Contenu du sommaire : Risques et conflits
Revue | Bulletin de l'Association de Géographes Français |
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Numéro | no 2012/1 |
Titre du numéro | Risques et conflits |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Éditorial -Risques et conflits (Editorial -Risks and conflicts) - Roland Pourtier, Stéphane Rosière p. 3-5
- L'Arc de crise, approche française des conflits (The arc of crisis, a French approach to conflicts) - Michel Foucher p. 6-17 L 'approche française officielle des conflits et des tensions internationales est exprimée dans le 3° livre blanc de la 5° République portant sur la défense nationale. Il a été publié en 2008. Il sera révisé en 2013. La notion d'«arc de crise » est mise en avant pour qualifier les régions étendues de l'océan Atlantique à l'Océan Indien où la France est engagée militairement dans des conflits et des opérations extérieures. Le terme est pertinent au plan opérationnel comme ensemble des théâtres d'intervention de nos forces armées. Au plan conceptuel, il installe une «carte mentale » suggérant l'unité de théâtres en réalité très différents et dont il convient d'empêcher la connexion. Il pourrait entretenir une impression fausse de clivage entre l 'Europe et le monde arabo-musulman, alors que la France s 'est engagée à y soutenir les transitions. Son emploi concourt à une surestimation d'une menace terroriste globale dont les racines seraient concentrées dans cet arc et qui n 'est pas de nature stratégique.The official French vision of conflicts and international tensions has been displayed in the 3rd White Book on Defence of the 5th Republic, published in 2008. It will be reviewed in 2013. The concept of «arc of crisis » has been proposed to describe a large area from the Atlantic Ocean to the Indian Ocean where France is engaged in military operations. The concept is relevant at the operational level as for it encompasses a series of theaters where French armed forces are in operation. At the conceptual level, it draws a «mental map » which implies a unity of these theaters when the strategic objective is precisely to cut the connections between them. It feeds the idea of a deep cleavage between Europe and the Arab-muslim world whereas France is committed to support democratic transitions. Finally, the concept of «arc of crisis » tends to over-estimate the strategic nature of the terrorist threats.
- Frontières et conflits : une approche territoriale. (Borders and conflicts : a territorial approach) - Anne-Laure Amilhat-Szary p. 18-33 L 'approche territorialisée des conflits implique de considérer que tout type de conflit peut être analysé selon une grille de lecture territoriale. L'étude des frontières permet de mettre en évidence des processus de territorialisation qui font évoluer ces lieux, transformant des lignes arbitraires en espaces complexes, où les conflits s 'expriment à différentes échelles. Ce texte approfondit les interactions conflictuelles auxquelles les individus qui vivent autour des frontières ou les traversent se trouvent soumis, en conséquences de tensions inédites liées à la «sécurisation » accrue des frontières depuis 2001.The territorial approach of border of this paper implies considering that any type of conflict can be analized according to a territorial framework of understanding. Border studies allows us to evidence territorialization processes which transform these places from arbitrary lines into complex spaces, where conflicts deploy at various scales. This text develops on the conflictive interactions which individual who live around and / or cross borders find themselves submitted to, due to renewed tensions in a context of increased securitization of borders since 2001.
- Ressources naturelles et conflits en Afrique subsaharienne (Natural resources and conflicts in Sub-Saharan Africa) - Roland Pourtier p. 34-53 Cet article comprend deux volets. Le premier aborde la question générale des relations dialectiques entre ressources et conflits en soulignant qu 'il n'y a pas de relation de causalité simple, tout conflit étant multidimensionnel. Les réponses apportées à cette question ont varié en fonction d'une grille de lecture portant la marque de l'histoire, des idéologies et autres manières de penser : pillage colonial, impérialisme, thèses néo-malthusiennes, rareté et violence, cupidité, gouvernance. Aucune de ces approches ne suffit à elle seule à la compréhension de situations caractérisées par leur complexité. Le deuxième volet prend pour exemple la guerre du Kivu, un des conflits les plus dramatiques d'Afrique. Au cœur des déchirements de la région des Grands Lacs, cette région frontalière de l'Est de la RDC cumule tensions internes et régionales, compétition pour la terre et violences armées pour le contrôle des ressources minières. L'échelle locale d'une activité extractive informelle s'articule à l'échelle mondiale des intérêts industriels : le retour à la paix passe par une action en aval fondée sur la traçabilité et le rejet des «minerais de sang ».This paper has two sides. The first addresses the general question of the dialectical relationship between resources and conflict, stressing there is no simple causal relationship, since conflicts are multidimensional. Answers to this question differed according to historical paradigms, ideologies and ways of thinking : colonial plunder, imperialism, neo-Malthusian theories, scarcity and violence, greed, governance. Neither approach alone is sufficient to understand situations characterized by complexity. The second part take as example the war in Kivu, one of the most dramatic conflicts in Africa. At the heart of the Great Lakes region 's conflict, the Eastern DRC border region combines domestic and regional tensions, competition for land and armed violence for control of mineral resources. Informal mining activities at local scale depend on global industrial interests : a return to peace is possible only through downstream traceability and rejection of "blood minerals".
- Anthropomorphisme et hydrocentrisme dans la thèse des guerres de l'eau : les racines d'un improbable scénario du pire (Anthropomorphism and hydrocentrism in the water wars thesis : the roots of an improbable worst-case scenario) - Frédéric Julien, Frédéric Lasserre p. 54-73 On prédit depuis une trentaine d'années l'éclatement prochain de guerres interétatiques pour le contrôle de l'eau, une ressource dont la rareté serait grandissante. Les deux piliers sur lesquels repose cette thèse sont 1) la personnification de l'État, ce qui implique d'incompressibles besoins biologiques en eau ; et 2) la conception de l 'eau comme de l '«or bleu » ou «notre plus précieuse ressource », qui ne pourrait donc qu 'être première parmi les préoccupations des États. Un tel schéma de pensée anthropomorphiste et hydrocentriste mène à mésinterpréter le caractère vital de l'eau à l'échelle d'une société et ignore les nombreuses considérations non hydrauliques limitant l'attrait de la guerre comme outil de gestion de la pénurie d'eau. La fréquence avec laquelle la thèse des guerres de l'eau est évoquée dans l'espace public et la crédibilité qui lui est accordée semblent donc sensiblement exagérées.Interstate wars over water, a resource said to be becoming ever scarcer, have been predicted for the last 30 years or so. The two pillars upon which this thsis rest are 1) the personification of the state, which implies minimal biological water needs; and 2) the conception of water as "blue gold" or "our most precious resource", which makes it a most pressing issue for states. But such an anthropomorphist and hydrocentrist analytical framework misunderstands what it means for water to be vital and the scale of entire country and ignores the many reasons unrelated to water that make war an unattractive policy option to manage water scarcity. The frequency with which the water wars thesis is stated in the public space, and the credibility it is given, are thus clearly exaggerated.
- Vers des guerres migratoires structurelles ? (Towards structural migratory wars ?) - Stéphane Rosière p. 74-93 Cette communication se propose d'envisager les migrations internationales contemporaines, et plus particulièrement les migrations Nord/Sud, non seulement comme une «crise structurelle » mais comme une guerre non déclarée. Engendrées par les déséquilibres économiques mondiaux les flux migratoires relient, pour l'essentiel, des pays pauvres à des pays plus riches (du Nord ou du Sud, du Bangladesh vers l'Inde par exemple). La pression migratoire constante qui s 'exerce sur les pays les plus riches, et notamment la Triade, génère une politique d'accroissement de leur surveillance (notion de «rebordering ») contradictoire avec l'esprit de la mondialisation. Nous appelons «teichopolitique » la politique de fermeture de territoires. Celle-ci se manifeste entre autres par la construction de «barrières frontalières » de haute technologie qui tendent à ceinturer les pays développés qui sont liés à une gestion «intelligente » des flux transfrontaliers dans des check-points. Mais l'édification de ces barrières, corrélée à une politique assumée de refus de visas, génère de dangereuses pratiques de contournement des dispositifs frontaliers (administratifs, technologiques). Le contournement implique une augmentation de la létalité chez les migrants. Nous essayerons ici de dresser un bilan de cette létalité soulignant ainsi que le Nord, et certains pays du Sud, sont entrés dans une guerre migratoire de basse intensité, une guerre structurelle qui remet évidemment en cause la présentation dominante de la mondialisation comme processus pacifique et pacificateur.This presentation aims to consider up-to-date international migrations and especially South-North migrations not only as a structural crisis but as an undeclared war. Generated by uneven economical development, contemporary flows of migrations link poor countries of the South to richer countries located in the North or not (in the South : from Bangladesh to India for instance). This migratory pressure on richer countries, especially the Triad, generates an increase in border surveillance ('rebordering') which is contradictory with the spirit of 'globalization'. We call 'teichopolitics ' this policies of territorial enclosure (in cities as well as on borders). Teichopolitics means the construction of border barriers which often consist in hightech fences connected with a smart evaluation of cross-borders flows in check-points. The construction of these new border-barriers, connected to a denial of entry for most immigrants, leads to dangerous strategies to bypass border devices and systems (administrative and technological obstacles). Bypassing enclosure devices generates a strong increase in lethality among migrants. According to the number of casualties, the current situation on major North/South borders can be identified as a 'war', a structural war. This structural war questions globalization, which cannot be considered as a peaceful and peace-enhancing system.
- Comment le Nord cartographie les risques au Sud : «Conseils aux voyageurs » et «Risques-Pays » en Afrique (How the North maps risks in the South : «Travel advisories» and «Country risks » in Africa) - Christian BOUQUET p. 94-103 Il est des risques au Sud que le Nord évalue en fonction des dangers qu 'ils lui font courir. Parmi ceux-ci, nous choisissons d'en isoler deux qui, depuis une quinzaine d'années, sont sortis de la confidentialité dès lors qu'ils ont été cartographiés : d'une part, les «Conseils aux Voyageurs » que le gouvernement français affiche sur le site des Affaires étrangères et, d'autre part, les «Risques-Pays » que la COFACE (Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur) mesure en fonction des capacités des entreprises ou des États à payer leurs factures ou rembourser leurs dettes. C 'est ainsi que les diplomates parviennent à imposer un point de vue avant d'en arriver à la spatialisation des risques que courent les voyageurs -compris ici comme des étrangers aux pays concernés -tandis que leurs cartographes tracent les limites des différentes nuances de dangerosité. De son côté, la COFACE et le ministère de l'Economie redessinent le continent africain sous l'angle des mauvais payeurs. Là encore, les investisseurs intéressés par cette représentation graphique ne sont pas des nationaux. L 'intérêt de cette étude est de montrer — s 'il en est besoin -que la territorialisation des insécurités est d'abord unilatérale, ce qui illustre la perception sélective de celles-ci. En même temps, l 'attention est attirée sur le fait que la garantie contre les risques est inégalitaire. Enfin, cet article permet de réaffirmer que la géographie des risques dans les pays du Sud repose essentiellement sur le couple richesse/pauvreté, et que les insécurités, vues du Sud, sont d'abord sociales.There are risks in the South that the North evaluates according to the dangers posed to it. Among these, we have chosen to highlight two, which for fifteen years, have came out of confidentiality after they were mapped. On one hand, the "Travel Advisories" that the French government displays on the website of the Foreign Affairs Ministry, and, secondly, the "Risk-Country" that COFACE (French Insurance Company for Foreign Trade) measures according to the capacities of companies and states to pay their bills or repay their debts. Thus, diplomats manage to impose a viewpoint before the spatialization of risk to travelers -understood here as strangers to the countries concerned -while their cartographers draw the limits of different shades of dangerousness. COFACE and the Ministry of Economy redraw African as a contienent of deadbeats. Once more, investors interested in this graphics representations are not nationals. The interest of this study is to show -if necessary -that territorial insecurities are initially unilateral, illustrating the selective perception of them. At the same time, attention is drawn to the fact that guarantees against the risk are unequal. Finally, this article serves to reaffirm that the geography of risk in developing countries is mainly based on the couple wealth / poverty, and that insecurities, viewed from the South, are primarily social.
- «Zones grises » , interstices durables de la carte politique ? Relecture critique d'un concept géopolitique («Grey zones », sustainable interstices of the political map ? Critical reassessment of a geopolitical concept) - Amaël Cattaruzza p. 104-120 L 'utilisation de la notion de «zone grise » est devenue courante dans la littérature géopolitique et stratégique française. Cet article s 'intéresse à la définition de cette notion floue et à ses significations explicites et implicites. Proche de la notion d'«Etat failli », la catégorie de «zone grise » est souvent utilisée pour désigner un territoire hors de contrôle de l'Etat et considéré comme une menace à combattre. Le cas d'étude du Nord Kosovo montre au contraire l'ambiguïté de ce type de zone, et la manière dont elle peut être manipulée et instrumentalisée par les différents acteurs en jeu. La «zone grise » n 'est donc pas hors du système interétatique, mais en fait pleinement partie.The use of the concept "grey area " has become frequent in the French geopolitical literature. This text focuses on the definition of this fuzzy notion and on its implicit meaning. Close to the concept of "failed state ", the category of " grey area " is often used to point out a territory out of control of the state and considered as a threat to face with. On the contrary, the case study of North Kosovo shows the ambiguity of this kind of territory, and the way it can be manipulated and used by the different actors at stake. So, the "grey area " is not out of the interstate system but is a part of it.
- Mer de Chine du Sud ou mer des Philippines de l'Ouest ? Conflits d'appropriation des espaces maritimes autour de l'archipel des Spratley (Nansha / Truong Sa / Kalayaan) (South China Sea or West Philippine Sea ? Conflicting maritime claims in the Spratly archipelago : Nansha/ Truong Sa / Kalayaan) - Yves Boquet p. 121-138 L 'archipel des Spratley, groupes d'îles coralliennes inhabitées situées en mer "de Chine méridionale", est au coeur d'un différend territorial complexe impliquant six pays environnants. Les intérêts des différentes nations comprennent les zones de pêche, l'exploitation du pétrole brut et du gaz naturel, et l'occupation stratégique des îlots permettant d'appuyer la reconnaissance de ZEE et de contrôler les routes maritimes. La revendication chinoise sur les trois quarts de la superficie totale de la mer de Chine méridionale, marquée sur toutes les cartes chinoises, est fortement contestée par les autres pays riverains, entre autres aux Philippines et au Vietnam. Cet article examine les revendications maritimes de la République philippine dans le contexte de ces tensions internationales ayant un potentiel de déclenchement de conflit si les pays riverains ne parviennent pas à trouver un accord durable permettant de désamorcer le conflit.The Spratly archipelago, a group of uninhabited coral islands located in the "South China" sea, is the heart of a complex territorial dispute involving six countries. The interests of different nations include the fishing areas around the islands, the exploitation of petroleum and natural gas, and the strategic occupation of islets to support the recognition of EEZs and control major sea lanes. China 's claims on three-fourths of the total area of the South China Sea, clearly marked on all Chinese maps, are strongly contested by the other countries, in particular the Philippines and Vietnam. This paper examines the maritime claims of the Philippine Republic in the context of these international tensions with the potential to trigger an armed conflict if the riparian countries are unable to find a lasting agreement to defuse the conflict.
- Risques et conflits dans le Golfe Arabo-Persique (Risks and conflicts in the Persian Gulf) - Philippe Boulanger p. 139-154 Les formes de conflictualité dans le Golfe Arabo-Persique sont complexes et nombreuses comme en témoignent encore les grandes manœuvres militaires iraniennes de décembre 2011-janvier 2012. Depuis la création des derniers États arabes dans cette région, au début des années 1970, les menaces et les risques d'instabilité se sont multipliés et diversifiés : position iranienne, rivalités économiques et politiques, litiges frontaliers, sécurité interne, menace terroriste. Quelles sont les risques pour la stabilité régionale ? Pour y répondre, trois aspects sont abordés : les dynamiques géopolitiques majeures, le climat de guerre froide larvée, les autres formes de conflictualité qui font de cette région une "zone à risque potentielle "Forms of conflict in the Persian Gulf are complex and numerous as evidenced by the Iranian military maneuvers in December 2011-January 2012. Since the creation of the last Arab states in this region in the early 1970s, the threats and risks of instability have increased and diversified : Iranian position, economic and political rivalries, border disputes, internal security, terrorist threat. What are the risks to regional stability ? Three aspects are discussed : major geopolitical dynamics, the covert Cold War climate, other forms of conflict.
- Europe orientale. Voisinage partagé ou arc de crise ? (Eastern Europe ; shared neighborhood or arc of crisis ?) - Yann Richard p. 155-170 Depuis la fin de la guerre froide, de nombreux conflits ont éclaté et des tensions ont émergé dans le voisinage oriental de l'Union européenne. Celle-ci tente de participer à leur règlement par divers moyens, mais les effets de son action sont très limités pour ne pas dire nuls. Dans cet article, on analyse les causes nombreuses de cette apparente inefficacité. Il apparaît que l'Union européenne est un acteur encore peu influent dans ce voisinage qu'elle partage avec la Russie. De plus, elle ne semble pas en mesure d'agir conjointement avec la Russie comme fournisseur de stabilité et de sécurité régionale, tant les fondements de son action extérieure sont différents de ceux de la Russie. Enfin et surtout, on peut formuler l'hypothèse que l'élargissement de l'Union européenne et sa mise en œuvre de certains instruments politiques dans son voisinage sont des motifs de tensions voire de conflit potentiel avec la Russie. Finalement, le voisinage commun de la Russie et de l'Union européenne semble plus disputé voire déchiré que partagé.Since the end of the cold war, many conflicts and tensions have occurred in the eastern neighbourhood of the European Union. The EU tries to take part to the settlements of these conflicts and tensions, but the results of its action have been poor so far. In this paper, we point the reasons of the European ineffectiveness. First, the EU is an actor in international relations but its influence is low in the neighbourhood that it shares with Russia. Up to now, it has proved unable to act as a security and stability supplier alongside Russia in this part of the world, because the fundamental principles of their external action are too different. Last but not least, Russia takes a dim view of various European political initiatives — such as the European Neigbourhood Policy -which are considered by Moscow as ways to deprive Russia from its area of influence.
- Informations AGF - p. 171-172