Contenu du sommaire : Mutations et invariants. « Soldats de la paix », soldats en guerre
Revue | Inflexions |
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Numéro | no 2, 2006/1 |
Titre du numéro | Mutations et invariants. « Soldats de la paix », soldats en guerre |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Éditorial - Jérôme Millet p. 6-9
- Leitartikel - Jérôme Millet p. 10-13
- Editorial - Jérôme Millet p. 14-17
- Editorial - Jérôme Millet p. 18-21
Pour engager la réflexion
- En regardant Warriors, les guerriers de l'impuissance - Jean-Luc Cotard p. 23-28
Articles
- Quelques réflexions sur l'activité guerrière à l'époque contemporaine - Odile Roynette p. 29-44 Ce texte s'efforce de discerner au sein de l'activité guerrière conduite par les sociétés occidentales au cours des deux siècles qui viennent de s'écouler quelques mutations et quelques invariants majeurs.Peu à peu diffusée à un nombre croissant d'hommes et de femmes au point qu'elle est devenue avec les deux grands conflits mondiaux du premier xxe siècle une expérience de masse, l'expérience guerrière s'est vue ensuite de plus en plus étroitement confinée au sein d'armées composées de professionnels envoyés sur des théâtres d'opérations éloignés pour des durées limitées. Cette marginalisation de l'activité guerrière s'est accompagnée d'une féminisation progressive des forces armées, venant contredire l'invariant anthropologique qui éloignait les femmes du port et de l'usage des armes, en partie seulement car celles-ci ont été pour l'essentiel tenues à l'écart de la violence du champ de bataille.Pour être en mesure de faire face à cette violence, toutes les armées ont formé et forment encore des communautés humaines fermées sur elles-mêmes, régies par un ensemble de contraintes fondées sur l'obéissance et le devoir de réserve de leurs membres. Face au danger, elles sont organisées dans les unités combattantes en groupes primaires au sein desquels la complémentarité, la cohésion et la solidarité, à défaut de rendre l'expérience du combat supportable, en atténuent du moins le stress et en particulier la peur, qui apparaît comme un invariant majeur lié au combat.Pour faire face à la souffrance individuelle et collective engendrée par l'activité guerrière, les sociétés occidentales ont peu à peu forgé, au cours de l'époque contemporaine, une nouvelle culture de la mort à la guerre, fondée sur l'individualisation de l'hommage au sein de l'armée et de la communauté nationale. S'est ainsi élaborée une commémoration civique des défunts dont les modèles se sont fixés progressivement, la Grande Guerre constituant ici un tournant majeur. Toutefois, c'est aussi et peut-être surtout dans le regard porté par les sociétés sur la guerre menée en leur nom que se joue, pour les combattants, un possible apaisement des blessures psychiques et corporelles gravées en eux. À cet égard, les conflits de l'époque contemporaine révèlent clairement combien ceux qui ont reçu l'assentiment des nations, fût-ce au prix d'un reniement des valeurs humanistes les plus fondamentales, ont permis aux combattants de mieux traverser les épreuves endurées, alors que les guerres discréditées ou oubliées par les opinions publiques ont laissé les survivants comme les familles des victimes dans un grand désarroi, voire un impossible deuil.The aim of this text is to try and find, within the warfighting activity led by western societies over the past two centuries, some changes and some major invariants. This warfighting experience was progressively acquired by an increasing number of men and women, so much that the two major conflicts of the 20th century turned into a "mass experience". Then, it started again being the prerogative of armed forces made up of professionals sent to theatres of operations far from the homeland, for limited periods of time. This marginalization of the warfighting activity was accompanied by a progressive feminization of the armed forces, which was in contradiction with the anthropological invariant which would keep women away from the employment of weapons, but only partly so, since most women continued to be preserved from the violence of the battlefield. In order to be able to face this violence, all the armed forces have formed – and still form – rather closed human communities, governed by a set of constraints based on obedience and the duty of confidentiality of all their members. In front of the danger, their combatant units are organised into basic teams within which complementarity, cohesion and solidarity might not make it entirely possible to make combat bearable, but at least succeed in reducing the resulting stress, and especially fear, which is one of the major combat-linked invariants. In order to face the individual and collective sufferings due to warfighting activities, western societies have progressively created, during the contemporary era, a new culture of death at war, based on the individual homage paid by the army and the nation. Step by step, a civic type of commemoration of the deceased was developed, and its modalities were slowly defined. In that respect, the First World War has been a major turning point. However, the fact that societies understand that a war is fought for them might be the most important element to soothe the psychological and body injuries they have suffered. Modern conflicts have clearly shown how much easier it has been for the soldiers to bear the ordeals they suffered during conflicts accepted by the nations, even if it meant for these nations to disavow the most fundamental humanistic values, than for those who were engaged in conflicts discredited or forgotten by the public opinions. In the latter, the survivors and the families of the deceased were left in terrible distress, sometimes unable to mourn their deaths.
- Témoignage - Jean-Marc de Giuli p. 45-61 Après une enfance en Suisse puis une jeunesse en France, dans des régions marquées par la présence et le respect de l'armée, alors qu'il n'était l'héritier d'aucune tradition militaire familiale particulière, l'auteur rentre dans l'armée comme simple soldat. Dans un monde fermé, austère, dont l'image dans la société subit encore les séquelles des clivages politiques et culturels qui ont marqué le siècle, il rentre à Saint-Cyr, école à la réputation prestigieuse mais au quotidien plus terne, et où l'enseignement et les valeurs font encore une large place aux récentes campagnes d'Indochine et d'Algérie.Les années 1970, qui le voient devenir lieutenant puis capitaine dans les troupes alpines, se déroulent dans le contexte de la doctrine de dissuasion, au temps du monde bipolaire.Les années 1980 vont connaître une évolution sensible de la perception du conflit et des crises. Les grands événements (l'invasion de l'Afghanistan, le sursaut syndicaliste en Pologne, le génocide khmer) et le développement des opérations en faveur de la paix concrétisent progressivement la fin de la virtualité des engagements. L'intervention redevient une réalité au travers des premières missions de soldats de la paix au Liban. Face à la perspective du départ en opération, les équipements se modernisent, l'entraînement se durcit, les motivations et le volontariat des soldats se renforcent.Les années 1990 voient l'auteur occuper des postes de responsabilités, au sein desquels il participera aux transformations majeures qui vont affecter les armées : la professionnalisation et l'évolution sensible de leurs conditions d'engagement, la baisse des ressources financières et une importante diminution d'effectifs.Ce témoignage, qui porte un regard décapant sur plusieurs décennies, illustre les « mutations et les invariants » de cette période d'inflexion de l'histoire, à travers les prismes successifs de la progression de l'auteur dans la hiérarchie.After having spent my childhood in Switzerland and my youth in France, in regions where the Army has always been present and respected, with no military background "running in the family", I joined the Army as a private. This was a rather closed and austere world, with often worn-out American equipment. Its image in society was still marked by the after-effects of the political and cultural divides of the century. I got to the Saint-Cyr Military Academy, the reputation of which was very prestigious, but where every-day life was rather dull. Education and the values there were still largely based on the study of the recent campaigns in Indochina and Algeria. In the 70s', I was Lieutenant and Captain in the Alps. Training was difficult in the mountains. Although we had learned the virtual nature of an engagement following the deterrence doctrine, we were trained to face the Warsaw pact in the framework of homeland defence and the protection of the nuclear installation on the Albion plateau, using the anti-guerrilla warfare techniques tested during recent conflicts. The reality of other conflicts on Asian or Eastern soil seemed very distant to us. The way we understood conflicts and crises changed notably in the 80s'. The major political change in our country strengthened the French unity regarding defence issues. Much more than this, major events (such as the invasion of Afghanistan, the sudden burst of syndicalism in Poland, the Khmer genocide) as well as the development of peace operations progressively acknowledged the end of the virtual nature of engagements. They legitimated and required the adaptation of our military capacities, a fact which however also implied successive downsizing and restructuring. Intervention thus became the rule once again, as was seen with the first missions of peace soldiers in the Lebanon. Faced with this prospect of going on operations, our items of equipment were being modernised, our training became harder and the motivation and willpower of the soldiers was equally strengthened. In the 90s', I was given positions with responsibilities which made me participate in the major transformations of our armed forces: professionalization and the notable evolution of their conditions of engagement, the reduction of the financial assets and the significant downsizing.
- Usage de la force et culture de la paix - Agnès Lejbowicz p. 63-90 L'usage de la force n'est légitime qu'en vertu d'une culture de la paix instaurée par un état juridique général. Or, le droit interne qu'un État impose impérativement à ses gouvernés diffère du droit international, qui ne fait que coordonner entre elles les volontés d'États souverains. Sur cette base théorique et en considérant les conflits contemporains, nous nous interrogeons sur l'usage des armes, qui déroge soit à la logique étatique, soit à la logique internationale, soit aux deux à la fois.The employment of the force can only be legitimate pursuant to a culture of peace established by a legal state. But the domestic law that a State imposes on its citizens is different from the international law, which only co-ordinates the wills of sovereign States. On this theoretical basis, and considering contemporary conflicts, we study the employment of weapons departing either from the state system, or the international system, or both.
- Conséquences et perspectives d'un cadre international pour les opérations militaires - Bertrand de Lapresle p. 91-109 À la lumière de son expérience de chef militaire, le général Bertrand de Lapresle rappelle que l'action armée ne peut avoir de fin en elle-même : ses modalités doivent être très étroitement déduites des objectifs politiques poursuivis par les autorités qui ont décidé son engagement.Pour que des opérations militaires, conduites désormais le plus souvent dans un cadre multinational, contribuent de la façon la mieux adaptée au règlement politique de la crise à résorber, il importe que la mission confiée au responsable opérationnel et les moyens dont il disposera pour la mener à bien soient définis aussi précisément que possible.Cette condition sera d'autant mieux remplie que le chef militaire aura été précocement associé à l'élaboration de son mandat, et aura fait valoir son point de vue d'expert, responsable devant ses chefs comme devant ses hommes et devant sa conscience.Dans cet esprit, l'auteur souligne l'importance d'une formation de nos chefs militaires toujours ouverte sur les réalités politiques, diplomatiques, et économiques, dans un monde où les notions de défense et de sécurité sont, et seront, de plus en plus imbriquées.Using his experience as a military leader, general de Lapresle reminds us that the armed action cannot be an end in itself: its terms need to be closely linked to the political objectives of the authorities which have decided its engagement. In order for military operations, which are now generally led on a multinational basis, to participate as well as possible in the political settlement of a crisis, it is important that the mission given to the operational representative and the assets allocated to him are very precisely defined. This condition will be quite easy to fulfil if the military leader has been very early associated to the drafting of the mandate, and able to give his opinion as an expert, responsible to his superiors as well as to his subordinates and to his own conscience. Along this line, the author underlines the importance of the training of our military leaders which would be increasingly turned towards political, diplomatic and economic realities, in a world where the ideas of defence and security are, and will remain closely interwoven.
- À la recherche du succès en Afrique de l'ouest - Patrick Destremau p. 123-138 Commandant du groupement tactique interarmes n° 1 (gtia 1) au sein de l'opération Licorne de septembre 2004 à février 2005, le colonel Patrick Destremau a dû engager tous ses moyens pour contribuer au maintien de la paix en Côte d'Ivoire et assurer la sécurité des ressortissants français d'Abidjan. Par l'examen de quelques moments forts de ce mandat, il propose de suivre le cheminement intellectuel d'un chef de corps confronté à une opération difficile. Son témoignage montre toute la difficulté pour un responsable de surmonter la complexité d'une crise et, finalement, de donner à ses subordonnés des ordres simples et clairs.As commanding officer of the 1st combined arms task force of Operation Licorne between September 2004 and February 2005, Colonel Patrick Destremau has had to engage all his assets to participate in peace-keeping in the Ivory Coast, and to ensure the safety of French citizens in Abidjan. Through the study of some significant moments of his mandate, he presents the thinking path of a commanding officer during a demanding operation. His testimony shows how difficult it is for someone in charge to overcome the complexity of a crisis and, finally, to give simple and clear orders to one's subordinates.
- Obéir et se faire obéir - Line Sourbier-Pinter p. 139-152 Obéissance, discipline, exercice de l'autorité : beaucoup considèrent ces mots et notions comme autant d'injonctions et de concepts rigides appartenant à la société militaire, autrefois en phase avec la société civile, mais aujourd'hui désuets. Qu'en est-il dans les armées et plus particulièrement dans l'armée de terre ? Comment la façon d'obéir, les formes de l'obéissance reflètent-elles l'état visible de la morale et de l'éthique d'une société à un moment donné de son histoire ? Et à une époque où la responsabilité collective s'atténue au profit de la responsabilité individuelle, dans quels cas le soldat, membre d'un groupe bien structuré, doit-il ou peut-il désobéir ? Même si les armées ont depuis longtemps distingué « obéissance à la lettre » et « obéissance dans l'esprit », la seconde l'emportant toujours sur la première, elles ne pouvaient faire fi de l'esprit du temps puisqu'elles sont l'émanation de la nation. Depuis plusieurs décennies, discipline et exercice de l'autorité y font largement place à l'autonomie, à l'initiative et à l'adhésion, sans lesquelles ces principes resteraient vains.
- La bataille des derniers centimètres - Michel Goya p. 153-172 L'obéissance au combat sans la liberté de choisir n'est que de la servitude. En apparence, ce libre-arbitre s'oppose à la notion de discipline. En réalité, la vraie menace est intérieure. Comme la proximité d'un trou noir modifie les lois de la physique, la mort est un objet à forte gravité dont l'approche métamorphose les hommes. S'engager dans un combat, c'est pénétrer et se débattre dans une bulle de violence aux lois psychologiques propres. En sortir, c'est se réveiller d'un cauchemar. Est-on libre dans un cauchemar ?Obedience during combat without the freedom to chose is nothing but servitude. It would seem that this necessary free will is opposed to the idea of discipline. In fact, the real threat is inside. The nearness of a black hole changes the laws and physics. In the same way, death is an object bearing a strong gravity, and its nearness completely transforms the men. When one engages in combat, the aim is to penetrate and struggle within a bubble of violence which has its own psychological laws. Getting out of it means waking up from a nightmare. Is one free inside a nightmare?
- La crise des otages en Bosnie : dix ans déjà ! - Jean-Philippe Decrock p. 173-183 La prise en otages des casques bleus de la Force de protection des Nations unies (forpronu) en mai 1995 a non seulement frappé les esprits, mais aussi marqué un tournant important dans les interventions extérieures de la France, tant au niveau politique que stratégique et tactique. Les prises d'otages et les sévices sur les prisonniers en Irak nous ont rappelé, s'il en était besoin, que de tels événements n'appartiennent malheureusement pas qu'au passé.The hostage-taking of blue helmets of the United Nations Protection Force (Unprofor) in May 1995 has not only left a mark in the people's minds, but it has also been a milestone in France's operations outside the national territory, at the political, strategic and tactical levels. Hostage-takings and physical abuses against prisoners in Iraq have reminded us, if necessary, that this type of events does unfortunately not belong to the past.
- Quelques réflexions sur l'activité guerrière à l'époque contemporaine - Odile Roynette p. 29-44
- Pour en savoir plus - p. 185
- Commentaires - p. 187-194
- Comptes rendus de lectures - p. 195-200