Contenu du sommaire : Pratiques écoféministes
Revue | Travail, genres et société |
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Numéro | no 42, 2019 |
Titre du numéro | Pratiques écoféministes |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Parcours
- Monique Dental, "féministe en ruptures" - Alban Jacquemart, Jacqueline Laufer p. 5-22
Dossier : Pratiques écoféministes : corps, savoirs et mobilisations
- Pratiques écoféministes : corps, savoirs et mobilisations - Marlène Benquet, Geneviève Pruvost p. 23-28
- Penser l'écoféminisme : Féminisme de la subsistance et écoféminisme vernaculaire - Geneviève Pruvost p. 29-47 Afin de mettre en évidence la conceptualisation qu'une partie des théoriciennes écoféministes proposent en matière de travail en régime capitaliste, qu'il soit salarié, agricole et domestique, on a qualifié de féminisme de la subsistance tout un groupe de théoriciennes comme Françoise d'Eaubonne, Maria Mies, Silvia Federici, Vandana Shiva et Starhawk, qui ont en commun de mettre en lien féminisme, activisme et mise en pratique d'alternatives écologiques qui relèvent d'une forme d'écoféminisme vernaculaire. Cette approche matérialiste, mais aussi spirituelle de l'écoféminisme s'appuie sur des recherches anthropologiques et historiques qui distinguent le travail vivrier d'autoproduction par les deux sexes et le travail domestique féminin de préparation de produits industrialisés en termes économique et politique. Les destructions environnementales de l'industrialisation de la sphère des besoins sont corrélées à la mise à mort des dernières sociétés paysannes du sud et la division internationale inéquitable du labeur de production des ressources vitales dont les femmes sont les premières victimes.In order to highlight how some of the ecofeminist theoreticians conceptualize work in a capitalist regime, whether salaried, agricultural or domestic, subsistence feminism refers to a group of theoreticians such as Françoise d'Eaubonne, Marie Mies, Silvia Federici, Vandana Shiva and Starhawk, who all link feminism, activism and implementation of ecological alternatives that are a form of vernacular feminism. This materialistic, but also spiritual approach to ecofeminism is based on anthropological and historical research that distinguish work producing self-consumed goods for both genders and female domestic work preparing industrialized goods in economic and political terms. Environmental destructions caused by industrialization of needs are correlated to the end of the last peasant societies of the South and the inequitable international labor division in the production of vital ressources, of which women are the first victims.
- Contre la destruction de la planète : L'écoféminisme dans les années 1980 en Grande-Bretagne et aux États-Unis - Benedikte Zitouni, Hélène Windish p. 49-69 Cet article revisite les débuts de l'écoféminisme aux États-Unis et en Grande-Bretagne en analysant les traces laissées dans les archives et les livres de témoignage, par les participantes aux actions suivantes : le premier rassemblement écoféministe à Amherst (1979), les défilés de commémoration de l'accident nucléaire de Three Mile Island (1980), l'Action au Pentagone à Washington D.C. (1980, 1981) et à San Francisco (1981), ainsi que les camps des femmes pour la paix en Angleterre à Greenham Common près de Newbury (1981-1987) et, aux États-Unis, à Puget Sound dans l'État de Washington et Seneca dans l'État de New York (1983). En prenant appui sur le témoignage d'activistes, l'article tente de démontrer que l'écoféminisme est avant tout une politique vivifiante, manière novatrice et transformatrice de faire de la politique, reposant sur des affects tels la peur, la colère ou le ras-le-bol suscités par le climat apocalyptique et la politique nucléaire des années 1980. À travers les occupations et défilés, face au désastre, il s'agissait pour les femmes de ne se réapproprier rien de moins que le cours de l'histoire.This paper aims to bring back a piece of history. It tells the story of thousands of women who gathered in peace camps and parades in the early 1980s in order to stake a feminist claim against nuclear warfare and the capitalist economics of destruction. It takes a close look at the first ecofeminist gathering in Amherst (1979) and the ensuing Three Mile Island Parades ('80), Pentagon Actions in Washington DC ('80 & ‘81) and San Francisco ('81). It also examines women's peace camps, in particular those of Greenham Common near Newbury, England (‘81-'87), of Puget Sound, Washington and of Seneca, New York (1983). Rather than arguing the importance of these protests, the paper describes them. The paper draws on the protestors' testimonies using their own published writings and archival data to show how ecofeminism is above all an innovative, transformative and life-affirming way of doing politics. The paper emphasizes emotions, not only of anger and fear but also of joy, and shows how these emotions fueled the protests. It revives the enthusiasm of crowds and small groups resisting together while paying attention to the clever organizing that allowed these women to gather in the first place. In sum, the paper excavates and details the story of the ecofeminist camps and parades so that we may learn from them for political action today.
- Articuler écologie et féminisme dans les années 1970 : L'exemple du Centre non-violent des Circauds - Isabelle Cambourakis p. 71-87 Alors qu'on insiste le plus souvent sur l'absence d'un courant écoféministe en France et sur le peu d'engagement des Français·e·s dans le mouvement contre le nucléaire militaire des années 1980, l'approche localisée du Centre des Circauds, espace de formation à la non-violence créé au début des années 1970, permet d'analyser la diffusion et l'imbrication du féminisme et de l'écologie dans des espaces en marge des mouvements sociaux. Cet article analyse tout particulièrement les camps d'été organisés en non-mixité par des femmes du Centre entre 1976 et 1978 et le rôle qu'ils ont joué dans l'émergence d'un mouvement féministe-pacifiste européen et dans la diffusion d'une sensibilité écoféministe qui adosse une critique des relations de genre à celle de la modernité, d'une médecine perçue comme masculine, de l'industrie pharmaceutique et du capitalisme. L'analyse de la presse écologiste et féministe comme des entretiens avec des ancien·ne·s des Circauds rend ainsi visible des pratiques féministes hétérodoxes et des bricolages du quotidien permettant de résoudre les contradictions de femmes qui, dans les années 1970, veulent faire tenir ensemble leurs différents engagements.One usually remembers the absence of an ecofeminist movement in France and the weak adhesion of French people to the fight against nuclear weapons in the 1980s. However, the local approach of the Circauds center, a training center for non-violence created at the beginning of the 1970s, makes it possible to analyze the diffusion and the imbrication of feminism and ecology in spaces around social movements. This article focuses on summer camps that were organized as non-coed by the women of the center between 1976 and 1978, and the role they played in the emergence of a European, feminist and pacifist movement and in the spreading of an ecofeminist sensibility that added a critical approach to gender relations to the criticism of modernity, a practice of medicine perceived as male, the pharmaceutical industry and capitalism. This analysis of the ecological and feminist press, just as the interviews of ex-Circauds members, reveals heterodox feminist practices and everyday DIY solutions that solve the contradictions of the women which, in the 1970s, wanted to merge their various commitments.
- Travailler la terre et déconstruire l'hétérosexisme : expérimentations écoféministes - Constance Rimlinger p. 89-107 À partir de l'ethnographie de trois lieux ruraux (deux fermes et un gîte) tenus par des femmes lesbiennes et/ou queer qui s'inscrivent dans une critique écologiste et anticapitaliste de la société tout en questionnant les normes de genre et de sexualité, nous interrogerons la signification de ces choix de vie alternatifs au regard de l'identité des actrices et de la manière dont ils enrichissent la compréhension de la constellation des mouvements écoféministes. Nous observerons qu'avec le déplacement de la ville vers la campagne, et du monde salarié vers l'agriculture de subsistance, elles doivent mettre en place de nouvelles stratégies pour lutter contre l'isolement et s'intégrer localement. Simultanément, ce retour à la terre leur offre de nouvelles possibilités d'émancipation, d'engagement et de soutien aux femmes et aux minorités. Le travail agricole, l'engagement féministe et la politisation du quotidien constituent les différentes facettes d'un même projet : celui de chercher une voie plus juste et plus durable pour notre société.This article is based on the ethnography of three rural places (two farms and a lodging) managed by lesbian and/or queer women who rally an ecological and anti-capitalistic critique of society while questioning gender and sexual norms. It questions the meaning of these alternative life choices in reference to the actresses' identities and the way they contribute to the understanding of the constellation of ecofeminist movements. We observe that moving from cities to the countryside, from salaried work to subsistence agriculture, they must implement new strategies to fight isolation and integrate locally. At the same time, this return to the land offers them new opportunities of emancipation, commitment and support from women and minorities. Agricultural work, feminist commitment and bringing politics into everyday life are different facets of a single project: that of looking for a fairer and more durable way for our society.
- L'auto-gynécologie : écoféminisme et intersectionnalité - Aurore Koechlin p. 109-126 Nous proposons une étude monographique d'un réseau de praticiennes d'auto-gynécologie en région parisienne, composé de personnes âgées de 20 à 40 ans qui appartiennent à une nouvelle génération que l'on pourrait qualifier de féministe intersectionnelle. L'enjeu ici est de montrer comment des féministes intersectionnelles peuvent s'approprier les paradigmes écoféministes, tant dans le discours que les pratiques. Pour cette nouvelle génération, la pratique de l'auto-gynécologie n'est en fait pas aisée à revendiquer : centrée sur les organes génitaux féminins, elle peut donner à penser que « la femme » se définit en référence à l'anatomie et être accusée d'essentialisme par les féministes intersectionnelles qui ont précisément voulu pousser plus loin que dans les années 1970 l'entreprise de déconstruction du genre. Le cas de ce réseau d'auto-gynécologie qui parvient à articuler cette pratique avec un positionnement intersectionnel montre comment l'écoféminisme peut intégrer une forme de syncrétisme théorique et pratique, mêlant une relecture des mobilisations féministes pour la contraception et pour l'avortement, les apports de la théorie queer et du black feminism, une certaine vision de l'écologie et parfois un engagement anticapitaliste.We present a monographic study of a network of practitioners of self-gynecology in the Paris area, counting women aged 20 to 40 who belong to a new generation which could be described as intersectional feminist. What is at stake here is showing how intersectional feminists can make ecofeminist paradigms their own through speeches as well as practice. For this new generation, the practice of self-gynecology is actually difficult to claim: centered on female genital organs, it can induce that “the woman” defines herself in reference to anatomy and is therefore accused of essentialism by intersectional feminists who have wished to go beyond gender deconstruction of the 1970s. The case of this self-gynecology network, which manages to articulate this practice with an intersectional positioning, shows how ecofeminism can integrate theoretical and practical syncretisms. It mixes a revamping of feminist action to defend contraception and abortion, the contributions of the queer theory and of Black feminism, a certain vision of ecology, and sometimes an anti-capitalist engagement.
Mutations
- Tous les féminismes sont-ils solubles dans l'éducation ? : Hybridations théoriques et paradoxes pratiques dans un dispositif de prévention des violences sexistes - Viviane Albenga, Vanina Mozziconacci p. 127-146 La déconstruction des stéréotypes est devenue l'un des fils conducteurs les plus récurrents de la lutte contre les inégalités de genre dans le système scolaire. Il est possible de lire cette mesure comme relevant d'une inspiration féministe libérale ou « égalitaire ». Or, l'adoption des principes théorico-politiques peut mener à un certain nombre d'impasses, qui sont directement liées à la conception du genre portée par ce modèle, focalisée sur les rôles sexués et sur l'échelle individuelle. Le féminisme matérialiste, en tant qu'il appréhende le genre comme système macrosocial diviseur et hiérarchisant, semble éviter ces apories théoriques qui caractérisent le modèle libéral. Toutefois, qu'en est-il de ses applications et de ses conséquences pratiques en matière d'éducation ? Nous verrons à travers l'étude d'un dispositif de prévention du sexisme mené par l'Observatoire des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis que l'adoption du féminisme matérialiste par des éducatrices qui cherchent à promouvoir une éducation à l'égalité de genre les conduit à adapter celui-ci. Un certain nombre d'hybridations sont ainsi à l'œuvre en pratique, dans lesquelles sont combinées des perspectives féministes aux postulats pourtant clairement divergents.Stereotype deconstruction has become a recurrent clue to the fight against inequalities in the schooling system. That measure can be understood as inspired by libertarian or “egalitarian” feminism. However, implementation of the political and theoretical principles of this feminism can lead to a number of dead-ends, which are directly linked to the concept of gender inherent to this model, focused on gendered roles and the individual ladder. Materialist feminism, inasmuch as it apprehends gender as a dividing and hierarchical macrosocial system, seems to avoid those theoretical drawbacks that characterize the liberal model. However, what does it result in when applied, and what are its practical consequences in the field of education? The study of a sexist violence prevention program run by Violence against women watch of the Seine-Saint-Denis county shows that adopting materialist feminism brings female educators who promote gender equality to make adjustments. A number of hybridizations are thus created on the field in which feminist perspectives are combined to clearly divergent assumptions.
- Les politiques du travail féminin sous l'Occupation - Camille Fauroux p. 147-163 Cet article propose d'aborder l'histoire du travail féminin sous l'Occupation par le prisme de l'intégration à l'économie de guerre allemande. La politique du travail des femmes françaises pour l'Allemagne constitue dès le début une source d'inquiétude pour le gouvernement de Vichy, tant il est clair qu'elle va à l'encontre du projet de restauration de l'ordre familial qu'il mène par ailleurs. Du point de vue de l'occupant, cette politique de recrutement d'une main-d'œuvre étrangère a au contraire l'avantage de préserver les rapports de genre en Allemagne, en faisant peser le poids de la production de guerre sur les épaules des étrangers. Quand les tensions autour de l'approvisionnement en main-d'œuvre se font plus fortes, la question du recrutement forcé des Françaises pour le territoire du Reich se pose, mais elle est finalement écartée au bénéfice d'une politique du travail contraint des femmes en France. Cette étude met en lumière l'intérêt d'une perspective transnationale pour aborder le genre des politiques du travail.This article approaches the history of French female work under war occupation through integration to the German economy of war. The work policy of having French women work for Germany worried the Vichy government, since it clearly counters their restoration project of family order. From Germany's point of view, this recruitment policy of a foreign labor force preserves gender relations in Germany by shifting the weight of war production on foreigners' shoulders. When tensions around labor force provision intensify, the question of French women's forced recruitment arises, but it is finally pushed away, and a constrained work policy is applied to women in France. This study highlights how interesting it si to take a transnational approach when taping gender work politics.
- Tous les féminismes sont-ils solubles dans l'éducation ? : Hybridations théoriques et paradoxes pratiques dans un dispositif de prévention des violences sexistes - Viviane Albenga, Vanina Mozziconacci p. 127-146
Controverse
- Harcèlement sexuel au travail : peut-on compter sur le droit ? - Marylène Lieber, Sophie Pochic, Delphine Serre p. 165-170
- Les femmes, toujours des intruses dans le système judiciaire - Marilyn Baldeck p. 171-174
- Prendre le droit pour dénoncer « l'illégitime » - Camille Trémeau p. 175-179
- Comment les directions des ressources humaines pourraient-elles agir contre le harcèlement sexuel ? - Bénédicte Le Deley, Laure Hajjar p. 181-184
- Le harcèlement sexuel, un objet légitime pour les syndicats ? - Dominique Marchal, Raphaëlle Manière, Sabine Reynosa, Sigrid Gérardin p. 185-190
- Retourner l'arme du droit. Contre le harcèlement sexuel dans l'enseignement supérieur et la recherche - p. 191-194
- Combattre le harcèlement sexuel aux USA. Quand le droit et les procédures internes se heurtent aux mentalités - Abigail C. Saguy p. 195-199
Critiques
- Ludivine Bantigny, Fanny Bugnon et Fanny Gallot (dir.), "« Prolétaires de tous les pays, qui lave vos chaussettes ? » Le genre de l'engagement dans les années 1968" : Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017, coll. « Archives du féminisme », 260 pages - Lucile Ruault p. 201-204
- Myriam Boussahba-Bravard et Rebecca Rogers (dir.), "Women in International and Universal Exhibitions, 1876-1937" : New York – London, Routledge, 2018, 286 pages - Marianne Thivend p. 205-207
- Mara Viveros Vigoya, "Les couleurs de la masculinité. Expériences intersectionnelles et pratiques de pouvoir en Amérique latine" : Paris, La Découverte, 2018, 231 pages - Irène Pereira p. 208-209
- Clotilde Lemarchant, "Unique en son genre. Filles et garçons atypiques dans les formations techniques et professionnelles" : Paris, Presses universitaires de France, 2017, 334 pages - Nadia Lamamra p. 210-213
- Arnaud Alessandrin, "Sociologie des transidentités" : Paris, Éditions Le Cavalier Bleu, 2018, 144 pages - Johanna Dagorn p. 214-216
- Bruno Perreau, "Qui a peur de la théorie queer ?" : Paris, Presses de Sciences Po, 2018, 320 pages - Noémie Marignier p. 217-220
- Patricia Mercader, Annie Léchenet, Jean-Pierre Durif-Varembont et Marie-Carmen Garcia (dir.), "Mixité et violence ordinaire au collège et au lycée" : Toulouse, Érès éditions, 2016, 272 pages - Sylvie Ayral, Yves Raibaud p. 221-224