Contenu du sommaire : La cause des migrants
Revue | Critique internationale |
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Numéro | no 84, juillet-septembre 2019 |
Titre du numéro | La cause des migrants |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Éditorial - p. 5-6
Thema. La cause des migrants
- Du mouvement des sans-papiers à la « crise » des réfugiés : évolution des catégories d'action et enjeux théoriques - Pauline Brücker, Daniel Veron, Youri Lou Vertongen p. 9-21
- « Sans combat, il n'y aura rien du tout ! ». L'engagement des sans-papiers pour leur régularisation (région parisienne, 2008-2011) - Daniel Veron p. 23-41 Entre le printemps 2008 et l'été 2010, en région parisienne, plusieurs milliers de travailleurs sans-papiers ont lancé un mouvement de grève avec occupation des lieux de travail. À partir d'une ethnographie de cette mobilisation, j'analyse l'engagement des migrants en situation administrative irrégulière, au prisme de la « quotidienneté tactique », selon la formule de Michel de Certeau, qui caractérise l'expérience de l'illégalité migratoire. La controverse entre les animateurs et certains des participants sur les choix d'orientation du mouvement révèle l'importance d'inscrire l'engagement des acteurs dans le substrat social qui construit leur rationalité et leur appréhension de l'action collective. Cette perspective permet de saisir combien ce que les acteurs disent de leur engagement est fondé sur une réflexivité vernaculaire qui s'alimente aux « espaces du texte caché » tels que définis par James C. Scott. Cette analyse comporte également une dimension réflexive forte quant à la position « engagée » du chercheur sur le terrain des mobilisations, position qui apparaît comme une condition d'accès à ces espaces, et donc à la parole des acteurs mobilisés.“Without a Struggle, There Won't Be Anything at All!” Undocumented Migrants' Fight for Regularization Between spring 2008 and summer 2010 in the Paris region, several thousand undocumented workers launched a strike during which they occupied their work places. Drawing upon an ethnography of this mobilization, the present article examines the engagement of migrants lacking authorization of residence through the lens of the “tactics of everyday life”, as Michel de Certeau put it, that characterize the experience of migrant illegality. The controversy between the organizers and some participants as to direction in which the movement should go shows why the actors' involvement must be apprehended from the social substrate that constructs their rationality and understanding of collective action. This perspective allows us to grasp the fact that the actors public discourses are based on a vernacular reflexivity fed by “spaces of hidden script” as defined by James C. Scott. This discussion also contains a significant reflexive dimension on the researcher's “engaged” position in the field of mobilization – a position that appears to be a necessary condition for accessing these spaces and thereby the speech of mobilized actors.
- Violences de l'exil, mémoire des luttes et plasticité de l'engagement. Le cas des demandeurs d'asile soudanais en Israël - Pauline Brücker p. 43-62 Aborder « par le bas » les enjeux de la demande d'asile en Israël amène à s'interroger sur le rôle des violences de l'exil, en particulier celle d'un horizon carcéral, dans les représentations et pratiques de l'engagement des migrants. Les conséquences différenciées de la migration et de la violence sur les trajectoires militantes sont analysées ici à partir de trois cas d'étude. Plus que les ressources disponibles, c'est la notion d'expérience qui permet de comprendre comment certaines formes d'engagement et de désengagement se développent au fil du temps et sur un même parcours. L'appréhension de la mémoire des luttes comme autre composante essentielle de l'expérience individuelle éclaire par ailleurs les raisonnements qui conduisent à préférer telle ou telle forme d'action. En se croisant, ces différentes expériences (migration, répression, mobilisation) donnent lieu à trois types d'engagement : une mobilisation contre l'injustice, une mobilisation pour ses droits et un renoncement à la lutte.Violences of Exile, Memory of Past Struggles and Plasticity of Engagement: The case of Sudanese Asylum Seekers in Israel This article draws upon three case studies to examine the differentiated consequences of migration and violence for activist trajectories. Indeed, the “bottom up” approach adopted here to address asylum seeking in Israel leads one to consider the role played by the violences of the exile and, in particular indefinite detention, on representations and practices of engagement among migrants. The notion of experience, rather than the one of ressources, allows one to understand how engagement and disengagement may develop over time and affect one's mobilization. Addressing the memory of past struggles for asylum-seekers' rights appears as another essential component of individual experience that explains the reasoning leading one to particular types of engagement. Comparing different migration, repression, and mobilization experiences reveals three types of engagement: a mobilization against injustice, a mobilization to demand respect for one's rights and renunciation of the struggle.
- Dynamiques de protestation politique des exilés afghans à Berlin : entre « silence » et « prise de parole » - Elias Steinhilper, Miriam Périer p. 63-80 En Allemagne, l'« été des migrations » de l'année 2015 a entraîné une série de restrictions de la loi sur le droit d'asile et provoqué un débat public de plus en plus hostile envers les populations étrangères. Les Afghans, qui constituent l'une des principales communautés de migrants de ce pays, ont été particulièrement touchés par ces revirements politiques. Leurs dynamiques de mobilisations politiques à Berlin sont analysées ici à partir d'un travail de terrain et en mobilisant les théories culturelles et interactives de la contestation. La perception d'une réelle menace d'expulsion, les sentiments d'injustice et d'indignation face aux nouvelles mesures restrictives ainsi que le rôle de courtiers joué par des migrants plus établis se sont combinés pour rendre possible une union provisoire de la communauté des Afghans en exil et ont fini par pousser de nombreux demandeurs d'asile à prendre temporairement la parole en public au lieu d'accepter en silence un régime migratoire restrictif.Dynamics of Political Protest among Afghans in Berlin: Between Silence and Speaking Out In Germany, the 2015 “summer of migrations” was followed by a series of asylum law restrictions and an increasingly hostile public debate in regards to foreign-origin populations. One of the country's largest migrant communities, Afghans were particularly affected by these political U-turns. This article draws upon field work as well as cultural and interactive theories of protest to examine the dynamics of political mobilization among these migrants in Berlin. The perception that they face a genuine threat of being expelled, feelings of injustice, the indignation provoked by the restrictive new measures and the brokering role played by more established migrants combined to allow the Afghan community in exile to provisionally come together, ultimately prompting many asylum seekers to temporarily opt for public expression rather than silent acceptance of a restrictive migratory regime.
- Le mouvement pour la justice migrante : une histoire montréalaise - Adrien Jouan p. 81-103 Si l'étude des mobilisations autour de la cause des migrants constitue en France et aux États-Unis un domaine de recherche bien développé, il en va tout autrement au Canada, où ces luttes – pourtant bien présentes et observables – n'ont que rarement retenu l'attention des sociologues. Sur la base de données tirées d'une enquête ethnographique de plusieurs années au sein d'un collectif militant de Montréal, je retrace l'histoire de ce que les activistes canadiens nomment le mouvement pour la justice migrante : tout d'abord, son émergence et son ancrage dans l'altermondialisme canadien (2000-2002) ; ensuite, l'épisode crucial de la lutte des sans-statuts algériens (2002-2003) ; enfin, les grandes lignes de l'évolution du mouvement, d'abord centré sur un objectif de régularisation des immigrants sans statut (2004-2007), puis de plus en plus tourné vers des formes de résistance inspirées des mouvements de villes sanctuaires (2010- 2018).The Movement for Migrant Justice: A Montreal History While the study of mobilizations on behalf of migrants is a well-developed research field in France and the United States, the situation is quite different for Canada, where these struggles – albeit very much present and observable – have received little attention from sociologists. On the basis of data drawn from a multi-year ethnographic study within a Montreal activist collective, I sketch the history of what Canadian activists call the Movement for Migrant Justice. I begin by examining its emergence and roots in the Canadian anti-globalizationist movement (2000-2002). I then turn to consider the crucial episode of undocumented Algerians (2002-2003). I conclude by laying out the main lines of the movement's evolution. Initially focused on the objective of regularizing undocumented immigrants (2004- 2007), the movement increasingly turned towards forms of resistance inspired by sanctuary city movements (2010-2018).
- Prendre part aux logiques d'exclusion : les mobilisations anti-migrants en France, en Italie et aux États-Unis - Damien Simonneau, Pietro Castelli Gattinara p. 105-124 En France, en Italie et dans l'Arizona (États-Unis), des groupes, des élus et des citoyens sont engagés dans la construction de la migration comme « problème » public. Quelles sont les actions, initiatives et stratégies discursives de ces entrepreneurs de cause anti-migrants ? La démarche comparative révèle la convergence des discours et des modes d'action tout en soulignant les différentes modalités d'articulation de ces acteurs dans leurs systèmes politiques respectifs. Les deux enquêtes menées en Arizona, pour l'une, en Italie et en France, pour l'autre, permettent d'identifier trois types d'opposition à l'immigration : des actions directes contre l'arrivée de migrants, se nourrissant d'un discours de l'abandon de l'État ; des actions qui ont trait à l'élaboration d'un savoir organisé commun à l'ensemble du mouvement ; des actions visant à produire une réaction politique, dans le but de mettre à l'agenda le contrôle migratoire et frontalier. Il convient dès lors de déterminer ce qui, dans ces actions, relève du vigilantisme, de l'action collective ou de l'action publique.Mobilizing for Security: A Comparison of Anti-Migrant Mobilization in France, Italy and the United States In recent years, various political and social actors have mobilized with the goal of constructing migration as a security “problem”. This paper compares the action repertoire and discursive strategy of these collective actors in Europe (France and Italy) and the US (Arizona). Based on semi-structured face-to-face interviews with activists who engaged in anti-migrant protest in these different national contexts, the study shows that mobilization converges around three main modes of action. First, anti-immigration actors promote direct social interventions that aim at exerting control over the territory to prevent the settlement or transit of migrants. Second, they engage in the construction of a shared knowledge about migration, with the goal of challenging the mainstream narratives promoted by their opponents, notably national governments and migrant solidarity organizations. Finally, they mobilize by targeting their potential allies in the electoral and mass media arenas, and try to shape the agenda of migration policy at the local and national level. Offering new, comparative, insight on the nature and extent of anti-immigration protest in Europe and the US, the results of the paper invite further investigation on the political and social consequences of the progressive securitarization of border control in contemporary democracies.
- Vers un imaginaire démocratique radical : réaffirmer les droits à la mobilité et à l'hospitalité - Marie-claire Caloz-Tschopp, Pauline Brücker, Daniel Veron, Youri Lou Vertongen p. 125-147
De vive voix
- De l'archive à la Révolution et retour : une autre histoire de l'État égyptien - Khaled Fahmy, Assia Boutaleb, Youssef El Chazli p. 127-144
Varia
- Le bénévolat d'hommes migrants en Suisse : travail gratuit et mise à l'épreuve civique - Agnès Aubry p. 147-164 En Suisse, les politiques en matière d'asile et d'octroi de permis de séjour cantonnent de nombreuses personnes dans des espaces civiques incertains qui limitent le champ de leurs possibles professionnels. Je rends compte ici des logiques qui encadrent le travail bénévole d'hommes migrants rencontrés au sein d'une organisation caritative dans une ville de Suisse romande. Maintenus en marge du marché du travail en raison de leur position civique précaire, ces hommes se tournent vers le bénévolat caritatif afin d'être en mesure de « travailler », selon leurs termes. En m'appuyant sur des observations ethnographiques et des entretiens, je propose de questionner la frontière ténue entre travail bénévole contraint et travail bénévole volontaire, dans un contexte de méritocratisation de l'accès à un statut légal. J'interroge ainsi les voies par lesquelles ces hommes sont amenés à travailler gratuitement, en soulignant les contraintes du marché du travail auxquelles ils font face. Je reviens également sur les injonctions à prouver son « mérite civique » qui circulent en Suisse, et sur la manière dont ils se les réapproprient à travers leur bénévolat.Volunteering among Migrant Men in Switzerland: Unpaid Labor as a Civic Test In Switzerland, asylum and residency permit policies confine many people to uncertain civic spaces, limiting the range of professional possibilities available to them. In this article, I recount the considerations framing the volunteer labor of migrant men within a charitable organization in a town of French-speaking Switzerland. Kept to the margins of the labor market due to their precarious civic position, these men turn towards charitable volunteering to be able to “work”, as they put it. Relying on ethnographic observation and interviews, I examine the frontier between compulsory unpaid labor and volunteer work in a context marked by the meritocratization of access to a legal status. Underscoring the labor market constraints with which they are confronted, I thus consider the paths by which these men are led to work for free. I also revisit the demands to prove one's “civic merit” that are commonplace in Switzerland and the manner in which these migrants use volunteer work to re-appropriate them.
- Ce qui se joue dans la protestation : défendre la coca pour saisir l'État au Pérou - Romain Busnel p. 165-183 Sur la base du suivi ethnographique d'une manifestation portant sur la défense de la coca dans la Vallée des fleuves Apurimac, Ene et Mantaro au Pérou, j'interroge le rôle des acteurs de la protestation dans la formation de l'État dans une région où prédomine l'économie du narcotrafic. En mobilisant un rapport à l'État conflictuel qui prend ses racines dans l'héritage du conflit contre le Sentier lumineux, les dirigeants des organisations sociales de la Vallée se positionnent dans le champ politique local et acquièrent une légitimité qui leur permet de capter les ressources nationales et transnationales pour se poser en intermédiaires de la mise en œuvre des politiques de développement régional, jugées prioritaires depuis la mise à l'agenda des problématiques du « narcotrafic » et du « narcoterrorisme ». Loin de confirmer une « absence d'État » dans les régions où se déroulent des activités illicites, la mobilisation de la Vallée éclaire le processus de formation de l'État et sa saisie par des intermédiaires selon un mécanisme de chevauchement du champ de la contestation et du champ de l'administration des ressources.What's at Stake in Protest: Defending Coca to Seize the State in Peru Drawing upon an ethnographic study of a demonstration involving the defense of coca in the Valley of the Apurimac, Ene and Mantaro rivers in Peru, I consider the role played by protest actors in state formation in a region where the economy is dominated by narco-trafficking. By drawing upon a conflictual relationship to the state with roots in the Shining Path conflict, the leaders of the Valley's social organizations positioned themselves in the local political field and acquired legitimacy, allowing them to capture national and transnational resources. In this way, they have established themselves as intermediaries in the implementation of regional development policies, which have become priorities since the issues of “narco-trafficking” and “narcoterrorism” were put on the agenda. Far from confirming an “absence of state” in the regions where illicit activities take place, the Valley mobilization sheds light on the process of state formation and its capture by intermediaries positioned to capitalize on the overlapping fields of protest and resource administration.
- Le savoir turc à la conquête du Moyen-Orient : sociologie d'un champ d'expertise de politique étrangère - Jean-Baptiste Le Moulec p. 185-204 À partir de la normalisation des relations turco-syriennes en 1998, les liens turco-arabes sont entrés dans une phase de réchauffement puis de développement. Ce regain d'intérêt politique pour le Moyen-Orient et plus particulièrement pour le Proche-Orient arabe s'est doublé d'un intérêt académique et médiatique grandissant. À la fin des années 2000, lorsqu'Ahmet Davutoğlu a été nommé ministre des Affaires étrangères, une constellation d'acteurs individuels et collectifs du monde académique, du champ politico-administratif et des médias se sont signalés par une production et une diffusion intense de savoirs en lien avec la politique étrangère du gouvernement AKP vers cette région ou directement corrélés aux développements sociopolitiques proche-orientaux. Positionnements individuels multiples, collaborations mais aussi rivalités entre acteurs laissaient envisager la constitution d'un champ expert autonome dans l'interstice entre plusieurs secteurs d'activité. Or la remise en cause de la politique moyen-orientale turque à la suite des insurrections arabes a agi comme un révélateur du fonctionnement et des clivages de ce champ.Turkish Knowledge Takes on the Mideast: Sociology of a Foreign Policy Expert Field Starting with the normalization of Turkish-Syrian relations in 1998, Turkish-Arab relations began to warm and develop. This renewed political interest for the Mideast and, more particularly, the Arab Near East was accompanied by growing academic and media interest. When Ahmeṭ Davutoğlu was named Minister of Foreign Affairs in the late 2000s, a constellation of individual and collective actors from the academic world, the politico-administrative field and the media stood out by virtue of their intense production and diffusion of knowledge relating to the foreign policy of the AKP government vis-à-vis this region or directly connected to Near Eastern sociopolitical developments. Multiple individual positions as well as collaborations and rivalries between actors suggested the possibility that an autonomous expert field was emerging at the junction of several sectors of activity. However, with Turkish Mideast policy called into question following the Arab uprisings, the operation and divisions of this field were revealed.
- Le bénévolat d'hommes migrants en Suisse : travail gratuit et mise à l'épreuve civique - Agnès Aubry p. 147-164
Lectures
- Amin Allal, Myriam Catusse, Montserrat Emperador Badimon (dir.). Quand l'industrie proteste : fondements moraux des (in) soumissions ouvrières. Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2018, 207 pages. - Franck Gaudichaud p. 207-212
- Jessé Souza (dir.). A Ralé Brasileira. Quem é e como vive. Belo Horizonte, Editora UFMG, 2018 (3e rééd.), 484 pages. - Lauriane Dos Santos p. 213-216
- Dominique Lorrain, Charlotte Halpern, Catherine Chevauché (dir.). Villes sobres : nouveaux modèles de gestion des ressources. Paris, Presses de Sciences Po, 2018, 360 pages. - Elvan Arik p. 217-221