Contenu du sommaire : Foucault à l'épreuve de la psychiatrie et de la psychanalyse

Revue Astérion Mir@bel
Numéro no 21, 2019
Titre du numéro Foucault à l'épreuve de la psychiatrie et de la psychanalyse
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Dossier

    • Introduction - Elisabetta Basso, Laurent Dartigues accès libre
    • De la philosophie à l'histoire, en passant par la psychologie : que nous apprennent les archives Foucault des années 1950 ? - Elisabetta Basso accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article s'appuie sur des manuscrits foucaldiens des années 1950 afin d'analyser le chantier théorique à partir duquel le jeune Foucault inaugure la réflexion qui l'amènera à une mise en question radicale des sciences humaines. En particulier, l'article suit la piste d'un ouvrage inédit que Foucault a consacré à l'analyse existentielle de Ludwig Binswanger à l'époque de son enseignement à Lille. Ce manuscrit représente le maillon manquant entre l'« Introduction » à Le rêve et l'existence (1954) et la thèse que Foucault publie en 1961, Folie et déraison. Tout en adjoignant à l'analyse du manuscrit la lecture de notes et fiches de lecture de la même époque, l'article montre que la critique que Foucault finit par adresser à l'anthropologie et la phénoménologie au début des années 1960 serait déjà présente de manière implicite dans l'« Introduction » à Le rêve et l'existence. Dans cette étude, en effet, Foucault aurait déjà abandonné son enthousiasme initial pour l'anthropologie phénoménologique de Binswanger pour focaliser plutôt son attention sur le problème du langage et de l'historicité des formes d'expériences.
      The paper focuses on some Foucault's manuscripts of the 1950s in order to analyze the theoretical work that will lead him to a radical questioning of the social sciences and humanities. In particular, the paper analyzes the manuscript of an unpublished work that the young Foucault devoted to Ludwig Binswanger's existential analysis at the time of his teaching in Lille. This manuscript appears as the missing link between Foucault's “Introduction” to Le rêve et l'existence (1954), and the dissertation that he publishes in 1961, Folie et déraison. While accompanying the analysis of this manuscript with the examination of some reading notes drafted by Foucault in the same period, the paper shows that the criticism he ends up addressing to anthropology and phenomenology at the beginning of the 1960s is already implicit in the “Introduction” to Le rêve et l'existence. In this study, indeed, Foucault seems to have already abandoned his initial enthusiasm for Binswanger's phenomenological anthropology and focuses instead on the problem of language and the historicity of the forms of experience.
    • Cogito et histoire du sujet : quelques remarques sur la biopolitique et la psychanalyse - Ugo Balzaretti accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La conférence que Georges Canguilhem donna au Collège philosophique de Jean Wahl en 1956, « Qu'est-ce que la psychologie ? », fut saluée par Jacques Lacan comme une défense de la psychanalyse contre les prétentions hégémoniques de la psychologie. La psychanalyse, dont la naissance est malgré tout comprise dans la généalogie esquissée par Canguilhem, est-elle toutefois vraiment à l'abri des critiques que celui-ci adresse à la psychologie ? Cette contribution analyse le rapport de la psychanalyse à l'instrumentalisme foncier de la psychologie sous trois aspects : la relation entre science et vérité, la réduction par Gassendi et la tradition aristotélique du niveau originaire et spéculatif du cogito cartésien à celui spéculaire de la connaissance physique de l'âme par soi-même, et le choix freudien et lacanien d'un être-pour-la-mort contre toute philosophie de la vie. À la lumière du scientisme de la psychanalyse et de son rapport constitutif au mythe et au sacré, que Lacan pas plus que Freud n'arrive à dépasser, un lien est enfin établi avec, d'une part, l'archéologie de la psychanalyse développée dans Naissance de la clinique et La volonté de savoir et, de l'autre, le privilège que Foucault accorde à la psychanalyse et à l'ethnologie parmi les sciences humaines dans Les mots et les choses.
      The presentation delivered by Georges Canguilhem in 1956 at the Philosophical College of Jean Wahl, “What is psychology?”, was praised by Jacques Lacan as a defense of psychoanalysis against the hegemonic claims of psychology. Is psychoanalysis, however, whose own birth is after all included in the genealogy sketched by Canguilhem, really safe from his criticism of psychology? The following contribution takes up the question of the constitutive instrumentalism of psychology mainly with view to three aspects: the relationship between science and truth, the reduction by Gassendi and the Aristotelian tradition of the primal and speculative level of the Cartesian cogito to the specular level of the physical knowledge of the soul by itself, and the Freudian and Lacanian choice of a being-for-death against any philosophy of life. In light of the scientism of psychoanalysis and its relation to myth and to the sacred, which Lacan no better manages to overcome than Freud, a link is finally established both to the archeology of psychoanalysis as developed in The Birth of the Clinic and later in The Will to Knowledge, and to the privilege among the human sciences that Foucault ascribed to psychoanalysis and ethnology in The Order of Things.
    • La question de psychanalyse chez Michel Foucault - Laurent Dartigues accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'article s'intéresse à la manière dont Michel Foucault fait usage de la psychanalyse, dont il est un grand lecteur dans les années 1950, essentiellement de Freud. Si elle est parfois enrôlée au sein d'une « fonction-Psy » et ne fait pas l'objet d'un cours spécifique au Collège de France comme la psychiatrie, elle apparaît toutefois comme un problème de longue date, une référence qui persiste tout au long de l'œuvre de Foucault, même si elle est abordée de façon tout à fait pointilliste. En ce sens, elle a un statut à part au sein de cette fonction, parfois contradictoire, assez souvent obscur, tantôt matrice de toutes les institutions disciplinaires, tantôt forme de dépsychiatrisation hors de l'asile. À côté d'un usage « instrumental » asservi à la problématique du savoir-pouvoir pointent des usages tout à fait singuliers. Foucault triture ainsi le concept d'inconscient au point de le rendre tout à fait hétérogène au savoir élaboré par Freud et révisé par Lacan.
      The article focuses on how Michel Foucault made use of psychoanalysis, of which he was a great reader in the 1950s, mainly Freud. If the psychoanalysis is sometimes enrolled in a “psy-function” and is not the subject of a specific course at the Collège de France like psychiatry, it nevertheless appears as a long-standing problem, a reference that persists throughout Foucault's work, even if it is approached in a very pointillist way. In this sense, it has a separate status within this function, sometimes contradictory, sometimes quite obscure, sometimes the matrix of all disciplinary institutions, sometimes the form of depsychiatrization outside asylum. Alongside an “instrumental” use that is bound to the problem of knowledge-power, there are some quite singular uses. Foucault thus manipulates the concept of the unconscious to the point of making it completely heterogeneous to the knowledge developed by Freud and revised by Lacan.
    • La psychanalyse et la société de normalisation : Lacan versus Foucault - Aurélie Pfauwadel accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Foucault a noué ensemble, dans les années 1970, sa généalogie de la société de normalisation et ses généalogies, multiples, de la psychanalyse. Mais reste souvent méconnu le fait que Lacan lui-même a mis en rapport l'émergence de la psychanalyse avec l'extension croissante de la société de normalisation, comme une réaction à celle-ci, un peu avant la parution de La volonté de savoir (1976). La position de Lacan s'avère diamétralement opposée à celle de Foucault en ce qu'il considère la psychanalyse comme une pratique radicalement hors normes, et non comme un agent de normalisation. La question cruciale dont traite cet article est celle de la pertinence des généalogies foucaldiennes d'une part, et celle qui consiste à lui opposer une histoire de la psychanalyse crédible qui rendrait compte de sa spécificité et de son pouvoir de subversion d'autre part. Les outils d'une histoire de la psychanalyse fournis par Lacan présentent à divers titres un intérêt à ce sujet. Lacan élabore cette histoire depuis le champ de la psychanalyse et conformément à l'épistémologie psychanalytique, et au contraire de Foucault, il cherche à maintenir l'exigence de penser la psychanalyse dans sa spécificité relativement aux autres savoirs et pratiques.
      In the 1970s, Foucault tied his genealogy of the society of normalization to his multiple genealogies of psychoanalysis. What is often misconstrued, however, is that Lacan himself related the emergence of psychoanalysis to the growing extension of the society of normalization, as a reaction to it, shortly before the publication of The Will to Knowledge (1976). Lacan's position proves to be diametrically opposed to Foucault's in that he considers psychoanalysis as a practice that lies radically beyond norms, and not as an agent of normalization. The crucial question treated by this article is, on the one hand, that of the pertinence of Foucault's genealogies, and, on the other, that of pitting against this a credible history of psychoanalysis that would account for its specificity and its power of subversion. The tools of a history of psychoanalysis, furnished by Lacan, are of interest to this topic in many respects. He develops this history from within the field of psychoanalysis and in conformity with psychoanalytic epistemology, and, contrary to Foucault, he strives to maintain the necessity of thinking of psychoanalysis as a specific field in relation to other fields of knowledge and practices.
    • Le sujet lacanien, un « Je » sans identité - Clotilde Leguil accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article revient sur la notion de « sujet » chez Lacan en la distinguant de toute référence à l'identité. Il reprend la question « Qui parle ? » posée par Michel Foucault en 1969 et y répond avec Lacan. En psychanalyse, il ne s'agit pas de négation du sujet, mais de dépendance du sujet par rapport au signifiant. Lacan a remis en question les « privilèges du moi », mais a sauvé la dimension du sujet en concevant un sujet de l'inconscient. L'identité en psychanalyse n'est pas une identité déterminée par des normes sociales. C'est une identité au niveau du dire du sujet et de sa souffrance. Cet article montre finalement que le sujet lacanien est à la fois un sujet marqué par le signifiant et un sujet articulé à la pulsion. L'expérience de la psychanalyse conduit à une remise en question des identifications, permettant d'appréhender la marque traumatique au niveau du réel.
      The article deals with Lacan's notion of “subject” by distinguishing it from any reference to identity. It takes up the question “Who speaks?” posed by Michel Foucault in 1969 and finds an answer with Lacan. In psychoanalysis, it is not a matter of negation of the subject but rather of the subject's dependence on the signifier. Lacan questioned the “privileges of the self”, but saved the dimension of the subject by conceiving a subject of the unconscious. Identity in psychoanalysis is not determined by social norms. It is an identity at the level of the speaking and suffering subject. Finally, the article shows that the Lacanian subject is both a subject marked by the signifier and one articulated to the drive. The experience of psychoanalysis leads us to question identifications, thereby making it possible to comprehend the traumatic mark at the level of the Real.
    • Un manuscrit de Michel Foucault sur la psychanalyse - Michel Foucault, Elisabetta Basso accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans ce manuscrit du début des années 1950, Foucault met en relief la perspective freudienne qui substitue à l'approche biologique de la maladie fondée sur l'évolutionnisme une démarche basée sur la compréhension de sa signification psychologique. Cependant, puisque le point de vue évolutif n'est jamais abandonné par Freud, se pose la question de savoir comment, dans la définition psychanalytique de la maladie et de ses rapports à la personnalité, se distribuent les éléments d'une analyse évolutive et ceux d'une compréhension significative : quel équilibre peut être instauré entre eux, et quelle image de l'homme malade en résulte ? En outre, si la maladie a un sens, et si elle se définit par un ensemble de réactions significatives et cohérentes, en quoi est-elle maladie ?
      In this manuscript of the early 1950s, Foucault outlines the path of Freud's psychoanalysis from a biological approach based on the evolutionary perspective to disease, towards the understanding of its psychological significance. However, since the evolutionary point of view is never abandoned by Freud, the question that arises is how, in the psychoanalytic definition of the disease and its relation to personality, the evolutionary analysis is combined with the perspective of a meaningful understanding: what equilibrium can be established between them, and what image of the sick man does result? Moreover, if the disease has a sense, and if it is defined by a set of significant and consistent reactions, how can it still be defined as a disease?
  • Varia

    • La connaissance vitale de la vie : une parallaxe entre Canguilhem et Plessner - Thomas Ebke accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article se donne pour but d'inaugurer un dialogue philosophique entre deux penseurs qui, jusqu'à aujourd'hui, n'avaient jamais été rapprochés l'un de l'autre. Il vise à comparer l'anthropologie philosophique de Helmuth Plessner (1892-1985) et l'épistémologie historique de Georges Canguilhem (1904-1995) en croisant leurs perspectives selon une progression en trois actes : à partir du concept de la vie, à travers l'idée d'une connaissance de la vie, puis par la figure d'une connaissance vitale de la vie. Cette clé de lecture sert à rendre intelligible un vrai parallélisme entre deux projets philosophiques qui, du point de vue de leurs généalogies respectives, n'entretiennent aucun rapport entre eux. Or, ce qui émerge par le biais de cet article, c'est la fécondité des réflexions de Canguilhem et Plessner en matière d'une critique des sciences de la vie contemporaines, et aussi la façon dont ces deux approches se complètent et se renforcent l'une l'autre.
      This contribution aims at the inauguration of a philosophical dialogue between two authors who, until today, have never been linked with one another. The text focuses on a comparison between the philosophical anthropology of Helmuth Plessner (1892-1985) and the historical epistemology of Georges Canguilhem (1904-1995) by intertwining their perspectives in a sequence of three acts: starting with the concept of life, then moving along to the notion of a specific knowledge of life, and finally culminating in the figure of a vital knowledge of life. This guideline is meant to elucidate the genuine parallelism between these two philosophical discourses which, on the level of a sheer genealogical history of ideas, do not seem to be interrelated in any way. Yet, what this essay helps to unveil is the productivity of Canguilhem's and Plessner's reflections with a view to a critique of the contemporary life sciences, and also the manner in which their approaches complement and reinforce one another.