Contenu du sommaire : L'art d'interroger
Revue | Les cahiers de la justice |
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Numéro | no 2011/4 |
Titre du numéro | L'art d'interroger |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Édito
- Le pouvoir de juger démasqué - p. 1
Tribune
- Questions sur l'interrogatoire et l'art d'interroger - Jean-Louis Gillet p. 5-9
Dossier. L'art d'interroger
- Présentation - p. 11 Il y a, au moins, deux manières d'aborder l'art d'interroger. On peut y voir d'abord les perversions liées à l'abus de pouvoir de l'interrogateur et aux pressions en vue d'obtenir un aveu. Le réquisitoire de l'avocat général François Louis Coste dans l'affaire Dils que nous publions dans ce dossier des Cahiers de la Justice en est l'exemple même. Mais on peut aussi regarder l'art d'interroger du côté de ses vertus. C'est ainsi que le magistrat et romancier italien Gianrico Carofilio y voit une recherche dialectique de la preuve la plus convaincante. Plus tourmentée, la fiction dostoïevskienne en éclaire l'ambivalence en décrivant un juge d'instruction en quête d'un aveu ni tout à fait pénal, ni tout à fait moral (Denis Salas). Dans la réalité, notre système inquisitoire confie l'interrogatoire au policier et au juge qui en ont le monopole même s'il est largement construit par leur pratique professionnelle. Face à une vérité qui se dérobe et sous la pression d'une société troublée par le crime, chacun invente son chemin. Dans l'urgence de l'enquête, le policier exerce une certaine contrainte qu'il importe de proportionner aux fins poursuivies (Hervé Vlaminck). Au cours de l'audience d'une cour d'assises, le juge procède à des interrogatoires de contexte pour orienter l'enquête criminelle vers une forme de justice restauratrice (Martine de Maximy). L'avocat, enfin, peut suggérer des auditions pour explorer des pistes trop vite fermées par la police ce qu'il peut faire désormais au cours de la garde à vue. Le plus souvent il se replie sur l'art oratoire en attendant qu'un modèle plus contradictoire lui permette de partager le pouvoir d'interroger (François Saint Pierre).1
- L'affaire Dils. Le réquisitoire du procès de Lyon (Cour d'assises des mineurs du Rhône siégeant en appel, le 23 avril 2002) - François-Louis Coste p. 13-40 Patrick Dils, âgé de 16 ans, inculpé d'homicide involontaire sur deux enfants, est condamné à perpétuité (1989) puis, après révision, à une peine de vingt-cinq ans d'emprisonnement (2001). Il sera finalement acquitté lors du procès en appel (24 avril 2002), l'avocat général n'ayant demandé « ni peine, ni condamnation ». Les Cahiers de la justice publient l'intégralité de ce réquisitoire de l'avocat général François-Louis Coste qui analyse en détail comment un aveu, arraché lors d'un interrogatoire et constamment validé ensuite, est devenu la seule « clé de lecture d'un dossier » au point de provoquer une erreur judiciaire irréparable pour l'auteur et pour les victimes.Patrick Dils, aged 16, was charged with the manslaughter (homicide involontaire) of two children and sentenced to life imprisonment in 1989. In 2001 this sentence was reduced to 25 years. He was finally acquitted on 24 April 2002, after a trial on appeal, at which the prosecutor sought neither a guilty verdict nor any sentence. The Cahiers de la Justice publish the address of the public prosecutor, François Louis Coste, in full. He analyses in detail how a confession, which was forced out of the accused during interrogation and approved repeatedly after that, became the sole "key to understanding the case", thereby causing a miscarriage of justice with irreparable consequences for the accused and the victims.
- Éloge d'un cross-examination - Gianrico Carofiglio, Pierre Thévenin p. 41-47 Dans cet article, l'auteur démontre sa préférence pour la pratique du cross-examination (interrogatoire croisé des témoins par la défense et le procureur) d'origine anglo-saxonne mais qui se pratique aussi en Italie. La progression contradictoire des arguments qui s'affrontent dans le prétoire lui paraît la méthode la plus fiable pour parvenir à la preuve - sinon à la vérité - la plus convaincante.In this article, the author reveals his preference for cross examination (in which the witnesses are examined by counsel for the defence and the prosecution), which was first developed in the English-speaking countries, but which is now also practised in Italy. He believes that the adversarial approach, in which the arguments of the prosecution and defence are set against each other at the trial, is the most reliable way to establish the most convincing evidence, and even the truth.
- Le consentement à l'aveu : À propos de « Crime et Châtiment » de Dostoïevski - Denis Salas p. 49-55 Dans Crime et Châtiment, roman de Dostoïevski, il existe trois « duels » entre Raskolnikov, auteur d'un double meurtre, et le juge d'instruction, Porphyre Petrovitch, maître dans l'art d'interroger. Étrange juge qui laisse en liberté l'inculpé alors qu'il semble de plus en plus convaincu, à chaque nouvel interrogatoire, de sa culpabilité. Au nom de quel obscur dessein ne l'arrête-t-il pas ? Porphyre espère jusqu'au bout qu'un aveu moral illuminera le destin de l'homme coupable. « Devenez un soleil et tout le monde vous apercevra ! »In Dostoyevsky's novel Crime and Punishment, there are three "duels" between Raskolnikov, the perpetrator of a double murder, and the investigating magistrate, Porfiry Petrovich, a master of the art of interrogation. Strangely, the magistrate leaves Raskolnikov at liberty, although he seems, after each interrogation, to be more and more convinced of his guilt. For what obscure reason does he not arrest him ? Porfiry hopes, right to the very end, that a moral confession will illuminate the fate of the guilty man. "Be the sun and all will see you !"
- Le questionnement policier - Hervé Vlamynck p. 57-68 L'interrogatoire policier ne s'apprend réellement que sur le tas au contact de l'expérience des plus anciens. Cet article révèle les méthodes suivies, en pratique, lors des techniques d'entretien et des conduites d'audition, mais aussi de la rédaction d'un écrit : le procès verbal. Il invite à se méfier de l'aveu et souligne l'importance du travail préalable de collecte des preuves qui précède l'interrogatoire. La question est de savoir si cette culture policière de l'interrogatoire est remise en cause avec la présence de l'avocat en garde à vue.[The techniques of] police interrogation can only really be learnt on the job, through contact with more experienced officers. This article reveals the methods used, in practice, interview techniques, how to conduct interviews, and how to draft reports. It advises the reader to be wary of confessions and stresses the importance of the preliminary work of collecting evidence that precedes the interrogation. The author asks whether this police culture based on the interrogation is challenged by allowing a lawyer to be present when a suspect is questioned while in police custody.
- La conduite du procès d'assises. Le point de vue du président de la cour d'assises - Martine de Maximy p. 69-82 Au travers de la description d'une affaire dont il a eu à connaître en tant que président de cour d'assises, l'auteur décrit le rôle très particulier que tient le président de la cour d'assises dans la conduite du procès criminel. Car loin de se borner à la seule conduite des débats, la fonction du président de la cour d'assises se manifeste aussi bien en amont, avec la préparation de l'audience, qu'en aval avec le délibéré.Taking the example of a case that she heard as Presiding Judge at the Assize Court, the author describes the very special role of the Presiding Judge at this type of court in the conduct of a criminal trial. Far from being limited to the conduct of the proceedings, the Presiding Judge has a role to play before the trial, when the hearing is prepared, and after the trial, at the deliberations.
- « De l'art d'interroger au pouvoir d'interroger » - François Saint-Pierre p. 83-91 « En France, les avocats pénalistes sont les héritiers d'une ancienne tradition judiciaire : la plaidoirie demeure un art majeur. L'interrogatoire des témoins leur est moins familier. Il faut dire que l'exercice est plus périlleux. Mais l'avènement d'une procédure de type accusatoire à l'audience de jugement semble inéluctable. Une évolution qui ne doit pas les inquiéter, au contraire : leur influence sur le cours du procès sera croissante. C'est l'occasion de comparer ces deux modes judiciaires à l'aune d'un critère : quelle est la meilleure procédure de vérédiction ? »"In France, criminal lawyers are heirs to an ancient legal tradition : counsel's address to the court is major art form. They are less familiar with examining witnesses. It must be said that this practice is more hazardous. However, the advent of the accusatory method at the main hearing seems inevitable. This evolution should not be a cause of concern ; on the contrary counsel will have more influence over the proceedings. This book provides an opportunity to compare these two judicial methods by reference to one criterion : which is the best way to arrive at the truth?"
- Présentation - p. 11
Chroniques
- Des parquets d'Europe vers un parquet européen (2e partie) - Sophie Durbecq, Perrine Lannelongue, Marion Metellus p. 95-105 Dans la première partie de leur étude1 les auteurs se sont attachés à montrer l'insuffisance des instruments de coopération pénale qui existent actuellement au sein de l'Union européenne. Dans la seconde partie, publiée ci-dessous, ils font valoir que la création d'infractions communes poursuivies par un parquet européen unique et susceptibles d'être jugées par une cour pénale européenne apparaît comme un progrès nécessaire.In the first part of their study*, the authors showed the inadequacy of the existing arrangements for cooperation in criminal matters at the level of the European Union. In the second part of the study, published below, they argue that the creation of common offences, to be prosecuted by a single European prosecuting authority and able to be tried by a European criminal court, appears to be a necessary step.
- Des nouveaux usages judiciaires de la dangerosité 2e partie) - Nicolas d'Hervé p. 109-122 Bien que répondant d'une quasi-absence de définition légale, la notion de « dangerosité » a reçu toutes les faveurs du législateur, notamment au travers des récentes lois du 12 décembre 2005 et du 25 février 2008. Sous l'empire de ces lois récentes, la dangerosité est devenue un concept parfaitement opératoire, au service de la gestion judiciaire de certaines populations carcérales, car, d'un degré de « dangerosité » va découler un parcours sententiel largement dérogatoire au droit commun. C'est ainsi que se dessine actuellement sous nos yeux ce qui sera certainement, dans un avenir plus ou moins proche, une nouvelle branche du droit, ou du moins un élément émergeant du droit de la peine, et qu'il conviendra peut-être de dénommer le « droit de la surveillance ».Although it has almost no legal definition, the concept of "dangerousness" has been treated generously by lawmakers, particularly in the recent laws passed on 12 December 2005 and 25 February 2008. Under their influence, dangerousness has become a fully operational concept, to be used in the judicial management of certain prison populations. The post sentence progress of a prisoner will be dependent upon an assessment of how dangerous they are, the whole process being largely removed from the ordinary law. We are currently witnessing the emergence of a new branch of law, or at least an element is emerging from sentencing law, that it might be appropriate to call "surveillance law".
- Le secret des délibérations et l'épuration des magistrats des Sections Spéciales à la Libération - Alain Bancaud, Jean-Paul Jean p. 125-141 À la Libération, se pose de manière pressante la question de la responsabilité des magistrats pour leur attitude sous Vichy où cinq d'entre eux ont déjà été exécutés par la Résistance. Les magistrats ayant participé le 27 août 1941 à l'audience de la section spéciale de la cour d'appel de Paris qui a condamné sur ordre trois résistants communistes, sur le fondement d'une loi rétroactive pour des faits déjà jugés, sont les premiers à être traduits dès novembre 1944 devant la Commission centrale d'épuration de la magistrature. Dans cette affaire emblématique, le secret du délibéré est levé pour savoir qui a voté la mort et qui s'y est opposé. Cette brèche dans le respect d'un « principe sacré », qui trahit le serment « religieusement » prêté va poser « le cas de conscience du magistrat » et aura des conséquences directes sur les poursuites pénales et les condamnations qui vont suivre. Les magistrats des juridictions spéciales de Douai, Nîmes et Toulouse, qui ont aussi prononcé des condamnations à mort, refuseront tous, quant à eux, de trahir le secret du délibéré de décisions prises à la majorité, avec à chaque fois des conséquences différentes quant aux sanctions disciplinaires prononcées. Entre politique et éthique, le rite sacrificiel de la levée du secret et la répression pénale ne toucheront que les protagonistes de l'affaire exceptionnelle de la section spéciale de Paris, permettant ensuite à la magistrature de retrouver progressivement sa légitimité et d'afficher sa fidélité au « principe sacré » du secret des délibérations.At the Liberation, as an exceptional measure, the judges and prosecutors of the exceptional courts set up by the Vichy regime (the Special Sections) were invited to breach the rule of secrecy surrounding the deliberations [of these courts] before the disciplinary commissions and criminal courts. The aim was to find out whether they had supported the application of the death penalty for members of the Resistance. Based on an analysis of the files, this article analyses the positions held by those working within the judicial system. It explains the consequences of these revelations on the penalties imposed and describes the scope of this aspect of our judicial history, of which little is known.
- Le juge des libertés et de la détention entre présent et avenir - Pauline Le Monnier de Gouville p. 145-157 Alors que l'essor des pouvoirs du juge des libertés et de la détention s'impose progressivement, irriguant des domaines les plus divers, l'institution confirme sa fonction malléable au service d'une quête pérenne : la protection des libertés, l'équilibre de l'avant-procès. La présente étude propose de mettre en exergue certains paradoxes structurels et présente le juge des libertés et de la détention comme la trame embryonnaire d'un renouveau possible de la phase préparatoire du procès.While the system is gradually becoming aware of the increasing powers of judges charged with remands in custody, which affect a wide variety of areas, the judges themselves are confirming their role in the service of an eternal quest, namely the protection of freedom, and the importance of achieving a balance at the pre-trial phase. This study highlights certain structural paradoxes and presents this function as the starting point for a possible revision of the pre-trial, preparatory, phase.
- Des parquets d'Europe vers un parquet européen (2e partie) - Sophie Durbecq, Perrine Lannelongue, Marion Metellus p. 95-105
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- Du savoir en politique. Justice et démocratie en Italie à travers l'œuvre de Francesco Rosi Cadavres exquis - Xavier Daverat p. 159-175
- De la mise en récit d'un crime à sa mise en scène : l'affaire Pierre Rivière - Lionel Miniato p. 177-185
- Le droit à l'épreuve de la contestation sociale : À propos des actes du colloque Droit et rock - Guillaume Royer p. 187-191
- Quatrième de couverture - p. 194