Contenu du sommaire : Représentation et non-représentation des Roms en Espagne et en France
Revue | Sociétés & Représentations |
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Numéro | no 45, 2018 |
Titre du numéro | Représentation et non-représentation des Roms en Espagne et en France |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Représentation et non-représentation des Roms en Espagne et en France
- Politiques de la (non-) représentation - Éric Fassin p. 9-27 La représentation signifie à la fois, paradoxalement, l'absence de ce qui est représenté et la présence de la représentation. Pour appréhender ce langage de pouvoir du point de vue des minorités, et en particulier des Roms, on peut poser un second paradoxe pour rendre compte de la prolifération d'images et de la rareté des représentants : la surreprésentation des Roms imaginaires, et la sous-représentation des Roms réels. Puis on introduira une nouvelle distinction pour formuler un troisième paradoxe : l'hyper-représentation de la « question rom » dans l'espace public et en même temps la non-représentation du traitement de ces populations par les pouvoirs publics. Cette invisibilisation politique et médiatique est analysée à partir d'expériences d'engagement public à la première personne contre l'antitsiganisme politique. On s'interroge ensuite sur un déplacement qui s'opère dans la représentation, de l'image à la voix, et donc du visible à l'audible, lorsque les premiers concernés, Roms et autres minoritaires, prennent la parole en leur nom propre.The Politics of (Non-) Representation
The notion of representation paradoxically implies both the absence of that which is represented and the presence of representation. In order to approach this discourse of power from the perspective of minorities, especially the Roma, a second paradox accounts for the proliferation of images and the lack of representatives: the overrepresentation of imaginary Roma and the underrepresentation of real Roma. Another distinction serves to formulate a third paradox: the hyper-representation of the “Roma question” in the public sphere and at the same time the non-representation of the treatment of this group by the State. Experiences of public advocacy in the first person help analyze the way political anti-Gypsyism is made invisible in the media. The final section focuses on a shift in the politics of minority representation, from image to voice, and thus from visibility to audibility, when those who are primarily concerned such as the Roma start speaking up in their own names. - Le spectre des Roms - Gabriela Lupu, Éric Fassin p. 29-40 Les photographies de Gabriela Lupu montrent sans le montrer un bidonville rom avec Porte de Paris. Au départ, il y a l'intimité de la cabane d'une famille rom habitant sur un terrain à Saint-Denis. Les dessins de l'artiste représentent la disposition des objets sur les murs ainsi que des scènes de vie sur du papier de petit format (10x15cm). Dans l'atelier, ces dessins ont été traduits en formes avec du papier et du fil de fer, installés dans un petit théâtre bricolé, et ensuite photographiés. Une seule photographie, la dernière, montre (de loin) le « camp » qui vient d'être « démantelé ». Chaque scène a été photographiée en noir et blanc ; seule la légende permet d'identifier les objets et les situations. Cette sélection de neuf photographies est précédée et suivie de brefs textes d'Éric Fassin qui analysent, à travers l'esthétique de ce projet qui représente l'invisibilité, le spectre rom qui hante nos sociétés européennes.Gabriela Lupu's photographs show a Roma slum with Porte de Paris without showing it. The starting point is the intimacy of the shed in which a Roma family live in a vacant lot at Saint-Denis. The artist's drawings represent the objects on the walls as well as everyday life on small sheets of paper (4 by 6 inches). In her workshop, these were translated into forms with paper and wire, then set on a makeshift stage, and finally photographed. Each scene is captured in black and white. Objects and situations can only be identified thanks to the caption. This selection of nine photographs comes with a short preface and an even shorter afterword by Éric Fassin that analyze, through the aesthetics of this artistic project that represents invisibility, the Roma specter that haunts contemporary European societies.
- Entre voyeurisme et ironie : représentations télévisuelles des Gitanxs - Marta Segarra p. 41-52 La population gitane espagnole est à la fois sur- et sous-représentée dans la télévision de ce pays. Ce groupe social n'y apparaît en général que lorsqu'il est associé à des délits violents en rapport avec la drogue ou contre la propriété, ou bien l'associant à la musique du flamenco. Cependant, deux émissions récentes, Palabra de gitano et Los Gipsy kings, se sont focalisées sur des familles de ce groupe, la première avec une prétention documentaire et l'autre se plaçant dans le genre de la « téléréalité ». Cet article analyse la représentation des personnes identifiées comme gitanes dans ces deux émissions, en mettant en lumière les traits antitsiganes, racistes, sexistes et homophobes de leurs trames et personnages, mais aussi une certaine capacité d'action de leurs acteurs et actrices, qui leur fait échapper par moments à ce « formatage » médiatique.Between Voyeurism and Irony: TV Representations of Gitanxs
In Spain, Gitanxs are both over —and under— represented on television. This social group usually appears only in association with violent crime related to drugs and theft, or conversely with flamenco music. However, two recent shows, Palabra de gitano and Los Gipsy kings, have focused on such families; the former claiming to belong in the documentary genre, the latter as reality television. This article analyzes the representation of people identified as Gitanxs in both shows, emphasizing the antigypsyism, the racism, sexism, and homophobia of their storylines and characters, as well as a form of agency on the part of actors and actresses who at times manage to escape the format imposed by the media. - De la représentation de l'antitsiganisme à l'imagination morale : « le regard propre » de José Heredia Maya - Rodrigo Andrés p. 53-66 José Heredia Maya (1947-2010), poète, dramaturge, expert en flamenco et professeur de littérature, fut le premier professeur des universités gitan en Espagne. Dans ses écrits pour la revue La mirada limpia y la existencia del otro (2001-2004) et dans l'ouvrage Literatura y Antropología (2004), Heredia développa une taxinomie des diverses façons de regarder l'autre en littérature : le regard propre (le don du regard sans préjugés), le regard conscient (fruit de l'effort vigilant et de la mémoire historique), le regard trouble (reproduisant des peurs sociales et des stéréotypes) et le regard sale (comportant de la haine envers musulmans, Juifs et Gitans). Cet article expose les raisons pour lesquelles le travail d'Heredia a un rôle clé pour la défense, depuis la philosophie (J. C. Mèlich), de la littérature en tant que celle-ci favorise l'imagination morale et, depuis la psychologie cognitive (K. Oatley), du lien entre la littérature et l'empathie sociale.From the Representation of Antigypsyism to the Moral Imagination: José Heredia Maya's “Clean Gaze”Poet, playwright, flamenco expert, and literature professor, José Heredia Maya (1947-2010) was Spain's first Roma university lecturer. In his texts published in the journal he was editor of, La mirada limpia y la existencia del otro (2001-2004), and in his volume Literatura y Antropología (2004), Heredia developed a taxonomy of the different ways of looking at the other in literature—the clean gaze (one without prejudices), the conscious gaze (resulting from an attentive effort and historical memory), the cloudy gaze (which reproduces social fears and stereotypes), and the dirty gaze (contaminated with hatred toward Muslims, Jews and Roma). This article lays bare the reasons why Heredia's theories have a crucial role in the defense—from the fields of philosophy (J. C. Mèlich), the study of literature as moral imagination, and cognitive psychology (K. Oatley)—of the connection between literature and social empathy.
- Représenter ‘V.' : récit de soi, récit de l'autre, récit d'un « nous » - Mélikah Abdelmoumen p. 67-79 Il y a cinq ans, j'ai rencontré des familles roms de Roumanie vivant dans un bidonville de la région lyonnaise. C'était la première fois que je pénétrais dans un tel endroit (mais c'était loin d'être la dernière), et que je me retrouvais face à des personnes qui vivent dans des conditions aussi inhumaines, tout en étant les victimes d'une discrimination dont je n'avais jamais vu l'équivalent. Je suis écrivaine, et chercheuse. Mon réflexe – tout en nouant des liens avec V., une mère de famille nombreuse, et en tentant d'apprendre à la soutenir de la bonne façon (c'est-à-dire de la façon qui lui convienne, à elle, selon ses choix et ses valeurs) – a été de rendre compte non seulement de ce dont j'étais témoin, mais de ma propre position, moi, gadji, privilégiée (qui pouvais perdre ce privilège du jour au lendemain, comme nous tous), mais également immigrée, et appartenant à un groupe (les « Arabes ») dont la position dans la société française actuelle n'est pas non plus anodine. Ce texte raconte donc le parcours de la femme, de l'immigrée, de la citoyenne et de l'autrice que je suis, en réfléchissant également aux problèmes qu'a pu poser au fil du temps et que pose encore le choix d'écrire au sujet de ces personnes auxquelles je suis personnellement liée, attachée, et de les représenter.Representing ‘V.'. Narrative of the Self, of the Other, of “Us”Five years ago, I met Roma families from Romania who lived in a slum near Lyons. It was the first time, but far from the last, that I set foot in such a place, and that I faced people living in such dreadful conditions, for being the victims of a discrimination that has no equivalent. I am a writer and a scholar. My first reaction, while developing a relationship with the mother of a large family, V., and as I tried to learn appropriate ways to support her (that is, in a manner that would be appropriate to her, according to her choices and values), was to account not only for what I witnessed but also for my own position as a privileged non-Roma woman, though I could lose such privileges overnight, as we all do, also a migrant from a group (“Arabs”) whose position in contemporary French society is all but obvious. This text is the story of the trajectory of the woman, the migrant, the citizen, and the author that I am, with reflections on the problems that choosing to write about and represent people I am personally related and even bound to has raised and keeps raising.
- Une ethnographie réciproque : Étudier les vies roms et non-roms en collaboration - Paloma Gay y Blasco, Liria de la Cruz p. 81-95 La plupart des représentations universitaires des femmes roms sont produites par des non-Roms et, le plus souvent, les vies des premières sont étudiées indépendamment de celles des femmes gadjias. Dans cet article, nous (Liria, vendeuse de rue gitane, et Paloma, anthropologue paya) discutons notre tentative d'écrire ensemble une histoire de vie réciproque, soit une monographie anthropologique dans laquelle nous explorons nos trajectoires, à la fois très différentes et entrelacées, en tant que femmes espagnoles. Nous analysons notre expérience de rencontre, en tant que collaboratrices et amies, de part et d'autre de lignes de partage à la fois universitaire et ethnique. Dans cette double perspective, nous soulignons des défis que posent à une analyse féministe la vie des femmes roms, en nous interrogeant sur la manière dont elles devraient être représentées dans les textes universitaires, par qui, et avec quelles approches. Nous suggérons qu'un type de collaboration comme celui auquel nous nous sommes essayées dans cet article pourrait servir de modèle pour une coopération universitaire et peut-être même pour une solidarité entre Roms et non-Roms au-delà du monde universitaire.A Reciprocal Ethnography: Studying Roma and Non-Roma Lives Collaboratively
Most academic representations of Roma women are produced by non-Roma scholars and the lives of Roma women are generally studied in isolation from those of non-Roma women. In this article we (Liria, a Gitana street seller, and Paloma, a non-Gitana anthropologist) discuss our attempt to write together a reciprocal life story —an anthropological monograph in which we explore our very different but intertwined trajectories as Spanish women. We reflect on our experiences of coming together as collaborators and friends whilst standing on different sides of academic and ethnic divides. From this dual standpoint we outline some of the challenges for a feminist analysis of the lives of Roma women, asking how they should be represented in scholarly texts, by whom, and using what kinds of approaches. We suggest that collaborations of the kind we have attempted in this article might become a model for scholarly cooperation, and perhaps even for Roma/non-Roma solidarity in the non-academic world. - Repenser la participation politique depuis les marges de l'État : Le peuple gitan (non-) représenté - Ismael Cortés p. 97-106 En Espagne, la communauté gitane est généralement perçue comme un groupe culturel absent de la vie politique. Afin de contrebalancer cette perception stéréotypée, avec pour point de départ un examen de l'histoire de l'antitsiganisme, cet article analyse les possibilités offertes par les organisations de la société civile gitane, considérées comme acteurs politiques de la démocratie. Cette analyse tient compte des progrès et des limites de l'approche intégrationniste de l'Espagne relativement au cas des Gitans. Ce texte propose une alternative à l'approche intégrationniste, et introduit une discussion sur les libertés civiles et politiques, en tant que moyens possibles pour améliorer la participation politique des Gitans, par le biais d'une comparaison avec le mouvement des droits des femmes. La méthodologie de cet article combine une étude bibliographique et des entretiens semi-structurés avec des acteurs-clés au sein d'organisations gouvernementales et non-gouvernementales œuvrant à l'intégration des Gitans en Espagne comme FAGA, Union Romani, Centro Socio-Cultural Gitano Andaluz, Consejo Estatal del Pueblo Gitano y Secretaría de Estado para la igualdad y la no-discriminación.Re-considering Political Participation from the Margins of the State. The (Non-) Representation of Gitanos PeopleIn Spain the Gitana community is generally perceived as a cultural group absent from political life. In order to counteract this stereotyped perception, starting from a review of the history of antigypsyism, this paper analyzes the possibilities opened by the Gitana civil society organizations regarded as political players under democracy. This analysis takes into account the advances and limitations of the Spanish integrationist approach to the Gitanos case. The article ends with an alternative to the integrationist approach: it introduces a discussion of civil and political liberties, as an outline of possible ways to improve the political participation of the Gitanos, by making a comparison with the women's rights movement. Methodologically, to write this paper combines a bibliographical review with semi-structured interviews of key stakeholders from governmental and non-governmental organizations working for the integration of Gitanos in Spain such as: FAGA, Union Romani, Centro Socio-Cultural Gitano Andaluz, Consejo estatal del pueblo Gitano y Secretaría de Estado para la igualdad y la no-discriminación.
- Nous représenter - Anina Ciuciu p. 107-118 En tant que jeune femme Rromni, j'ai fait l'expérience de l'impératif qui est adressé à quiconque naît Rrom dans les sociétés modernes : cacher ce que nous sommes en public et ne pouvoir l'être que dans des ghettos cachés des Gadjés. Dès lors, pour apparaître publiquement, nous n'avons que deux options. La première consiste à haïr en soi son être Rromani autant que le hait le Gadjo afin de ressembler à ce dernier en cessant d'être Rrom. L'autre consiste à revêtir le masque humiliant de la représentation majoritaire avec l'espoir d'y trouver son intérêt. Ces deux possibilités enferment notre participation politique, à l'instar des enfants et jusqu'à récemment des femmes, dans un statut de mineur historique sans souveraineté qui n'agit ni ne s'exprime sans un tutorat majoritaire. Ma riposte consiste, à contre courant de la revendication du statut de victime historique et de nation pré-étatique empruntés encore une fois au catalogue des concepts majoritaires aliénants, à tâcher de construire notre participation politique et symbolique à partir de la réappropriation de ce qui nous représente suivant les moyens conformes à ce que nous sommes réellement : une multiplicité engagée historiquement dans des stratégies de résistance aux tentatives de destruction dont elle est l'objet dans l'histoire collective : esclavage, génocide, incarcération de masse.Representing Ourselves
As a young Romani woman, I have experienced the injunction addressed to anyone born a Roma in modern societies: hide what you are when in public, and be what you are only in ghettoes hidden from Gadjo society. As a consequence, we only have two options for our public appearances. The first is dictated by self-hatred: hating your Romani being as much as the Gadjo hates it, and thus cease to be the former in order to look like the latter. The second option implies putting on the degrading mask of majority representations of the Roma in the hope of some gain. Both options confine our political participation to the role of minors, just like children or until recently women—deprived of sovereignty, speaking or acting only under the tutelage of the majority perspective. My response goes against the grain of claims of a status as historical victims, and as a nation before the State, borrowed from majority concepts that alienate us. We should try to build our political and symbolic participation starting from the re-appropriation of that which represents us in ways that are consistent with who we are actually: a multiplicity of people historically committed to strategies of resistance against the various attempts at destruction experienced in our collective history—slavery, genocide, mass incarceration.
- Politiques de la (non-) représentation - Éric Fassin p. 9-27
Lieux et ressources
- Les Organisations Globo : lieux et ressources d'une industrie culturelle au Brésil - Évelyne Cohen, Pascale Goetschel p. 121-129 L'article porte sur la principale entreprise de médias au Brésil, la Globo. La visite effectuée dans ses locaux en novembre 2017 a donné l'occasion de faire le point sur l'histoire et le fonctionnement médiatiques de ce puissant groupe privé, spécifique au Brésil, passé maître dans l'art des telenovelas. On découvre à la fois les arcanes des Estudios Globo, des magasins de décors aux cités scénographiques, comme les différentes manières dont l'entreprise a cherché à valoriser son patrimoine et à faire œuvre de mémoire.Globo Organizations: Places and Resources of a Cultural Industry in Brazil
This article is about Brasil's main media business, the Globo. The visit of the buildings in November 2017 gave the opportunity of reflecting on the history and the media operation of that powerful private company, now master at creating telenovelas. We can learn about the mysteries of the Globo Studios, from decoration workshops to scenic cities, and also how the company aimed at highlighting its heritage and showing the importance of remembrance.
- Les Organisations Globo : lieux et ressources d'une industrie culturelle au Brésil - Évelyne Cohen, Pascale Goetschel p. 121-129
Regards croisés
- Portrait du guerrier indigène en soldat de la République : un essai d'étude visuelle (1870-1918) - Stéphanie Soubrier p. 133-153 Cet article, qui s'inscrit dans le prolongement des travaux des visual studies anglo-saxonnes, explore la manière dont l'étude de sources iconographiques permet de renouveler l'approche textuelle traditionnelle des troupes françaises d'outre-mer au XIXe et au début du XXe siècle, à travers une série d'exemples. L'analyse d'un abondant corpus de documents iconographiques conservés dans les archives de l'armée et de la société de Géographie, qui soulève certains problèmes méthodologiques spécifiques, permet néanmoins de souligner la manière dont les représentations des tirailleurs coloniaux au XIXe siècle ont repris certains codes de la photographie anthropologique de l'époque précoloniale. La manière dont les tirailleurs coloniaux sont représentés oscille cependant, tout au long du XIXe siècle, entre la volonté de singulariser, qui s'incarne dans le genre du portrait, et celle de représenter non pas un individu, mais un groupe, qui donne naissance au type racial. Elle témoigne également de la grande variété des regards portés par les colonisateurs sur les tirailleurs, qui ne sont pas réductibles à une simple volonté de domination. Au tournant du siècle, apparaît un nouveau type, le « type tirailleur », largement diffusé en métropole par le biais de cartes postales et de vignettes publicitaires. L'apparition de ce type, qui reprend certaines des conventions de la photographie anthropologique du début du XIXe siècle, révèle également, en filigrane, le discours élaboré par les Français sur les vertus « civilisatrices » du service militaire en contexte colonial. Si l'immense majorité des sources utilisées émanent des colonisateurs, les portraits photographiques réalisés en studio par les soldats venus combattre en Europe lors de la Première Guerre mondiale peuvent contribuer à inverser le regard.Portrait of a Native Warrior as a Republic Soldier: A Visual Study Essay (1870-1918)This article relies on the methodology and latest contributions of the visual studies, and aims at exploring the ways in which images may cast a new light on the history of the French colonial troops during the XIXth and early XXth centuries, compared to a more traditional approach built on written sources. It is based on numerous images and photographs of the colonial tirailleurs produced by the French Army and the Société de Géographie de Paris. Although such documents raise specific methodological problems, they show that the images of French colonial soldiers during the XIXth and early XXth centuries owed much to the anthropological photography of the precolonial era. However, those images constantly waver between two different types of images: the portrait, which captures the essence of a precise and unique individual, and the anthropological type, which sums up the physical caracteristics of a whole group. Therefore, the numerous and distinct ways in which the French represented their colonial soldiers cannot be reduced to a unanimously dominating gaze, embedded in the colonial context. At the beginning of the XXth century, a new anthropological type, the tirailleur, emerged and widely spread in metropolitan France through postcards and advertisement. This new type, which inherited some of the precolonial anthropological photography features, also illustrate the French narrative about the civilizing virtues of the colonial army. Whereas the vast majority of the images used in this article were produced by the French, the photographic studio portraits purchased by colonial soldiers serving in Europe during the First World War offer a new and different perspective.
- Portrait du guerrier indigène en soldat de la République : un essai d'étude visuelle (1870-1918) - Stéphanie Soubrier p. 133-153
Trames
- Les corvées domestiques sont-elles solubles dans le jeu vidéo ? - Fanny Lignon p. 157-171 En France, les textes officiels enjoignent les enseignants d'éduquer à l'image et à l'égalité entre les femmes et les hommes. Pourquoi ne pas joindre ces demandes et éduquer à l'un par le truchement de l'autre ? Dans cet article, je présente un jeu sérieux non stéréotypé qui traite du partage des tâches ménagères et j'analyse ses potentialités pédagogiques.In France, official educational guidelines encourage teachers to promote gender equality and the curriculum stresses the importance of the analysis of visual images. My proposal is to combine these two educational aims, using one to develop the other. In this paper I will present a stereotype-free serious game, which deals with the sharing of household chores, and I will analyse its educational potential.
- Les corvées domestiques sont-elles solubles dans le jeu vidéo ? - Fanny Lignon p. 157-171
Retours sur...
- Accumulation, destruction et hybridation chez Gustave Moreau : rêver pour ou contre l'histoire - Lilie Fauriac p. 175-186 La rémanence du passé visite et tourmente l'œuvre de Gustave Moreau qui est « tatouée » d'une empreinte historique indéniable. Célébré par le xixe siècle, l'éclectisme des arts est observé activement par le peintre curieux et sensible à « l'air du temps ». Dans un processus d'accumulation, l'artiste réceptionne, fragmente et violente l'histoire et les arts qu'il observe au musée et dans les livres. Dans ses toiles, les histoires se rencontrent et donnent naissance à une vision chimérique inédite. L'abondance ornementale, l'hybridation des mythes, l'étreinte des passés se transforment en des ailleurs qui déforment l'histoire. Cette distorsion semble tout autant étrange que symptomatique d'un siècle marqué par la brutalité des changements politiques et sociaux. Moreau use d'un imaginaire affranchi des limites du présent, préférant ainsi le rêve à son histoire cauchemardesque.Remnants of the past visit and torment Gustave Moreau's work which is 'tattoed' with an undeniable historical mark. Celebrated by the nineteenth century, eclecticism in art is actively observed by the curious painter, sensitive to the spirits of the time. In an accumulation process, the artist receives, fragments and molests history and art after examining them in museums and books. In his paintings, the different periods of history meet and give birth to an unprecedented idealistic vision. Ornamental profusion, cross-breeded myths and grasped pasts turn into history distorting elsewheres. This distortion seems just as weird as it is symptomatic of a century that was marked by the violence of political and social changes. Moreau uses an imaginary world which is freed from the limits of the present, thus preferring dream to its nightmarish history.
- Accumulation, destruction et hybridation chez Gustave Moreau : rêver pour ou contre l'histoire - Lilie Fauriac p. 175-186
Actualités
- Photographier Athènes pendant la Première Guerre mondiale : un panorama de la ville sous le regard de l'armée d'Orient - Maria Xypolopoulou p. 189-201 Cet article rend compte de l'exposition Athènes 1917 : sous le regard de l'armée d'Orient, organisée en octobre 2017 par L'École Française d'Athènes, soutenue par la Mission du Centenaire de la Première Guerre mondiale en France et en collaboration avec le musée Benaki. Fondée sur un fonds de photographies rares et d'intérêt exceptionnel, l'exposition présente les aspects particuliers d'Athènes à l'heure de l'entrée officielle de la Grèce dans la Grande Guerre. Elle témoigne aussi de la vie quotidienne de la ville dans les premières décennies du xxe siècle.This article is proposed on the occasion of the exhibition Athens 1917: Under the Aegis of the Army of the Orient, organized in October 2017 by the French School of Athens, supported by Mission du Centenaire of the First World War in France and in collaboration with the Benaki Museum. Based on a collection of rare photographs with an exceptional interest, we aim to present the particular aspects of Athens at the time of the official entry of Greece into the Great War and a testimony of daily life of Athenians citizens in the first decades of the 20th century.
- Photographier Athènes pendant la Première Guerre mondiale : un panorama de la ville sous le regard de l'armée d'Orient - Maria Xypolopoulou p. 189-201
Grand entretien
- Se rappeler 10 ans de sa vie pendant 10 heures, seul, sans note ni repère temporel : c'était la hantise de devenir fou - Thomas Schlesser, Yves Sarfati p. 205-230
Hors cadre
- Voir le passé dans les ruines romantiques : une histoire politique et littéraire - Judith Lyon-Caen p. 233-260 Cet article propose une histoire de l'expérience qui consiste à voir et éprouver la présence du passé dans les ruines médiévales mises au goût du jour par les romantiques. Il ne s'agit pas d'une histoire, culturelle, de la diffusion de la « sensibilité romantique », mais d'une enquête sur l'efficace politique de la publication d'images et de textes de littérature aptes à faire voir du passé aux lecteurs du XIXe siècle. De l'entreprise éditoriale lancée sous la Restauration par Charles Nodier et Justin Taylor, les Voyages pittoresques et romantiques dans l'Ancienne France, aux premiers dispositifs touristiques à Jumièges, au début des années 1830, il s'agit de suivre l'effacement d'un usage politico-religieux des ruines sous la Restauration, dont les Voyages portent la trace discrète, au profit d'un usage patrimonial, destiné à traverser le temps.This article presents a history of the experience of seeing and feeling the presence of the past in the medieval ruins at the time of Romanticism. Rather than a cultural history of the spreading of the “romantic sensibility”, it offers a reflection on the political efficiency of the publication of images and literary texts which were able to show the past to 19th century readers. From the series launched under the Restoration by Charles Nodier and Justin Taylor, the Voyages pittoresques et romantiques dans l'Ancienne France, to the first tourist attractions in Jumièges at the beginning of the 1830s, we follow the erasure of a political and religious use of the ruins under the Restoration (whose the Voyages bear the discreet trace), in favour of a cultural and patrimonial use of the ruins, destined to pass through time.
- Le mont Ventoux : Du mythe littéraire au mythe sportif - Philippe Tétart p. 261-290 Le mont Ventoux est depuis des siècles l'objet d'une fascination autour de laquelle gravite une mythologie, tantôt en en faisant un mont maléfique, tantôt un mont permettant l'accès à la félicité, à l'accomplissement de soi. Comment les représentations nées de cette mythologie colportée et construite par la littérature, puis la presse du XIXe siècle, innervent-t-elles l'histoire sportive du mont, qui commence en 1902 ? L'innervent-t-elles toujours ? Telles sont les questions qui animent à cet article, au cours duquel on reviendra sur la naissance du Ventoux comme lieu emblématique des exploits sportifs contemporains (cyclisme, course à pieds, course automobile), puis comme lieu d'expression de la dramatique sportive moderne (Tour de France, mort de Tom Simpson en 1967). Autant d'épisodes, parmi d'autres, qui permettent de voir comment le mont Ventoux est devenu, au XXIe siècle, aussi bien le terrain d'expression, parabolique, de l'effort ou du sacrifice, sportif ultime, qu'un lieu de pèlerinage de masse, à la fois patrimonial et sportif.For centuries, Mont Ventoux has been an object of fascination around which a mythology has grown up, and which sometimes construes it as maleficent, and sometimes as allowing access to happiness and self-fulfilment. How did the representations arising from this mythology, as peddled and constructed by literature, then by the press in the nineteenth century, stimulate the sporting history of the mountain, which began in 1902? Do they still have this effect today? These are the questions that underpin this article, in which we will cast back to the birth of Mont Ventoux as the emblematic site of contemporary sporting achievements (cycling, running, motor racing), then as the place of expression of modern sporting drama (Tour de France, the death of Tom Simpson in 1967). These episodes, like so many others, show how in the twenty-first century Mont Ventoux has become both the parabolic field of expression of effort, sacrifice or ultimate sportsmanship, and a place of mass heritage- and sports-related pilgrimage.
- Voir le passé dans les ruines romantiques : une histoire politique et littéraire - Judith Lyon-Caen p. 233-260