Contenu du sommaire : La quête d'indépendance judiciaire dans les pays francophones

Revue Les cahiers de la justice Mir@bel
Numéro no 2012/2
Titre du numéro La quête d'indépendance judiciaire dans les pays francophones
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Édito

  • Tribune

  • Dossier. Juger la barbarie

    • La quête d'indépendance judiciaire dans les pays francophones - p. 11-12 accès libre avec résumé
      « Dans les décombres du colonialisme, nous avons trouvé cet outil précieux : la langue française ». Ce propos de Léopold Sédar Senghor symbolise la naissance de la francophonie dans les années 1960 autour de chefs d'État comme Habib Bourguiba (Tunisie), Hamani Diori (Niger) et Norodom Sihanouk (Cambodge). Née en 1970, l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) que dirige Abdou Diouf comprend désormais 56 États sur les cinq continents, soit un quart des membres des Nations unies. Elle aspire à promouvoir la langue française dans une communauté de pays et la diversité de leurs cultures. Parmi de nombreux opérateurs - comme TV5 ou l'Association internationale des maires de la francophonie -, l'Association des hautes juridictions de cassation des pays ayant en partage l'usage du français (AHJUCAF) réunit 50 cours suprêmes des pays francophones dans le but de développer des actions communes.1 Ce dossier des Cahiers de la justice, inspiré des travaux de l'AHJUCAF, présente une valeur très inégalement partagée dans les pays qui forment la Francophonie : l'indépendance de la justice. Vue sous différents aspects (statut des juges, autonomies financière et budgétaire, éthique et déontologie), elle est « espérée, imaginée ou vécue » comme le dit son secrétaire général Jean-Louis Gillet. D'un côté, nous trouvons des pays de faible tradition démocratique qui ont longtemps différé l'avènement d'un État constitutionnel et donc une justice indépendante. L'article de Marcel Lemonde qui retrace son expérience de juge international au tribunal spécial pour les Khmers rouges démontre la difficile greffe d'une culture judiciaire occidentale dans une société qui en est largement dépourvue. Il est vrai que la justice internationale en mettant en cause les puissants implique une confrontation directe entre juges et dirigeants politiques. À l'opposé, nous trouvons des pays de longue tradition démocratique comme la France ou la Belgique. Paul Martens souligne, en prenant l'exemple belge de l'affaire Fortis, à que ! point l'indépendance cède dès lors que, dans nos vieilles démocraties, le juge est devenu un acteur de la vie politique qui touche aux intérêts des puissants. Mais l'apport essentiel de ce dossier est dans la conception inédite de l'indépendance de la justice qui se dégage de nombreuses expériences. Celle-ci est moins un acquis octroyé par le pouvoir politique qu'un processus lié à la formation d'une culture démocratique. Autrement dit, l'indépendance est conçue non comme un droit mais comme un devoir, « une exigence morale »2 que s'appliquent à elles-mêmes les professions concernées. En témoigne l'expérience malgache du « mentoring » qui développe des comités d'éthique au sens d'instruments de soutien aux juges en difficulté (A. Imbiky et J.L. Andriamifidy). Au Québec, on retrouve la même conception dynamique de l'indépendance dans l'oeuvre déontologique du Conseil canadien de la magistrature (A. Ouimet). Ailleurs, il s'agit plutôt d'« une indépendance contextualisée... pensée dans une logique de transition » (Fabrice Hourquebie). Telle est la leçon vivifiante qu'il faut retenir de ce parcours dans les mondes judiciaires très variés de la Francophonie. L'indépendance de la justice n'est plus pensée comme un idéal de séparation des pouvoirs. Elle n'est plus invoquée dans la seule sphère politique ou constitutionnelle. Elle naît d'un processus organique de construction de la démocratie impliquant les institutions et la société toute entière. Elle exprime une quête de crédibilité que s'imposent ici et maintenant les professions judiciaires pour mieux répondre aux attentes du public.
    • L'indépendance d'un juge international au Cambodge - Marcel Lemonde p. 13-24 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Au Cambodge, l'État de droit reste entièrement à construire, l'appareil judiciaire ayant été entièrement démantelé entre 1975 et 1979. C'est dans ce contexte qu'a été installé, en 2006, le tribunal spécial chargé de juger les responsables khmers rouges, les « Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens » (CETC). En raison de la structure de ce tribunal (magistrats internationaux minoritaires dans les chambres, à parité au parquet et à l'instruction), les juges internationaux étaient dans une situation limitant leur indépendance tout en demeurant libres. On le vit particulièrement en deux occasions : lorsque fut envisagée la convocation de témoins « sensibles », d'une part, et, d'autre part, quand il fut question d'étendre les poursuites à de nouveaux suspects.
      The Rule of Law in Cambodia has had to be built from scratch, as the judiciary was completely dismantled between 1975 and 1979. It was against this backdrop that a special court was set up in 2006, responsible for prosecuting the Khmer Rouge leaders : the « Extraordinary Chambers in the Courts of Cambodia » (ECCC). Because of the structure of this court (international judges are a minority in the chambers and have parity in the prosecution and investigation processes), the international judges were in a situation where their independence was limited yet they remained free. This situation was highlighted in particular on two occasions : when the court envisaged calling sensitive witnesses, and when the question of whether to extend the prosecution to new suspects was raised.
    • L'affaire Fortis ou les aléas de la justice belge - Paul Martens p. 25-40 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les pays ayant une longue tradition démocratique ne sont guère protégés des atteintes à l'indépendance de leur justice pourtant garantie par leur Constitution. Ainsi l'affaire Fortis est analysée par Paul Martens comme le révélateur de décisions judiciaires dont les enjeux sont traversés par les réseaux d'influence mettant en crise tous les degrés de l'indépendance de la justice : statut du parquet, rôle du Conseil supérieur, indépendance interne du siège, liberté d'expression des juges. La question de la frontière entre des pouvoirs séparés reste posée dès lors qu'aucun de ceux-ci ne peut rester sans contrôle et sans responsabilité.
      Countries with a longstanding democratic tradition have little in the way of protection against abuse of the independence of their judiciary, despite the fact that this independence is guaranteed by their Constitution. So the Fortis affair is analysed by Paul Martens as quite a revealing case, as it involved legal decisions undermined by networks of influence that imperilled the independence of the judiciary at every level : status of the Prosecution, role of the Higher Council, internal independence of the prosecutor's office, freedom of expression of the judges. The question of the dividing line between separate authorities is raised as soon as any one of them is able to act without control or accountability.
    • L'indépendance de la justice dans les pays francophones - Fabrice Hourquebie p. 41-61 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Résume Principe cardinal de l'État de droit, l'indépendance de la justice est consacrée presque systématiquement par les constitutions des pays de l'espace francophone. Pour autant, constitutionnalisation rime-t-elle avec protection ? Dans un contexte de ruptures fréquentes de la démocratie, la récurrence des atteintes à l'indépendance du pouvoir judiciaire, qu'elles prennent la forme de menaces à l'indépendance des Cours suprêmes et constitutionnelles ou à celle des magistrats, ne peut qu'inquiéter. Elle oblige, au minimum, à repenser la portée du principe et, en toutes hypothèses, à conforter l'idée selon laquelle en Francophonie, peut-être plus qu'ailleurs, l'indépendance doit être envisagée de manière militante.
      As a cardinal principle of the Rule of Law, the independence of the judiciary is almost systematically enshrined in the Constitutions of French-speaking countries. But does constitutionalism necessarily mean protection ? Against a backdrop of frequent breakdowns in democracy, the recurring cases of abuse of the independence of the judiciary powers, in the form of threats to the independence of supreme and constitutional courts and magistrates, must be of great concern. At the very least, this issue requires us to rethink the scope of the principle itself and, at all events, to foster the idea that in French speaking countries perhaps more than elsewhere, independence must be envisaged in a militant manner.
    • Le mentoring au service de l'éthique judiciaire à Madagascar - Anaclet Imbiki, Jean-Louis Andriamifidy p. 63-73 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Véritable fléau national, la corruption a attiré l'attention des pouvoirs publics à Madagascar depuis maintenant plus de dix ans. C'est dans ce cadre qu'un arrêté en date du 21 octobre 2008 a institué les conseils en éthique et en déontologie dont la mission essentielle est d'aider le juge, en proie à un dilemme déontologique, par une méthode innovante : le mentoring. Ce système permet à des magistrats, souvent jeunes, de solliciter d'anciens collègues, aujourd'hui retirés, sur des questions de déontologie, voire parfois sur des questions de pure technique juridique.
      The national scourge of corruption has been a matter of some concern for the Madagascan government for more than ten years now. It was in this context that a ruling of 21 October 2008 established the « Ethics and Conduct Councils », whose main task is to give support to judges who are faced with ethical dilemmas through an innovative method : mentoring. This system allows young magistrates to seek advice from retired former colleagues on ethical matters, or sometimes even on purely technical questions of law.
    • L'indépendance du juge comme devoir déontologique au Québec - André Ouimet p. 75-92 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Bien que le code de déontologie judiciaire énumère plus d'une quinzaine de devoirs différents, une étude exhaustive des décisions rendues par le Conseil de la magistrature du Québec révèle que trois devoirs ressortent plus systématiquement : l'indépendance, l'impartialité et l'intégrité du juge. C'est la règle des trois « I ». Quels que soient la juridiction déontologique, l'instance ou le pays de référence, ces trois devoirs constituent le coeur de ce qui fonde la référence déontologique en matière de pratique judiciaire1.
      Although the judiciary code of conduct lists more than fifteen different duties, a comprehensive study of the decisions handed down by the Judicial Council of Quebec reveals that three of these duties emerge more systematically : independence, impartiality and integrity of the judge. This is the rule of the three « I »s. Irrespective of the jurisdiction, the authority or the country of reference, these three duties form the core of the ethical standards governing judicial practice.
    • Leurs indépendances - Jean-Louis Gillet p. 93-103 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'indépendance consiste pour le juge, informé et armé du droit, à en user pour décider et trancher sans autre impératif que ceux que lui dictent sa science et sa conscience, sans injonction, interdiction ni pression, notamment des gouvernants. Le principe d'indépendance, pilier d'une civilisation judiciarisée, rencontre dans le périmètre francophone des terrains variés, propices ou non. La richesse de ce périmètre est telle qu'il enserre des entités politiques et culturelles fort différentes et ce contexte oblige, à des degrés divers, à « revisiter » pour la comprendre l'idée même d'indépendance juridictionnelle. Il semble en réalité y avoir place, en Francophonie, pour « des » indépendances.
      For the informed judge armed with the law, independence consists in using this law to make decisions with no imperatives except for those which govern his mind and his conscience, without any injunction, prohibition or pressure, in particular from those who govern. As one of the pillars of a judicial civilisation, the principle of independence comes up against a variety of environments in French-speaking countries, both propitious and otherwise. The Francophone area is so rich and diverse that it manages to fit in some very different political and cultural entities, and this context forces us to some extent to « revisit » the idea of administrative independence in order to understand it. In the Francophone area, there would appear to be room for « several » independences.
  • Chroniques

    • Le modèle québécois des rencontres détenus-victimes - Catherine Rossi p. 107-123 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Il y a deux ans a eu lieu en France la toute première « rencontre détenus-victimes » (RDV) consistant à mettre en présence, dans une dynamique de rencontre de groupe en contexte carcéral, des personnes détenues ainsi que des personnes victimes se rencontrant pour la première fois. Cette expérience a été inspirée d'une pratique québécoise en vigueur depuis la fin des années 1990 et que cet article a pour objectif de présenter. Vues du Québec, de telles possibilités de rencontres autour de crimes qualifiés de graves résultent d'une initiative sociocommunautaire bénévole et prétendent rester indépendantes de toute rationalité pénale ou carcérale, bien qu'elles en soient tout à fait complémentaires.
      Two years ago, France conducted its first ever Victim-Offender Mediation session, a group session held in prison where offenders come face to face with victims for the first time. This experiment was inspired by the Quebecois model, ongoing since the late 1990s and the subject of this article. In Quebec, these opportunities for meetings focusing on crimes that qualify as serious are the result of a voluntary social initiative and are said to remain independent of any penal or imprisonment rationale, although they are perfectly complementary.
    • La traduction du droit dans la procédure judiciaire - Sylvie Monjean-Decaudin p. 127-140 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Resumé Traduire le droit peut apparaître aux yeux de nombreux juristes comme une opération linguistique mécanique consistant à transférer d'une langue à l'autre des mots juridiques. Il s'agirait d'un transcodage interlinguistique opéré par le traducteur. Toutefois, le vocabulaire et les discours du droit sont construits pour exprimer les spécificités propres à chaque système juridique. Le paramètre culturel rend dès lors l'opération de traduction plus complexe qu'il n'y paraît, même entre deux droits et deux langues présentant une certaine « parenté » comme c'est le cas entre le droit espagnol et le droit français. La comparaison juridique des termes et des concepts est le moyen le plus fiable de parvenir à leur traduction.
      To many legal experts, translating law may seem like a mechanical linguistic operation consisting in the transfer of legal terms from one language to another ; it is linguistic transcoding by a translator. However, the vocabulary and the discourse of law are built to express the specific features of each legal system. The cultural parameter thus makes the translation work more complex than it first appears, even between two legal systems and two languages with a certain « kinship », as is the case of Spanish and French law. A comparison of the terms and concepts is the most reliable way of translating them.
    • Quelle justice après la révolution tunisienne ? - Iyadh Chaouachi p. 143-145 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis la chute du régime de Ben Ali le 14 janvier 2011, la Tunisie met en place un processus de transition démocratique. À côté d'une Haute Instance pluraliste chargée d'élaborer une nouvelle constitution, deux commissions poursuivent leurs travaux : l'une est chargée d'établir les faits de corruption et l'autre la liste des « martyrs » du régime déchu. Oeuvre des juges qui veulent contribuer à cette oeuvre de transition, l'Observatoire tunisien de l'indépendance de la magistrature (OTIM) dont le programme est présenté ici par un de ses membres, envisage de fonder sur des bases nouvelles l'indépendance de la justice.
      Since the fall of the Ben Ali regime on 14 January 2011, Tunisia has put in place a process of democratic transition. Alongside a High Authority tasked with drafting a new constitution, two commissions have ongoing roles : one is responsible for drawing up a list of acts of corruption and the other for a list of « martyrs » of the deposed regime. Formed by judges wishing to contribute to this transition work, the Tunisian Observatory for the Independence of the Judiciary, whose programme is presented here by one of its members, is envisaging the establishment of independence of the judiciary on a brand new basis.
    • Le sens de l'erreur judiciaire - François-Louis Coste, Jean Danet p. 149-160 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En réponse aux questions de Jean Danet, F.-L. Coste, magistrat honoraire, revient sur l'expérience, unique en France, qui est la sienne : la tenue du siège du ministère public dans deux affaires rejugées après révision ; l'une, en 2003, concernait Patrick Dils, et l'autre, en 2011, Loïc Sécher. C'est l'occasion d'analyser avec précision comment deux erreurs judiciaires ont pu un temps, longtemps, prospérer pour des raisons et dans des contextes d'ailleurs assez distincts. L'entretien aborde, sans fard, les difficultés que représentent de telles affaires pour l'institution, la particularité de ces procès, les interactions entre les parties privées et publiques. F.-L. Coste livre ici une réflexion profonde, à la fois juridique et éthique, sur le rôle du ministère public, sur la procédure de révision et sur la procédure de révision et sur la conception qu'il s'est fait de sa pratique.
      Answering questions from Jean Danet, the honorary magistrate F.-L. Coste looks back on his own experience, unique in France : the behaviour of the Public Prosecutor's Office in two cases that were retried after a review ; one in 2003, involving Patrick Dils, and the other in 2011 with Loïc Sécher. This is an opportunity to analyse how two miscarriages of justice were able to last so long, for reasons and in contexts that were incidentally quite different. The interview looks candidly at the difficulties that such cases represent for the institution, the particularity of these trials, and the interactions between the private and public parties. F.-L. Coste gives his profound thoughts - both legal and ethical - on the role of the Public Prosecution, the appellate review procedure, and how this was implemented.
    • Les activités non pénales du parquet - Marianne Cottin p. 161-168 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En raison de son très large périmètre d'intervention, l'étendue exacte des compétences et des missions confiées au ministère public en dehors de la sphère pénale est largement méconnue. L'attention portée à la matière pénale, l'organisation des services, l'absence de production statistique expliquent cette place réduite accordée au parquet civil, tant par la doctrine que par les acteurs de la vie judiciaire. Dans le prolongement d'une recherche récente, cet article apporte un éclairage inédit sur les activités non pénales des parquets.
      Because of its very broad perimeter of intervention, the precise extent of the Public Prosecution Office's competencies and missions outside of the criminal domain is largely unknown. The strong focus on criminal matters, the way the department is organised, and the lack of statistics all explain this relative lack of importance accorded to civil prosecution, both by the doctrine and the stakeholders of the judiciary. Further to recent research, this article provides an original insight into the non-criminal work of the prosecution.
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  • Quatrième de couverture - p. 204 accès libre