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Revue | Revue Française de Sociologie |
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Numéro | vol. 60, no 2, 2019 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Varia
- Servir l'entreprise ou la changer ? : Les responsables diversité entre gestion, critique et performance de la vertu - Laure Bereni, Dorothée Prud'Homme p. 175-200 En s'appuyant sur une série de 68 entretiens avec des « responsables diversité » de grandes entreprises françaises, cet article explore les conditions de possibilité et les formes de la mobilisation de postures critiques ou « orientées vers les valeurs » par des cadres de grandes entreprises, dans leur travail. Ces cadres envisagent-ils/elles cette fonction atypique, située à l'interface entre l'entreprise et la société, comme un lieu de défense de principes juridiques, de convictions politiques ou de valeurs éthiques, au-delà de la cause de l'entreprise ? Nous mettons au jour la variété des manières d'investir la fonction en distinguant trois postures idéales-typiques : l'expert·e distancié·e (ou gestionnaire de projets), qui prend soin de mettre à distance ce qui pourrait l'associer non seulement à une militante mais aussi à une spécialiste de la diversité ; l'expert·e critique (ou militant professionnel) qui poursuit une mission de réforme de l'entreprise, en s'appuyant sur des principes juridiques et politiques ; l'expert·e investi·e (ou professionnelle de la vertu), qui valorise fortement la dimension civique de la fonction, tout en se tenant à distance de toute dimension politique – conflictuelle et critique. En croisant les apports de la littérature sur le militantisme intra-organisationnel et des travaux sur l'ethos professionnel des cadres exerçant des fonctions associées à la « responsabilité sociale des entreprises », l'article met au jour différentes formes d'articulation entre la rationalité gestionnaire et d'autres sphères de valeurs dans le monde des affaires.To serve the company or to change it? “Diversity managers” in France, between management, critique, and performances of virtue. This article draws on 68 interviews with “diversity managers” at major French companies to explore whether and if so how they manage to adopt critical positions or positions “oriented toward values” in their work. Do they think of this atypical job at the interface between the company and society at large as a place for defending legal principles, political convictions, or ethical values, above and beyond working for the company itself? We expose the variety of ways that this set of managers invest their job, distinguishing three ideal-typical stances: distanced experts (or project managers), who are careful to hold at bay anything that might make them appear even a specialist of diversity, let alone an activist for it; critical experts (or professional activists), whose mission is to reform the company on the grounds of legal and political principles; and invested experts (or professional “virtue performers”), who attach great value to the civic dimension of the job while being extremely careful to distance themselves from the political dimension and the conflict and critique it implies. Drawing on contributions from both literature on intra-organization activism and studies of the professional ethos of managers whose jobs are associated with corporate social responsibility, the article brings to light a range of ways of combining managerial rationality with other value spheres in the business world.
- Quand le cancer rencontre le genre - Anastasia Meidani, Arnaud Alessandrin p. 201-224 Cet article revient sur le volet français et qualitatif d'une recherche européenne de méthodologie mixte portant sur les expériences du cancer. À travers 100 entretiens auprès de malades, leurs proches et les professionnel·le·s impliqué·e·s dans leur prise en charge et 400 observations in situ réalisées dans cinq établissements de soins, il explore la manière dont le genre intervient dans le travail du malade et les expériences de soins. L'analyse se déploie en trois temps. Dans une première partie, la reproduction des normes de genre est interrogée à partir d'un double paradoxe : la « vulnérabilité » apparente des femmes se couple à une résistance sociale et relationnelle forte, là où l'endurance supposée des hommes laisse souvent place à des subjectivités affaiblies. Dans une deuxième partie, les ajustements de genre que la maladie initie sont discutés afin de distinguer ce qui, en termes de masculinités et de féminités plurielles, contribue à la mise en place des stratégies visant à tenir tête à la maladie. Enfin, dans une troisième et dernière partie, les relations de soins sont scrutées à partir de ce double mouvement qui oscille entre reproduction normative et ajustements de genre situés.When cancer meets gender
This article studies the qualitative component of the French section of a mixed methodology European research program on experiences of cancer. Drawing on 100 interviews with cancer patients, their families, and the professionals involved in treating them and 400 in situ observations in five different treatment centers, it explores how gender intervenes in the work the patient needs to do and in treatment experiences. There are three sections to the analysis. In the first, we probe the reproduction of gender norms in this area in terms of a two-sided paradox: women's apparent “vulnerability” goes together with strong social and relational resistance, whereas the supposed endurance of men often gives way to weakened subjectivities. In the second part we discuss the gender-related adjustments brought about by the disease in order to distinguish what aspects of plural versions of masculinity and femininity help patients develop strategies for standing up to the disease. In the third part, we examine relations between patients and treatment givers on the basis of this oscillation between norm reproduction and situated gender adjustments.
- Servir l'entreprise ou la changer ? : Les responsables diversité entre gestion, critique et performance de la vertu - Laure Bereni, Dorothée Prud'Homme p. 175-200
Note critique
- La réception américaine de Frame Analysis d'Erving Goffman - Nathalie Heinich p. 225-238 Frame Analysis, ouvrage tardif dans l'œuvre d'Erving Goffman, suscita à sa parution, et dans les années qui suivirent, une réception étonnamment controversée pour un chercheur aussi reconnu qu'il l'était à l'époque. Il vaut la peine de reconstituer cet épisode de l'histoire de la sociologie américaine, et de tenter d'en repérer les causes. En effet, au-delà du cas particulier de ce livre, il soulève des questions théoriques récurrentes dans l'histoire mondiale des sciences sociales, tenant notamment aux statuts respectifs de l'interactionnisme et du structuralisme et, plus généralement, à l'importance qu'il convient d'accorder aux catégorisations théoriques.The Reception of Erving Goffman's Frame Analysis in the United States
Frame Analysis, one of Erving Goffman's later works, sparked surprising levels of controversy, both upon publication and in the years that followed, for a book by a researcher of the prominence he enjoyed at that time. It is worth revisiting this episode in the history of American sociology and trying to identify what caused it. Indeed, beyond the specific case of this book, the episode raises theoretical questions that recur throughout the global history of the social sciences, relating especially to the respective statuses of interactionism and structuralism and, more broadly, to the importance that ought to be given to theoretical categorizations. - Autour de quelques impensés du sens commun sociologique - Johan Giry p. 239-256 Dans un contexte intellectuel où l'on aurait pu attendre des tentatives récurrentes de délégitimation de la sociologie qu'elles suscitent en retour une distanciation de ses praticiens vis-à-vis de leur propre sens commun, cet article pointe certains impensés qui grèvent encore les diagnostics de « crise » émis à l'endroit de cette discipline. Pour ce faire, il s'appuie sur l'espace de réflexivité dégagé, en partie malgré lui, par Marc Joly dans son ouvrage Pour Bourdieu (2018), à l'occasion duquel il s'emploie à disqualifier les griefs formulés contre l'architecture conceptuelle bourdieusienne par Jean-Louis Fabiani (Pierre Bourdieu. Un structuralisme héroïque, 2016). Quatre impensés ressortent de cette lecture critique de la critique : 1) le structuralisme est-il bien le continuateur du holisme ? 2) L'action sociale peut-elle s'appréhender uniquement à l'aune de la métaphore du jeu ? 3) La « pluralité » du social n'est-elle qu'un prétexte à la revalorisation philosophique du « sujet » ? 4) La sociologie pourrait-elle profiter, à terme, du renouveau du naturalisme social ? Cet article montre que, faute de proposer, sinon d'assumer complètement, une quadruple négation de ces impensés, nous nous privons collectivement de repères pourtant essentiels à la saisie des sources de la crise actuelle de la sociologie comme de ses possibles issues.Das Ungedachte im soziologischen Gemeinsinn
Zu Marc Joly, Pour Bourdieu, und Jean-Louis Fabiani, Pierre Bourdieu. Un structuralisme héroïqueIn an intellectual context in which we might have expected the frequent attempts to delegitimize sociology to lead sociologists to distance themselves from their own sociological common sense, this article draws attention to certain unthought (impensé) elements that continue to undermine the notion of the discipline being in “crisis”. To achieve this, it draws on the reflexive space opened up (partly unintentionally) by Marc Joly in his book Pour Bourdieu (2018), in which he sets about dismantling the grievances formulated against the Bourdieusian conceptual framework by Jean-Louis Fabiani (Pierre Bourdieu. Un structuralisme héroïque, 2016). Four unthought issues emerge from this critical reading of his critique: 1) Is structuralism indeed the continuator of holism? 2) Can social action be understood solely in light of the metaphor of the game? 3) Is the “plurality” of the social not merely a pretext for re-valorizing the philosophy of the “subject”? And 4) Could sociology not ultimately benefit from the renewal of social naturalism? This article demonstrates that if we fail to propose, or indeed to defend, a quadruple negation of these unthought elements we are collectively depriving ourselves of the markers we need to understand the sources of the current crisis in sociology and its possible outcomes. - Déplier la catégorie d'âge : Âge civil, étape de la vie et vieillissement corporel dans les préjudices liés à l'« âge » - Juliette Rennes p. 257-284 Les préjudices liés à l'âge, conceptualisés aux États-Unis il y a cinquante ans sous le nom d'âgisme, sont aujourd'hui au cœur d'un champ de recherche transnational et interdisciplinaire qui demeure cependant peu connu en sociologie. Cet article présente le cadre conceptuel de ce champ de recherche tout en proposant d'y contribuer : tout d'abord, sont discutés certains points aveugles des définitions courantes des pratiques âgistes ; ensuite, la polysémie de la catégorie âge est explorée afin de mieux cerner la variété des formes de préjudices fondés sur l'« âge » : une distinction analytique est alors proposée entre trois significations de l'âge : l'âge civil (ou chronologique), la position dans les étapes conventionnelles du parcours de vie (ou âge statutaire) et les transformations physiologiques liées à l'avancée en âge (ou vieillissement corporel). L'article montre que cette distinction analytique aide à mieux comprendre les différentes dimensions des pratiques qualifiées d'âgistes. Enfin, il fait valoir que cette distinction est également heuristique dans les enquêtes sociologiques qui, sans nécessairement mobiliser le terme « âgisme », portent sur les formes de classement, ségrégation, hiérarchisation et domination fondées sur les différences d'âge entre les individus.Desplegar la categoría de edad. Edad civil, etapa de la vida y envejecimiento corporal en los prejuicios vinculados con la “edad”Age-based discrimination, conceptualized in the United States fifty years ago under the term “ageism”, is today at the heart of a transnational and interdisciplinary field of research, which is nonetheless not well known in sociology. This article both presents the conceptual framework for this field of research and makes a contribution to it. It begins by drawing attention to certain oversights in the common definitions of ageist practices, before exploring the polysemy of the category of age itself in order to better identify the variety of forms of age-based discrimination. The article provides an analytical distinction between three meanings of “age”: chronological age, situation in the conventional stages of the life course (or age status), and the physiological transformations associated with old age (bodily aging). The article demonstrates that this analytical distinction helps shed light on the different practices that are described as ageist. Finally, the article argues that this is a heuristic distinction for sociological studies which, although they may not explicitly refer to the term “ageism”, deal with forms of classification, segregation, hierarchization, and domination based on the age differences between individuals.
- La réception américaine de Frame Analysis d'Erving Goffman - Nathalie Heinich p. 225-238
Les livres
- Les livres - p. 285-325