Contenu du sommaire : Autour de la gestation pour autrui

À la suite de deux arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, la France a été condamnée pour l'absence de transcription d'une filiation obtenue par une gestation pour autrui aux États Unis. La Cour de cassation, qui jusque-là y voyait une fraude à la loi, admet depuis lors la transcription de l'état civil des enfants nés à l'étranger dans ces conditions. Ainsi le juge s'invite dans une controverse morale et philosophique majeure qu'expose ce dossier des Cahiers présenté par Christophe Soulard. Si chacun s'accorde pour dire que cet arrêt ne remet pas en cause l'illicéité de la GPA en droit français, il suscite les inquiétudes les plus vives soit à cause du « tourisme procréatif » qu'il entraine (Clotilde Brunetti-Pons), soit du fait des conséquences médicales et contentieuses dont il est porteur (Pierre Tourame). En Europe, les solutions française, allemande et anglaise démontrent une hétérogénéité compliquée par les pratiques à l'ombre de la loi (Karène Parizer-Krief.) Quelle est la place du droit face à un fait aussi globalisé ? La question est posée par Marie-Anne Frison-Roche : ne doit-il pas être protecteur, à travers l'interdit civil de la GPA, du principe de dignité de la personne ?La solution jurisprudentielle est un compromis entre les exigences européennes et le droit français qui ne préjuge pas d'une intervention du législateur. Dans cette perspective, il faudrait s'ouvrir à une approche socio-anthropologique et déplacer notre regard, comme nous y invitent Delphine Lance et Jennifer Merchant, vers les « usagers de cette pratique, les mères porteuses elles-mêmes. Vue comme une réalité culturelle et politique dans deux pays (Ukraine et USA), on comprend mieux le phénomène souvent traité sous l'angle de la demande d'enfant alors que l'offre des femmes concernées est tout aussi forte. La sagesse n'est-elle pas alors, comme le suggère Marie Gaille, d'organiser la GPA dans un cadre national afin d'éviter l'exploitation des mères porteuses mais aussi des parents d'intention confrontés à un marché procréatif sauvage.

Les arrêts par lesquels l'assemblée plénière de la Cour de cassation a statué sur la question de la transcription, sur les registres de l'état civil français, de l'acte de naissance d'un enfant né à l'étranger à la suite d'une gestation pour autrui, laissent de nombreuses questions en suspens. Leur examen permet de faire le point sur le statut juridique de cette pratique en France et d'illustrer la part prise respectivement par le législateur, le juge national et la Cour européenne des droits de l'homme dans le traitement d'une question controversée.

La gestation pour autrui est un acte techniquement possible mais dont la légalisation fait l'objet de nombreuses réflexions. Après avoir explicité ses implications médicales et sociétales, l'article envisage les risques qui lui sont liés, à la fois pour la femme porteuse et pour l'enfant.

Les avancées et perspectives techniques de la procréation médicalement assistée comme la résonance des pratiques étrangères, interdites en France, de gestation pour autrui imposent au législateur comme au juge une action tributaire d'un cadre normatif connu mais toujours renouvelable. Dans un contexte caractérisé notamment par de forts changements dans les conceptions du couple et du projet parental, la voix à prendre par la règle de droit résulte de certains choix et peut lui en dicter d'autres.

En raison de ses aspects éthiques et sociaux, la GPA fait l'objet de grandes controverses. Même en ce qui concerne le régime juridique de cette pratique, on constate en France, en Allemagne et en Grande-Bretagne que son encadrement normatif est parfois ignoré, mal connu ou mal interprété. Après une présentation des normes légales en vigueur dans ces trois pays, cette étude vise à les clarifier, à dissiper les idées fausses et éclairer les angles morts.

La GPA est abordée ici d'un point de vue comparatiste, à travers les exemples nationaux de l'Ukraine et des États-Unis. L'examen de la situation dans ces deux pays permet de mettre en évidence les contrastes importants qui existent dans la mise en oeuvre d'une telle pratique et les logiques d'ordre juridique déployées pour la justifier, l'interdire ou l'ignorer. En situant chaque modèle dans son environnement culturel et politique, cette analyse contribue à éclairer la relation entre la technologie, le droit et les corps des citoyens concernés.

Mal maîtrisé à l'échelle des flux transfrontières, le tourisme procréatif est organisé en filières et coordonné par des sociétés commerciales dans un but lucratif. L'ordre public français, incarné notamment dans les textes qui prohibent tout acte de commerce sur le corps humain, paraît incapable de l'endiguer. Mais il n'est pas seul en cause. La diversité des législations à l'échelle mondiale et l'absence de conventions internationales favorisent les abus et conflits d'intérêts ; corrélativement, le recul du droit menace d'offrir un boulevard au « marché de la procréation ».

La GPA, ou maternité de substitution, est une pratique qui conduite s'interroger sur la normativité juridique à travers la relation entre le droit et le fait (que celui-ci soit technologique, sociétal, économique, ou géographique). Face aux litiges qui lui sont soumis, le juge français doit rendre une décision en application des règles de droit en vigueur, y compris européennes. La question ici posée est de savoir si, au regard de ses pouvoirs et de son office, le juge peut et doit dégager des solutions techniques plus fines et s'il peut et doit répondre par principe.

Dans un contexte caractérisé par l'émergence d'une homosexualité concevable du couple et la validation judiciaire d'une inscription à l'état civil d'enfants nés à l'étranger d'une gestation pour autrui pour un couple de même sexe, sans remise en cause de l'interdiction de cette pratique en France, la gestation pour autrui apparaît comme un dépassement de l'assistance médicale à la procréation et se donne pour fonction de « tester » les limites des cadres de fonctionnement de cette assistance. Face aux mots employés à son propos et au regard du contenu des lois, se manifeste son caractère sociétal et non médical. Son degré de pertinence se discute au regard d'un véritable projet parental et des valeurs touchant à la liberté (humaine et économique) mais aussi au consentement. Est-elle vraiment de nature, comme l'observent ses partisans, à « transfigurer une relation d'intérêts réciproques en acte d'altruisme » ?

Cette contribution propose une analyse critique de la discussion morale développée en France autour de la GPA durant les quarante dernières années. Elle s'appuie sur les avis éthiques émis par divers comités, ainsi que sur les essais philosophiques ou politiques qui s'y rapportent. Par-delà l'évocation des arguments mobilisés, dont certains renvoient à des principes énoncés comme indiscutables et prévalents (non instrumentalisation de la personne, solidarité procréative, liberté individuelle), elle suggère de revisiter les enjeux qui sont sous-jacents pour mieux en apprécier la portée et les limites.

Au XIXesiècle, les « violences conjugales » n'existent pas, sauf à transposer sans plus de procès la catégorie constituée dans les années 1970. Pour autant, affirmer, comme y incline l'emprise de certaines lectures féministes, l'éternelle cécité de la justice à l'égard de ces exactions relève de l'illusion rétrospective. C'est méconnaître l'important travail de reconnaissance et de traitement de ces violences par la justice pénale du XIXe siècle. Par la lecture informée des archives judiciaires et par l'analyse des débats doctrinaux, des politiques d'État et des décisions de jurisprudence, cet article se propose de montrer les ajustements pratiques auxquels les magistrats ont procédé pour rendre visibles, pensables et condamnables les violences conjugales au XIXe siècle.

La présence croissante de personnes détenues âgées en prison soulève des enjeux d'ordre sociologique, juridique, médical, philosophique ou encore politique. L'âge avancé devrait-il être considéré dans les décisions judiciaires et dans les modalités de prise en charge des personnes en détention ? À partir de quand la présence de détenus âgés pose-t-elle des difficultés en établissements pénitentiaires du point de vue des personnels qui y travaillent ? Pour les professionnels, le sens que peut revêtir l'incarcération des personnes âgées s'évalue distinctement selon les missions des prisons considérées, les conditions d'incarcération et dépend de l'état de santé de la personne détenue. L'article présente ensuite les contraintes spécifiques posées par la prise en charge de détenus en situation de perte d'autonomie, la complexité des problèmes soulevés conduisant à interroger plus largement les manières d'incarcérer les plus anciens.

De même que dans l'affaire Canal, la véritable surprise, dans l'affaire Venezia, est l'attitude du juge administratif qui a pris le parti de protéger un condamné à mort (en l'espèce, de façon seulement éventuelle) même dans un cadre susceptible de déplaire au pouvoir politique et à l'opinion publique. Plus que d'interventions exceptionnelles et certainement historiques, il s'est agi dans ces deux cas de l'élargissement progressif du domaine de la protection que la justice administrative reconnaît aux citoyens.

Dans son dernier texte ici publié Alain Bruel situe l'évolution actuelle de la justice des mineurs dans une perspective anthropologique. Il souligne, en particulier, le virage constitué par la promotion de la responsabilité des jeunes par rapport à leurs actes et l'intelligence de la position du juge des enfants incarnant la loi dans sa généralité et l'action éducative dans sa continuité.

Le mouvement droit et littérature naît aux États-Unis au tout début du XXe siècle avec pour ligne de mire l'idée que la lecture des textes littéraires peut constituer pour le juge une initiation à la nature humaine et le conduire à une meilleure compréhension des cas qu'il examine. Aujourd'hui, Martha Nussbaum se fonde sur la notion d'empathie pour montrer comment les « humanités » ; contribuent à la formation morale des juges. Ce mouvement critique démarre en Europe (dans les années 70-80) sur de tout autres bases ; défiance envers des systèmes juridiques qui n'ont pu interdire des exterminations de masse, et envers la complicité de la justice dans ce processus. Depuis les grandes affaires du XIXe siècle qui ont opposé écrivains et partie civile, revendication d'un droit de l'écrivain à transgresser la morale. La littérature semble plutôt dans l'espace continental contribuer à inquiéter le droit qu'à le conforter, encore aujourd'hui. Aux yeux des écrivains, le double spectre des totalitarismes et de la censure des artistes sont encore très présents.