Contenu du sommaire : Habitat durable : approches critiques
Revue | Sciences de la société |
---|---|
Numéro | no 98, décembre 2016 |
Titre du numéro | Habitat durable : approches critiques |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Habitat durable : approches critiques - Jérôme Boissonade, Marc Méquignon, Jean-Pierre Mignot p. 3-13
- L'habitat durable sans l'habiter ? Fabrique de la densité en Bourgogne - Dany Lapostolle, Eric Doidy, Matthieu Gateau, Myriam Borel p. 14-29 En 2009 et 2010, pour lutter contre l'étalement urbain, le Grenelle de l'environnement, fait de la densité un objectif de politique publique. Cette notion se présente comme mode opératoire d'un régime d'urbanisation durable qui inclut les dimensions environnementale et participative. L'injonction de durabilité s'y décline au travers de normes, standards et procédures, les acteurs de l'urbanisme s'efforçant de mettre en ordre l'expérience d'habiter. Mais comment ces dispositifs se soucient-ils de l'épreuve de réalité ? A partir d'une enquête qualitative menée de 2012 à 2015 sur des programmes de densification mis en œuvre dans des espaces urbains et périurbains en Bourgogne, cet article montre que l'action publique éprouve des difficultés à se déprendre d'un régime d'urbanisme de conception. En technicisant la question de la durabilité, les professionnels d'urbanisme entretiennent un schisme de réalité parce qu'ils restent myopes sur le monde concret des territorialités : les solutions conçues en surplomb pour « lever les freins à la densité » peinent à faire droit au déploiement d'usages habitants. Faire émerger un urbanisme d'usages, c'est sortir des logiques technocratiques de confiscation cognitive de la fabrique de l'espace et explorer de nouveaux modes d'enquête permettant de saisir de quoi est fait l'habiter.In 2009 and 2010, in order to combat the urban sprawl, the Grenelle Environment sets out urban density as a public policy issue. This notion builds on a modus operandi of an urbanization regime that includes both the environmental and the participatory dimensions in its approach. This injunction of sustainability is there implemented through a range of standards, rules and procedures, while the stakeholders in urbanism strive to arrange the experience of inhabiting. But how does this apparatus take the test of reality into account? Based on a qualitative research carried out from 2012 to 2015 on urban planning projects intended to increase density in urban and suburban areas in Burgundy, this article shows how difficult it is for public action to distant itself from a « conception-oriented » urbanization regime. By technifying the issue of sustainability, the urban planning professionals maintain a « schism of reality », because they have a very short-sighted approach of the tangible world of territorialities. Decisions are taken from above, in order to lift constraints on a higher density; those solutions have difficulties to grant the deployment of inhabitants usages. Attempting to bring about an urbanization regime of usages means going beyond a strictly technocratic logic that cognitively confiscates the space making, and exploring new ways of investigation enabling public action to embrace what inhabiting is made of.
- L'« éco-logis » politique : un dépaysement critique de l'habitat durable en Europe - Sophie Némoz p. 30-43 Cet article retrace les processus d'institutionnalisation de l'habitat durable dans trois pays européens : la France, la Finlande et l'Espagne. En prenant appui sur un travail de thèse (Némoz, 2009), il s'agit d'engager une réflexion sur la définition politique de la « durabilité » dans le secteur résidentiel et sur la portée critique de son approche comparative dans l'espace et dans le temps. L'objectif est d'expliciter et de mettre en débat la part de normativité que l'habitat durable exerce sur les politiques publiques en Europe. Les hypothèses d'un outil de gouvernementalisation et d'une capacité de distanciation cognitive sont approfondies, en revenant tant sur les méthodes que sur les résultats. Contre la vision simpliste d'un changement global de culture, l'européanisation de l'habitat durable est analysée comme la construction multi-échelle et muticulturelle d'un « format » : l'« éco-logis ». La légitimation de cette catégorie spatiale s'avère être dominée par un registre managérial et technologique. Celui-ci tend à réduire la transformation résidentielle à des exigences écologiques et économiques, sans ouvrir de discussion sur le fonctionnement des relations de pouvoir et des rapports sociaux. L'approche comparative se révèle être un ressort de la réflexion critique en ce qu'elle la délocalise. Elle instruit l'« éco-logis » d'une portée plus large, en éclairant plusieurs facettes que le regard doit parcourir s'il veut saisir la morphologie du pouvoir sur nos modes d'habiter avec la nature.This article looks at the institutionalization process of sustainable housing in three European countries: France, Finland and Spain. Building on a thesis (Némoz, 2009), the analysis entails further reflection on the political definition of « sustainability » in the residential sector and further discussion on the critical scope of comparative approach in space and time. The objective is to make explicit and to pave the way for debate about the normative dimension of sustainable housing and its impacts on public policy in Europe. The assumptions of a tool for supporting governments and the cognitive distance taken are examined in relation to the methodologies used and their results. Far from the simplistic vision of a global change of culture, the Europeanisation of sustainable housing is analysed as a multiscale and multicultural construction of a « format »: the « eco-housing ». The legitimacy of this spatial category has proven to be dominated by a managerial and technological register. It tends to reduce the residential transformation from ecological and economic requirements without opening the discussion on the functioning of power relations. The comparative approach proves to be a driving force that relocates the critical reflection. It examines the « eco-housing » in a broader scope which highlights several facets that give new insights into the morphology of power over our ways of living with nature.
- L'habitat durable contre la mixité sociale ? Production et réception des normes d'habiter dans les écoquartiers - François Valegeas p. 44-62 Les quartiers durables sont à la fois des vitrines, des laboratoires et des étapes de la réalisation de la ville durable. L'habitat constitue une pierre angulaire de la conception de ces quartiers, dans la mesure où il est un support de la mise en œuvre de normes d'habiter qui visent à encadrer les comportements et un point de tension dans les pratiques et représentations des habitants. L'analyse des décalages entre les principes de conception et les usages réels permet de mettre en évidence l'importance des trajectoires et choix résidentiels des ménages dans l'appréhension des normes d'habiter et des dispositifs spatiaux. La réalisation d'une mixité sociale par l'habitat, qui se traduit très différemment selon les projets, aboutit à la cohabitation de ménages aux modes d'habiter différents. Or la rhétorique de la responsabilisation et les conflits d'usages montrent la prégnance d'inégalités en termes de capacités d'appropriations de l'habitat. Ces projets de quartiers durables, largement fondés sur une approche technique et performative de la durabilité, prennent peu en compte ces inégalités.Sustainable neighborhoods are at the same time showcases, laboratories and stages of the construction of a sustainable city. Housing is the keystone of the conception of these neighborhoods. It's both a support for the implementation of living standards which aim to regulate behaviors, and a point of tension in the practices and the representations of the inhabitants. The analysis of the gap between principles of conception and the real uses, highlights the importance of the households' trajectories and residential choices in the understanding of living standards and spatial devices. Creating a social mix through housing, which can have different faces in every project, always leads to the cohabitation of households with different ways of living. Yet, the discourse about responsibility and the conflicts of uses show the omnipresence of inequalities in housing appropriation. These projects of sustainable neighborhoods, widely based on a technical and performative approach of sustainability, take little account of these inequalities.
- Normes et bâtiment durable : une emprise technicienne - Julien Milanesi, Laurent Teresi p. 64-77 L'article explore le cadre normatif – entendu comme l'ensemble des règles de droit, labels ou des démarches à la frontière de simples engagements contractuels – du « bâtiment durable ». A partir d'une analyse juridique des traits saillants de ce cadre et de la recherche, dans une perspective socioéconomique, de sa convention constitutive, nous mettons en évidence son inscription dans ce que les auteurs critiques de la Technique ont pu appeler une « emprise technicienne ». Nous montrons alors comment la domination de cet impératif d'efficacité dans la définition de ce type de bâtiment conditionne l'acte de construire et l'habiter.This paper explores the normative framework – including a various set of legal rules, labels or simple contractual commitments – related to the « Green Building ». From a legal analysis of the main features of this framework and a research in a socio-economic perspective of its founding convention, we show how the need for efficiency – derived from a technological ascendancy – in the definition of this type of building determine the act of building and living.
- L'habitat participatif et l'impératif écologique : une utopie réaliste ? - Jeoffrey Magnier p. 78-93 Les nouvelles modalités d'habitat participatif introduisent une adaptation de la question écologique dans la sphère du logement, en faisant du respect de l'environnement une préoccupation de premier plan pour les groupes d'habitants en projet. Avec la montée en nombre des projets adossés voire à l'initiative de bailleurs sociaux, les fortes contraintes de ces derniers en terme budgétaire s'opposent aux souhaits des groupes de futurs habitants, posant les bases d'un paradoxe entre souhait et injonction d'une part, et possibilités d'autre part. Avec un encouragement des pouvoirs publics à ce type d'initiative et des professionnels qui investissent activement ce domaine, l'habitat participatif semble tendre vers un modèle adapté aux problématiques sociétales actuelles, entre « vivre ensemble », participation à la conception et à la gestion et habitat durable. Pour autant, en faire une vitrine du respect de l'environnement semble être un objectif biaisé, car l'équation entre coût nécessaire aux performances énergétiques et possibilité d'investissement semble être, en l'état, déséquilibrée pour les habitants. C'est ce déséquilibre que nous souhaitons interroger à travers l'étude des stratégies des acteurs de cette sphère, même si cela n'entame en rien l'enthousiasme de ces habitants que nous considérons ici comme des citoyens militants de l'économie associative et collaborative, refusant le désenchantement des mouvements communautaires post-soixante-huitards.The new cohousing models introduce a development in ecological issues in the housing sphere, making respect for the environment crucial for the inhabitants involved in the project. Following an increase in the number of projects approved, as well as initiatives by social landlords towards publicly-assisted housing or social renting, the strong budgetary constraints of landlords are clashing with the desires of the future inhabitants, opposing desire and orders on the one side with possibility on the other. With support for this initiative from public authorities as well as by professionals actively investigated in this area, cohousing seems to tend towards a model that adapts to current social issues, including « living together », participating in the creation and management, and sustainable housing. However, showcasing environmental respect seems to be a biased perspective, since the balance between necessary costs regarding energy performance and investment possibilities seems to be, as things stand currently, unbalanced for the inhabitants. It is precisely this imbalance that we intend to investigate – one that, nevertheless, has not affected the enthusiasm of the inhabitants, whom we consider to be citizens active in the associative and collaborative economy, refusing the disillusion of post-1968 collective and community movements.
- L'habitat participatif : vers l'avènement de l'habitat durable ? - Camille Devaux p. 94-109 En dépit d'une grande diversité de projets, les porteurs des démarches d'habitat participatif défendent une approche « durable » de l'habitat : un engagement collectif dans la production et la gestion de l'habitat ; la promotion de valeurs de partage, de solidarité ; la défense de la sobriété énergétique jusque dans les modes de vie ; la réduction des coûts d'accès au logement. Avec la loi pour l'Accès au Logement et un Urbanisme Rénové (alur) de mars 2014, l'habitat participatif est institutionnalisé. Est-ce à dire qu'il va fortement se développer dans les années à venir ? Assiste-t-on avec l'habitat participatif à l'avènement de l'habitat durable ? Si ses fondements et ses ambitions sont en adéquation avec les injonctions de l'action publique urbaine et les enjeux de production du logement, la mise en œuvre des projets se heurte à différents obstacles qui se retrouvent sur l'ensemble des scènes locales observées. Ils sont tout autant opérationnels que liés à des représentations et des postures vis-à-vis des habitants. Les différents territoires sont toutefois inégalement dotés pour les dépasser : histoire locale et configurations d'acteurs apparaissent déterminantes dans le développement des démarches. L'accompagnement des projets lève certains freins mais il peut aussi révéler un retrait des collectivités locales, mettant à mal les ambitions de transformation de la production du logement et de l'habitat.In spite of a great diversity of projects, inhabitants commited in cohousing defend a « sustainable » approach of housing : a collective commitment in housing production and management ; the promotion of values of sharing and solidarity ; defense of energy-saving lifestyle ; improvement of housing affordability. With the March 2014 French act for access to housing and renewed urbanism (alur), cohousing is institutionnalized. Does it mean that cohousing is going to develop strongly in the coming years ? Is sustainable housing going to be established with cohousing ? Its bases and its ambitions are in adequacy with the orders of the urban public action and housing production challenges. Nevertheless, the implementation of the projects comes up against various obstacles which are found on the whole of observed sites. They are as much operational than related to representations and postures relating to inhabitants. The different sites have not the same tools to overtake them : local history and agents configurations are decisive. The projects support contributes to rase some difficulties but it can also reveal a local authorities withdrawal, which endangered the ambitions of housing production transformation.
- La maison individuelle « durable », une écologie de « bonne conscience » ? - Marie Mangold p. 110-125 A partir d'une analyse des motivations de ménages engagés dans la construction d'une maison écologique à haute performance énergétique, cet article interroge l'offre de logement « durable » telle qu'elle se développe actuellement. Le processus de labellisation de maisons « éco-performantes » est d'abord explicité. Puis, une analyse des motivations des ménages est proposée à travers quatre registres entrecroisés : le confort, la santé, le « geste écologique » et l'autonomie énergétique. Ceci conduit à distinguer deux profils d'habitants : les premiers privilégient l'aspect écologique et de santé au sein de leur projet, tandis que les seconds recherchent une performance thermique, correspondant à une maîtrise technique de la « nature ». Au final, derrière le répertoire écologique souvent avancé, l'offre de logement « durable » permet d'abord à des individus suffisamment dotés économiquement de répondre aux injonctions actuelles à la sobriété énergétique tout en conservant un mode de vie énergivore.Based on an analysis of the motivations of households engaged in the construction of a high-energy-performance, environmentally friendly house, this paper examines the current development of « sustainable » housing. It begins by investigating the labelling process for eco-efficient houses. Then, the motivations of households are documented, with four interwoven registers identified : comfort ; health ; « eco-friendly gesture » ; energy independence. Two categories of residents are evidenced : the first favour green and health-related aspects in their projects whereas the second seek to achieve a thermal performance that reflects the technological mastery of « nature ». Ultimately, although a green discourse is often highlighted, « sustainable » housing currently primarily serves as a means for economically well-endowed individuals to answer the calls for energy efficiency while still pursuing energy-intensive lifestyles.
- Des modes d'habiter durables en cours d'élaboration - Nadine Roudil p. 126-140 Cet article interroge la manière dont les citadins donnent une réponse à l'enjeu climatique et énergétique alors que se développe une ville sobre et durable à la française valorisant la diffusion d'un habitat où s'expérimentent les solutions techniques et urbanistiques qui permettront d'atteindre le facteur 4. Pour les pouvoirs publics, cet enjeu de société inédit semble passer, par la nécessité d'infléchir les modes de vie et par la diffusion de consignes permettant de « bien habiter » la ville. Elles consistent à préserver l'efficacité des solutions techniques et valorisent un habitat du futur fondé sur la performance des systèmes. Néanmoins, dans le contexte des pratiques domestiques ordinaires, la façon dont les ménages souscrivent à la lutte contre le changement climatique révèle la mobilisation de savoirs mis au service d'une volonté d'habiter autrement. Fondées sur l'analyse d'un quotidien pluriel, deux enquêtes qualitatives réalisées en Ile-de-France ont identifié les dynamiques sociales et les ressorts résidentiels ou symboliques qui concourent à l'émergence de modes d'habiter valorisant la sobriété énergétique.This paper explores how French urban residents are responding to climate issues given the emergence of a sober and sustainable French city model based on reducing energy consumption. The purpose of this model is to create a laboratory wherein technology and planning solutions for the realization of Factor 4 goals are tested at the citywide scale. For the public authorities in France, this unprecedented societal challenge, formalised by means of using the notion of transition, appears to require modifying lifestyles by issuing advice so that the city can be « inhabited well ». Their goal is to safeguard the effectiveness of the technical solutions used that, together, propose housing based on system performance. In terms of ordinary household practices, the way residents subscribe to the fight against climate change is nevertheless indicative of the mobilization of knowledge to live differently, despite the development of architectural and technical solutions valorizing change in domestic practices. First and foremost, this article will show the emergence of a sustainable city in France founded on frugal systems and encouraging change in domestic practices. Then, based on two ethnological surveys, it will highlight the extent to which households are developing alternative practices that demonstrate a desire to « faire sobriété autrement », in other words, « do frugality differently ». We can show how households develop daily practices that purvey solidarity and pool knowledge of uses with high social and sustainable value added.