Contenu du sommaire : Tirage au sort et démocratie
Revue | Participations |
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Numéro | Hors série, 2019 |
Titre du numéro | Tirage au sort et démocratie |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Remerciements - Liliane López-Rabatel, Yves Sintomer p. 7
- Introduction. L'histoire du tirage au sort en politique : instruments, pratiques, théories - Liliane López-Rabatel, Yves Sintomer p. 9-34 L'intérêt pour le tirage au sort dans la sphère académique s'est développé parallèlement dans la science politique et dans les sciences historiques. L'introduction de ce numéro hors-série de Participations en retrace la généalogie et tire les leçons d'une rencontre entre ces deux champs. Se concentrant sur le tirage au sort en politique, elle analyse la constitution progressive d'un ensemble de pratiques spécifiques, relevant du « sort distributif » (Thomas d'Aquin) et distincts du sort divinatoire. Trois résultats sont soulignés : le fait que le tirage au sort ait été utilisé de façon intensive dans l'histoire politique, y compris au-delà des républiques et démocraties occidentales ; l'importance des instruments utilisés pour la sélection aléatoire ; et le fait que la procédure puisse, en fonction des contextes, servir à des logiques sociopolitiques très contrastées. L'actualité proprement politique du tirage au sort est enfin interrogée.Interest in sortition in the academic sphere has developed separately in political science and in the historical sciences. The introduction of the special issue of Participations analyzes its genealogy and draws the lessons of an encounter between these two fields. Focusing on political sortition, it explains the constitution of a specific set of practices, which are part of the distributive sortition and are distinct from divinatory sortition. It stresses three results: the intensive use of random selection in political history, including outside Western democracies and republics; the importance of the tools necessary for sortition practices; and the fact that the same procedure, according to the contexts, can serve quite contrasted sociopolitical dynamics. Finally, it reflects upon the present growing popularity of random selection in the political sphere.
I. Le monde antique
- Mots et outils du tirage au sort en Grèce ancienne - Liliane López-Rabatel p. 35-80 Le processus de mise en œuvre de la démocratie à Athènes au fil des Ve et IVe siècles avant J.-C. s'exprime par la recherche constante d'outils permettant d'accompagner les innovations politiques. La volonté d'accorder à un corps de citoyens élargi une égale chance d'implication dans la vie civique conduit à une organisation subtile des modes de participation et d'expression du peuple. Pour la dévolution des charges publiques le recours au tirage au sort se développe au détriment de l'élection, mais le vote demeure un puissant mode d'arbitrage, aussi bien à l'Assemblée, au Conseil qu'au Tribunal du peuple.Cette contribution a pour objectif de retracer les grandes étapes de l'équipement du tirage au sort à partir de l'étude du lexique utilisé pour le désigner et d'interroger la césure que marque l'apparition du klèrôtèrion, la machine à tirer au sort emblématique de la démocratie. L'examen conjoint des sources textuelles et des vestiges archéologiques conduit dès lors à se poser la question de l'apport de l'archéologie dans la connaissance du fonctionnement de la démocratie athénienne.The implementation process of democracy in Athens in the fifth and fourth centuries B.
C. reveals the constant search for tools, facilitating the development of political innovation. The wish to grant a broad group of citizens an equal opportunity to be involved in public life led to a subtle organization of the way in which the people were to participate and to express themselves. Regarding the devolution of public responsibilities, the use of sortition increased at the expense of the election process, but election remained a powerful arbitration mode, be it at the Assembly, at the Council, or at the People's Court (of justice).This article intends to relate the main stages of development of the sortition organization apparatus, relying on the study of the lexicon attached to it. We will also question the significant change marked by the invention of the kleroterion, used to perform sortition and which is not only a material device but also an emblem of democracy. The joint examination of textual sources and archeological vestiges leads us to question the contribution of archeology to knowledge of Athenian democracy. - Platon, le tirage au sort au fondement de la communauté politique - Arnaud Macé p. 81-97 Platon, à travers les projets constitutionnels qu'il a développés, en particulier dans les Lois, nous révèle que le tirage au sort peut jouer un rôle politique fondamental, plus fondamental à ses yeux que le fait d'y recourir pour désigner les magistratures, comme le fait la démocratie ancienne. Platon s'appuie sur une culture grecque du hasard, qui confère au tirage au sort la double vertu de la sanction divine et de l'établissement de l'égalité des parts reçues entre égaux. La théorie des deux égalités (fondées soit sur l'identité des parts soit sur leur proportionnalité) permet de marginaliser le tirage au sein de la désignation des magistratures, qui doit relever de l'autre égalité, selon un critère de mérite. En revanche, l'attribution par le tirage au sort de parts égales du territoire assure la cohésion de la cité des Lois. Plus encore, la nécessité de penser la cité comme une somme de récipiendaires de parts égales confère à celle-ci son articulation mathématique et sa capacité de mobilisation.The constitutional projects described by Plato, especially in the Laws, plainly show that drawing lots may play a fundamental political role, more fundamental in Plato's view than using it to designate political officers, as ancient democracy does. Plato draws on the Greek culture of chance, a culture that endows drawing lots with the double virtue of divine sanction and establishing equality of shares between equals. The theory of the two forms of equality (based either on equal or proportional shares) allows Plato to marginalize sortition in the process of designating political office: selecting leaders should be based on merit (proportional equality). Drawing equal shares of land, on the other hand, lays the common ground for the city of the Laws. Moreover, having to consider the city as a sum of individuals who are at the receiving end of equal share distributions leads Plato to frame its mathematical structure and power of mobilization.
- Le tirage au sort dans l'Athènes antique : de la religion à la politique - Paul Demont p. 99-115 Le rôle du tirage au sort dans la démocratie athénienne des Ve et IVe siècles avant notre ère retient toujours l'attention des spécialistes de science politique. Mais l'usage du sort pour le choix des responsables politiques avait aussi un arrière-plan religieux dans la Grèce archaïque et classique. Cette étude retrace deux processus de sécularisation à la fois similaires et différents, mais liés entre eux par la tradition occidentale des études classiques, dans le polythéisme de la Grèce ancienne et dans le monothéisme de l'Europe moderne.The part played by sortition in Athenian democracy in the fifth and fourth century BC is still a focus for political scientists. But the use of lots for choosing leaders also had a religious background in Archaic and Classical Greece. This paper traces two processes of secularization, in some ways similar, in other ways different, but linked together by the Western tradition of classics, in the polytheism of Ancient Greece, and in the monotheism of modern Europe.
- Tirage au sort et élections dans la Rome antique. Y a-t-il eu une démocratie romaine ? - Virginie Hollard p. 117-137 Le tirage au sort, symbole de la démocratie athénienne, est assez fortement présent dans le déroulement des élections de magistrats à Rome aussi bien sous la République que sous le Principat augustéen. Alors que la République romaine a toujours été considérée comme un régime de nature aristocratique et que le passage d'un régime à l'autre, affirmant l'auctoritas, voire l'arbitrium principis, semble conduire le peuple romain à disparaître de la vie politique, comment interpréter le sens politique du tirage au sort ? Pour répondre à cette question, ce dernier sera envisagé dans trois moments clés de la vie politique romaine : la mise en place des institutions de la République romaine, la crise politique du Ier siècle av. J.-C. et l'installation du Principat augustéen.The draw—a symbol of Athenian democracy—was significantly present in the Roman magistrates' election process, both under the Republic and the Augustan Principate. Understanding the political meaning of the draw is a somewhat complex matter. The Roman Republic has always been regarded as an aristocratic regime; the transition from one regime to the next—which underlines the “auctoritas principis,” if not the “arbitrium principis”—seems to mean that the Roman people were doomed to disappear from political life, the election process included. To clarify the political meaning of the draw, we will examine it through the lens of three key episodes of Roman political life: the setup of the Roman Republic's institutions, the political crisis of the first century B.C., and the advent of the Augustan Principate.
- Sors, sortiri, sortitio. Pratiques et lexique du tirage au sort dans le monde romain - Frédérique Biville p. 139-156 Le tirage au sort (sors, sortiri) a joué un rôle fondamental dans le monde romain, dans les institutions politiques et juridiques (sortitio), dans les pratiques divinatoires et ludiques, et dans les diverses circonstances de la vie quotidienne. L'étude du lexique dans lequel il s'exprime, avant tout sors (qui s'est maintenu jusque dans les langues romanes modernes) et ses dérivés, permet d'aborder l'impact du concept dans la civilisation romaine et la diversité de ses réalisations, même si les textes, littéraires et épigraphiques, ne sont pas toujours explicites sur la nature et l'évolution des réalités matérielles et des procédures associées aux mots. Des ambiguïtés subsistent, en particulier sur la nature des instruments du tirage au sort, les sortes et sorticulae, et sur celle de l'urne, urna, qui pose le problème de sa correspondance avec le grec κληρωτήριον (klêrôtêrion).Drawing lots (sors, sortiri) played a major part in the Roman world, in political and juridical institutions (sortitio), in divinatory and playful practices, and in the different circumstances of everyday life. The study of the lexicon by which it is expressed, and before all sors (which survives in modern romance languages) and its derivatives, allows us to approach the impact of the concept in Roman civilization and the diversity of its achievements, even if literary and epigraphic texts are not always explicit about the nature and evolution of the material realities and proceedings connected with the words. Some ambiguities remain, especially about the nature of the instruments of drawing lots (sortes and sorticulae), and that of the urn, urna, which brings up the problem of its relationship with the Greek κληρωτήριον [kleroterion].
- Le tirage au sort civique dans la Rome républicaine et impériale : matériels et techniques - Julie Bothorel p. 157-177 Dans la Rome républicaine et impériale, le tirage au sort (sors ou sortitio) est une procédure technique couramment employée par les magistrats de Rome pour distribuer des tâches particulières parmi les sénateurs ou les magistrats, répartir des lots de terre ou organiser le déroulement du vote. L'étude des sources littéraires, mais également épigraphiques, iconographiques et archéologiques, permet de mieux connaître les instruments qui étaient utilisés pour tirer au sort les lots publics (sitella, hydria, urna uersatilis, sortes et pilae), ainsi que la manière dont on les manipulait. Entre les années 100 et 70 av. J.-C., le passage d'un tirage au sort public manuel effectué à l'aide d'une sitella et de sortes à un tirage au sort mécanique effectué à l'aide d'une urna (uersatilis) et de pilae illustre les mutations du régime et de l'aristocratie du Ier siècle.The drawing of lots—called sors or sortitio in Latin—was a technical practice commonly used in Republican and Imperial Rome by city magistrates to allocate specific tasks to senators and magistrates, divide up plots of land, and organize voting procedures, among other functions. Drawing on literary, epigraphic, iconographic, and archeological sources, this article seeks to better understand the instruments that were used to draw lots in public contexts (sitella, hydria, urna versatilis, sortes, and pilae), as well as the manner in which these tools were handled. Between 100 and 70 BC, the transition from manual sortition conducted with a sitella and sortes to the use of mechanical sortition using a rotating sortition vessel (urna versatilis) and pilae corresponds to a number of significant changes in the contemporary aristocratic and political regime.
- Tirage au sort et divination dans la Rome antique. Sur le problème de la participation divine - Romain Loriol p. 179-194
- Mots et outils du tirage au sort en Grèce ancienne - Liliane López-Rabatel p. 35-80
II. Le monde médiéval et le monde moderne
- Langages et pratiques du tirage au sort dans la vie publique des communes médiévales italiennes (XIIIe-XIVe siècles) - Lorenzo Tanzini p. 195-213 L'article porte sur la phénoménologie du tirage au sort dans les pratiques politiques des villes italiennes pendant la période « classique » de l'histoire urbaine du Moyen Âge. Dans ce contexte, le hasard n'est pas souvent utilisé en tant que tel, mais tout au contraire entre dans une composition complexe avec d'autres moyens de désignation, tels que le choix indirect ou la cooptation ; l'emploi de chaque moyen se justifie en relation avec le moment politique, les changements de régime, les différents offices. Il s'agit donc de décoder les références documentaires pour comprendre le rôle effectif du tirage au sort et son arrière-plan idéologique, jusqu'au moment où, au cours du XIVe siècle, le fonctionnement des systèmes électoraux dans la plupart des villes se fixe dans la forme de rotation des postes parmi les couches « qualifiées » de la société urbaine.This paper focuses on the use of sortition within the political practices of the Italian city states during the central period of the late medieval blossoming. In such a context, sortition is not usually employed as such, but is rather one of the institutional tools of electoral designation, including cooptation, indirect choice, etc., with the use of the different systems depending on the political situation, the political aims, and the different offices involved. The aim of the paper is consequently to analyze the witnesses of the sources that relate to the real function of sortition in terms of its practical uses and ideological framework, and in particular to understand how, during the fourteenth century, the electoral system of most cities created a kind of turnover of officers within the circle of qualified citizens.
- Élection ducale, usages institutionnels et pratiques populaires : le tirage au sort dans la République de Venise - Claire Judde de Larivière p. 215-231 La République de Venise occupe une place privilégiée dans l'histoire des usages politiques du tirage au sort, en raison de la procédure utilisée pour l'élection du doge. La complexité du déroulement du vote, qui a depuis longtemps suscité commentaires et interprétations, ne doit pas pour autant faire oublier l'importance de la diffusion du tirage au sort dans la société et les institutions vénitiennes. Cet article montre la diversité des usages de la procédure dans la République de Venise, en envisageant les différents domaines dans lesquels le tirage au sort était employé, en se concentrant sur les manières de faire, de façon à montrer ce que l'ubiquité du tirage au sort révélait de l'idéal politique vénitien qui reposait sur les principes de justice, d'égalité et de distribution des ressources et du pouvoir.The Republic of Venice occupies a privileged place in the history of the political uses of drawing lots because of the procedure for the election of the Doge. The complexity of the voting process, which has long attracted commentary and interpretations, should not, however, overshadow the importance of draws within Venetian society and institutions. This chapter highlights the diversity of procedural uses in the Republic of Venice, taking into account the different areas in which draws were employed, focusing on practices and uses. The ubiquity of drawing lots revealed how the ideal Venetian policy was based on the principles of justice, equality, and the distribution of resources and power.
- Le sort contre l'État ? La vocation des magistratures urbaines françaises au XVIIe siècle - Yann Lignereux p. 233-250 À la fin de plus de quarante ans de troubles civils et religieux, les villes françaises connaissent, au XVIIe siècle, un processus de forte subordination monarchique dont les ressorts sont liés autant aux exigences de la pacification religieuse et de la normalisation politico-sociale absolutistes qu'à l'efficacité et l'extension de la perception fiscale de la monarchie administrative. Son instrument principal est constitué par le contrôle, sous les premiers rois bourbons, des gouvernements urbains dont ils s'assurent l'obéissance et la fidélité en intervenant à différents niveaux des processus édilitaires. Par le recours au sort dans la désignation des principaux magistrats urbains – qu'il soit le fait d'un véritable tirage au sort ou qu'il soit célébré dans l'appareil rhétorique municipal –, plusieurs villes, comme Lyon et Marseille, s'efforcent d'aménager les termes de cette subordination étatique en définissant une autonomie du politique déliée des mécanismes sociaux et financiers assurant l'efficacité de cette dernière. Dans le champ d'une expérience historique d'une génération environ (les années 1630-1660), un modus operandi de la représentation politique urbaine est alors défini que peuvent éclairer les évolutions dramaturgiques immédiatement contemporaines. Une autonomie dont il faudra interroger cependant les finalités exactes qui pourraient, dès lors, être moins celles visant à préserver l'indépendance des villes des appétits monarchiques qu'une ingéniosité institutionnelle et arithmétique chargée d'assurer la satiété de puissance de certains clans édilitaires à l'exclusion de tout autre compétiteur local.After forty years of civil and religious unrest, French towns lost their privileges as the administrative monarchy's power intensified in the seventeenth century. This authoritarian drift came about as a result of both the demands of absolutist religious pacification and political and social normalization. Its main instrument was the control, under the first Bourbon kings, of the urban governments, whose obedience and fidelity they could be assured of by intervening at different levels of the process of maintaining public buildings. Through the use of lots in the designation of the principal urban magistrates—whether it was the fact of a real draw or to be celebrated in the municipal rhetorical apparatus—several cities, such as Lyon and Marseille, strove to adapt the terms of this state subordination by defining a policy autonomy free of the existing social and financial mechanisms. In the context of the historical experience of a generation (1630-1660), a modus operandi for urban political representation—which could explain immediately contemporary dramaturgical evolutions—was thus defined. This autonomy, however, must be examined in connection with its exact purposes, which could be less directed towards preserving the independence of towns from monarchic appetites than towards an institutional and arithmetical ingenuity attempting to ensure the satiety of power of certain clans involved in the maintenance of public buildings.
- L'introduction du tirage au sort dans les élections dans la République de Genève (1691) - Raphaël Barat p. 251-262 À partir de 1691, le sort intervient à deux niveaux dans les élections des magistrats de la République de Genève. Au stade de la nomination en Petit Conseil, dans les élections des auditeurs, du procureur général et du trésorier général, on « retranche » au hasard un tiers des billets, qui sont brûlés avant le dépouillement. Pour les auditeurs, le sort intervient à nouveau au stade de la « rétention » finale des prétendants par le Conseil général : avant le vote des citoyens, deux des six prétendants sont « exclus par la boule noire ». Si la pratique du « retranchement » est abandonnée en 1700, le recours aux « boules noires » continue jusqu'à la Médiation de 1738. Si les sources existantes permettent difficilement d'évaluer l'effet du sort dans les élections, nous pouvons en revanche nous pencher sur la façon dont il a été justifié lors de son introduction en 1691, et sur les problèmes qu'a pu poser sa mise en place pour les différents acteurs. Il s'agit d'abord de décourager les brigues « en rendant la nomination incertaine ». Ce recours au sort s'inscrit aussi dans une réflexion plus large sur la difficulté de moraliser les élections, et constitue une réponse aux critiques de plus en plus nombreuses sur le manque d'efficacité des serments. Nous montrerons enfin quels problèmes posait la mise en scène du tirage au sort – recours à un enfant, exclusion en Petit Conseil ou « à la vue du peuple » ?In 1691, sortition was introduced in two ways to the process used to elect the magistrates of the Republic of Geneva. When the Small Council nominated candidates for the positions of auditor, attorney-general and treasurer, one third of the ballots were randomly withdrawn and burnt before the votes were counted. For the election of auditors, sortition was also used in the final vote by the General Council (the assembly of all citizens). Before the citizens voted, two of the six candidates were ‘excluded by the black ball'. The Small Council stopped withdrawing ballots during the nomination process in 1700, but black balls remained in use for the election of auditors until the Act of Mediation in 1738.Although the primary sources available make it difficult to measure the impact of sortition on electoral results, they provide information about how the mechanism's introduction was justified by the government of the Republic in 1691, and about the problems raised by the new practice for the various actors involved. Sortition was supposed to deter candidates from forming cabals by ‘making nominations uncertain'. The decision to resort to sortition was part of a larger debate on how to prevent the formation of cabals; it could be seen as a response to growing criticism of oaths for their lack of effectiveness in that regard. Finally, we shall examine what problems were raised by the staging of sortition as a performance: should the black balls be drawn by a child, should it be done in the Small Council or ‘in the people's sight', before the whole assembly of citizens?
- Le Kübellos dans le canton de Glaris : une expérience inédite de tirage au sort - Antoine Chollet, Aurèle Dupuis p. 263-281 Entre le XVIIe siècle et le début du XIXe siècle, le tirage au sort est utilisé de façon très variée dans ce qui deviendra plus tard la Suisse. Quatre foyers principaux se démarquent : les cités-États oligarchiques (Berne, Bâle et Schaffhouse principalement), les cantons « démocratiques » (en particulier Glaris et Schwytz), la répartition de certains biens rares dans les communautés alpines et les institutions de la République Helvétique (1798-1803).Dans cette contribution, nous nous intéresserons principalement au cas du canton de Glaris, qui, de 1640 à 1836, utilise largement le tirage au sort pour désigner certains de ses magistrats. Il s'agit là d'un des derniers exemples d'utilisation du tirage au sort en Europe pour ce qui concerne les communautés politiques souveraines. Sa persistance jusqu'au moment de la disparition presque totale du tirage au sort en Europe en fait un cas historique précieux susceptible d'éclairer d'un jour nouveau les raisons d'une disparition encore aujourd'hui partiellement inexpliquée. Il constitue de plus l'un des très rares exemples, avec l'Athènes antique, mais selon des modalités évidemment très différentes, d'utilisation du tirage au sort dans une communauté organisée de manière au moins formellement démocratique, avec une assemblée de tous les citoyens qui se réunit régulièrement et dispose de certains pouvoirs. Instaurant des procédures de sélection inédites, notamment un double tirage au sort incluant tous les électeurs à partir de 1791, le cas glaronnais mérite donc une attention historique toute particulière.From the seventeenth to the beginning of the nineteenth century sortition was used in various forms in the cities and territories that would later constitute Switzerland. One can identify at least four main loci for these uses: in oligarchic city-states (the foremost examples being Bern, Basel, and Schaffhausen), in “democratic” cantons (especially Glarus and Schwyz), in order to allocate goods and resources in Alpine communities, and finally in the institutions of the Helvetic Republic (from 1798 to 1803).We will mainly deal here with the case of Glarus, where sortition was widespread from 1640 to 1836 in order to select various magistrates. Among European sovereign polities, Glarus was perhaps the last one to make such an extensive use of sortition. This persistence explains why it is an extremely interesting case to study, which could shed some new light on the discussion about the still partly unexplained disappearance of sortition in politics. Moreover, it constitutes one of the very few historical examples of sortition in a more or less formally democratic political community, along with classical Athens, putting aside obvious differences between the two. In Glarus as in Athens, the supreme body of the community was an assembly of all citizens, which gathered regularly and was vested with some power. With its highly original procedures for selecting magistrates, most notably a double lottery introduced in 1791, in which all citizens took part, the historical example of Glarus thus deserves special attention.
- Représentation politique et usage du tirage au sort au Mexique 1808-1857 - Alexei Daniel Serafín Castro, Liliane López-Rabatel p. 283-301 Le présent article a pour objectif d'exposer l'usage du tirage au sort dans le domaine politique au Mexique durant la première moitié du XIXe siècle, particulièrement durant la période allant de 1808 à 1857. En désaccord avec la majorité des opinions académiques, il émet l'hypothèse que le tirage au sort ne s'éteint pas totalement avec le triomphe du paradigme de la représentation politique des parlements modernes, mais qu'il survit dans la tradition hispanique et hispano-américaine. Nous exposons sommairement l'usage que l'on fit du tirage au sort politique au cours de la Révolution libérale de 1809 et 1810, en mettant particulièrement l'accent sur le procédé électoral qui fut mis en œuvre dans le Royaume de la Nouvelle Espagne. De la même façon, nous tentons d'analyser les usages du tirage au sort dans la Constitution de Cadix de 1812 et au Mexique, avant et après l'indépendance, et ce jusqu'en 1857. Nous proposons de qualifier l'usage que l'on fit du tirage au sort dans la période qui a suivi la Constitution de Cadix de « procédure de sortie du conflit politique ».The objective of the present article is to analyze the practice of political sortition in Mexico throughout the first half of the nineteenth century, especially during the years 1808-1857. Contrary to the claim made by most academic research on the topic, sortition did not disappear with the triumph of modern political representation, but survived in the Spanish and Spanish-American tradition. The first part briefly describes practices of sortition during the liberal revolution in Spain in 1809-1810, with special attention given to the Kingdom of New Spain. The second part analyzes the way that sortition was practiced during the period that followed the Constitution of Cádiz (1812) and in Mexico before and after independence, until 1857. I suggest calling the use of sortition in the post-Cádiz period in Mexico “political settlement.”
- Langages et pratiques du tirage au sort dans la vie publique des communes médiévales italiennes (XIIIe-XIVe siècles) - Lorenzo Tanzini p. 195-213
III. Le monde chinois
- La nomination des fonctionnaires par tirage au sort en Chine à la fin de la période impériale (1594-1911) - Pierre-Étienne Will p. 303-342 Le tirage au sort des affectations de fonctionnaires locaux par le ministère de la fonction publique a été institué en 1594, à la fin de la dynastie des Ming, dans un contexte d'affrontements politiques entre factions rivales. L'objectif était de mettre le choix des postes à pourvoir, dont certains étaient considérés comme plus désirables que d'autres, à l'abri des trafics d'influence et de la corruption. Saluée au départ pour son impartialité, la procédure a très vite été critiquée pour les trucages qu'elle encourageait et parce qu'elle rendait impossible la désignation de candidats adaptés aux spécificités des postes à pourvoir. L'article montre qu'en dépit de ces oppositions, le tirage au sort d'un nombre croissant de catégories de postes administratifs est resté la norme jusqu'à la fin de la dynastie des Qing en 1911. Il a en fait cessé d'être un objet de débat à partir du tournant du XVIIIe siècle, en partie parce que les décisions relatives aux postes les plus importants et les plus rémunérateurs ont été progressivement transférées aux gouverneurs de province. Si elle permettait effectivement de désigner des fonctionnaires ayant déjà fait leurs preuves, cette évolution n'a fait que déplacer vers les provinces le problème de la corruption. Pour sa part, le trône se réservait de pourvoir directement les postes considérés comme stratégiques.The drawing by lots of local magistrate appointments by the Ministry of Personnel was instituted in 1594 in the late Ming dynasty amidst bitter factional rivalries. The aim was to protect the process of filling positions—some of which were deemed more desirable than others—from influence peddling and corruption. Though celebrated at first for its fairness, the new procedure was soon criticized, both because of the rigging it was inviting and for its inability to select men suited to the peculiarities of the positions made available. This essay shows that despite such oppositions, filling more and more categories of administrative positions by drawing lots remained the rule throughout this entire period until the fall of the Qing dynasty in 1911. It in fact ceased to be debated from the turn of the eighteenth century onward, the reason being in part that the power of appointment to the positions deemed the most important and financially rewarding was gradually transferred to provincial governors. While it did make possible the informed choice of experienced officials, this new situation only moved the problem of corruption to the provinces. On the other hand, the emperor retained his ability to directly fill the positions regarded as being of strategic importance.
- La nomination des fonctionnaires par tirage au sort en Chine à la fin de la période impériale (1594-1911) - Pierre-Étienne Will p. 303-342
IV. Le monde contemporain
- Du klérotèrion à la cryptologie : l'acte de tirage au sort au XXIe siècle, pratiques et instruments - Dimitri Courant p. 343-372 Le tirage au sort est de plus en plus présent dans les discours et les pratiques politiques au xxie siècle. Utilisé pour désigner des jurys ou départager des candidats ex-æquo lors d'élections, il devient aussi l'objet de revendications démocratiques, de la part de chercheurs, d'expérimentateurs et de militants. Mais peu d'intérêt est porté aux techniques et outils concrets utilisés pour les tirages contemporains. Contribuant à l'histoire matérielle de la démocratie, cet article analyse l'acte de tirage au sort aux xxe et xxie siècles à travers les pratiques et instruments mobilisés par une mosaïque d'acteurs dans des contextes divers. Du pile ou face à la courte paille ou à l'urne jusqu'aux logiciels informatiques et à la physique quantique, du klérotèrion à la cryptologie, comment tire-t-on au sort aujourd'hui ? Quelles sont les logiques matérialisées par ces pratiques ? Notre recherche démontre qu'il y a au xxie siècle une persistance des outils manuels pour l'acte de tirage au sort, l'avènement de l'informatique ne les ayant pas effacés. Il existe des phénomènes d'hybridations et de transitions des outils et des pratiques selon les champs. En revanche, l'apparition de l'informatique coïncide avec la montée en puissance de la notion d'échantillon représentatif et des instituts de sondages. Cela soulève un défi : en démocratie, le tirage au sort peut-il être conduit par des experts via des logiciels en « boîte noire » de façon non-transparente, sans risquer de perdre la confiance du public ?In the twenty-first century, sortition has become increasingly prevalent in both political discourse and practices. Random selection is used to designate jurors and to break ties between electoral candidates. Sortition has also become an integral part of the democratic demands made by academics, experimenters, and activists. But little attention has been paid to the concrete techniques and tools used in contemporary random selection procedures. Contributing to the “material history of democracy,” this chapter analyzes the “act of sortition” in the twentieth and twenty-first centuries by looking at the wide variety of practices and instruments used by a veritable tapestry of actors in differing contexts. From coin-flipping or drawing the short straw to retrieving ballots from an urn or using digital software and quantum physics, from kleroterion to modern cryptology, how does one draw lots today? And what significance do these practices embody? Our research shows that in the twenty-first century, manual tools for the act of sortition have persisted despite the rise of computing and digitization. Depending on the field, hybridization or transition phenomena can be observed regarding sortition tools and practices. However, the birth of computing has coincided with the rise of the representative sample and opinion polls. This poses a challenge: in a democracy, can sortition be conducted by experts using proprietary black box software in a non-transparent manner without jeopardizing the public's trust?
- La sélection des mini-publics entre tirage au sort, motivation et disponibilité - Jean-Michel Fourniau p. 373-400 La multiplication des mini-publics comme instruments emblématiques d'une démocratie plus délibérative se prévaut des propriétés attachées au tirage au sort censé, depuis l'antiquité, bannir l'auto-sélection et garantir au contraire l'égalité, l'imprévisibilité et l'impartialité de la sélection et, de surcroît, du point de vue contemporain de la théorie délibérative, une meilleure inclusivité. Or, cet article le montre en analysant un cas précis à la lumière de la littérature internationale, le processus de recrutement d'un mini-public, généralement qualifié de « tirage au sort », s'avère en fait fabriquer une sélection de personnes au bout du compte volontaires, les différences entre participants et non-participants apparaissant suffisamment importantes pour influencer la dynamique de la délibération. Le processus combine un tirage au sort initial, souvent non aléatoire, avec l'auto-sélection des participants en fonction de motivations diverses et d'une disponibilité aux dates fixées, et leur enrôlement de manière à fabriquer la représentativité du mini-public. L'enrôlement des personnes tirées initialement au sort les mobilise différemment selon leurs motivations à participer à un exercice collectif et délibératif, selon leur activité sur Internet quand il s'agit déjà d'adhérents à un panel d'internautes, selon le sujet traité et les conditions du mini-public (en particulier la rémunération de la participation). Le mixage entre tirage au sort, motivation et disponibilité biographique sélectionne préférentiellement des « citoyens délibératifs » qui attachent plus d'importance que les non-participants à exprimer leur avis, prennent plus plaisir à participer à un exercice collectif pour le faire, craignent moins l'expression du désaccord politique en face-à-face et sont plus disposés à évoluer dans leurs opinions du fait de la valeur sociale qu'ils attribuent à la discussion collective.The proliferation of mini-publics as emblematic instruments of a more deliberative democracy relies on the method of sortition. The latter, since Antiquity, supposedly does away with self-selection, and instead guarantees equality, unpredictability, and the impartiality of the selection. Moreover, from the contemporary point of view of deliberative theory, sortition ensures better inclusiveness. Yet this chapter analyzes a specific case in light of the relative literature, showing instead that the process of recruiting a mini-public, generally described as “random selection,” is in fact the selection of individuals who are ultimately volunteers. Moreover, the differences between participants and non-participants are significant enough to influence the dynamics of the deliberation. The process combines an initial random sampling, often non-probability based, with self-selection of participants according to various motivations, their availability for the scheduled dates, and their recruitment carried out in such a way as to ensure the representativeness of the mini-public. Recruitment (of an initially randomly selected group) mobilizes individuals in different ways depending on their motivation to participate in a collective and deliberative exercise, their activity online when they are already members of an online panel, the topic itself, and the conditions of participation (especially remuneration). The mix of random recruitment, motivation, and biographical availability preferentially selects “deliberative citizens” who place more importance than non-participants on expressing their opinion, find more pleasure in participating in collective exercises, are less wary of face-to-face political disagreement, and are more willing to shift their opinions, given the social value they attribute to collective discussion.
- Le tirage au sort en cour d'assises : une expérience politique - Célia Gissinger-Bosse p. 401-415 Le présent chapitre étudie le tirage au sort à partir du jury populaire en cour d'assises en France. Le jury populaire, instauré dans le tourment de la révolution française, s'est accompagné d'une idéologie démocratique particulière. Le contexte de cette instauration montre en particulier une distinction entre faire participer des citoyens et les tirer au sort. Nous proposons donc d'aborder les enjeux respectifs de la participation des citoyens à la mise en œuvre de la justice et le tirage au sort de ces citoyens. La présente contribution souhaite montrer qu'alors que le gouvernement représentatif et la professionnalisation de la justice limitent la légitimité du juré, le tirage au sort permet aux jurés d'assises de vivre une expérience démocratique particulière.This chapter examines the random draw that takes place in the case of French lay juries (Assize Court). This type of jury, established during the turmoil of the French revolution, was accompanied by a particular democratic ideology. The context of this in particular shows a distinction between involving citizens and drawing them out. We therefore propose to address the respective challenges of citizen participation in the implementation of justice and the random drawing of these citizens by lots. The present contribution aims to show that while representative government and the professionalization of justice limit the legitimacy of the juror, a lottery allows jurors to undergo a particular democratic experience.
- Castoriadis, Rancière : quels apports pour une philosophie du tirage au sort en politique ? - José Luis Moreno Pestaña, Liliane López-Rabatel p. 417-435 Ce texte présente une étude des lectures de la démocratie athénienne que livrent Rancière et Castoriadis. L'objectif fondamental est de voir ce qu'ils peuvent nous apporter pour une philosophie contemporaine du tirage au sort en politique. Pour ce faire, on empruntera plusieurs voies. En premier lieu, on mènera une brève contextualisation historique de l'œuvre des deux auteurs et une réflexion sur les caractéristiques des analyses philosophiques de la démocratie athénienne. Dans un second temps, on définira l'analyse qu'ils présentent des assemblées démocratiques selon trois axes : le savoir requis pour y avoir accès, les modes d'incitation à la participation et enfin la nature des filtres moraux qui protègent les pratiques démocratiques.This text presents a study of the readings by Rancière and Castoriadis of Athenian democracy. Its main objective is to research their possible contributions to a contemporary philosophy of sortition in politics. Two approaches are used in our analysis. First, a brief historical contextualization of the work of both authors will be carried out, along with a reflection on the traits of the philosophical analyses of Athenian democracy. Secondly, the analysis presented by both authors about democratic assemblies will be defined according to three lines of enquiry: the knowledge required for access, ways of encouraging participation, and, finally, the nature of moral filters safeguarding and guaranteeing democratic practices.
- La carrière militante de la référence à Bernard Manin dans les mouvements français pour le tirage au sort - Samuel Hayat p. 437-451 Le livre Principes du gouvernement représentatif de Bernard Manin a joué un rôle crucial pour l'établissement d'un lien entre démocratie et tirage au sort, en théorie politique mais aussi dans le monde militant. Cet article retrace la carrière militante de cette référence. Si le tirage au sort a d'abord été défendu par des réformateurs, il devient, à partir de 2006, la revendication clé d'un mouvement citoyen animé par un partisan du « non » au Traité constitutionnel européen, Étienne Chouard. Néanmoins le livre de Manin joue plutôt un rôle légitimateur chez Chouard et plus encore les militants qui le suivent.Bernard Manin's Principles of Representative Government played a crucial role in establishing a link between democracy and sortition, both in political theory and among activists. This article examines the militant trajectory of this reference. While sortition was first promoted by reformers, it became a key demand of a citizen movement led by Etienne Chouard, a supporter of the “No” side during the referendum for a Treaty establishing a Constitution for Europe. Nevertheless, Manin's book played more of a legitimizing role for Chouard and even more so for his followers.
- Le tirage au sort démocratise-t-il la démocratie ? Ou comment la démocratie délibérative a dépolitisé une proposition radicale - Julien Talpin p. 453-473 Le retour du tirage au sort en politique depuis quarante ans tient beaucoup à son appropriation par les théories de la démocratie délibérative, qui ont fait de dispositifs tirés au sort les espaces centraux de la délibération démocratique. Cette appropriation n'avait pourtant rien d'évident. Elle tient à la trajectoire scientifique de certains de ses promoteurs et à des évolutions parallèles au sein du champ politique. En dépit du vent de fraîcheur qu'elle fait souffler sur le gouvernement représentatif, la promotion scientifique du tirage au sort ne s'est pas nécessairement traduite par une démocratisation de la démocratie. Si ces expérimentations contribuent à démontrer les capacités délibératives des citoyens ordinaires, elles n'ont qu'exceptionnellement contribué à accroître leur pouvoir dans la prise de décision. La focalisation des recherches sur l'analyse des dynamiques délibératives au sein des dispositifs tirés au sort a dès lors été fortement critiquée par des théoriciens revendiquant un retour à l'inspiration habermasienne initiale d'une plus grande délibération dans l'espace public, et non au sein de mini-publics. Ce tournant systémique a marginalisé le tirage au sort au sein de la théorie délibérative la plus récente. Après avoir retracé ce cheminement intellectuel, nous voudrions esquisser quelques pistes de réflexion sur la façon dont le tirage au sort pourrait contribuer à ranimer la flamme critique de la théorie délibérative, via son usage oppositionnel par les mouvements sociaux.Random selection's grand come-back in politics over the last forty years is partly due to its incorporation by the theories of deliberative democracy, which have turned randomly selected devices into the central forums of deliberation. This integration was, however, far from being self-evident. It stemmed from the scientific trajectory of its proponents and from parallel trends in the political field. Despite the breath of fresh air that random selection brings to representative government, its scientific promotion has not necessarily meant a democratization of democracy. While such experiments have demonstrated the deliberative capacities of ordinary citizens, they have only exceptionally increased their power in decision-making processes. The focus placed by research on the analysis of deliberative dynamics within randomly selected devices has therefore been harshly criticized by some deliberativists who are calling for a return to Habermas's initial inspiration of a greater deliberation in the public sphere rather than confined to mini-publics. This systemic turn has marginalized random selection within the most recent deliberative theories. After tracing back this intellectual path, I sketch some arguments about the way random selection could rekindle the critical spirit of deliberative theory, mainly through its oppositional use by social movements.
- Du klérotèrion à la cryptologie : l'acte de tirage au sort au XXIe siècle, pratiques et instruments - Dimitri Courant p. 343-372
V. Postface
- L'enfant tirant au sort : la « formule de pathos » du hasard en politique ? - Yves Sintomer p. 475-511 Cet article a recours au concept de « formule de pathos », tel que défini par Aby Warburg (une tension entre une forme et une substance émotionnelle) pour souligner certains points communs entre des pratiques très diverses de sélection aléatoire. L'enfant tirant les sorts peut être considéré comme une « formule de pathos » que l'on retrouve dans quatre ensembles majeurs de pratiques : des formes populaires païennes de divination, leur christianisation dans les « sorts bibliques » et l'élection du pope de l'Église copte, le tirage au sort politique (essentiellement du XIIIe au début du XIXe siècle), et enfin, les jeux de hasard. L'identification de cette formule de pathos rend possible la découverte d'une série de transferts entre ces différentes pratiques, où le tirage au sort politique a joué un rôle particulièrement notable. Cette formule de pathos nous dit également quelque chose de plus général : même si le tirage au sort a soutenu des logiques très différentes au cours de l'histoire, la logique de l'impartialité, telle qu'elle se révèle dans la figure de l'enfant tirant au sort, semble le trait le plus transversal et se retrouve dans presque tous les exemples empiriques de sélection aléatoire en politique.This article makes use of the concept of “pathos formula,” as defined by Aby Warburg (a tension between a form and an emotional substance), to underline some commonalities between quite different practices of random selection. The child drawing lots can be considered as a pathos formula that one finds in four major sets of practices: popular divination, the Christianization of these pagan traditions into the practice of “biblical lots” and in the election of the pope of the Coptic Church, political sortition (essentially from the thirteenth century to the beginning of the nineteenth century), and finally, games of chance. The identification of this pathos formula makes it possible to discover a handful of transfers that have occurred between these various practices, with political sortition playing a crucial role. This pathos formula tells us something more general: although selection by lot has sustained quite different logics in history, the logic of impartiality, as revealed by the particular figure of the child drawing lots, seems the most transversal trait in almost all empirical examples of random selection in politics.
- D'une matérialité à l'autre : le tirage au sort au prisme de l'acte électoral - Yves Déloye p. 513-519 À l'inverse de toutes les traditions essentialisantes d'analyse des instruments de sélection politique, cette série de textes offre un contre-point fort précieux. Parce qu'il prend soin, tout d'abord, de contextualiser les diverses et multiples expériences du tirage au sort dans le domaine politique mais aussi judiciaire, administratif et religieux. En multipliant les récits d'expérience (du monde antique aux usages les plus contemporains du tirage au sort), en croisant les échelles historiques, en hybridant les analyses historiques avec des développements plus théoriques, ce dossier thématique donne à voir dans toutes ses variétés et ses dimensions le panorama des pratiques, des rituels, des formats matériels qui accompagnèrent historiquement les mises en œuvre effectives du tirage au sort. Loin de renvoyer à une « essence » ou à une « nature », ni même à un principe stabilisé, le tirage au sort se révèle systématiquement imbriqué dans des arrangements institutionnels ritualisés, dans des configurations historiques, dans des cultures (souvent indissociablement religieuse et politique) qui singularisent le tirage au sort et interdit d'en globaliser l'étude et la compréhension.This special issue of Participations offers a valuable counterpoint to essentialist studies of political selection instruments. First, because it meticulously contextualizes the many diverse uses of random selection in the political realm, as well as its numerous judicial, administrative, and religious applications. By providing a variety of experiments (from the ancient world to more contemporary uses of sortition), comparing different historical moments, and combining historical analysis with more theoretical considerations, this volume describes the whole panorama of practices, rituals, and material formats that historically accompanied the effective implementation of random selection. Far from being reducible to an “essence” or “nature,” or even to a stable principle, sortition is systematically embedded within ritualized institutional arrangements and historical configurations, as well as individual cultures (often inherently religious or political), which always focus their unique lens on sortition practices. This prevents any sort of broad understanding or overarching study of the procedure as such.
- L'enfant tirant au sort : la « formule de pathos » du hasard en politique ? - Yves Sintomer p. 475-511