Contenu du sommaire : Rapports à l'école, rapports à l'État

Revue Politix Mir@bel
Numéro vol. 33, no 130, 2020
Titre du numéro Rapports à l'école, rapports à l'État
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Éditorial - p. 3-5 accès libre
  • Dossier : Rapports à l'école, rapports à l'État

    • Les rapports à l'école comme rapports à l'État - Lorenzo Barrault-Stella, Philippe Bongrand, Cédric Hugrée, Yasmine Siblot p. 7-22 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En France, plusieurs traditions de recherche ont étudié le système scolaire, son essor, et plus particulièrement les inégalités sociales de scolarisation et leurs conséquences en matière de différenciation sociale et symbolique des groupes sociaux. Mais ces études se préoccupent rarement d'examiner comment les rapports à l'école participent de rapports plus larges aux institutions publiques. Ces interrogations n'ont pas non plus été au cœur des recherches sur l'État : les analyses des politiques scolaires ne mettent pas à l'épreuve l'hypothèse de la dimension étatique des rapports à l'école des parents et élèves. Enfin, les recherches consacrées aux rapports « ordinaires » aux institutions, si elles accordent une place déterminante aux ressources scolaires et culturelles, interrogent rarement la portée des pratiques et des représentations liées à la scolarisation sur les rapports à d'autres institutions. Ce dossier entend contribuer à ces questionnements en proposant d'étudier l'école sans oublier l'État et, réciproquement, d'interroger la portée de l'école lorsqu'on enquête sur l'État. L'enjeu plus général de ce dossier est ainsi de placer la socialisation à l'État et les usages sociaux des institutions publiques au cœur de l'analyse des rapports à l'école, pour saisir de quelle manière sont déterminés, construits et façonnés les rapports à l'ordre étatique, aux diverses institutions administratives et politiques qui composent l'État.
      In France, several research traditions have studied the school system, its development, and more particularly the social inequalities of schooling and their consequences in terms of the social and symbolic differentiation of social groups. However, these studies have rarely been concerned with examining how relationships to school contribute to wider relationships to public institutions. Nor have these questions been examined by research on the state: analyses of school policies do not test the hypothesis of the state dimension of parents' and pupils' relationships to school, and research devoted to “ordinary” relationships to institutions, while giving a decisive place to cultural resources, rarely examines the impact of practices and representations linked to schooling on relationships to other institutions. This special report aims to contribute to these questions by proposing to study school while bearing in mind the state and, conversely, to examine the scope of schooling when investigating the state. The more general aim of this special report is thus to place the issue of socialization to the state and the social uses of public institutions at the heart of the analysis of relationships to school, in order to understand how relationships to the state order and the various administrative and political institutions that make up the state are determined, constructed, and shaped.
    • Un monde privé sous contrainte : Les familles d'élèves en ruptures scolaires face aux institutions - Mathias Millet, Daniel Thin p. 23-45 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article interroge, à partir du cas de familles populaires ayant un enfant en rupture scolaire et pris en charge par un dispositif relais, la manière dont l'école intervient dans la structuration des rapports aux institutions auxquelles elles ont affaire. Il interroge les répercussions que les épreuves durables de la scolarité et les actions de prise en charge qui en découlent peuvent avoir sur les dimensions « privées » de ces vies familiales (et les pratiques éducatives qui relèvent en temps ordinaire des prérogatives parentales) en étant ainsi travaillées par les dimensions « publiques » de l'intervention institutionnelle (susceptible de s'arroger un droit de regard sur les pratiques socialisatrices par exemple). Il questionne ainsi les transformations que ces prises en charge peuvent générer dans les pratiques et représentations familiales de l'école, ainsi que la façon dont la multiplication des interventions institutionnelles qui accompagnent souvent les prises en charge des ruptures scolaires peut conduire les familles à jouer des différentes logiques institutionnelles à l'œuvre et à y puiser des ressources dans la contrainte.
      Based on the case of working-class families with a child who has dropped out of school and is being supported by specific measures, this article examines how school shapes these families' relationships to the institutions they have to deal with. It explores the impact these situations can have on the “private” dimensions of their family lives and the educational practices of the parents, as well as their representations. It also examines the way in which the proliferation of institutional interventions that often accompany the support of school dropouts can lead families to play on the different institutional logics at work and to draw resources from them.
    • En bas à gauche ? : Les effets différenciés de la socialisation institutionnelle d'agentes subalternes du public - Yasmine Siblot p. 47-75 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article se centre sur les groupes situés « en bas, à gauche » de l'espace social et vise à caractériser les composantes scolaires, institutionnelles et professionnelles de leur capital culturel. Fondé sur une enquête ethnographique menée en banlieue parisienne, il propose une analyse centrée sur un groupe professionnel : les agentes des écoles (« agentes d'entretien et de restauration » et « agentes territoriales spécialisées des écoles maternelles »). La démarche adoptée consiste à mener l'analyse de leurs rapports à « l'école » et à « l'État » (c'est-à-dire aux institutions publiques) en observant leurs pratiques et discours à partir de l'espace de travail que constituent pour elles les écoles. La socialisation statutaire et professionnelle de ces agentes comporte une dimension culturelle et symbolique qui les situe bien « en bas, à gauche » de l'espace social, y compris pour les moins scolarisées (comme le montre sur ce terrain le cas d'agentes portugaises). Néanmoins, le capital culturel de ces fractions des classes populaires ne se confond pas avec des ressources scolaires, il recouvre également des ressources institutionnelles et professionnelles. Enfin, du fait de la diversité des trajectoires qui conduisent à ces emplois peu qualifiés du public et de l'importance de la précarité en leur sein, elle s'accompagne d'une hétérogénéité de positionnements moraux et politiques.
      This article focuses on the groups located “at the bottom left” of the social space and aims to characterize the educational, institutional, and professional components of their cultural capital. Based on an ethnographic survey conducted in a Parisian suburb, it proposes an analysis centered on a professional group: female school workers (“maintenance and catering workers” and “specialized local authority nursery school workers”). The approach adopted is based on an analysis of their relationships to “the school” and “the state” (i.e., to public institutions) by observing their practices and discourses in the workspace—in their case, schools. The statutory and professional socialization of these workers has a cultural and symbolic dimension that places them “at the bottom left” of the social space, even for those with the lowest educational capital (as shown in the case of Portuguese workers in this study). Nevertheless, the cultural capital of these groups of the working classes is not limited to educational resources, but also includes institutional and professional resources. Finally, because of the diversity of the trajectories leading to these low-skilled public sector jobs and the level of precariousness within them, it is accompanied by a heterogeneity of moral and political positions.
    • Investir les institutions depuis les marges de l'emploi : Les rapports à l'État social et à l'école de femmes des classes populaires urbaines - Angel Baraud p. 77-102 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À partir d'une enquête ethnographique auprès de femmes de classes populaires urbaines, sans emploi, portant notamment sur leurs rapports au travail et aux institutions publiques, cet article propose d'analyser les rapports à l'école d'un groupe de femmes qui scolarisent leurs enfants dans un établissement privé. Pour pallier le coût financier de la cantine, elles préparent le déjeuner de leurs enfants et se mobilisent pour avoir accès à un local municipal. En partant d'une question apparemment banale : « où faire manger ses enfants ? », l'article montre le caractère impossible, dans ce contexte, de la « conciliation entre vie familiale et vie professionnelle » à laquelle invitent les politiques publiques de l'emploi, du fait notamment des contraintes parentales engendrées par la scolarisation. Mais il montre également des femmes qui ne sont pas démunies dans leurs relations aux professionnelles et qui investissent individuellement et collectivement des structures publiques ou parapubliques pour contourner les défaillances des institutions de l'État social et des services publics, au premier rang desquelles se trouve l'école. L'école est une institution qui tient une place centrale dans la vie de ces femmes. Elle rythme leurs journées, leurs semaines et implique une importante charge de travail. De ce point de vue, elle n'est comparable à aucune des autres institutions auxquelles elles ont affaire. Toutefois, les pratiques et les représentations qu'elles engagent autour de la scolarisation de leurs enfants ainsi que les ressources qu'elles mobilisent face aux obstacles rencontrés invitent à penser l'école comme une institution comme les autres. Le sentiment de mise à distance en particulier ainsi que les différents modes d'investissement d'institutions intermédiaires qui en découlent ne sont pas spécifiques à l'école, c'est ce que montre l'étude de leurs relations à Pôle emploi.
      Based on an ethnographic survey on unemployed urban working-class women and their relationships to work and public institutions, this article examines the relationships to school of a group of women who send their children to a private institution. To save money on school canteen lunches, they prepare lunch for their children, and they collectively mobilize to gain access to a municipal facility. Starting from a seemingly banal question—“Where do you get your children to eat?”—, the article shows how impossible it is, in this context, to achieve the “work–family balance” that public employment policies call for. It also shows that these women individually and collectively use public and para-public structures in order to get around the shortcomings of the institutions of the welfare state and of public services. The school is one of these institutions. The school plays a central role in the lives of these women. It sets the rhythm of their days and weeks and involves a heavy workload. From this point of view, it is not comparable to any of the other institutions they deal with. However, the practices and representations that they deploy in the schooling of their children and the resources that they mobilize when dealing with the obstacles they encounter invite them to think of the school as an institution like any other. The feeling of being kept at a distance, and the different modes of engagement with intermediary institutions that result from this, are not specific to schools.
    • Maîtriser l'école, instrumentaliser l'État ? : Les rapports à l'école et aux institutions publiques dans les classes supérieures - Lorenzo Barrault-Stella, Cédric Hugrée p. 103-135 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En prenant pour point de départ l'étude des relations à l'école, cet article aborde les rapports aux institutions administratives et politiques des groupes situés en haut de l'espace social en France. L'observation de la diversité des usages, à la fois symboliques et pratiques, des institutions étatiques dans les classes supérieures permet de restituer la consistance de leurs rapports à l'État. Par une mise en relation de matériaux statistiques représentatifs et d'une analyse qualitative permettant d'éclairer les processus en jeu, l'analyse montre d'abord l'emprise forte de l'institution scolaire sur l'ensemble des groupes sociaux. Mais elle éclaire aussi relationnellement la singularité des appréhensions de l'école dans les classes supérieures, faite de maîtrise, d'anticipations et de facilités d'arrangements aussi bien en situation routinière qu'en période d'incertitude. Au-delà de l'école, en suivant des enquêtés variés des classes supérieures sur les différentes scènes (scolaires, professionnelles, familiales, résidentielles, politiques) où ils sont susceptibles de faire l'expérience de l'État, cet article ouvre le chantier d'une analyse sociologique de l'économie des rapports à l'ordre institutionnel. Si le pôle économique et privé des classes supérieures semble caractérisé par des formes d'homogénéité relative évoquant un rapport défiant et instrumental à l'école comme aux autres institutions étatiques, une telle combinaison n'est pas généralisable à l'ensemble des régions supérieures de l'espace social : dans bien des cas, les dispositions à l'égard des institutions administratives et politiques composant l'État se révèlent plurielles et seulement partiellement transférables.
      Taking their relationships to school as a starting point, this article studies the French upper classes' relationships to administrative and political institutions. The observation of their symbolic and practical uses of state institutions makes it possible to analyze their relationships to the state. By bringing together representative statistical material and a qualitative analysis, our study first shows the strong hold of the educational institution on all social groups. But it also sheds light on the singularity of conceptions of school among the upper classes, formed of a mixture of mastery, anticipations, and ease of arrangements, both in routine situations and in periods of uncertainty. Beyond school, by following various respondents from the upper classes in different social scenes (school, professional, family, residential, political) where they are likely to experience the state, this article paves the way for a sociological analysis of relationships to the institutional order. The economic and private sector part of the upper classes seems to be characterized by forms of relative homogeneity, evoking a mistrustful and instrumental relationship to school as to other state institutions. But such a combination cannot be generalized to the upper classes in their entirety: dispositions toward the administrative and political institutions that make up the state prove to be plural and only partially transferable.
  • Varia

    • Créer des experts à son image. La Commission européenne et les politiques de l'enseignement supérieur - Dorota Dakowska p. 137-164 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article analyse les stratégies d'expansion de la Commission européenne à travers la relation entretenue avec les organisations qui représentent différents segments de l'espace académique européen (universités, étudiants, agences d'assurance qualité) dans le processus de Bologne. Il se penche sur les conditions dans lesquelles ces organisations ont été créées et adoubées et la manière dont la Commission favorise, à travers ses financements, l'émergence d'une expertise européenne sur l'enseignement supérieur. Au-delà de l'idée reçue sur la coopération, voire la convergence des politiques de l'enseignement supérieur, l'enquête met au jour les rapports de force et les luttes inhérentes à ce champ transnational, mais aussi la manière dont les critiques – récurrentes – sont euphémisées et contournées. L'attention portée aux trajectoires des membres de ces groupes, à leurs pratiques et aux aspects matériels de leur travail permet de préciser leur contribution à l'action publique européenne.
      This article analyzes the expansion strategies of the European Commission in the higher education (HE) field, focusing on its relationship with the organizations representing different segments of European academia (universities, students, quality assurance agencies) within the Bologna Process. It investigates the conditions under which these organizations were created and championed and shows how the Commission promotes the emergence of a Europeanized expertise on HE through the funding it offers. Beyond common sense ideas on cooperation and convergence in HE, I analyze the power relations in this transnational field and the way in which recurrent criticisms are played down and dodged. By highlighting the trajectories and practices of the members of these groups, this article sheds new light on their contribution to HE policy-making in Europe.
    • De la panique morale à la production expertale : Les usages de la catégorie racialisée de gang de rue dans les mutations des politiques de traitement pénal de la jeunesse à Montréal - Nicolas Sallée, Benoit Décary-Secours p. 165-190 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La catégorie de gang de rue construit depuis les trente dernières années au Québec l'image d'une jeunesse présentée comme nouvelle classe dangereuse, issue des classes populaires et des minorités racisées. Émergeant d'abord au sein du champ médiatique à la fin des années 1980, la catégorie a été l'objet d'une importante production criminologique dans la seconde moitié des années 1990, légitimant une réorientation des politiques publiques montréalaises du traitement pénal de la jeunesse. Inspirés par une perspective généalogique, nous décrirons d'abord l'émergence d'une préoccupation médiatique pour les gangs de rue, révélant la manière dont, sur fond de racisme anti-Noir, un consensus a progressivement émergé autour de la nécessité d'agir sur un phénomène dont l'existence même était pourtant initialement contestée. Nous reviendrons ensuite sur l'investissement expertal de la catégorie, mettant en évidence la manière dont son efficacité symbolique a stimulé la production d'un ensemble de travaux criminologiques qui ont contribué à en étendre l'usage sans pour autant lever son flou constitutif. Nous montrerons enfin comment, légitimant la diffusion d'une logique mondialisée de gestion des risques, la catégorie s'est imposée jusqu'au cœur des jeux relationnels qui structurent les pratiques quotidiennes de suivi des jeunes délinquants montréalais.
      For the last thirty years in Quebec, the category of the “street gang” has produced the image of a new dangerous class composed of working-class young people and racialized minorities. Emerging first through the media in the late 1980s, this category was the subject of a significant body of criminological work in the second half of the 1990s, leading to the legitimization of the reorientation of Montreal's public policies on the penal treatment of young people. Guided by a genealogical perspective, we will first describe the emergence of a media concern for street gangs. In the form of a moral panic, and against a backdrop of anti-Black racism, this concern reveals the way in which a consensus gradually emerged around the need to act upon a phenomenon whose very existence was initially disputed. We will then analyze the way in which this moral panic led to the emergence of an expert knowledge around the category of the “street gang.” In doing so, we highlight the way in which the symbolic effectiveness of the category stimulated the production of a body of criminological work that helped to extend its institutional use without, however, clarifying its constitutive vagueness. Finally, in the context of a globalized risk management logic, we show how the category has imposed itself on the daily practices of monitoring young offenders in Montreal.
  • Notes de lecture