Contenu du sommaire : « Le roi clandestin »
Revue | Sociétés |
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Numéro | no 146, 2019/4 |
Titre du numéro | « Le roi clandestin » |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
« Le roi clandestin »
- Introduction. Les figures du « roi clandestin » - Fabio La Rocca, Pier Luca Marzo p. 5-7
- Simmel's Hidden King - and Ours - John A. Y. Andrews p. 9-23 La métaphore simmelien du « roi clandestin » est l'idée directrice d'un âge historique évoquant des associations narratives qui atteignent des profondeurs afin de décrire la dynamique intrinsèque et les tentions de l'activité humaine qui émergent pour Simmel de la contradiction fondamentale entre la vie comme flux continu et les formes résistantes crées par la vie crées et à travers laquelle elle peut s'exprimer. Cet article élabore d'abord les associations narratives et ensuite les utilise pour explorer le problème clé de l'essai de Simmel – l'antipathie unique que Simmel considère comme caractéristique de la modernité – et enfin propose des suggestions sur la manière dont cette métaphore peut ou pas servir pour lire, un siècle après, des caractéristiques de notre actualité.
Georg Simmel's “hidden king” metaphor for the leading idea of a historic age evokes narrative associations that describe the intrinsic dynamics and tensions of human activity, which Simmel believed arise from the fundamental contradiction between life as continuous flux and the solid forms created by life, through which alone it can express itself. This paper first explores these narrative associations, then uses them to discuss the key problem of Simmel's essay—the unique antipathy that Simmel saw as characteristic of modernity—and finally offers some suggestions as to how his metaphor may or may not help us to understand features of our current order, a century on. - The “Hidden Kings”, or Hegemonic Imaginaries: Analytical Perspective of Post-foundational Social Thought - Heike Delits, Stefan Maneval p. 25-41 Cet article met l'accent sur le parallèle entre le concept de Simmel de Roi clandestin (heimlicher König) d'une ère culturelle dans la théorie sociale de Durkheim, Bergson et Castoriadis. Tous ces auteurs partagent le point de vue selon lequel les sociétés et d'autres formes d'identités collectives sont des imaginaires fondés sur un signifiant vide, ou Roi clandestin, qui fournit ce que nous appelons la fondation en dehors de l'existence collective. Partant de l'idée de Castoriadis selon laquelle: a) les sociétés sont des institutions imaginaires et b) chaque société est informée par une signification imaginaire centrale, notre réflexion affirme que la complexité des sociétés hétérogènes sur les plans idéologique, politique et religieux ne peut être réduite à un seul imaginaire central, ou un seul roi clandestin. Nous suggérons d'élargir le concept de Castoriadis concernant l'institution imaginaire de la société, d'abord avec la notion de constitutif de Staten et, en second lieu, avec le concept d'antagonisme hégémonique de Mouffe et Laclau (tous deux fondés sur Derrida). La dernière partie de l'article traite des perspectives méthodologiques de recherche, en s'appuyant sur la conceptualisation suggérée du roi clandestin en tant que fondement imaginaire de l'identité et de l'unité collective.
This article focuses on the parallels with Simmel's concept of the hidden king (heimlicher König) of a cultural era in the social theory of Durkheim, Bergson, and Castoriadis. All these authors share the view that societies and other forms of collective identities are imaginaries founded on an empty signifier, or hidden king, which provides what we call the foundational outside of collective existence. Based on Castoriadis's idea that: a) societies are imaginary institutions, and b) each society is informed by a central imaginary signification, the present article argues that the complexity of ideologically, politically, and religiously diverse societies cannot be reduced to only one central imaginary, or a single hidden king. We suggest expanding Castoriadis's concept of the imaginary institution of society, first with Staten's notion of a constitutive outside, and then with Mouffe and Laclau's concept of hegemonic antagonism (both of which are informed by Derrida). The final section of the article discusses methodological research possibilities, drawing on the suggested conceptualization of the hidden king as an imaginary foundation of collective identity and unity. - Le roi neutre et la domination technique du vide - Pier Luca Marzo p. 43-51 L'article présenté ici tire son origine d'une question : si les métanarrations n'existent plus, pourquoi n'en est-il pas autant du social ? La notion de “roi secret”, élaborée par Simmel dans Le conflit de la culture moderne, est le périmètre réfléchi où cette question sera développée. Après avoir considéré cette notion comme le centre de rotation de l'imaginaire social, l'hypothèse que nous tenterons d'argumenter est destinée à identifier dans la contemporanéité la présence d'un nouveau monarque sans qualités métanarratives. Son règne n'est pas légitimé par une vision du monde dotée de sens mais, au contraire, par la neutralisation de tous les sens ; c'est pour cette raison qu'on nommera ce souverain, né du conflit de la culture post-moderne, le Roi neutre. C'est ce nouveau roi secret qui nous place, pour la première fois, à l'intérieur d'une sphère vide de sens, capable, de contenir et de métamorphoser l'hétérogénéité des imaginaires sociaux contemporains dans son royaume réticulaire reproduit de manière numérique.
This paper is driven by the following question: If metanarratives have collapsed in the postmodern age, why haven't social realities ended? The metaphor of the “hidden king” used by Georg Simmel in the essay, The Conflict in Modern Culture (1918), is the theoretical perimeter in which this key issue will be framed. After considering this notion as the axis of the social imaginary, we will try to identify—in contemporary society—the presence of a new monarch without metanarrative qualities. His kingdom, we will argue, is not legitimized by a Weltanschauung (worldview) filled with meaning, but, on the contrary, by the neutralization of meaning. It is for this reason that we name the monarch born from the conflict of postmodern culture the “neutral king.” For the first time, this new hidden king places us within a realm that is void of meaning, but which is able to contain and transform the heterogeneity of contemporary social imaginaries in its reticular kingdom that is digitally reproduced. - The two Kings of Modernity: Science and Religion in Simmel's Metaphysics of Value - Neil Turnbull p. 53-64 La suggestion de Georg Simmel selon laquelle il existe à chaque époque une « notion royale », un « roi conceptuel » secret, pose un problème important dans l'épistémologie sociale contemporaine : la question de savoir comment concevoir la « métaphysique du social ». Elle suggère qu'il existe dans chaque weltanschaaung un champ d'adhésion, une force de gravitation conceptuelle capable de lier les fragments de l'être ensemble dans la signification plus large d'un monde. Dans ce schéma, c'est cette force, cette « idée-influence » qui est le « roi secret ». Cependant, il est important de spéculer sur la constitution, le nom et le pouvoir de ce roi. Ce qui semble clair à cet égard, c'est que dans son statut royal, contre Foucault, cette notion centripète ne peut être réduite à la dimension de la discipline et du contrôle de l'État puisqu'elle existe dans une relation tout à fait différente avec le pouvoir, du moins dans sa conception dans les sciences sociales. Dans cet article, nous suggérerons que la clé pour comprendre la dynamique de l'époque contemporaine réside en particulier dans la compréhension de la tension entre le roi – compris comme ce qui règne intellectuellement – et ce qui gouverne simplement.
Georg Simmel's tantalizing suggestion that in every era there is a “regal notion,” a secret “conceptual king,” opens up an important issue in contemporary social epistemology: the question of how we should conceive of “the metaphysics of the social.” It suggests that within every weltanschauung (worldview) there exists an adhesive field, a force of conceptual gravitation, capable of binding the fragments of historical being together into the wider significance of a world. In this scheme, it is this force, this “idea-influence,” that is the “hidden king.” However, it is important to speculate as to this king's name, constitution, and powers. What seems clear in this regard is that in its regal status, contra Foucault, this centripetal notion cannot be reduced to the dimension of governmental discipline and control, as it exists in a different relationship to power, at least as power has been conceived in the social sciences. In this paper, we will suggest that the key to understanding the dynamics of the contemporary era resides in understanding the tension between the king—understood as that which reigns intellectually—and that which merely governs. - Simmel as a “Hidden King?”. On his relations to Egon Friedell and Max Raphael - Ingo Meyer p. 65-74 Dans notre article, nous abordons la notion du « roi clandestin » de Simmel à travers deux figures : celle de Egon Friedell et de Max Raphael. Si Egon Friedell, disciple de Karl Kraus, qui a écrit son célèbre Kulturgeschichte der Neuzeit, disait quelque chose de similaire à ce que Simmel a qualifié de « roi clandestin » : chaque époque, chaque époque - dit Friedell - a son idée, son concept, sa mode et même son style de mobilier ; de l'autre côté Max Raphael, historien de l'art qui, comme Bloch, était un étudiant de Simmel, s'inspire de la notion simmelienne dans son concept de « histoire de l'art empirique ».
In this article, we discuss Simmel's concept of the “hidden king” through two figures: Egon Friedell and Max Raphael. Egon Friedell, a disciple of Karl Kraus, who wrote Kulturgeschichte der Neuzeit, thought along the same lines as Simmel, who described a “clandestine king,” considering that every epoch, every era, has its specific idea, concept, fashion, even style of furniture. Max Raphael, on the other hand, was an art historian, and, like Bloch, a student of Simmel. He drew inspiration from Simmelian thought in his “empirical theory of art.” - Configurations de l'univers de la culture pop : pour une archétypologie des formes du Roi clandestin contemporain - Fabio La Rocca p. 75-90 Où se niche le roi clandestin contemporain ? Où trouver les formes représentatives des figures de l'imaginaire contemporain ? Dans une perspective liée à la pensée de Georg Simmel, en s'immergeant dans le monde social nous pouvons explorer, à travers une herméneutique de la surface, la profondeur de l'univers culturel et spécifiquement l'essence de la culture pop afin de trouver diverses figures qui représentent les caractères essentiels de notre monde social-culturel.
Where is the contemporary hidden king concealed? Where can we find the representative forms of figures of the contemporary imaginary? Based on a perspective related to Georg Simmel's theory, we can explore—through immersion in the social world and a surface-level hermeneutics—the depth of the cultural universe, specifically the essence of pop culture, in order to identify various figures who represent the fundamental characteristics of our social-cultural world. - La Santa Muerte : symbole et dévotion envers « la reine des épouvantables » - César Rebolledo González p. 91-103 Cet article propose une analyse épistémologique de la dévotion de la Santa Muerte au Mexique. La mort, plus que tout autre phénomène, est essentielle à la compréhension de tous les actes humains, en ce sens alors, une analyse de la ferveur religieuse, en tant que forme de paroxysme, offre un point de vue privilégié pour examiner la logique du comportement socioculturel contemporain en Occident. Les domaines de la Santa Muerte sont absolus, mais à la fois souterrains, occultes et marginaux. Suivant l'idée de Simmel sur le roi clandestin, la mort est partout voilée ; l'étudier signifie un moyen de découvrir les fondements de tout type de comportement. La mort est un creuset dans lequel la vie sociale est dynamisée, c'est le substrat tragique de toute chose, le point d'attachement originel d'où émerge la vie. Dans cet article, nous analyserons une série de croyances et de rituels atour de la Santa Muerte au Mexique. Pour cela, nous présentons une approximation hagiographique de la soi-disant Niña Blanca, que nous avons construite avec les témoignages de journalistes, de prêtres et de fidèles. Ensuite, nous analysons la nature de sa stigmatisation sociale sous l'idée anthropologique de la haine de la mort. Enfin, nous nous focalisons sur ce que l'on appelle la domestiaction de la mort, tout en soulignant que le processus de sacralisation du profane est en jeu.
This paper offers an epistemological examination of devotion to Santa Muerte in Mexico. It argues that death, more than any other phenomenon, is crucial for understanding all human action. In that sense, an analysis of religious fervor, as a form of paroxysm, offers a vantage point for exploring the rationale of contemporary sociocultural behavior in the West. The domains of Santa Muerte are absolute, but at the same time subterranean, occult, and marginal. Following Simmel's idea of the “hidden king,” death is everywhere, concealed; studying it is therefore a way of discovering the foundations of all behavior. Death is a melting pot in which social life is galvanized. It is the tragic substratum of everything, the original point of attachment from which life emerges. In this article, we will analyze a series of beliefs and rituals that surround Santa Muerte in Mexico. For this, we present a hagiographic approximation of the so-called Niña Blanca, which we constructed with the accounts of journalists, priests, and devotees. Then, we analyze the nature of its social stigma under the anthropological idea of the hatred of death. Finally, we explore the idea of the domestication of death and point out that this relates to the process of sacralization of the profane.
Marges
- Le désir collectif d'être une ville - Eduardo Duarte p. 105-114 La naissance, le développement, la maturation, le sommet et la décadence d'une ville ne peuvent être compris uniquement par ses motivations historiques et sociales. Une ville est l'émergence de l'image complexe d'un désir constitué par l'ensemble conflictuel de volontés distinctes, antagonistes et synchroniques. Cette image totale du désir d'une ville est une création imaginaire qui émerge de peurs, de joies, d'espoirs et de rêves. Ces sentiments projettent le tapis de béton sur les environnements naturels. Le corps d'une ville s'étend sur la nature et modifie cet environnement par la force d'un désir imaginaire. La volonté collective de la ville déplace les anciens centres urbains à d'autres régions qui deviennent le centre du désir. Les vieux centres non désirés tombent en ruines. La ville est alors une collection d'images de souhaits du présent et du passé en perpétuel mouvement.
The birth, development, maturation, apex, and decay of a city cannot be understood only by the historical and social motivations for its existence. A city is the manifestation of the complex image of a desire, constituted by the conflict of distinct, antagonistic, and synchronic desires. This picture of the desire of a city is an imaginary creation that emerges from fears, joys, hopes, and dreams. These feelings project the concrete carpet over natural environments. The body of a city spreads over nature and alters it by the force of imagined desire. The collective will of the city displaces the old urban centers to other regions, which become the center of desire. The unwanted old centers fall into ruins. Thus, the city is a collection of images of desires about the present and the past, in constant motion. - Penser le travail : pour une approche à la croisée entre sociologie et littérature - Giustina Orientale Caputo, Stefano Bory p. 115-126 L'article propose d'utiliser une posture épistémologique pour la connaissance du changement social – notamment en s'appuyant sur le travail comme exemple empirique concret – à la croisée entre sociologie et littérature. L'objectif est de dépasser une position théorétique qui attribue au discours scientifique une légitimité supérieure à celle de la fiction littéraire dans le regard posé sur les phénomènes sociaux. L'essai de faire une sociologie avec la littérature et non seulement une sociologie de la littérature peut réussir si l'on rompt avec une polarisation des deux restitutions du monde social. Les changements concernant le monde du travail font exemple de ces deux regards, qui n'arrêtent pas de se croiser et de dialoguer.The article proposes to use, through the empirical example of the labour market, an epistemological approach to knowledge of social change capable of crossing sociological discourse and literary narrative, rejecting the theoretical position according to which sociology is hierarchically superior to literary fiction. The attempt to make sociology through literature, and to break with a schematic outlook that oppositely polarizes the scientific and literary acknowledgement of the social world, can be said to be successful if we look at the historical changes in the labour market with these two different mind-sets – dialoguing between themselves, as much as possible.
- Le désir collectif d'être une ville - Eduardo Duarte p. 105-114
Activités sociologiques
- Brigitte Albero, Teresa Yurén & Jérôme Guérin (dir.), Modèles de formation et architecture dans l'enseignement supérieur : culture numérique et développement humain, traduit par Brigitte Albero ; en collaboration avec Frédérique Liziar-Samson, Éditions Raison et Passions, Dijon, 2018, 360 p. - Ali Aït Abdelmalek p. 127-130