right considered that carrying out the municipal comprehensive school reform and winding up the private schools signified the growth of the influence of the left. The concept of socialism was understood broadly as a gradual erosion of the traditional social order.
- Le cours de langue maternelle et de culture d'origine pour enfants d'immigrés dans les systèmes scolaires des pays nordiques - Roger Marmus p. 59 Pour permettre aux élèves issus de familles nouvellement arrivées de rester en contact avec leur langue et leur culture d'origine, et peut-être aussi pour faciliter leur intégration sociale, les pays nordiques ont mis en place, à différentes échelles, depuis environ cinq décennies, des cours en langue maternelle en parallèle avec les enseignements traditionnels. Dans les années 1960, ces classes étaient plus ou moins conçues comme une politique de promotion de la culture de l'Autre. Cinquante ans plus tard, alors que le contexte de l'accueil des migrants a changé et que le débat sur la question de l'identité est au centre des préoccupations, des voix se sont élevées pour remettre en question ces enseignements. Certains, en particulier au Danemark, critiquent leur prétendue inefficacité et les coûts financiers inutiles, d'autres les considèrent comme un emblème de la société multiculturelle à promouvoir. Après avoir étudié le rôle joué par ces enseignements dans le grand débat sur les langues et leur lien avec les politiques d'intégration culturelle, l'étude montre comment chacun des pays nordiques a géré les besoins et souhaits des écoles et des familles. L'enquête offre les éléments de réflexion pour comprendre quel pourrait être, dans les pays nordiques, le sort qui sera fait à ces cours, et par-delà, à l'idée de multiculturalisme institutionnalisé.To enable pupils from newly arrived immigrant families to keep in touch with their native language and cultural background, and perhaps also to facilitate their social integration, the Nordic countries have implemented, at different scales, for about five decades, mothertongue courses that coexist with traditional teachings. This is a widely debated topic which illustrates different national policy strategies. These classes were initially, in the sixties, thought more or less as a policy of promoting the maintenance of diversity. Fifty years later, with the context of the reception of migrants that has changed, and the debate on identity at the forefront, voices are raised to question these teachings. Some, in particular in Denmark, criticize their supposed costly inefficiency, others claim them as an emblem of the multicultural society. After having studied the role played by these teachings in the great debate on languages and the link they have with the settlement policies, we will see how each of the Nordic countries has managed the needs and demands of education skills. We may then be able to predict the fate that will befall them, and to glimpse, in connection with this, the future of this kind of institutionalized multiculturalism in the Nordic countries.
- A l'école de autonomie nordique : interview collective des membres du consortium Erasmus lycée Jehan-Ango de Dieppe - Yohann Aucante et Maria Hellerstedt p. 77
- La dimension temporelle de l'égalité : les réformes scolaires en Suède (1946-2000) - Tomas Wedin p. 99 Selon l'interprétation dominante dans l'historiographie éducative, le système éducatif suédois a connu une rupture idéologique vers 1990. À rebours de cette tradition, cet article met en évidence une certaine continuité entre la pensée des années 1970, soit la phase culminante de l'ordre égalitaire de l'après-guerre, et les réformes des années 1990, souvent considérées comme la manifestation d'une rupture avec la doctrine éducative préexistante. Afin de faire ressortir les lignes de continuité, j'analyse ici comment la manière dont l'idéal d'égalité a été mobilisé dans le contexte des politiques éducatives a influencé la référence au passé, au présent et au futur en tant qu'horizons de l'action collective. Je soutiens que le présent est devenu de plus en plus l'horizon de référence au détriment autant du passé que du futur, et que la radicalisation de l'aspiration à l'égalité a renforcé cette transformation. En concluant, je soutiens que les efforts dans le sens de la démocratisation du système éducatif ont paradoxalement sapé sa légitimité fondée sur un ordre collectif.According to the dominant strand of educational historiography, the Swedish educational system underwent an ideological break around 1990. In contrast, this article accentuates a certain continuity between the educational thought of the 1970s, the culminating phase of the egalitarian order of the post-war period, and the reforms of the 1990s, often considered as the manifestation of a break with the pre-existing educational doctrine. In order to evince these strands of continuity, I analyse how the ways in which the ideal of equality has been mobilized in educational policies ties in with different ways of relating to the past, present and future as temporal horizons for collective action. I argue that the present successively has become the horizon of reference at the expense of both the past and the future, and that the radicalization of the aspiration for creating a more equal educational system spurred this shift. To conclude, I argue that the efforts to democratise the educational system have paradoxically sapped its own legitimacy, which hinges on the existence of a collective order.
- De la planification à la liberté de choix : une révolution pour le modèle éducatif suédois ? Conversation avec Ulf P. Lundgren - Piero Colla et Tomas Wedin p. 115
- La quête d'un ethos suédois : un invariant dans la réforme des curricula ? - Pierre Colla p. 11
Lectures
- p. 129