Contenu du sommaire : Les sciences humaines et sociales au travail (ii): Que faire des données de la recherche ?
Revue | Tracés |
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Numéro | Hors-série no 19, 2019 |
Titre du numéro | Les sciences humaines et sociales au travail (ii): Que faire des données de la recherche ? |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Sciences en danger, revues en lutte - , Collectif des revues en lutte, Camille Noûs p. 5-13
- Ouvrir les données de la recherche ? - Juliette Galonnier, Stefan Le Courant, Anthony Pecqueux, Camille Noûs p. 17-33
Articles
- Ouverture des données de la recherche : les mutations juridiques récentes - Anne-Laure Stérin, Camille Noûs p. 37-50 Il est devenu « obligatoire » d'ouvrir les données de la recherche, ou plus précisément, certaines données de la recherche. Cette démarche d'ouverture suppose de mener, en amont du projet de recherche, une analyse fine et rigoureuse des données à collecter, avant de déterminer celles qui seront à ouvrir, et les modalités de leur ouverture (« aussi ouvertes que possible, aussi fermées que nécessaire »). Cette entreprise nécessite de faire collaborer des compétences diverses et d'y consacrer des moyens.Opening research data is now “mandatory”, when data are not protected by copyright, personal data regulations or trade secrets. This requires a careful analysis of data prior to its collection, in order to ensure it is “as open as possible, as closed as necessary”. This also entails gathering diversely skilled people to work together and allocating a sufficient budget.
- Données de la recherche hier et aujourd'hui : pour une histoire politique du travail en sciences humaines et sociales - Christelle Rabier, Camille Noûs p. 51-66 Préparer un plan de gestion de données (DMP) est une requête émanant de plusieurs organismes de financement de la recherche européens : cette injonction invite à reconsidérer l'histoire des relations entre chercheurs, chercheuses et leurs « données », définies comme des archives du travail ordinaire de recherche. L'article analyse les modalités de la conservation des matériaux de la recherche dans le temps. Il s'interroge sur le cadre administratif de conservation et à son évolution avec l'irruption du support numérique. En s'interrogeant sur leur élaboration – pratiques d'autoarchivage, versement ou legs d'archives – l'article soutient que les données représentent tout à la fois la trace, la source et le cadre du travail des sciences humaines et sociales. Leur transmission volontaire pose la question de la communauté d'expérience et de savoir qu'elles tissent. Le modèle du DMP, sans trancher radicalement avec l'histoire des données, y introduit des inflexions nouvelles, professionnelles, économiques et in fine politiques.Research funding institutions in Europe have recently requested a “Data Management Plan” (DMP) from their candidates. In light of this new requirement, the article discusses the history of researchers and their “data”, e.g. the archive of ordinary research work. It analyses the practices of curating research material over time and the evolution of the administrative framework of conservation in the light of digitisation. Considering forms and practices of self-archive, archive donation or bequest, it argues that archives constitute at once the traces, source and background of research practices. While it belongs to this larger history of research archiving, the DMP model introduces changes that are both occupational, economic and political. Accordingly, it may impact the logics at stake in the voluntary making of archival collections in humanities and social sciences.
- Fabriquer un corpus de données en analyse de conversation. Fondements théoriques, enjeux réflexifs et pratiques collectives - Alexandra Ortiz Caria, Camille Noûs p. 67-88 L'analyse de conversation d'inspiration ethnométhodologique (AC/EM) étudie l'ordre social, local et endogène, tel qu'il s'accomplit dans l'interaction. Pour cela, le ou la conversationnaliste décrit du point de vue des acteurs la coordination de leurs interactions et analyse la manière dont ils se rendent mutuellement intelligible le sens de leurs actions. Dévoilant le type de rapports sociaux qu'ils entretiennent, ces (inter)actions, enregistrées en contexte naturel puis transcrites, s'intègrent alors dans un processus réflexif, récursif et collectif de « fabrication » qui incite les chercheurs à interroger leurs choix techniques, pratiques, méthodologiques, théoriques jusqu'à la publication de leurs résultats. Une fois présentée l'AC/EM, on problématisera des étapes de la méthode conversationnelle révélant une forte imbrication entre fabrication d'un corpus de données et objectivation scientifique. Cela conduira en conclusion à envisager les limites de ces deux processus face à la politique actuelle de la recherche.Ethnomethodology and Conversation Analysis (EM/CA) investigate social order as it is achieved through interactions in a local and endogenous way. To achieve this goal, conversationalists describe the coordination of interactions from the actors' point of view, and analyze how individuals make the meaning of their actions intelligible to each other. These (inter)actions, which shed light on actors' social relations, are recorded in a natural context and then transcribed through a recursive, reflexive and collective process of “making” that encourages researchers to question their own technical, practical, methodological, and theoretical choices until the publication of their results. After a brief presentation of EM/CA, I problematize some steps of the conversational method that display a strong imbrication between data production and scientific objectivation. I then conclude on the limits of these two processes in light of the current research policy.
- Apories de la mise en banque : retour d'expérience sur la réutilisation d'enquêtes qualitatives - Sophie Duchesne, Camille Noûs p. 89-100 La mise à disposition et l'archivage des données qualitatives font aujourd'hui l'objet d'incitations fortes, quand elles ne sont pas rendues obligatoires par les agences de financement et les éditeurs de revues scientifiques. Mais les conditions de cette mise à disposition exercent une influence importante sur la possibilité de réutiliser ces enquêtes. La mise en banque des données dans des archives centralisées, avec tout ce que cela suppose comme normalisation des matériaux, les dénature et rend impossible l'engagement profond avec le travail de production original de l'enquête qui fait tout l'intérêt de la réanalyse. Il faut réfléchir collectivement à d'autres formes d'archivage, plus respectueuses du travail de recherche.Funding agencies and journal editors strongly incite researchers to share and archive their data, when they don't compel them to do so. However, the ways we archive data have a strong influence on their potential for reuse. The activity of banking data in centralised archives, with all the normalisation processes it involves, spoils them and renders impossible the profound engagement with the original research required by a fruitful reanalysis. We need to think collectively and design other archiving structures, more respectful of the research process.
- Données à penser. Enjeux pratiques et éthiques autour des données dans le montage de projets de recherche européens - Delphine Cavallo, Camille Noûs p. 101-113 Cet article prend la forme d'un retour d'expérience sur le montage de projets de recherche européens, en déroulant les enchaînements entre objectifs, contraintes et prises de décisions autour de deux cas concrets. Il montre comment les acteurs de ces projets – porteurs et porteuses scientifiques comme ingénieur-e-s – tentent de penser une réponse à la fois scientifique, documentaire, technologique et éthique aux exigences de la Commission européenne en matière de gestion des données de la recherche, à un moment où ces exigences ne correspondent ni à des métiers et pratiques intégrés dans les structures de recherche, ni à des routines ou des besoins identifiés parmi les équipes de recherche. Il plaide pour la prise en compte conjointe entre chercheurs et chercheuses et ingénieur-e-s des enjeux éthiques liés à la gestion des données dès le montage des projets.This article takes the form of a feedback on the setting up of European research projects, unfolding the sequences between objectives, constraints and decision-making for two concrete cases. It shows how the actors of these projects – scholars and engineers – try to elaborate a scientific, documentary, technological and ethical answer to the requirements of the European Commission in terms of research data management, at a time when these requirements do not correspond to professions and practices integrated into the research structures, nor to routines or needs identified among the research teams. It advocates the joint consideration between researchers and engineers of the ethical issues related to data management as soon as projects are set up.
- Vers une neutralisation juridique et bureaucratique des recherches sur des sujets sensibles ? - Marwan Mohammed, Camille Noûs p. 115-128 Ce texte aborde l'enjeu des libertés académiques en posant la question du statut des sources et des données des chercheurs en sciences humaines et sociales (SHS). Je m'intéresse à la fois à leurs conditions administratives de production ainsi qu'à leur statut juridique, notamment au regard de contextes où des opérateurs publics ou privés souhaiteraient les obtenir ou les neutraliser contre l'avis des enquêtés et des chercheurs.This text addresses the issue of academic freedom by focusing on the status of researchers' sources and data in the social sciences. I am interested both in their administrative conditions of production and their legal status, particularly in contexts where public or private operators would like to obtain them or neutralise them against the advice of respondents and researchers.
- Les chercheurs face à la surveillance d'État : état des lieux et contre-mesures - Félix Tréguer, Camille Noûs p. 129-144 Depuis les révélations de 2013 du lanceur d'alerte Edward Snowden sur les pratiques de surveillance des agences de renseignement occidentales, l'exposition du champ de la recherche en sciences sociales à la surveillance d'État – celle mise en œuvre par les appareils judiciaires et policiers, et plus largement justifiée par des impératifs de sécurité publique – a fait l'objet d'une attention croissante au niveau international. Deux tendances lourdes contribuent en effet à aggraver cette exposition : d'une part, la flambée antiterroriste et la criminalisation des mouvements sociaux qui, associés à l'évolution technologique, conduisent à démultiplier les capacités de surveillance des services de sécurité ; d'autre part, l'inanité des politiques numériques des établissements d'enseignement supérieur et de recherche, laquelle contribue à renforcer la dépendance des chercheurs vis-à-vis d'oligopoles numériques toujours plus intégrés aux systèmes de surveillance étatique. Cet article dresse un état des lieux critique de la situation, avant de prodiguer quelques conseils quant aux contre-mesures permettant de réduire les risques que les données de la recherche ne soient exposées à la surveillance d'État.Since the 2013 disclosures of whistleblower Edward Snowden on the surveillance practices of Western intelligence agencies, the exposure of the field of social science to state surveillance – implemented by judiciary and police authorities, and more broadly justified by public safety imperatives – has received growing attention at the international level. Two major trends contribute to worsening such exposure: on the one hand, the anti-terrorist tide and the criminalization of social movements which, combined with technological change, lead to a multiplication of the surveillance capacities of security services; on the other hand, the inanity of the digital policies of higher education and research institutions, which contributes to reinforcing researchers' dependence on digital oligopolies that are increasingly integrated into the State surveillance apparatus. This article provides a critical overview of the situation before dispensing some guidance on countermeasures aimed at reducing the risk that research data will be exposed to state surveillance.
- Le son donné. Une fabrique archivistique - Séverine Janssen, Camille Noûs p. 145-159 Cet article aborde les spécificités et usages de données sonores produites dans le cadre particulier d'une expérimentation menée à Bruxelles depuis une vingtaine d'années par l'organisation BNA-BBOT. Sur la base d'une pratique transversale mêlant méthodologies et champs d'application divers (art, sciences humaines, éducation), l'auteure expose les modalités et processus singuliers de fabrication, de conservation et d'exploitation de ces données sonores. Ces processus sont ici mis en dialogue avec les enjeux de narrativité, d'historisation et d'appropriation qui leur sont intrinsèquement liés. Entre microrécits et narrations collectives, collection vocale et paysages sonores, une base de données restitue l'épaisseur de ce qui est donné par le son.This article deals with the specificities and uses of sound data produced in the particular context of an experiment led in Brussels over the last twenty years by the BNA-BBOT organization. Relying on a transversal practice mixing methodologies and fields of application (art, human sciences, education), the author exposes the singular modalities and processes of production, conservation and exploitation of these data. These processes are intrinsically linked to issues of narrativity, historization and appropriation. Between micro-stories and collective storytelling, vocal collection and soundscapes, a database renders the thickness of what is given through sound.
- Ouverture des données de la recherche : les mutations juridiques récentes - Anne-Laure Stérin, Camille Noûs p. 37-50
Entretien
- Le travail des données. Entretien autour du service des enquêtes de l'INED - Cris Beauchemin, Gwennaëlle Brilhault, Amandine Morisset, Patrick Simon, Juliette Galonnier, Stefan Le Courant, Camille Noûs p. 163-181 L'Institut national d'études démographiques (INED) se distingue dans le paysage de la recherche français par l'attention qu'il porte à la mise à disposition des données issues des enquêtes de ses chercheurs, avec un service dédié depuis les années 1980. Dans cet entretien accordé à la revue Tracés, Gwennaëlle Brilhault, cheffe du service des enquêtes à l'INED, Amandine Morisset, chargée de la documentation des enquêtes, Cris Beauchemin et Patrick Simon, chercheurs à l'INED, mettent en lumière l'ampleur de ce travail de mise à disposition des données et la complexité des questions qu'il pose. Au cours de la discussion, elles et ils abordent tour à tour les défis concrets, en termes de coût et de temps, que pose ce travail ; son manque de reconnaissance ; les enjeux d'utilisation et de propriété intellectuelle qu'il soulève ainsi que le flou qui entoure la question des données dites sensibles. En détaillant la multiplicité des opérations de documentation et de présentation des données, cet entretien révèle que les « données » ne se suffisent pas à elles-mêmes et doivent être accompagnées d'un appareillage conséquent pour pouvoir être mises à disposition.The National Institute of Demographic Studies (INED) stands out in the French academic landscape because of the attention it pays to making its research data accessible to the wider scientific community. Since the 1980s, the “surveys unit” assists researchers in archiving their surveys. In this interview for the Tracés journal, Gwennaëlle Brilhault, head of the surveys unit, Amandine Morisset, in charge of documenting surveys, Cris Beauchemin and Patrick Simon, INED researchers, highlight the tedious work that giving access to research data implies and the complexity of the questions it raises. Throughout the discussion, they explore the concrete challenges it brings up, both cost-wise and time-wise; the lack of recognition it often entails; the issues of intellectual property it creates and the fuzziness that surrounds the notion of “sensitive data”. By enumerating the various operations necessary to opening up and documenting survey data, the interview demonstrates that “data” can by no means be “raw” and must be equipped with a wealth of information to be reusable.
- Archiver, documenter, enquêter sur l'enquête qualitative. Le travail de l'ombre de beQuali - Sarah Cadorel, Guillaume Garcia, Émilie Groshens, Émeline Juillard, Jérémie Vandenbunder, Stefan Le Courant, Anthony Pecqueux, Camille Noûs p. 183-198 Dans cet entretien, cinq membres de beQuali aux profils variés décrivent en quoi consiste cette « banque d'enquêtes qualitatives en sciences humaines et sociales ». Ils et elles montrent la richesse de ce projet qui demande d'archiver, de documenter et d'enquêter sur les enquêtes qualitatives afin de les rendre disponibles pour toutes les personnes qui souhaitent les consulter dans le cadre d'un projet d'enseignement ou de recherche.In this interview, five beQuali members with diverse profiles describe what this “bank of qualitative surveys in the humanities and social sciences” consists of. They show the richness of this project, which requires archiving, documenting and investigating qualitative surveys in order to make them available to all those who wish to consult them as part of a teaching or research project.
- Le travail des données. Entretien autour du service des enquêtes de l'INED - Cris Beauchemin, Gwennaëlle Brilhault, Amandine Morisset, Patrick Simon, Juliette Galonnier, Stefan Le Courant, Camille Noûs p. 163-181