Contenu du sommaire : Nommer les savoirs
Revue | Revue d'histoire des sciences humaines |
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Numéro | no 37, 2020 |
Titre du numéro | Nommer les savoirs |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Motion du Parlement des revues, décembre 2020 - p. 5
Dossier
- Prendre les noms des savoirs au sérieux - Wolf Feuerhahn p. 9-28
- L'Enquête, entre science de l'État et thérapie sociale - Martin Herrnstadt, Léa Renard p. 29-64 Cet article tente de reconstituer l'histoire de la réception et de l'appropriation de la catégorie Enquête dans le champ des recherches empiriques en sciences sociales en Allemagne entre les années 1880 et 1930. Nous allons voir comment l'Enquête passe d'un instrument de savoir au service de l'État à un dispositif de recherche « privé » dans le cadre des mouvements réformateurs et féministes. Ce faisant, nous déplaçons le regard vers des cercles extra-universitaires qui ont développé un programme indépendant de recherche pour lequel les réflexions méthodologiques sur l'Enquête sont centrales. Pouvant aussi bien recourir à l'étude de cas individuels, l'observation directe, l'entretien, l'analyse de documents officiels et de statistiques, l'Enquête se présente comme une forme hybride de production de connaissance sur la société, entre proximité et prise de distance avec les milieux étudiés.This article reconstructs the history of the reception and appropriation of the category ‘Inquiry' in empirical social science research in Germany between the 1880s and 1930. We shall show how ‘Inquiry' moved from a State-operated science to a form of ‘private' research in certain reformist and feminist movements. In so doing, the focus shifted to a research project outside, and independent of the university, in which methodological reflection on this particular type of investigation was central. Covering individual case studies, direct observation, interviews, and analysis of official documents and statistics, ‘Inquiry' designated a hybrid mode of production of knowledge of society, between a close and a distanced perspective on the milieus studied.
- Philologie ou linguistique ? Réponses transcontinentales - Ku-Ming (Kevin) Chang p. 65-91 Les noms chinois et anglais de l'Institute of History and Philology de l'Academia Sinica constituent une énigme. L'expression chinoise (歷史語言研究所) suggère qu'il s'agit d'un institut d'histoire et de linguistique (ou d'étude du langage). Le nom anglais indique que l'institut étudie l'histoire et la philologie. Pour un public contemporain, la linguistique et la philologie sont deux disciplines différentes. Les fondateurs de l'institut confondaient-ils les deux disciplines ? Ou comment pouvaient-ils assimiler la linguistique et la philologie à cette époque ? Cet article suggère que la solution de l'énigme réside dans la compréhension de la formation des deux membres fondateurs de l'institut : Ssu-nien Fu (or FU Sinian) and Yuen Ren Chao (or ZHAO Yuanren). Fu, formé en Allemagne, souhaitait reproduire les réalisations de la science philologique allemande dans son nouvel institut. Il suivait la tendance dominante dans le monde académique allemand consistant à considérer les études sur le langage comme une branche de la philologie. Invité à diriger la section consacrée au langage de l'institut, Chao avait reçu sa formation en sciences du langage aux États-Unis, en France et en Angleterre et avait rejoint le mouvement franco-britannique qui commençait à considérer les études sur le langage comme une discipline – la linguistique – indépendante de la philologie.The Chinese and English names of Academia Sinica's Institute of History and Philology present a puzzle. The Chinese, 歷史語言研究所, suggests that it is an institute of history and linguistics (or language studies). The English name indicates that the institute studies history and philology. For today's public, linguistics and philology are two different disciplines. Did the founders of the institute confuse the two disciplines? Or how could they equate linguistics with philology at the time? This study suggests that the solution to the puzzle lies in understanding the training of two founding members of the institute, Ssu-nien Fu (or FU Sinian) and Yuen Ren Chao (or ZHAO Yuanren). Fu, trained in Germany, wanted to replicate the achievements of German philological scholarship in his new institute. He followed the German academic mainstream to see language studies as a branch of philology. Invited to head the language section of the institute, Chao received his training in language studies in the United States, France, and England, and joined an Anglo-French movement that began to see language studies as a discipline—linguistics, that is—independent of philology.
- La géographie en ses épithètes et autres affichages - Marie-Claire Robic p. 93-120 Cette exploration des modalités d'étiquetage de la géographie durant le XIXe siècle, centrée sur la période 1860-1914, analyse la variété des configurations linguistiques dont cet ordre de savoirs a été doté lors de débats animant diverses situations savantes et d'enseignement en France et dans les congrès internationaux. L'article montre tant la pérennité de vocables ciblant une science plurielle ou indéterminée que la mobilisation de labellisations renouvelées visant à départager adversaires et partisans du dualisme géographique, et tenants d'une géographie tout court ou d'une géographie à épithètes. Il montre le rôle joué par des enjeux d'enseignement et l'ampleur des interactions transnationales qui ont animé des discussions accompagnant un mouvement collectif de disciplinarisation.This study of how ‘geography' was labelled in the nineteenth century, particularly from 1860 to 1914, analyses the variety of linguistic configurations in which this order of knowledge was situated in teaching and research debates in France, and in international congresses. The article shows both how geography was persistentlly qualified as a plural and indeterminate science, and the new labelling introduced to distinguish advocates and detractors of geographical dualism from those adhering to a geography without qualifiers, or championing a persistence of qualifiers. The discussions surrounding the collective movement to make geography into a discipline are shown to be influenced by question of teaching and by many transnational interactions.
- Moral sciences, Geisteswissenschaften (1795-1900) - Wolf Feuerhahn p. 121-141 Depuis un certain temps, les historiens des sciences humaines et sociales ont pris pour objet d'enquête certaines de leurs plus célèbres catégories d'analyse comme « ethnie », « race » ou « classe ». Mais les méta-catégories organisatrices du savoir sont restées dans l'ombre. Elles sont encore souvent considérées comme allant de soi. En proposant un parcours qui retrace les appropriations, resémantisations ou rejets des catégories « sciences morales et politiques », moral sciences, Geisteswissenschaften entre France, Grande-Bretagne et territoires de langue allemande, cet article propose de mettre en évidence leurs enjeux scientifiques, académiques, politiques et d'affirmation nationale. Ce faisant, l'article offre un regard réflexif sur son propre domaine de recherche et les découpages qui le caractérisent.For some time now, historians of humanities and social science have taken some of their most famous categories of analysis as subjects of their own research: “ethnicity”, “race”, and “class”, for instance. This did not occur with the meta-categories which structure knowledge, and indeed they are often considered to be self-evident. This article weaves between France, Great Britain and German-speaking lands to reconstruct the shifting appropriations and meanings, and also rejections, of the categories “sciences morales et politiques”, “moral sciences”, and “Geisteswissenschaften”. In so doing, it exposes the scientific, academic, political and nationalist forces at work. It thus also, reflexively, comments on its own research field and how it has been carved out.
- À quoi sert l'organisation des sciences ? - Serge Reubi p. 143-162 Partant du constat que l'organisation des savoirs est, d'une part, le produit de contingences spécifiques, de projets politiques et d'agrégations d'intérêts particuliers, et, d'autre part, lourde d'effet sur les connaissances qu'elle contribue à constituer, j'examine la catégorie supra-disciplinaire « sciences humaines ». Mal connue mais efficace, elle forme une spécificité française qui naît dans son acception actuelle au cours de l'entre-deux-guerres pour devenir hégémonique dans l'après-guerre. « Sciences humaines » s'impose comme catégorie savante non pas tant en raison d'une valeur classificatoire plus élevée que ses concurrentes de l'entre-deux-guerres, mais parce que, peu marquée comme syntagme, elle est mobilisée par un groupe de scientifiques et de politiciens proéminents pour promouvoir une conception humaniste, libérale et internationale de la science, qui trouve un terreau fertile dans le paysage institutionnel et scientifique de l'après-guerre.Starting from the premise that the organisation of knowledge areas results from specific contingencies, political projects, and the convergence of particular interests, and yet has a profound impact on the knowledge constituted, I examine the supra-disciplinary category of ‘sciences humaines' [‘humanities']. Often overlooked, but nevertheless powerful, it is a specifically French category that arose in its present sense between the two Wars, and became hegemonic after the Second World War. It achieved this dominance not because it presented a better classificatory system than its rivals between the Wars, but because it was mobilised by a group of prominent academics and politicians, who advocated a humanist, liberal and international conception of knowledge, in a post-war institutional and political French landscape where it happened to flourish.
- Calling the Social Sciences Names - Philippe Fontaine p. 163-191 Dans les années 1950, l'utilisation du terme behavioral sciences coïncide avec l'affirmation d'une ambition collective dans les sciences sociales nord-américaines autour des méthodes quantitatives et de la coopération interdisciplinaire. Elle permet pareillement de marquer des différences entre plusieurs modalités de mobilisation des sciences de la nature. Dans la Division des sciences sociales de l'Université de Chicago, il existe plusieurs conceptions des sciences du comportement et le terme (dans son acception anglaise) renvoie à des orientations scientifiques distinctes. Fortement inspirée de la biologie, la définition proposée par le Committee on the Behavioral Sciences diffère de celle, plus « sociale », des chercheurs préconisant une utilisation plus distanciée des méthodes des sciences de la nature dans un cadre principalement sociologique.Throughout the 1950s, the use of the behavioral sciences label went together with the affirmation of social science's collective ambitions to use quantitative methods and to practice interdisciplinary cooperation, but it also helped differentiation between and among disciplines by expressing different forms of engagement with natural science methods. In the Division of the Social Sciences at the University of Chicago, there were different conceptions of the behavioral sciences and the term referred to a variety of social scientific orientations along a spectrum running from biological to social determinism. The biologically-centered definition favored at the Committee on the Behavioral Sciences clashed with the mainstream definition's emphasis on the loose emulation of natural science methods within a resolutely sociological framework.
- Georges Devereux et l'ethnopsychiatrie : fonder sa science et assurer sa consécration - Alessandra Cerea p. 193-208 En 1963, le séminaire de Georges Devereux à l'EHESS consacre l'institutionnalisation de l'ethnopsychiatrie en Europe, qui fut suivie par la publication systématique de ses écrits, publiés précédemment aux États-Unis. Grâce aux documents d'archives, cette contribution se propose d'en reconstruire l'histoire. Plus particulièrement, l'étude veut montrer comment une conjoncture favorable de facteurs, combinée à des choix heureux sur le plan institutionnel et éditorial, amena Devereux au succès public qui le rendit célèbre comme le « père » de l'ethnopsychiatrie, parallèlement à l'explosion de cette discipline dans le milieu socioculturel de la France des années 1960-1970. Devereux participe à sa propre consécration, ainsi qu'à la réélaboration et à la traduction de ses œuvres, et, plus généralement, à la fondation de l'ethnopsychiatrie conçue comme une réflexion sur l'universalité de l'esprit humain.Georges Devereux's Seminar, held at the EHESS in Paris in 1963, institutionalised Ethnopsychiatry in Europe, and was followed by the translation of his writings, first published in the United States, into French. This article reconstructs the history of this phenomenon using archival sources. It shows how Devereux's public success as ‘father' of Ethnopsychiatry was due to a convergence of specific factors, combined with fortunate institutional and editiorial choices, and the socio-cultural climate of 1960s France in which the discipline burgeoned. Devereux contributed to his own consecration, and also to reworking and translating his own writings. More broadly, he was active in founding Ethnopsychiatry as a reflection on the universality of the human spirit.
Document
- L'essor actuel des sciences humaines - p. 211-234
- Vers un « nouvel Adam » ? - Thomas Hirsch p. 235-258
Géographies académiques
- Géographies académiques - p. 260
- Un « modèle » pour la LPR ? - Guillaume Mouralis, Camille Noûs, Nikola Tietze p. 261-274
- Frédéric II fait des châteaux de sable - Pierre-Yves Lacour p. 275-290
Débats, chantiers et livres
- « Créer ensemble un nouveau champ d'études ». Entretien avec Stephan Moebius sur l'historiographie de la sociologie germanophone - Martin Strauss, Stephan Moebius p. 293-318 Le Handbuch Geschichte der deutschsprachigen Soziologie (Manuel Histoire de la sociologie germanophone) est la dernière manifestation en date de l'intense activité de recherche en matière d'historiographie de la sociologie germanophone. Martin Strauss a saisi cette occasion pour s'entretenir avec Stephan Moebius, éditeur du Manuel avec Andrea Ploder. L'échange met au jour l'environnement de la recherche dont est issu ce projet inédit. De plus, il fournit des repères intellectuels et institutionnels pour comprendre l'histoire récente de l'historiographie de la sociologie germanophone. Enfin, il discute des finalités et des modalités de cette historiographie et la met en rapport avec d'autres disciplines. L'objectif est de contribuer à faire connaître un mouvement de recherche en histoire des sciences sociales peu connu en France et d'inciter à l'échange international en la matière. La bibliographie annexe servira comme point de départ pour se familiariser avec cette littérature germanophone. Dans ce numéro, le lecteur trouvera également un compte rendu de ce manuel.The Handbuch Geschichte der deutschsprachigen Soziologie (Manual History of German-speaking Sociology) is the last embodiment to date of intense research activity on the historiography of German-speaking sociology. It was the perfect moment to interview Stephan Moebius, the editor of the Manual, with Andrea Ploder. Our discussion sheds light on the research environment in which this exceptional project emerged. It also supplies the intellectual and institutional background needed to understand the recent history of the historiography of German-speaking sociology. Lastly, it addresses the different finalities and forms of this historiography, and relates it to other disciplines. The interview therefore helps turn the spotlight on a research trend in the history of the social sciences that is little known in France, and so to foster connections on this area. The bibliography will be a useful starting-point for getting to know this German-speaking literature.
- D'un renouveau de l'historiographie de la sociologie germanophone : le Handbuch Geschichte der deutschsprachigen Soziologie - Martin Strauss p. 319-329
- Aby Warburg au-delà du génie solitaire - Béatrice Joyeux-Prunel p. 331-339
- Les sciences sociales face à Vichy. Le colloque « Travail et Techniques » de 1941, Isabelle Gouarné (éd.) - Francine Muel-Dreyfus p. 341-344
- Roland Krebs, Les germanistes français et l'Allemagne (1925-1949) - Jean-François Condette p. 345-350
- Marie Barral-Baron et Philippe Joutard (dir.), Lucien Febvre face à l'Histoire - Sarah Rey p. 351-353
- « Créer ensemble un nouveau champ d'études ». Entretien avec Stephan Moebius sur l'historiographie de la sociologie germanophone - Martin Strauss, Stephan Moebius p. 293-318