Contenu du sommaire : Enquêter à partir des traces textuelles du web
Revue | Réseaux (communication - technologie - société) |
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Numéro | no 214-215, mars-mai 2019 |
Titre du numéro | Enquêter à partir des traces textuelles du web |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Présentation
- Enquêter à partir des traces textuelles du web - Jean-Philippe Cointet, Sylvain Parasie p. 9-24
Dossier - Enquêter à partir des traces textuelles du web
- Temporalité, régimes de participation et formes de communautés : Comprendre la dynamique d'un forum grand public autour du dépistage prénatal - Madeleine Akrich p. 25-66 Comment rendre compte de la dynamique des échanges sur un forum ? Comment analyser la transformation dans le temps de cet espace ? De quelle manière en caractériser l'organisation ? En combinant des méthodes qualitatives et quantitatives, nous nous proposons de décrire un forum de grande taille (170 000 messages) consacré au dépistage prénatal avec l'objectif d'en rendre compréhensible la dynamique et d'en écrire en quelque sorte une histoire. Nous analyserons l'organisation et le contenu des échanges, en prenant en compte l'inégale distribution des participations à l'intérieur du forum et la temporalité. Il s'agira de comprendre comment cet espace de discussion se transforme au cours du temps, comment une histoire s'écrit tant au niveau des individus qu'à celui de l'espace tout entier. Nous conclurons sur un ensemble de réflexions sur les déterminants des dynamiques observées, sur la notion de communauté et sur les méthodes adéquates pour l'analyse de ces espaces électroniques de discussion.This article explores how to capture the dynamics of interactions on a forum, analyses the transformation of this space over time, and characterizes its organization. Combining qualitative and quantitative methods, it describes a large forum (170,000 messages) dedicated to prenatal screening, to gain insight into its dynamics and provide some sort of history of them. I analyse the organization and content of communication, taking into account the uneven distribution of participation within the forum and over time. I endeavour to understand how this discussion space has changed over time, and how a history is written both at individual level and on the level of the space as a whole. I conclude with reflection on the determinants of the dynamics observed, on the notion of community, and on appropriate methods for analysing these digital discussion spaces.
- Hostilité et prosélytisme des communautés politiques : Le militantisme politique à l'ère des réseaux sociaux - David Chavalarias, Noé Gaumont, Maziyar Panahi p. 67-107 Un candidat dispose au moins de trois leviers pour gagner les voix des électeurs : convaincre de la pertinence de son programme et de ses idées (positive campaigning), convaincre de l'inadéquation ou du danger des programmes et des idées de ses adversaires (negative campaigning), et enfin, rendre familier son nom et celui de son parti auprès du public. En prenant l'exemple de l'élection présidentielle française (2017), nous étudions la manière dont les personnalités politiques utilisent les réseaux sociaux pour actionner ces leviers et comment ces actions s'articulent avec celles de leurs communautés de militants en ligne sur Twitter. Nous proposons un ensemble de mesures quantitatives à différentes échelles pour qualifier les processus à l'œuvre au sein des communautés politiques et montrons que les communautés ont des manières distinctes de s'articuler avec les stratégies de leur leader, pointant une hétérogénéité dans les formes de « division du travail » militant. Nous montrons également que les variations dans les stratégies des communautés permettent d'identifier les faiblesses temporaires ou la perte de confiance dans un leader ainsi que la position structurelle des candidats dans l'arène politique. Nous identifions également une anomalie dans l'attitude de l'ensemble des candidats à l'égard de Marine Le Pen.Electoral candidates can leverage at least three strategies to win votes: they can convince voters of the relevance of their programme and ideas (positive campaigning); they can convince them of the inadequacy or danger of their opponents' programmes and ideas (negative campaigning); and finally they can make their name and that of their party familiar to the public. Taking the example of the 2017 French presidential election, we explore how politicians use social networks to activate these levers and how these actions articulate with those of their online activist communities on Twitter. We propose a number of quantitative measurements on different scales to describe the processes at play within political communities, and show that communities have distinct ways of articulating to their leaders' strategies, pointing to heterogeneity in the forms of “division of labour” in activism. We also show that variations in communities' strategies can help identify temporary weaknesses or a loss of confidence in a leader, as well as the structural position of candidates within the political arena. Finally, we identify an anomaly in the candidates' attitude as a whole towards Marine Le Pen.
- La tête dans les étoiles ? : Faire sens de l'engagement dans le projet de science participative SETI@home - Élise Tancoigne, Jérôme Baudry p. 109-140 De plus en plus de personnes participent à des projets de recherche via des plateformes de sciences participatives (citizen sciences) en ligne, dont les promesses d'éducation, de démocratisation et de production renouvelée des savoirs rencontreraient un public de profanes avides de science. En prenant l'exemple du projet d'astronomie SETI@home, lancé en 1999 et souvent cité comme pionnier des citizen sciences en ligne, nous partons des traces textuelles (profils, messages de forums) laissées en ligne par les participants pour explorer comment ils mettent en scène leur identité et font sens de leur engagement. Loin du « public imaginé » par les concepteurs des projets de citizen sciences se dessine alors l'image d'une communauté très hétérogène, moins intéressée par la science que par le dispositif même de mise en réseau des participants et de leurs ordinateurs.An increasing number of people are contributing to scientific research projects through online citizen science platforms. These platforms are thought to attract a public of lay citizens whose thirst for science is galvanized by a particularly dense promissory discourse about scientific education, the democratization of science, and new ways of producing knowledge. Drawing on the example of the astronomy project SETI@home, launched in 1999 and often cited as a pioneer of online citizen science, we analyse the textual traces (profiles, forum messages) left by participants online to understand how they stage their identity and make sense of their engagement. Far from the “imagined public” of the designers of citizen science projects, these traces suggest that participants form a widely heterogeneous community whose interests lie less in science than in the very technology connecting participants and computers.
- Comment s'élabore la mémoire collective sur le web ? : Une analyse qualitative et quantitative des pratiques d'écriture en ligne de la mémoire de la Grande Guerre - Valérie Beaudouin p. 141-169 En s'appuyant sur l'exemple de la Grande Guerre, cet article explore le processus de construction de la mémoire collective en ligne en montrant le rôle central qu'y joue l'activité d'écriture. Celle-ci sert à la fois à échanger dans l'espace collectif et à restituer les travaux de recherche individuels via des publications en ligne. Ainsi se dessine autour du forum un réseau de sites, mémoriaux virtuels, qui font revivre la mémoire d'un soldat ou d'un régiment à partir de documents d'archives institutionnels et privés, textuels ou photographiques, assemblés dans des écritures mosaïques. La fabrique d'une mémoire collective de la Grande Guerre passe par un réseau d'amateurs qui, par l'intensité de leurs échanges, produisent et diffusent une manière commune de faire mémoire collectivement. Pour étudier ce milieu, un dispositif d'enquête original a été mis en place qui rend compte de cette pluralité des formats d'écriture. La démarche de recherche s'appuie sur la première exploitation en vraie grandeur des archives du web (une collecte établie par la Bibliothèque nationale de France) et combine traitements de masse et approche ethnographique : elle pourra servir de ressource pour étudier d'autres phénomènes en ligne qui engagent la question du rapport au passé.Drawing on the example of the Great War, this article explores the process of constructing online collective memory, in which the key role of writing emerges. Writing serves both to interact in the collective space of the forum and to share individual research via online publications. A network of sites thus emerges around the forum: a mosaic of writings constituting virtual memorials in memory of a soldier or a regiment, based on archive documents that may be institutional or private, textual or photographic. The making of a collective memory of the Great War relies on a network of amateurs who, through the intensity of their interactions, produce and disseminate a shared way of remembering collectively. To study this community, an original survey system was set up which accounts for this plurality of writing formats. The research method is based on the first full-scale exploitation of web archives (a collection established by the Bibliothèque nationale de France) and combines quantitative processing with an ethnographic approach. It offers a resource to study other online phenomena that raise the question of the relationship to the past.
- Structuration des discours au sein de Twitter durant l'élection présidentielle française de 2017 : Entre agenda politique et représentations sociales - Pierre Ratinaud, Nikos Smyrnaios, Julien Figeac, Guillaume Cabanac, Ophélie Fraisier, Gilles Hubert, Yoann Pitarch, Tristan Salord, Thibaut Thonet p. 171-208 Cette étude se fixe comme objectif de décrire et d'étudier les échanges d'informations au sein de Twitter pendant la campagne électorale pour la présidentielle française de 2017. Inscrite dans le cadre théorique des représentations sociales, elle consiste à investiguer les discours des communautés de soutien des cinq principaux candidats à partir de méthodes relevant de l'analyse des réseaux et de l'analyse statistique des données textuelles. Les résultats mettent en lumière le poids des processus psycho-sociologiques qui régulent le rapport des groupes sociaux à leur environnement politique et la manière dont ils s'actualisent dans la structuration des échanges au sein de Twitter. Ils montrent ainsi comment l'inscription idéologique des différentes communautés politiques peut réguler leur perception de certains objets de représentation sociale en lien avec la campagne présidentielle.This article describes and studies information exchanges on Twitter during the 2017 French presidential election campaign. Grounded in the theoretical framework of social representations, it investigates the discourses of the support communities of the five main candidates, using methods drawn from network analysis and the statistical analysis of text data. The findings highlight the weight of the psycho-sociological processes that regulate the way social groups relate to their political environment, and the way in which this relationship materializes through the structuring of communication on Twitter. This article thus shows how the ideological background of the different political communities can regulate their perception of certain objects of social representation connected to the presidential campaign.
- Comment se forment les publics d'une carte de crimes ? : Une analyse computationnelle de traces textuelles - Jean-Philippe Cointet, Sylvain Parasie p. 209-250 Dans cet article, nous nous demandons dans quelle mesure un public au sens fort du terme peut se former autour des occurrences diffusées par les plateformes journalistiques en ligne – c'est-à-dire pas seulement un ensemble d'individus qui consomment des informations, mais un être collectif qui partage des interprétations communes. Pour répondre à cette question, nous avons analysé un corpus de 28 828 commentaires postés sur « The Homicide Report », une plateforme apparue en 2010 qui fournit une information standardisée sur tous les homicides commis à Los Angeles. Nous avons eu recours à une méthode d'analyse textuelle très peu utilisée en sciences sociales, qui repose sur des algorithmes d'apprentissage supervisé. Cette enquête conduit à deux résultats. D'une part, nous montrons que les internautes parviennent à élaborer des interprétations communes à partir des occurrences qui leur sont adressées, en combinant trois façons de « faire public » qui empruntent aux médias traditionnels. D'autre part, nous montrons que l'exploitation sociologique des inscriptions textuelles permet de réduire le fossé entre les enquêtes quantitatives sur les audiences – qui se situent à grande échelle, mais échouent à saisir des interprétations – et les études plus qualitatives – qui saisissent des interprétations à une échelle très locale.In this article we consider the extent to which a public, in the strongest sense of the term, can form around the occurrences disseminated by online journalistic platforms – in other words, not only a set of individuals who consume information, but a collective being that shares common interpretations. To this end, we analysed a corpus of 28,828 comments posted on “The Homicide Report”, a platform launched in 2010 to provide standardized information on all homicides committed in Los Angeles. We drew on a text analysis method rarely used in the social sciences, based on supervised machine learning algorithms. This study produced two findings. First, it shows that Internet users develop shared interpretations based on the occurrences presented to them, by combining three ways of “making a public” that borrow from traditional media. Second, it shows that the sociological exploitation of textual traces narrows the gap between quantitative audience surveys that are large scale but fail to capture interpretations, and more qualitative studies which capture interpretations on a very local scale.
- Les échos du pouvoir : Effets de langage et écarts de pouvoir dans les interactions sociales - Cristian Danescu-Niculescu-Mizil, Lillian Lee, Bo Pang, Jon Kleinberg, Liz Libbrecht p. 251-288 Afin d'analyser les communautés en ligne, il est essentiel de comprendre les interactions sociales qui se tissent au sein des groupes. La plupart des travaux actuels portent sur des propriétés structurales – il s'agit souvent de déterminer qui s'adresse à qui et comment ces interactions forment des réseaux plus vastes. Les interactions elles-mêmes s'expriment cependant dans une forme langagière – qu'elle soit parlée ou écrite – et il est raisonnable de supposer que les signaux qui se manifestent dans le langage peuvent également fournir des informations sur les rôles et les statuts des interlocuteurs, entre autres aspects de la dynamique de leur groupe. Jusqu'à présent, cependant, il a été difficile de trouver des signaux fondés sur le langage qui soient indépendants du domaine d'observation abordé.Nous montrons ici que les écarts de pouvoir entre participants à des groupes de discussion peuvent être subtilement mesurés en analysant la façon dont un individu épouse le style linguistique de son interlocuteur. Partant de ce constat, nous proposons un cadre d'analyse fondé sur la coordination linguistique, permettant de mettre en lumière les relations de pouvoir et s'appliquant de façon cohérente à de nombreux types de pouvoir, dont une forme de pouvoir plus « statique », fondée sur des différences de statut, et une forme de pouvoir plus « situationnelle » dans laquelle un individu se trouve dans une situation de dépendance par rapport à un autre. En utilisant ce cadre, nous étudierons les manières dont le comportement conversationnel peut révéler des relations de pouvoir dans deux contextes très distincts : les conversations entre wikipédiens d'une part et, d'autre part, les plaidoyers prononcés devant la Cour suprême des États-Unis.Understanding social interaction within groups is key to analyzing online communities. Most current work focuses on structural properties: who talks to whom, and how such interactions form larger network structures. The interactions themselves, however, generally take place in the form of natural language – either spoken or written – and one could reasonably suppose that signals manifested in language might also provide information about roles, status, and other aspects of the group's dynamics. To date, however, finding domain-independent language-based signals has been a challenge. Here, we show that in group discussions, power differentials between participants are subtly revealed by how much one individual immediately echoes the linguistic style of the person they are responding to. Starting from this observation, we propose an analysis framework based on linguistic coordination that can be used to shed light on power relationships and that works consistently across multiple types of power – including a more “static” form of power based on status differences, and a more “situational” form of power in which one individual experiences a type of dependence on another. Using this framework, we study how conversational behavior can reveal power relationships in two very different settings: discussions among Wikipedians and arguments before the U.S. Supreme Court.
- Temporalité, régimes de participation et formes de communautés : Comprendre la dynamique d'un forum grand public autour du dépistage prénatal - Madeleine Akrich p. 25-66
Varia
- Le coworking, entre ouverture et fermeture des espaces associatifs et communautaires - Basile Michel p. 289-318 À l'heure du numérique, les espaces de coworking associatifs et communautaires sont valorisés dans la littérature académique et les médias comme des lieux de travail ouverts facilitant les rencontres et les échanges. Cet article vise à mettre en évidence la diversité de ces espaces en termes d'ouverture aux usagers et aux territoires. Suivant les critères du degré d'ouverture des bureaux aux éventuels coworkers et du degré d'ouverture au territoire dans le but de participer à la vie sociale locale, trois modèles principaux d'espaces sont identifiés et définis. Le premier est ouvert et s'inscrit dans la logique de l'essaim, tant pour l'accueil des coworkers que pour l'ouverture au territoire. Le deuxième est fermé et s'apparente à un îlot dont l'entrée est régie par un système de sélection n'autorisant qu'un groupe réduit d'individus à accéder au lieu. Le troisième se situe dans une position intermédiaire. Ces trois modèles sont porteurs de dynamiques différentes en termes d'ouverture des espaces de bureaux aux utilisateurs et d'engagement à participer à la vie sociale du territoire. La nature du projet porté par les fondateurs des espaces de coworking et la présence d'un animateur sont identifiées comme les facteurs explicatifs principaux de cette différenciation.In the digital age, non-profit and community coworking spaces are promoted in the academic literature and the media as open workplaces that facilitate networking and exchange. This article sheds light on the diversity of these spaces' openness to users and territories. Based on coworking spaces' degree of openness to potential co-workers and to the territory, with a view to participating in local social life, I identify and define three main models of spaces. The first is open and follows a hive model, in terms of both the reception of co-workers and openness to the territory. The second is closed and resembles an island, entry to which is governed by a selection system that allows only a small group of individuals to access the coworking space. The third lies in between the two. These three models produce different dynamics when it comes to opening office space to users and engagement to participate in the social life of the territory. I identify the nature of the project as envisaged by coworking spaces' founders and the presence of a community manager as the main drivers of this differentiation.
- Sortir de chez soi - Harvey Molotch, Daniel Burnier p. 319-346 Cet article, écrit en 1994, s'interroge sur la place de la sociologie dans le discours public américain et constate que les principaux médias et politiciens ignorent les hypothèses et résultats sociologiques. Si le public de la sociologie, à tous les niveaux, est plutôt mince, cette réalité amène un certain nombre de conséquences négatives sur les manières dont se comportent les sociologues. L'article dévoile ainsi avec humour quelques secrets des sociologues, comme leur manque d'intérêt pour les autres disciplines, leurs « affirmations totalitaires », ou encore leur propension à la critique et à la dispute entre pairs. L'auteur encourage également les sociologues à écrire de manière claire, sans jargon inutile et, malgré leur timidité, à sortir de leurs salles de classe pour découvrir sans cesse de nouveaux environnements et vivre des vies riches.This article, written in 1994, examines the place of sociology in American public discourse and notes that the main media and politicians ignore sociological assumptions and results. While the sociological audience at all levels is rather small, this reality has a number of negative consequences on the ways in which sociologists behave. The article thus humorously reveals some of the hidden characteristics of sociologists, such as their lack of interest in other disciplines, their “totalitarian assertions”, or their propensity for criticism and peer-to-peer dispute. The author also encourages sociologists to write clearly, without unnecessary jargon, and despite their shyness, to leave their classrooms to constantly discover new environments and live rich lives.
- Le coworking, entre ouverture et fermeture des espaces associatifs et communautaires - Basile Michel p. 289-318
Notes de lecture
- Dominique Boullier, Sociologie du numérique, Paris, Armand Colin, coll. « U », 2016, 352 p. - Serge Proulx p. 347-352
- Dorothy Smith, L'ethnographie institutionnelle. Une sociologie pour les gens, Paris, Economica, coll. « Études sociologiques », 2018, 300 p. - Sylvain Le Berre p. 353-356
- Pablo Jensen, Pourquoi la société ne se laisse pas mettre en équations, Paris, Seuil, 2018, 336 p. - Dominique Boullier p. 357-367