Contenu du sommaire : Les incommunications
Revue | Hermès (Cognition, Communication, Politique) |
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Numéro | no 84, 2019/2 |
Titre du numéro | Les incommunications |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Introduction générale : incommunications et autres acommunications - Franck Renucci, Thierry Paquot p. 9-12
- Sélection bibliographique - p. 13-14
I - L'incommunication, constitutive de la communication
- Malaise dans la communication. Petit lexique des mots de l'incommunication et de l'acommunication - Thierry Paquot p. 17-27 Les mots nous jouent des tours, aussi est-il indispensable d'en restituer la géohistoire étymologique avant d'expliciter l'évolution de leur acception. Un lexique s'avère commode pour clarifier la signification de termes que l'on associe abusivement au point d'en faire des synonymes. Le lexique une fois établi, il est alors possible de proposer des définitions pour la communication, l'incommunication et l'acommunication, sachant, par ailleurs, que la technique s'invite en prétendant faciliter la communication… Et si cette triade n'était constituée que d'un couple (communication/incommunication) et d'un intrus (acommunication) d'une autre nature ?Words play tricks on us, so it is vital to re-establish their etymological geohistory before specifying how they have come to be used. A lexicon provides a convenient way of clarifying the meaning of terms that can become so associated with one another that they are incorrectly considered to be synonymous. Once established, such a lexicon makes it possible to provide definitions of “communication,” “incommunication,” and “acommunication,” even if we know that the technique itself seems to facilitate communication…. What if this terminological triad is really a pair (communication/incommunication) into which an interloper of another sort altogether (acommunication) has intruded ?
- L'incommunication comme résistance - Jean-Michel Besnier p. 28-30 La communication s'inscrit dans le programme de toute entreprise métaphysique depuis Platon. Les technologies contemporaines en héritent la préoccupation, en imaginant instaurer ce que les philosophes auraient seulement pensé. Mais l'échec des technologies révèle une impossibilité de fond, qui explique sans doute le geste reconduit des métaphysiques : vouloir établir la continuité entre toutes réalités grâce aux technologies, c'est produire en réalité une déstructuration qui équivaut à une incommunication. Et si cette incommunication était justement le gage de la résistance à opposer aux prétentions des technologies ? Et si elle était justement ce qui donne à penser… ?Since Plato, communication has been included within the purview of all metaphysical undertakings. Current technology, which has inherited this concern, supposes that it is able to realize what earlier philosophers could only imagine. However, the failure of these technologies shows that there is a fundamental impossibility, one that probably explains the continuing effort of metaphysics to establish a continuity among all realities by means of technology ; this actually involves a destructuring that is tantamount to a form of incommunication. Is this incommunication precisely the proof of the resistance to the pretensions of technology ? Is it the source of our thinking ?
- La communication et ses écarts. Réflexions sur les limites de l'idéalisme technologique - Pierre-Antoine Chardel p. 31-37 Dès que nous nous adressons à d'autres personnes, nous sommes toujours susceptibles de faire l'épreuve du malentendu, de l'incertitude ou de l'ambiguïté. C'est là que se révèle l'épreuve de l'altérité, qui constitue toujours un défi pour l'expérience humaine autant que pour la réalité sociale. Un tel défi est aussi complexe qu'exaltant. Il ne peut, en aucune façon, se voir annuler par les possibilités qu'offrent les médiations technologiques qui nous accompagnent désormais dans la plupart des moments de notre existence. Car les technologies de l'information et de la communication nous rapprochent autant qu'elles nous éloignent. Et l'impression de pouvoir nous rapprocher virtuellement les uns des autres ne dit rien de la distance qui nous sépare toujours d'Autrui. La recherche d'une transparence communicationnelle constitue même le plus souvent un facteur d'accentuation de redoutables contradictions qui vont jusqu'à instaurer des situations d'acommunication. Or la reconnaissance de telles tensions doit nous encourager à déployer nos efforts pour créer les conditions d'un bon agir télé-communicationnel en nous incitant à séparer la pulsion communicationnelle à la demande de reconnaissance qui est inhérente au fait de parler.Whenever we speak to other people, we are always potentially liable to experience misunderstandings, uncertainty, or ambiguity. This is where the ordeal of alterity is revealed, an alterity that, for both human experience and social reality, always takes the form of a challenge. This challenge is as complex as it is exhilarating. It cannot in any way be canceled out by the possibilities offered by the mediation of technology, which now accompanies us in almost every moment of our lives. Information and communication technology drives us apart just as much as it brings us together. Our impression of being able to draw closer to others by virtual means says nothing about the distance that always separates us from Others. The search for transparency in communication usually accentuates the formidable contradictions that can even produce situations of acommunication. Recognizing these tensions should lead us to seek to create the conditions for good telecommunicative action, by encouraging us to separate the drive to communicate from the demand for recognition that is inherent in all speech.
- Deux sources cosmopolites des réflexions sur l'incommunication : Vilem Flusser et René-Jean Ravault - Éric Dacheux p. 38-44 Si le concept d'incommunication est, aujourd'hui, un nouveau modèle communicationnel en voie d'émergence (Dacheux et Duracka, 2017), celui-ci n'est pas encore stabilisé. C'est pourquoi, la construction, en cours, d'une théorie de l'incommunication gagnerait à revenir sur certains travaux précurseurs. C'est, en tout cas, l'hypothèse de ce texte. Ce dernier va présenter les travaux méconnus de deux chercheurs citoyens du monde, Vilém Flusser (partie I) et René-Jean Ravault (partie II) qui proposent des pistes heuristiques permettant de consolider une théorie de l'incommunication en voie d'élaboration.The concept of incommunication is a new, emerging model of communication (Dacheux and Duracka, 2017) but it has not yet become stable. For this reason, the ongoing construction of the theory of incommunication would benefit from taking another look at the pioneering work of precursors of this field. Our hypothesis is that the little-known work of two researchers who were citizens of the world, Vilém Flusser (Part I) and René-Jean Ravault (Part II), provides heuristic approaches for consolidating the theory of incommunication that is currently being developed.
- Les limbes de la communication humaine. L'apport chinois d'une réinterprétation de l'incommunication - Mylène Hardy p. 45-51 S'appuyant sur la conception woltonienne non négative de l'incommunication, cet article se propose de poursuivre les propositions de Dominique Wolton en reliant communication et incommunication sous une forme théorique faisant appel aux principes fondateurs de la pensée chinoise de sens commun issus du Yijing (Livre des mutations). Pour ce faire, nous proposons de penser la communication humaine sous la forme d'un triptyque comprenant deux opposés complémentaires – communication et incommunication – ainsi qu'un espace, limbique et videmédian, de rencontre potentielle dans lequel se matérialisent les interactions successives des différentes gradations des deux opposés dans la dynamique des situations de communication. L'apport chinois est ici pensé comme source potentielle d'enrichissement conceptuel permettant de théoriser l'incommunication autrement que dans le sens négatif engendré a priori par son préfixe privatif.On the basis of Dominique Wolton's nonnegative conception of incommunication, this article relates communication and incommunication through a theoretical approach that calls on the founding principles of the Chinese view of common sense, as developed in the I Ching [The Book of Changes]. To this end, human communication is understood as a triptych composed of two complementary opposites – communication and incommunication – and a space of limbo, of median void, and of potential encounter ; in this space, the successive interactions of the different gradations of the two opposites materialize within the dynamics of communication situations. The Chinese contribution is conceived of here as a potential source for conceptual enrichment, one that allows incommunication to be theorized in a way that is not negative, as might otherwise be suggested by the negation in the term's prefix.
- Le langage est l'instrument du malentendu - Michaël Oustinoff p. 52-56 Contrairement à une idée reçue, le langage n'est pas fait pour transmettre un contenu univoque, de manière « immédiate », « claire » et « transparente », puisqu'il n'est fait que de différences, comme l'expliquait déjà Saussure. Il est plus que jamais nécessaire de considérer le langage dans toute sa complexité, afin de pouvoir décrypter les fake news omniprésentes à l'heure la « post-vérité », de Trump à Bolsonaro, en passant par Orbán ou Salvini. Mais, que ce soit par l'intermédiaire de l'anglais « planétaire » ou de la rebabélisation d'Internet, il faut également prendre en compte les sources d'incommunication d'ordre linguistique et interculturel, qui amènent la traduction à occuper une place centrale dans la compréhension du monde contemporain.Despite what we tend to think, language is not made for transmitting univocal content in a “clear,” “immediate,” and “transparent” way, for it is composed of nothing but differences, as Saussure had already explained. It is more necessary than ever to grasp language in all its complexity, in order to decipher the fake news that is ubiquitous in the “post-truth” era, from Trump to Bolsonaro, not to mention Orbán and Salvini. However, whether by the intermediary of “global” English or the “rebabelizing” of the Internet, it is also crucial to factor in the linguistic and intercultural sources of incommunication, which make translation central to our understanding of the contemporary world.
- Une incommunication fondatrice et ambivalente : le cas de la franc-maçonnerie - Céline Bryon-Portet p. 57-63 L'incommunication, qui se trouve au fondement même de la culture maçonnique, a trait à la fois à des dissensions internes à la franc-maçonnerie ; à une pratique du secret imposée par l'institution, qui interdit aux initiés de communiquer sur leurs activités et génère des incompréhensions au sein de la population ; et au parcours initiatique des francs-maçons, cette expérience incommunicable où se côtoie une forme de sacré.Cet article étudie les enjeux que recouvrent ces différents types d'incommunication, tant en interne qu'en externe, ainsi que leurs effets paradoxaux : l'incommunication peut favoriser des actions correctrices de communication, tandis qu'à l'inverse, la volonté de communiquer n'aboutit parfois qu'à de l'incommunication…Incommunication, which lies at the foundation of Masonic culture, is connected with the internal dissent within Freemasonry ; with practices of secrecy imposed by the institution (where members are forbidden from communicating about their activities, which leads to a lack of understanding among the public) ; and with Masonic initiation rites (an incommunicable experience in which one rubs shoulders with a form of the sacred).This article explores the issues involved, both internally and externally, in these different types of incommunication, along with their paradoxical effects : incommunication can foster corrective communicative actions, yet the willingness to communicate sometimes itself produces incommunication.
- Ménager des terrains d'entente dans la fabrique territoriale - Chris Younès p. 64-69 Le malentendu participe aussi bien à nos rapports au monde qu'à nos manières d'agir. La biennale internationale de design de Saint-Étienne en affichant « Me-You-nous créons un terrain d'entente » enjambe les incommunications pour les féconder. De même le concours européen d'architecture, Europan, qui existe depuis 30 ans, joue de la diversité des participants, des collectivités territoriales, des institutions, des thèmes et des langages, pour faire advenir une co-production de projets urbains, sans cacophonie, comme si les incompréhensions éventuelles, les a-communications probables, s'effaçaient, se dissipaient avec l'émergence d'un terrain d'entente. À partir de ces deux exemples, l'on voit comment la communication, malgré ce qui la parasite en permanence, s'effectue par l'action.Misunderstanding plays just as much a part in our relations with the world as it does in how we take action. With its slogan “Me-You-Nous – Designing Common Ground,” the International Design Biennial held in Saint-Étienne straddles various forms of incommunication and seeks to make them bear fruit. Likewise Europan, the European competition for young architects, which has been held for the past 30 years, engages with the diversity of its participants, of local and regional authorities, of institutions, and of themes and languages, thereby bringing forth a co-production of urban projects without the cacophony of discord. It is as if all possible misunderstandings and probable acommunication were canceled out or dispelled with the emergence of a common ground. On the basis of these two examples, this article shows how communication is carried out through action, despite the static that constantly interferes with it.
- Malaise dans la communication. Petit lexique des mots de l'incommunication et de l'acommunication - Thierry Paquot p. 17-27
II - Incommunications : sciences, techniques et sociétés
- Les malentendus de l'origine - François Ansermet p. 71-79 L'origine est indissociable du malentendu. Cet article en décline les différentes versions, biologiques, historiques, subjectives, en incluant les malentendus du désir d'enfant. Les procréations médicalement assistées – permettant de disjoindre la sexualité de la procréation, la procréation de la gestation, la gestation de la naissance, l'origine de la filiation – révèlent les potentiels malentendus de l'origine. Paradoxalement, le pari de la psychanalyse est de se servir de ces malentendus pour ouvrir le champ des possibles, pour permettre au sujet de remettre l'origine en jeu dans l'après-coup, afin d'accéder à un devenir toujours ouvert, dont le sujet puisse être l'auteur et l'acteur, pour advenir aussi au-delà de ce qui le détermine.Misunderstanding is intrinsic to the notion of “origins.” This article lays out its different biological, historical, and subjective versions, including the misunderstandings involved in the desire for children. Assisted reproductive technology – which allows sexuality and procreation, procreation and pregnancy, pregnancy and childbirth, and origins and descent to be dissociated from one another – exposes the potential for misunderstanding origins. Paradoxically, the wager of psychoanalysis is to use this sort of misunderstanding to open up the field of the possible, in order to enable the subject to take up the question of origins retroactively and gain access to a future that is always open, one in which this subject is both author and actor, and can thus move beyond the factors that would determine it.
- Le surhandicap de situations d'incommunication - Stéphane Amato p. 80-82
- Incommunication et épigénétique - Ariane Giacobino p. 83-88
- Le pharmaphone - David Galli p. 89-92
- Watson debater: conversation with a machine - Costas Bekas p. 93-94
- Le chatbot : un outil de la relation aux clients - Caroline Dubois, Jean Marc Salotti, Dominique Seminel, Nicolas Simonazzi p. 95-97
- Désir et pratiques de déconnexion - Francis Jauréguiberry p. 98-103 Synonymes d'immédiateté, de reconnaissance à portée de clics, de sécurité, d'ouverture et d'évasion, les TIC sont en moins de trois décennies devenues les outils d'une communication quasi permanente. Mais ces mêmes technologies s'avèrent aussi porteuses d'informations non désirées, d'appels intempestifs, de surcharge de travail, de confusion entre urgence et importance, de nouvelles addictions et de contrôles non autorisés. C'est face à ces effets induits négativement vécus qu'un désir de déconnexion, de silence et même de non-communication est peu à peu apparu. Les TIC étant le vecteur par lequel la surinformation, l'urgence ou la surveillance transitent, l'espoir d'échapper aux unes en mettant au moins provisoirement les autres de côté se développe. La déconnexion équivaut alors à reprendre souffle et distance, à retrouver son rythme et un temps à soi. Elle est ainsi parfaitement révélatrice de la figure de l'homme hypermoderne qui ne se contente pas de suivre l'accélération du mouvement moderne en baignant dans une communication continue, mais qui cherche aussi à s'en éloigner partiellement afin d'en interroger les formes et le sens.Synonymous with immediacy, with recognition that is a click away, and with a sense of security, openness and escape, information and communications technology (ICT) has, in the past three decades, become the tool for a sort of quasi-permanent communication. However, this same technology has also proven to be a carrier of unwanted information, inopportune calls, overwork, a confusion between urgency and importance, new addictions, and unauthorized forms of control. Being confronted with these negatively experienced effects can gradually lead to a desire for disconnection, silence, and even non-communication. Since ICT is the means by which information overload, emergency, and surveillance are conveyed, the hope of escaping from some of them by setting the others aside, at least temporarily, emerges. Disconnecting becomes the equivalent of catching one's breath and getting some distance, of getting back to one's own pace and sense of timing. It is thus a perfect indication of the figure of the ultramodern human, who is not content to go along with the acceleration of modern movement by plunging into constant communication, but seeks instead to take a small step away from it, so as to question its forms and meaning.
- Affects électroniques au Japon. Les systèmes de rencontre par machines interposées - Agnès Giard p. 104-110 L'incommunication bénéficie actuellement au Japon d'une certaine faveur : les interfaces électroniques qui substituent à l'expression personnelle un répertoire de mots pré-écrits ou d'émoticônes standardisés permettent, suivant une formule consacrée, d'« éviter tout malentendu ». Pour « réduire la distance entre les humains », certains ingénieurs développent d'ailleurs des prototypes de machines programmées pour s'exprimer à la place de l'humain afin de faciliter ses échanges. Dans le domaine de l'amour, ces dispositifs se déclinent sous des formes diverses : programme sur écran tactile pour trouver l'élu-e, détecteur de coups de foudre, robot de rencontre matrimoniale… Sciemment conçus pour faire « écran », au sens propre du terme, ces outils numériques sont perçus comme d'autant plus utiles qu'ils soulagent l'individu d'une parole libre et contingente. À rebours d'un certain discours « libéral » qui veut que l'individu soit autonome, performant et responsable, les adeptes de la rencontre assistée par ordinateur prônent au contraire les vertus de l'irresponsabilité, de l'artificialité et de l'anonymat, garanties sine qua non, disent-ils, de meilleurs échanges inter-humains. Qu'en penser ?In Japan, incommunication currently benefits from a certain preference : electronic interfaces, in which personal expression has been replaced by a compendium of prewritten words and standardized emoticons, allow the use of established formulas to “prevent misunderstanding.” To “reduce the distance between people” and to facilitate exchange, some engineers have also developed prototypes of machines programmed to substitute for humans in their interaction. In matters of love, these systems take a variety of forms : a touch-screen program for finding a perfect match, a “love-at-first-sight” detector, or a matchmaker robot…. Deliberately designed as a “screen,” in the literal sense of the word, these digital tools are considered to be especially useful because they relieve individuals of the burden of free and contingent speech. In a reversal of the “liberal” idea that individuals are autonomous, competitive, and responsible, the adepts of computer-assisted dating espouse the virtues of irresponsibility, artificiality, and anonymity, contrary positions that they hold to be the ultimate guarantee of the best of all possible human interactions. What should we make of this ?
- Violences policières au Brésil : quand les images témoignent… - Elianne Ivo Barroso, Pedro de Alencar p. 111-117 Le film Auto de Resistência (2018) relate l'ambiguïté au sein des récits sur la mort de nombreux jeunes pauvres et noirs au Brésil. D'une part, les policiers qui revendiquent la légitime défense et, d'autre part, les parents qui les accusent d'avoir falsifié les lieux du crime pour accuser les victimes. Les images qui circulent sur les réseaux appuient la version des familles. L'objectif de cet article est de comprendre comment la dramaturgie cinématographique s'approprie ces images et révèle une politique de ségrégation sociale et raciale dans le pays.The 2018 documentary Police Killing [Auto de Resistência], directed by Lula Carvalho and Natasha Neri, depicts the ambiguity in the narratives of the deaths of many poor, black teenagers in Brazil. The police claim to have acted in self-defense, while the parents accuse them of having tampered with crime scenes in order to create a case against the victims. The images shared on the Internet support the families' accounts. The aim of this article is to grasp how cinematographic dramaturgy appropriates these images and exposes the policies of racial and social segregation at work in this country.
- L'univers numérique et l'architecture du virtuel : une scénographie de l'utopique - Joseph R. Moukarzel p. 118-122
- Le journalisme immersif, nouvelle forme d'incommunication ? - Angelina Toursel, Philippe Useille p. 123-126
- Le parler fransais des Gilles et John. Enquête sur les crypto-langages militants au sein des plateformes - Alexandra Saemmer p. 127-133 Émergent depuis plusieurs années, sur les réseaux sociaux numériques, des crypto-langages qui permettent, d'une part, à des communautés militantes comme les Gilets jaunes de renforcer leur cohésion, et qui d'autre part visent à déjouer les processus de surveillance automatisés sur les plateformes marchandes. Si certains crypto-langages restent rudimentaires, d'autres réactivent un parler d'obédience situationniste qui n'a pas seulement comme but de tourner en dérision le phrasé des « élites », mais essaie de miner de l'intérieur les systèmes d'exploitation et de normalisation de la langue par Google et Facebook. Pour expliciter ces tactiques, je m'appuie sur des travaux récents consacrés au « capitalisme linguistique » et la sémiotique peircienne. Je propose un relevé des tactiques les plus récurrentes grâce à une observation participante, et je les mets à l'épreuve de la machine.For several years, crypto-languages have been emerging on social networking sites. These languages allow activist communities such as the Yellow Vests both to become more cohesive and to evade the automated surveillance procedures of commercial platforms. If some crypto-languages are still rudimentary, others have revived a form of Situationist speech that aims not only to make fun of what the “elites” say but also to undermine, from within, the Google and Facebook systems of exploiting and standardizing language. To highlight these tactics, I refer to recent work on “linguistic capitalism” and Peircian semiotics. Participant observation allows me to provide a summary of the tactics that are used most frequently, which are also put to the test of the machine.
- Les changements climatiques, une question incommunicable dans l'espace public ? Vers une communication écologique - Brigitte Juanals p. 134-139 Les changements climatiques constituent une question sociétale omniprésente, en débat dans l'espace public. Elle suscite la confrontation à une situation qui relève à la fois de l'incommunicabilité et d'une sensibilisation croissante de la part des médias et des populations. La perspective de la communication écologique, développée dans cet article, amène à considérer les écosystèmes comme un patrimoine, autant naturel que culturel, qu'il importe de connaître et de préserver. En évoluant d'une communication mondiale aux actions territorialisées, l'attention est portée, en privilégiant des enquêtes et des ancrages locaux, sur la grande diversité des situations et des formes communicationnelles. Elle implique de penser, de manière critique et réflexive, des modes de régulation et d'adaptation à la transition écologique intégrant des formes démocratiques et locales de concertation et d'action.The question of climate change is omnipresent in society and is debated in the public sphere. It confronts us with a situation that involves both incommunicability and a growing public and media awareness. The perspective of ecological communication, as it is developed in this article, leads us to view ecosystems as a form of heritage that is both cultural and natural ; they are crucial to understand and to protect. In moving from global communication to regional action, attention is focused on local issues and concerns and on the great diversity of situations and forms of communicative expression. It implies that we must think critically and reflectively about ways to regulate and adapt to ecological transition, incorporating local and democratic forms of dialogue and action.
- Communication humaine et masse d'information - Cédric Villani p. 140-145
- Les malentendus de l'origine - François Ansermet p. 71-79
III - À la recherche de nouvelles formes d'incommunication : les arts et la littérature
- Androgyne mon amour - Béatrice Bonhomme p. 147-150
- L'incommunication, moteur de la dynamique théâtrale - Jean Caune p. 151-158 Au théâtre, l'incommunication est fondatrice. « Quiproquo », « équivoque », « malentendu », « sous-entendu », « obstacle », « ambiguïté », « désaccord », « embarras », « mésentente », « dispute », « dissension », « heurt », « confusion », « méprise »… autant de termes qui balisent la fable dramatique. La représentation théâtrale – du point de vue du texte dramatique et de son énonciation – procède d'un processus d'incommunication entre les personnages. Dans les blancs des mots et les trous de la communication germe le sens. Et c'est le spectateur, de sa place de témoin dans la salle, qui est susceptible de combler les manques de l'incommunication qui se développe sur la scène. À partir d'un certain nombre d'exemples tirés de textes dramatiques classiques – de Shakespeare à Molière ; de Marivaux à Feydeau et de trois pièces contemporaines (Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute ; Art de Yasmina Reza ; Ça va ? de Jean-Claude Grumberg), l'article indique comment le dispositif d'écriture et son énonciation sur scène font de l'incommunication le moteur du développement de la représentation.Incommunication is fundamental to the theater. “Crosspurposes,” “equivocation,” “misunderstanding,” “innuendo,” “obstacle,” “ambiguity,” “disagreement,” “predicament,” “discord,” “dispute,” “dissent,” “conflict,” “confusion,” “mistake” : drama is marked by each of these terms. Theatrical representation – from the perspective of the dramatic text and its performance – derives from a process of incommunication between the characters. Meaning blossoms in the spaces between words and the holes in communication. The spectator, bearing witness from his/her seat, is the party who tends to fill in the lacunae of the incommunication that plays out on the stage. On the basis of several examples from classical theater (from Shakespeare to Molière and from Marivaux to Feydeau) and three contemporary plays (Nathalie Sarraute's Pour un oui ou pour un non [For No Good Reason], Yasmina Reza's Art, and Jean-Claude Grumberg's Ça va ? [Are you OK ?]), this article shows how the activity of writing and the recitation of words on the stage make incommunication the motive force of development in the theater.
- Une conversation : « Dire ce qui est incertain dans le monde, ou communiquer l'incommunicable » - Macha Makeïeff, Hervé Castanet p. 159-163
- Éditer des livres d'art - Céline Fribourg p. 164-168
- Esthétique de l'incommunication - Bernard Lamizet p. 169-174 L'article proposé consiste dans une analyse esthétique et sémiotique du tableau de Michelino présenté pour illustrer l'appel à communications de ce numéro. Il s'agit de fonder sur la sémiotique de l'image la formulation d'un ensemble de concepts de nature à rendre raison du concept d'incommunication, de ce qui fait obstacle à la mise en œuvre de la communication.Cinq aspects du tableau seront analysés, donnant lieu à la formulation de six concepts fondant ce que l'on peut appeler une sémiotique de l'incommunication.1. L'espace de l'incommunication : la fragmentation ;2. L'esthétique de l'incommunication : la représentation de l'absence de communication ;3. L'absence de l'autre et la mise en question de la spécularité ;4. L'écriture comme forme d'incommunication : la représentation de la « Divine Comédie » comme absence de l'autre ;5. La politique de l'incommunication : manifestations du pouvoir et dénégation de l'autre ;6. La sublimation et l'imaginaire politique : Babel et l'expression de l'idéal politique ;7. La sublimation négative : la figuration de l'enfer ;8. L'espace clos : la voûte céleste et la « légende ».This article provides an aesthetic and semiotic analysis of Domenico di Michelino's Dante con in mano la Divina Commedia, which appeared in the call for submissions to the present issue of Hermès. The semiotics of the image serves as the basis for the formulation of a set of concepts that show the basis for the concept of intercommunication, that is, of what interferes with establishing communication.Five aspects of the painting are analyzed, which give rise to six concepts that establish what can be called a semiotics of incommunication.1. The space of incommunication : fragmentation ;2. The aesthetics of incommunication : the representation of the absence of communication ;3. The absence of the other and the questioning of specularity ;4. Writing as a form of incommunication : the representation of the Divine Comedy as the absence of the other ;5. The politics of incommunication : manifestations of power and the negation of the other ;6. Sublimation and the political imaginary : Babel and the expression of the political ideal ;7. Negative sublimation : the figuration of Hell ;8. Closed space : the celestial vault and the “legend.”
- Incommunication : design et médiation - Anne-Cécile Lenoël p. 175-178
- Rires et malentendus - David Le Breton p. 179-186 Le malentendu est un conflit d'interprétation ou un décalage de compréhension. Mais il arrive que le décalage soit plutôt motif à rire. L'émergence du burlesque dans la vie quotidienne ou dans le cinéma est l'irruption d'un malentendu aux conséquences hilarantes pour les spectateurs. Le rire nait parfois de l'incompréhension d'une différence culturelle ou de l'assignation de l'autre à une position subalterne. Il est alors plutôt un refus d'entendre l'altérité, une volonté de la maintenir dans les conventions de pensée à son égard. Parfois le politiquement correct de nos sociétés contemporaines et l'absence de sens de l'humour de ceux qui entendent une blague se conjuguent pour dénoncer l'auteur d'un bon mot. Des malentendus tragiques rappellent combien l'humour est culturellement délimité.Misunderstanding is a conflict of interpretations or a discrepancy in comprehension, but such incongruity can also make us laugh. The emergence of the burlesque in everyday life or in the cinema involves the sudden appearance of a misunderstanding with consequences that the audience finds hilarious. Laughter sometimes arises when someone fails to grasp a cultural difference or when the other is placed in a subordinate position. This tends to involve a refusal to heed alterity, a wish to keep it within existing conventions of thought. Sometimes our contemporary societies' political correctness combines with someone's lack of a sense of humor, thus leading the author of a clever remark to be condemned. Tragic misunderstandings remind us of the extent to which humor is culturally determined.
- « Je t'aime ! » Faut-il y croire ? - Véronique Nahoum-Grappe p. 187-193 Cet article tente de décrire les imageries contemporaines liées au lien amoureux ; le « je t'aime » une fois déclaré, et la manière est cruciale, est non seulement un acte de langage qui change toute la situation entre les deux partenaires, mais aussi un énoncé de type « votif », plus proche de la croyance que de l'information factuelle : le « je t'aime » est « pour la vie », même le temps d'une nuit., et toute sa valeur d'évènement social-intime nait de sa « vérité » présumée, à laquelle il faut « croire » ; la suspicion de faux se loge déjà dans la déclaration. Dans une phase suivante, quand l'amour déclaré produit le lien de couple conjugalisé, la plausibilité dramaturgique d'une situation de tromperie est de l'ordre du stéréotype robuste : le mensonge alors est l'outil principal du/de la trompeu.r.se, pendant que le/ la trompé.e est en passe devenir « cocu », terme instructif sur le statut culturel peu glorieux de cette position. Pourtant, ce qui se passe est très différent selon que l'on est « maître » ou victime du mensonge et les stéréotypes culturels contemporains sur « l'amour » tendent à dénier toute la dissymétrie entre les deux positions.This article seeks to describe the contemporary imagery related to the love relationship. Once it has been declared – and the way this is done is crucial – the statement “I love you” is no longer only a speech act that changes the entire situation of the two partners ; it is also a “vow” that is more closely related to belief than to factual information. “I love you” is “forever,” even if that means just for one night, and all of its value as an intimate social event lies in its presumed “truth,” which has to be “believed.” The suspicion that it may be a sham already dwells within the declaration. In a next phase, when the declaration of love has united the couple in marriage, the dramaturgical plausibility of an infidelity situation serves as a sort of robust stereotype. Here, lying becomes the adulterous partner's main tool, while the other partner becomes the “betrayed” or a “cuckold,” the latter term revealing the social and cultural stigma attached to this position. Yet what happens is very different for the “master” and for the victim of the lie ; contemporary cultural stereotypes about “love” tend to deny that there is any dissymmetry between these two positions.
- Incommunication et ironie de l'objet chez Hergé - Pascal Robert p. 194-199 L'humour dans les aventures de Tintin repose largement sur ce que l'on peut appeler une ironie de l'objet et singulièrement celle des techniques de la logistique informationnelle. Cette ironie des techniques de communication engendre, de fait, beaucoup d'incommunication. Autrement dit, la technique devait favoriser l'échange, elle le brouille voire l'entrave. Il en va ainsi, dans Tintin, d'une véritable petite socio-philosophie pratique et de facto critique de la technique, notamment de communication et ce, dès 1956.The humor in The Adventures of Tintin relies extensively on what can be called the irony of the object, and, more precisely, on the irony of techniques of information logistics. This ironic use of communication techniques actually gives rise to a great deal of incommunication. In other words, the technique that should encourage exchange will interfere with or even impede it. This is the case in Tintin, where, starting in 1956, a small but real bit of sociophilosophical practice began ; this practice was, de facto, critical of technique, especially as regards communication.
Ouverture
- Communication, incommunication et acommunication - Dominique Wolton p. 200-205
Diagonales
- Pour une humanité solidaire. L'écologie de la communication projetée par Moles comme perspective actuelle - Michel Mathien p. 207-215 Dans le contexte de l'expansion des nouvelles technologies et des médias de son époque, Abraham Moles avait déjà posé la question des limites de l'Homme et mis en avant la perspective de l'écologie de la communication face aux mutations de l'environnement de sa vie quotidienne, dont les rapports à l'espace et au temps. À l'ère de la numérisation de la Cité mondiale, avec ses métadonnées, les adductions en rapport et l'essor des réseaux sociaux, cette perspective demeure d'actualité en vue de préserver les capacités de réception et de réaction de toute personne en vue de rester elle-même.In a period of great growth in new technologies and media, Abraham Moles, in response to the changes in his everyday environment – including in the way people related to space and time – was already questioning the limits of the human and making the ecological perspective on communication a focal concern. The digitization of the world community – with its metadata, the assumptions made on their basis, and the rise of social networking – makes Moles's perspective very relevant in terms of protecting people's ability to receive and react, and thus to remain who and what they are.
- Pour une humanité solidaire. L'écologie de la communication projetée par Moles comme perspective actuelle - Michel Mathien p. 207-215
Lectures
- Lectures - Brigitte Chapelain p. 217-228
Hommages
- Marie-Claire Bancquart (1932-2019) : L'ouverture de l'être au monde vers un infini poétique - Béatrice Bonhomme p. 229-234
- Aziz Chouaki (1951-2019) : Musicien du langage - Alexandre Tran p. 235-238
- Paul Virilio (1932-2018) : Lanceur d'alertes - Thierry Paquot p. 239-247