Contenu du sommaire : Censures

Revue Terrain Mir@bel
Numéro no 72, automne 2019
Titre du numéro Censures
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Du taire au faire taire - Matei Candea p. 04-23 accès libre avec résumé
    Qu'est-ce que la censure ? À quoi la reconnaît-on parmi les nombreuses manières de faire silence ? Cette introduction examine ces questions à la lumière des contributions de ce numéro et d'autres travaux théoriques et empiriques sur la censure. Au fil d'un parcours comparatiste parmi diverses techniques du faire taire, et les façons dont celles-ci sont justifiées ou critiquées, l'introduction propose quelques observations sur les liens entre censure, expertise et maîtrise de sa propre parole, qui permettent de reposer autrement la question du faire taire.
  • Silencing oneself, silencing others - Matei Candea accès libre avec résumé en anglais
    What is censorship? Is it different from other forms of silencing, and if so, how? Anthropology can provide some useful disturbances to familiar liberal debates about freedom of speech by expanding the cast of characters and the range of modalities of silence and expression. Yet the lessons of anthropology's comparative explorations go beyond the blithe postmodern observation that silencing is pervasive. To speak of censorship is to mark out certain forms of silencing as illegitimate and unacceptable. An ethnographic attentiveness to the varieties of silencing must therefore keep in view the evaluative work which notions of “censorship” do for those who use them. Along the way of this comparative journey through techniques of silencing, this introduction suggests a broader observation: that the elusive distinction between censorship and legitimate silencing often relates to a sense of proportion between the silences actors impose upon themselves and those which they are thereby authorised to require of others.
  • Classez ce film que les enfants ne sauraient voir - Arnaud Esquerre p. 24-41 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    De quelle manière des personnes chargées, dans le cadre d'une commission d'État, de veiller à la « classification » des films, décident-elles de soustraire à la vue de mineurs des films au motif qu'ils contiennent des images d'actes sexuels et violents ? La plupart du temps, les travaux sur la « censure » cinématographique, s'appuyant sur des archives, ignorent les débats, couverts par le secret, pour n'en garder que l'avis final. Cette étude, qui se fonde sur une observation ethnographique exceptionnelle réalisée en France en 2017-2018, permet de montrer comment des commissaires statuent en utilisant un nombre limité de procédés argumentatifs. Le principal d'entre eux est la comparaison, largement déniée par les acteurs, au motif que chaque œuvre est unique et donc incomparable. Ce dispositif vise à imputer des effets aux images en mettant à distance les intentions du réalisateur du film, et au nom d'un spectateur mineur projeté.
    In the context of a government board, how do the people responsible for film “classification” in France decide to bar minors from viewing films on the grounds that these contain images of sex and violence? Most of the time, studies on film “censorship” based on archives ignore the discussions that are shrouded in secrecy, and retain only the final opinion. This study, based on a special ethnographic observation undertaken in France in 2017-2018, shows how film board members make rulings by using a limited number of argument processes. The principle these share is comparison, which is broadly rejected by industry players on the grounds that every work is unique and therefore incomparable. This system aims to attribute effects to images while setting aside the director's intentions, in the name of a projected minor viewer.
  • La voix de la propagande - Susan Bayly p. 42-67 accès libre avec résumé
    À partir d'enquêtes de terrain réalisées à Hanoï, capitale vibrante du Vietnam, cet article interroge la raison pour laquelle les tentatives de discussion autour de l'iconographie moralisatrice publique peuvent si souvent provoquer le silence chez des interlocuteurs habituellement loquaces. Il est suggéré ici qu'il s'agit d'instants de silence agentif, où le silence du locuteur peut être un acte de volonté morale et non l'écrasement de l'agentivité et de la voix. Derrière l'attitude d'un sujet silencieux se cache donc plus que l'effet de pouvoir d'un censeur pour contrôler ou réprimer la parole, en particulier dans des contextes où la propagande d'État peut agir par l'image et le texte pour réprimer ou autoriser l'expression de la voix du citoyen.
  • The voice of propaganda - Susan Bayly accès libre avec résumé en anglais
    Building on ethnographic fieldwork in Vietnam's vibrant capital Hanoi, this article asks why attempts to use moralising public iconography as talking points with research collaborators can so often have a silencing effect on otherwise voluble interlocutors. It is proposed that these are moments of agentive silence, where the muting of a vocal self can be an act of moral will, not the crushing of agency and voice. It is therefore suggested that there can be more to a silent self than the effect of a censor's power to control or extinguish speech, especially in contexts where state propaganda can work both visually and textually to repress as well as authorise a citizen's expressive voice.
  • Dire entre les lignes - Fabien Provost p. 68-85 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    En Inde comme ailleurs, un principe fondamental de la médecine légale consiste en l'objectivité de l'examinateur dans l'évaluation du cas dont il a la charge. Selon ce principe, le travail médico-légal implique la description objective des aspects anatomiques et pathologiques des lésions qu'il observe. Les avis concernant l'histoire du cas et la manière de la mort relèvent en Inde des prérogatives respectives de la police et des tribunaux. Pourtant, les médecins légistes en Inde affichent une volonté de s'exprimer et de contribuer activement à l'enquête de police. Cet article révèle que l'écriture des rapports médico-légaux est conçue par les médecins légistes comme un moyen possible pour communiquer des points de vue non médicaux à la cour. Mais comment ces experts peuvent-ils livrer des avis sur les cas tout en conformant leur expression aux exigences propres à leur champ professionnel ?
    In India and elsewhere, a fundamental principle of forensic science is the objectivity of the examiner in the evaluation of the case for which he or she is responsible. According to this principle, forensic work involves objective description of the anatomical and pathological aspects of the injuries observed. In India, opinions concerning the history of the case and how the death occurred are the prerogatives of the police and courts respectively. Nevertheless, forensic scientists in India show a desire to express their views and actively contribute to the police investigation. This article reveals that forensic scientists conceive the writing of forensic reports as a possible means of communicating non-medical points of view to the court. But how can these experts offer opinions on cases while ensuring that what they express conforms to the proper requirements of their profession?
  • Fascism, uncensored - Paolo Heywood accès libre avec résumé en anglais
    This article describes the afterlife of the 1952 Scelba Law in Italy, which forbids “apologias” for the fascist regime, and its chequered history of application. Intended to censor, amongst other things, speech directed towards the reconstitution of an Italian fascist party, fascist propaganda, and fascist demonstrations, the Scelba Law has been sparingly and inconsistently applied. This is particularly evident in the village of Predappio, Mussolini's home town, and one of Italy's premier sites of neo-fascist tourism. This article explores the ways in which the pointed absence of censorship in Predappio constitutes an intervention in a wider set of debates surrounding how to identify “fascism” as an object. It thus highlights the value of examining not only the productivity of censorship as a practice and vocation but also the potentially productive force of abstaining from censorship.
  • Le fascisme non censuré - Paolo Heywood p. 86-103 accès libre avec résumé
    La loi Scelba, promulguée en Italie en 1952 dans le but de prohiber toute « apologie » du régime fasciste, a connu une histoire mouvementée. Notamment destinée à censurer les discours visant à reconstituer un parti fasciste italien, la propagande fasciste et les manifestations fascistes, elle ne fut que peu utilisée ou de manière incohérente. Dans le cas du village italien de Predappio, lieu de naissance de Mussolini devenu un des premiers sites de tourisme néofasciste, cela est particulièrement évident. Cet article explore le statut particulier de ce lieu, ainsi que la manière dont cette absence remarquée de censure constitue une intervention dans des débats plus vastes sur l'identification du « fascisme » en tant qu'objet. Il souligne l'intérêt d'étudier, au-delà de la productivité de la censure en tant que pratique et vocation, la potentielle force productive de l'abstention de censure.
  • L'épiderme du silence - Michèle Cros, Pedro Stoichita p. 104-111 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    À partir d'images muettes, cette bande dessinée révèle l'essentiel de l'initiation en pays lobi burkinabè : l'apprentissage d'un faire-taire élémentaire et la canalisation de la parole, que celle-ci soit orale, dessinée ou photographique. Entrer dans le monde des adultes en cette terre animiste relève bien de l'éthique d'un savoir-taire. Comment maîtriser la capture photographique du rite initiatique, et la diffusion des images ? Comment respecter la nécessité de garder le secret ? Ce travail graphique à quatre mains a été élaboré à partir d'un court essai ethnographique, à retrouver en ligne sur le site de la revue, construit autour de trois images muettes auxquelles a été confrontée l'anthropologue initiée. La bande dessinée donne à voir, à la manière d'un rhombe, l'écho graphique de cet art de la retenue.
    Based on silent images, this comic strip reveals the essentials of initiation in Burkina Faso's Lobi country: learning elementary silencing and speech channelling, whether oral, drawn or photographic. In this animist land, entering the adult world is a matter of the ethics of knowing how to keep quiet. How can the photographic capturing of the initiatory rite and the distribution of images be controlled? How can the need to keep the secret be respected? This graphic work by two people was developed based on a short ethnographic essay, to be found on the journal's website, built around three silent images with which the initiated anthropologist was confronted. Like a rhombus, the comic strip presents the graphic echo of that art of self-control.
  • Le silence des rizières - Dana Rappoport p. 111-125 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Avant l'arrivée des missionnaires dans les hautes terres toraja de l'île de Sulawesi en Indonésie, le cycle de la culture du riz était rythmé par un grand nombre de rituels. L'un d'entre eux consistait en un jeu chanté dans les rizières, qui mettait en interaction les femmes et les hommes. Les pieds dans l'eau, une vingtaine de femmes chantaient en polyphonie, tout en jouant avec les hommes qui passaient par là. Les paroles, la musique et le jeu de ce rituel, véritable ode au désir et à la continuité de la vie, participaient à la fertilité des cultures. Considérant qu'il menaçait les bonnes mœurs exigées par la religion protestante, les pasteurs et les autorités gouvernementales coloniales y mirent un terme. Le silence s'installa alors dans les rizières. Alors que le jeu fut interdit, le chant fut paradoxalement toléré, mais hors de son contexte initial pour différents types de représentations, locales ou régionales. En le réduisant à sa dimension formelle, ce court texte décrit comment ce qui chantait dans ce chant fut alors annihilé.
    Before the arrival of missionaries on the Toraja highlands of the island of Sulawesi in Indonesia, the rice cultivation cycle was punctuated by a large number of rituals. One of them consisted of a sung game in the rice fields involving interaction between the men and women. Their feet in the water, some twenty women sung polyphonously, while playing with passing men. The lyrics, music and play of this ritual—a veritable ode to desire and the continuity of lie—contributed to crop fertility. Viewing it as a threat to the good morals required by the Protestant religion, the pastors and the authorities of the colonial government put an end to it. Then silence descended upon the rice fields. Even though the game was prohibited, singing was paradoxically tolerated for various local or regional performances, but only outside of its original context. By reducing it to its formal dimension, this short text describes how what sung in that song was then annihilated.
  • Bâillonnée d'ennui - Léonore Le Caisne p. 126-141 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    En 2007, pour comprendre l'absence de signalement d'un inceste commis par un père sur sa fille – et dont six enfants étaient nés –, Léonore Le Caisne réalise un travail d'enquête ethnographique dans le village d'Île-de-France où vivait la famille et dans la cité populaire de la ville voisine où travaillait le père. Prise par l'indifférence et la banalisation des habitants, et le dédain de leurs élus, elle décrit le mal extraordinaire qu'elle eut à conserver de l'intérêt pour cette recherche, qui se délita jour après jour. La configuration sociale particulière à laquelle elle fut confrontée et qui eut ce pouvoir de censure considérable sur son enquête fut justement celle-là même qui empêcha la dénonciation des faits à la justice.
    In 2007, to understand why incest committed by a father against his daughter—resulting in the birth of six children—went unreported, Léonore Le Caisne undertook an ethnographic investigation in the Île-de-France region, both in the village where the family lived and in the nearby working-class town where the father worked. Overwhelmed by the indifference and trivialisation of the inhabitants, as well as the disdain of their elected representatives, she describes her extraordinary struggle to maintain interest in this research, which deteriorated day by day. The particular social configuration she was confronted with, which had that considerable censoring power over her investigation, was the very same power that prevented the acts from being reported to the police.
  • Tiens, lis donc, et sache à quoi t'en tenir - Marc Aymes p. 142-161 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Istanbul, milieu des années 1820. Un navire battant pavillon de Russie et franchissant les Détroits est intercepté par les autorités ottomanes. Les documents de bord sont des faux. Le pavillon, une probable contrefaçon. Les passagers, sûrement des bandits, voire des rebelles. Pourtant, l'ambassadeur de Russie conteste la saisie du navire. Et lorsque les agents du port chargés du halage orchestrent une bruyante parade au crépuscule, la discussion s'envenime. Un rapport du grand vizir adressé au palais du sultan relate toute l'affaire. L'histoire est connue : sous nos yeux s'anime le petit théâtre diplomatique de la « Question d'Orient ». Lire de près ce document permet pourtant de découvrir autre chose : se déroulent en effet sous nos yeux des opérations significatives, elles-mêmes tues et donc quasiment imperceptibles, de réduction au silence.
    Istanbul, in the mid-1820s. A ship flying the Russian flag entering the straight is intercepted by the Ottoman authorities. The ship's documents are fakes. The flag is probably counterfeit. The passengers are certainly bandits, even rebels. Yet the Russian ambassador contests the seizure of the ship. And when the port agents responsible for towing orchestrate a noisy parade at dusk, the discussion becomes more acrimonious. A report by the Grand Vizier addressed to the sultan's palace describes the whole affair. It is a familiar story: under our eyes, the little diplomatic theatre of the “Eastern Question” comes to life. A careful reading of this document nevertheless makes it possible to discover something else: the unfolding, under our eyes, of significant silencing operations, themselves silenced and therefore nearly imperceptible.
  • Les marques du secret - Dominique Somda p. 162-185 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Au sud de Madagascar, le secret des ascendances serviles s'impose aux descendants d'esclaves comme aux descendants de maîtres. L'interdit de la révélation est discret, mais la contrainte est ferme. Le contenu du secret – et la nécessité de son maintien – se transmet au travers d'un mode de communication cryptique, d'une configuration interactionnelle spécifique et d'un système d'interprétation du paysage. Le souci de taire contribue à la constitution d'une illusion partagée, suivant laquelle les hiérarchies coloniales et précoloniales firent place à un ordre politique et social strictement égalitaire. La réalité de cette fiction est soutenue par l'existence d'une idéologie de solidarité communautaire et d'un engagement chrétien de service.
    In southern Madagascar, the secret of slave ancestry is imposed on descendants of slaves as well as on descendants of masters. The prohibition against disclosure is discreet, but the constraint is firm. The content of the secret—and the need for it to be maintained—is transmitted through a cryptic form of communication with a specific interactional configuration and a landscape interpretation system. The concern for maintaining silence contributes to the construction of a shared illusion, according to which the colonial and precolonial hierarchies gave way to a strictly egalitarian political and social order. The reality of this fiction is supported by the existence of an ideology of community solidarity and a Christian commitment to service.
  • Tenir sa bouche - Jean-Paul Colleyn p. 186-191 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Au Mali, le masque du N'tomo, emblème de la société d'initiation des jeunes garçons non encore circoncis, est en voie de disparition. Il s'agit d'un masque facial anthropomorphe, mais surmonté, d'une rangée de deux à onze cornes à la manière d'une fourche se présentant de face. La société initiatique du N'tomo imposait à ses membres des épreuves physiques et intellectuelles pour leur apprendre à contrôler leur parole et à garder les secrets. Dans cet essai, Jean-Paul Colleyn nous explique son rôle et les raisons pour lesquelles, sur le masque, la bouche est toujours très petite, discrète, à peine visible.
    In Mali, the N'tomo mask, emblem of the initiation societies of young boys who have not yet been circumcised, is dying out. It is an anthropomorphous face mask, surmounted by a row of two to eleven horns, presented like the front of a fork. Members of the N'tomo initiatory society were confronted with physical and intellectual tests that taught them to control their speech and keep secrets. In this essay, Jean-Paul Colleyn explains its role and tells us why the mouth on the mask is always small, discreet and barely visible.
  • Preference for censorship - Čarna Brković accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Les artistes de l'ex-Yougoslavie affirment souvent que les grands succès internationaux du cinéma yougoslave sont nés d'innovations artistiques pensées pour contourner la censure d'État. Certains réalisateurs disent ainsi qu'il valait mieux être censuré, qu'ignoré comme c'est le cas aujourd'hui. Cet article considère cette préférence pour la censure socialiste, en l'inscrivant dans la transformation du « régime de visibilité » intervenu après la guerre froide. Cette notion renvoie conventionnellement aux conditions de visibilité dans un contexte social particulier, comme un pays par exemple. Mais il est aussi des régimes de visibilité transnationaux, qui déterminent ce qui peut être vu et su par-delà les frontières. Le modèle yougoslave de la « censure sans censure », dans le régime de visibilité de la guerre froide, a contribué à donner une nouvelle visibilité aux films yougoslaves en Occident. Les bouleversements engendrés par la fin de la guerre froide ont rendu à aux yeux des cinéastes la censure préférable à l'invisibilité qu'ils ressentent aujourd'hui.
    Post-Yugoslav artists relatively often claim that the major international successes of Yugoslav films were the result of novel artistic approaches developed to circumscribe state censorship. Some filmmakers say that socialist censorship was better than being ignored, like they feel today. This article explores the preference for socialist censorship articulated by filmmakers from Serbia, suggesting that it needs to be situated in the change of the regime of visibility after the Cold War. The “regime of visibility” conventionally refers to the conditions of visibility within one particular social context, for example within a particular country. The post-Yugoslav preference for censorship indicates that there are also regimes of visibility that operate transnationally, regulating what can be seen and known across the borders of particular societies. In the Cold War regime of visibility, Yugoslav socialist “censorship without censorship” illuminated Yugoslav films in a way that made them visible in the West. The post-Cold-War shifts in the mechanisms of recognition made censorship preferable in comparison to the contemporary sense of invisibility.
  • Pictures on paper - Lotte Hoek accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Le Bangladesh Film Club Act de 1980 a eu pour objectif, pendant la dictature militaire, de réguler et contrôler l'essor florissant des ciné-clubs. Cette ordonnance est la réponse de l'État à des formations sociales qui suivaient les canons des films d'art nationaux et internationaux. J'examine dans cet article la paperasserie bureaucratique générée par cette ordonnance. Je propose de reconsidérer la censure filmique qui n'agit pas ici sur un texte, mais qui intervient pour répondre aux inquiétudes suscitées par l'efflorescence de certaines cultures filmiques. L'examen des images et logos qui accompagnaient les dossiers d'autorisation soumis par les ciné-clubs à la Commission de censure filmique illustre une idée centrale pour les sociétés cinéphiles : celle qu'un « bon » film ou un film d'art est porteur de transformations sociales et politiques. C'est précisément cette menace que le Film Club Act visait à contenir, illustrant par là-même l'efficacité mobilisatrice du registre visuel manié par les sociétés cinéphiles.
    The Bangladesh Film Club Act of 1980 set out to regulate and control the flourishing film society movement during the years of military dictatorship. This Act illustrates the response of the state to the social formations that were called into being around a canon of national and international art films. In this article, I explore the paperwork generated out of this Act and suggest it allows a reconsideration of film censorship as acting upon particular film texts towards an understanding of the way censorship can be used to respond to anxieties generated by the thriving of certain film cultures. A focus on the images and logos that accompanied the bureaucratic submissions to the Film Censor Board by film societies illuminates a core idea within the film society movement: that ‘good' or art film would generate new social formations and produce political transformation. It is exactly to this threat that the Film Club Act responded, thus illustrating the efficacy of the film societies' visual register as a mobilizing force.
  • Silence bis repetita - Michèle Cros accès libre avec résumé
    Faire taire, c'est aussi ne pas montrer ou donner à voir de manière cryptée. Cet essai s'appuie sur un corpus de trois images du pays lobi burkinabè relatives à l'initiation patriclanique qui s'y déroule tous les sept ans. Ces images, muettes ou presque, se combinent à l'exposé de quelques péripéties du terrain rendant compte de leurs conditions de production où un taire pour renaître, constitutif de l'être initiatique au monde, se décline au quotidien. Cette couverture de cahier à jamais refermé, ce cliché échangé et ce dessin d'enfant prémonitoire invitent finalement à une retenue langagière, imagière et scripturale via la diffusion d'un savoir-taire élémentaire – sauf à vouloir « briser sa tête ». Ce pacte de silence s'impose avec plus d'acuité encore au temps du Net et en période d'ouverture au tourisme. Ces images impossibles à diffuser ou à capturer relèvent d'une éthique de la parole en actes.
  • Tiptoeing along the red lines - Jing Wang accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    En 2016 a été fermé l'un des principaux sites internet musulmans chinois. La mort de tels sites soulève une série de questions sur la censure que subissent et exercent les musulmans chinois dans le cadre du développement de l'islam digital dans la Chine d'aujourd'hui. Ce récit suit Yahyaa, un modérateur de site musulman et rend compte de sa pratique d'autocensure. Dans le paysage numérique de ce pays, hautement réglementé, mais néanmoins poreux, quels sont les périls et les défis propres aux musulmans ? Qu'est-ce qui est tu et qu'est-ce qui parvient à se faire entendre ? Le récit de la vie de Yahyaa et de son activité de modérateur et de webmestre permet de suivre au plus près ses tactiques et les choix éthiques auxquels il a fait face dans sa gestion d'un espace musulman en ligne. Yahyaa guide en effet sa modération suivant le principe non pas de la contrainte mais d'une agentivité propre (guanli), qui lui autorise une interprétation créative des lignes rouges (hongxian) définies par les réglementations étatiques. L'histoire de Yahiyaa montre comment son art de la censure et de l'autocensure est contraint et contraignant, mais aussi émancipateur. Elle permet plus largement de comprendre le paysage numérique chinois qui se déploie sous censure, et en particulier le cyberespace créé et manié par des minorités confessionnelles tels les Chinois musulmans. L'agentivité mise en œuvre dans la censure laisse poindre un développement d'espaces publics et de sociétés civiles quel que soit le poids de la censure imposé aux citoyens.
    In 2016, one of the largest Chinese Muslim websites was shut down. The death of such a website raises questions regarding the censorious agency exercised by ordinary Chinese Muslims and the development of digital Islam in contemporary China. This narrative follows a Muslim online moderator, Yahyaa, and recounts his experience of self-censorship through ethnographic engagements. It asks: in China's highly regulated yet porous digital landscape, what are the unique risks and challenges an ordinary Muslim may be facing? What is silenced and what gets heard? By tracing Yahyaa's life story, this narrative pays close attention to the specific tactics and ethical choices in managing a digital Islamic space. It also highlights how Muslim online moderators creatively interpret the red lines (hongxian) of state regulations through their principle of management (guanli). Yahyaa's story shows how, as a Muslim moderator, his censorious agency is both constrained and empowering. This multifaceted agency has significant implications for understanding the censored digital landscape in China, particularly in relation to the cyberspace created and navigated by faith-based minorities such as the Chinese Muslims. Such censorious agency holds promise for the development of public spaces and civic societies in contemporary China, no matter how constraining the current censorship that has been imposed upon its citizens.