Contenu du sommaire : Dossier : Face au VIH/sida
Revue | L'année du Maghreb |
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Numéro | no 25, 2021 |
Titre du numéro | Dossier : Face au VIH/sida |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
- Éditorial : se réjouir d'inclure - Katia Boissevain, Céline Lesourd p. 3-5
Dossier : Face au VIH/sida
- Le Maghreb face au VIH/sida - Sandrine Musso, Monia Lachheb, Christophe Broqua p. 9-16
- Histoire d'une mobilisation associative contre le VIH/sida au Maroc - Hakima Himmich p. 17-26 La professeure Hakima Himmich retrace ici l'histoire de l'Association de lutte contre le sida (ALCS) qu'elle a créée au Maroc en 1988. L'ALCS a d'abord initié des programmes d'action ciblant les populations les plus exposées au VIH, elle a lutté contre la stigmatisation et la discrimination des personnes vivant avec le VIH, puis elle s'est lancée dans le combat pour l'accès aux traitements antirétroviraux. Ses liens avec l'association AIDES en France l'ont conduite à cofonder Coalition Plus, une union internationale d'organisations communautaires de lutte contre le sida. L'auteure s'inquiète pour finir de l'éventuel arrêt des financements du Fonds mondial, qui mettrait fin aux programmes de l'ALCS en direction des groupes les plus exposés au VIH.Professor Hakima Himmich traces the history of the Association de lutte contre le sida (ALCS), which she founded in Morocco in 1988. The organization first initiated programs targeting the populations most exposed to HIV, fought against the stigmatization and discrimination of people living with HIV, and then launched the fight for access to antiretroviral treatment. Its links with AIDES in France led her to co-found Coalition Plus, an international union of community-based AIDS organizations. Finally, the author shares her concern about the possible termination of funding from the Global Fund, which would put an end to the organization's programs for groups most at risk of HIV.
- Mobiliser des partenaires pour lutter contre le VIH/sida : les risques de la démobilisation institutionnelle en cas d'épidémie faible et concentrée. Le cas du programme Amali au Maroc - David Goeury p. 27-39 Au Maroc, le programme d'activités génératrices de revenus à destination des personnes infectées ou affectées pour le VIH (Amali) révèle la difficulté de la mobilisation commune des ONG santé spécialisées VIH/sida avec des organisations de développement dans un contexte d'épidémie faible et concentrée. Malgré les effets positifs auprès des bénéficiaires, les opérateurs spécialisés dans le développement (associations et agence de développement) peinent à s'impliquer durablement auprès de personnes particulièrement vulnérables et surtout fortement stigmatisées (professionnel(le)s du sexe de survie et hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes). Par ailleurs, l'arrivée au pouvoir de responsables issus de la mouvance islamiste a amené une divergence de modèle d'intervention entre l'allocation sur critères de précarité et l'intégration économique par le développement d'une activité autonome permettant au bénéficiaire de se reconstruire une place sociale. Nous nous appuierons sur les observation menées en 2015 dans le cadre du projet ANRS 12305 « AGR et populations clés infectées ou affectées par le VIH au Maroc » : une enquête auprès de 500 bénéficiaires potentiels du programme Amali menée dans cinq villes (Agadir, Casablanca, Rabat, Tanger, Taroudant) mise en œuvre avec l'ALCS ; une enquête auprès de 25 porteurs de projets Amali dans ces mêmes villes et 22 entretiens semi-directifs avec l'ensemble des intervenants des organisations partenaires (ALCS, ADS, associations locales) dans les sept villes de déploiement du projet (Agadir, Casablanca, Fès, Marrakech, Rabat, Tanger, Taroudant). L'arrêt du programme Amali du fait du désengagement financier de l'ADS au profit d'une future allocation sociale universelle toujours non mise en œuvre apparaît comme un moyen de ne pas tenir compte des spécificités des PvVIH (professionnelles du sexe de survie, hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes) et donc de maintenir leur statut de marginaux fortement stigmatisés. Or cette stigmatisation empêche actuellement d'éteindre l'épidémie de VIH/sida au Maroc.In Morocco, the program of income generating activities for people infected or affected by HIV(Amali) reveals the difficulty of jointly mobilizing health NGOs specializing in HIV and AIDS with development organizations in a context of a weak and concentrated epidemic. Despite the positive effects among beneficiaries, operators specialized in development (NGO and social development agency) are struggling to become involved on a long-term basis with particularly vulnerable and, above all, highly stigmatized people (male and female survival sex workers; men who have sex with men). In addition, the nomination of leaders from the Islamist movement at the ministry of social affairs has led to a divergence of intervention model between the social allocation based on criteria of precariousness and economic integration through the development of an autonomous activity, which allows the beneficiary to rebuild a social network. We will rely on observations carried out in 2015 within the framework of the ANRS 12305 project “IGA and key populations infected or affected by HIV in Morocco”: a survey of 500 potential beneficiaries of the Amali program conducted in five cities (Agadir, Casablanca, Rabat, Tangier, Taroudant) implemented with ALCS ; a survey of 25 Amali project leaders in these same cities and 22 semi-directive interviews with all the stakeholders of the partner organizations (ALCS, ADS, local associations) in the seven cities where the project is implemented (Agadir, Casablanca, Fez, Marrakech, Rabat, Tangier, Taroudant). The Amali program ended due to the financial disengagement of ADS in favor of a future universal social allowance that has yet to be implemented. This decision appears to be a means of not taking into account the specificities of PLHA (female sex workers, men who have sex with men). It will result in maintaining their status as highly stigmatized marginalized people. This stigmatization currently prevents the extinction of the HIV-AIDS epidemic in Morocco.
- Récits de la lutte contre le VIH/sida en Algérie - Amel Zertal, Othmane Bourouba, Adel Zeddam p. 41-57 L'histoire de la lutte contre le VIH/sida en Algérie est mal connue. Trois acteurs majeurs de cette histoire la retracent à grands traits. Son émergence fait suite à un changement politique qui rend possible la création d'associations. Dans ce contexte d'effervescence, se développent en particulier AIDS Algérie puis El Hayet, une association de personnes vivant avec le VIH. Dès l'apparition des traitements antirétroviraux, les pouvoirs publics les rendent disponibles gratuitement, tandis que le Fonds mondial finance les programmes de prévention en direction des groupes les plus touchés, dont la pérennité n'est toutefois pas garantie. L'apparition de l'épidémie de Covid a complexifié la mise en œuvre des actions de lutte contre le VIH, d'autant que les leçons de l'épidémie de sida n'ont pas profité à la gestion de la nouvelle épidémie.The history of the fight against HIV/AIDS in Algeria is not well known. Three major actors of this history retrace it in broad strokes. Its emergence followed a political change that made the creation of non-governemental organizations possible. In this context of effervescence, AIDS Algérie and then El Hayet, an organization of people living with HIV, were developed. As soon as antiretroviral treatments appeared, the public authorities made them available free of charge, while the Global Fund financed prevention programs aimed at the most affected groups, although their sustainability is not guaranteed. The emergence of the Covid epidemic has made the implementation of HIV control actions more complex, especially since the lessons learned from the AIDS epidemic have not been applied to the management of the new epidemic.
- Continuation, imbrications et écarts : liens entre la défense des droits LGBTQI+ et la lutte contre le VIH/sida en Tunisie - Marta Luceño Moreno p. 59-78 En Tunisie, comme dans les autres pays de la région, les espaces de lutte contre le VIH/sida ont constitué des lieux de sociabilisation, de formation et d'élaboration de réseaux pour les personnes LGBTQI+. Toutefois, après la révolution de 2011, une reconfiguration des espaces militants voient le jour, avec la naissance d'associations et de collectifs qui défendent la cause LGBTQI+ selon une approche plus identitaire. Ces dernières coexistent avec les associations de lutte contre le VIH/sida qui privilégient l'approche sanitaire. L'article propose d'examiner les tensions et les écarts entre ces pôles associatifs, ainsi que leurs recoupements. Sur la base d'entretiens réalisés entre 2018 et 2020 auprès de responsables et de membres d'associations ou de collectifs en Tunisie, l'auteure aborde deux moments distincts : le premier relate l'histoire de la lutte contre le VIH/sida avant la révolution de 2011 ; le second explore les rapports postrévolutionnaires entre la mouvance de lutte contre le VIH/sida et la communauté LGBTQI+. En effet, le contexte de transition démocratique et l'implication de bailleurs de fonds internationaux qui soutiennent la cause LGBTQI+, a permis une plus grande affirmation identitaire. Cette visibilité relative est plus facilement saisissable dans la capitale que dans le reste du pays, mais partout les équilibres se négocient entre les diverses associations qui continuent d'œuvrer pour promouvoir la lutte contre le VIH/sida auprès des instances officielles.In Tunisia, as in other countries in the region, the spaces for the fight against HIV/AIDS have been places of socialization, training and network development for LGBTQI+ people. However, after the 2011 revolution, a reconfiguration of activist spaces emerged, with the birth of associations and collectives that defend the LGBTQI+ cause with a more identity-based approach. The latter coexist with associations fighting against HIV/AIDS, which emphasize a public health approach. The article will examine the tensions and gaps between these two poles, as well as their overlaps. Based on interviews conducted between 2018 and 2020 with leaders and members of associations or organisations in Tunisia, the author discusses two distinct moments: the first relates the history of the fight against HIV/AIDS before the 2011 revolution; the second explores the post-revolutionary relationship between the movement against HIV/AIDS and the LGBTQI+ community. Indeed, the context of democratic transition and the involvement of international donors who finance the LGBTQI+ cause, has allowed for greater identity affirmation. This relative visibility is easier to grasp in the capital than in the rest of the country, but everywhere, negociations are occuring between the various associations who continue to fight for greater information in order to curb the HIV/AIDS epidemics.
- La lutte contre le sida au Maroc : opportunités et limites pour l'accès aux soins des personnes en migration - Camille Fidelin p. 79-93 La santé questionne la place des personnes en migration dans une société d'accueil. La plupart du temps perçue comme un enjeu de santé publique, elle est avant tout un enjeu de respect des droits humains et de choix d'accueil pour une société. Au Maroc, la riposte contre le VIH a été utilisée comme une opportunité de plaidoyer par des associations pour développer un accès aux soins primaires des personnes en migration, dans le contexte de la nouvelle politique migratoire initiée en 2014. Une observation participante au sein du programme « protection migrants » de l'Association de lutte contre le Sida (ALCS) à Rabat et une enquête auprès des bénévoles de l'association menées en 2014 ont permis de mettre en avant l'importance du levier de la santé communautaire dans l'ouverture d'opportunités de soins pour les personnes en migration au Maroc, les bénévoles de l'association devenant des points focaux. Néanmoins, cette stratégie est entravée par différents facteurs : la difficulté d'étendre le dispositif lié à une maladie spécifique à l'ensemble des soins, l'absence d'une couverture médicale de base pour toutes les personnes en migration présentes sur le territoire marocain, et un accès géographiquement limité aux villes dans lesquelles les associations sont présentes. Le contexte politique, marqué par une récurrence d'épisodes répressifs envers les populations en migration au Maroc, tend à criminaliser ces dernières et empêche également la mise en place d'une politique durable d'accès à la santé.Health questions the place of people in migration in a host society. Most of the time perceived as a public health issue, it is above all a question of respect for human rights and the choice of host society. In Morocco, the response to HIV has been used as an advocacy opportunity by associations to develop access to primary care for people in migration, in the context of the new migration policy initiated in 2014. A participant observation within the “migrant protection” programme of the Association de lutte contre le Sida (ALCS) in Rabat and a survey of the association's volunteers carried out in 2014 highlighted the importance of the community health lever in opening up care opportunities for people migrating to Morocco: the association's volunteers becoming focal points. Nevertheless, this strategy is hampered by various factors: the difficulty of extending the system linked to a specific disease to all types of care, the lack of basic medical cover for all migrants present on the Moroccan territory, and geographically limited access to the cities in which the associations are present. The political context, marked by a recurrence of repressive episodes towards migrant populations in Morocco, tends to criminalise the latter and also prevents the implementation of a sustainable policy of access to health care.
- L'asile contre la santé ? Vie et mort des homosexuels sénégalais réfugiés en Mauritanie - Christophe Broqua, Gabrièle Laborde-Balen, Agathe Menetrier, Djamil Bangoura p. 95-112 Au Sénégal, où les actes « contre nature avec un individu de son sexe » sont passibles d'une peine de prison, les homosexuels vivent dans la peur d'une dénonciation et sont régulièrement victimes de violences et de discriminations. Cette situation qui s'aggrave d'années en années depuis la fin de la décennie 2000 les conduit à s'exiler dans des pays voisins : en Mauritanie, certains obtiennent le statut de réfugié auprès du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et parfois une « réinstallation » en Europe ou en Amérique du Nord au bout d'un long parcours administratif fait d'attente et de doutes. Parmi les demandeurs d'asile installés à Nouakchott, beaucoup sont infectés par le VIH et certains en meurent en dépit de la disponibilité gratuite des traitements antirétroviraux. Cet article propose une analyse des circonstances qui participent à la dégradation, parfois létale, des conditions de santé de certains homosexuels sénégalais en exil en Mauritanie. Il apparaît que non seulement le dispositif de l'asile ne réussit pas à assurer la sécurité et la santé de tous ceux qui s'en remettent à lui mais qu'il les expose, de surcroît, à des risques sanitaires accrus qui conduisent parfois à la mort.In Senegal, where acts “against nature with an individual of the same sex” are punishable by prison, gay men live in fear of denunciation and are regularly victims of violence and discrimination. This situation, which has worsened year after year since the end of the 2000s, has led them to seek exile in neighboring countries. In Mauritania, some obtain refugee status from the United Nations High Commissioner for Refugees (UNHCR) and sometimes “resettlement” in Europe or North America after a long administrative process awaited in doubt. Many of the asylum seekers in Nouakchott are infected with HIV and some are dying from it despite the free availability of antiretroviral treatment. This article analyzes the circumstances that contribute to the deterioration, sometimes lethal, of the health conditions of some Senegalese gay men in exile in Mauritania. It appears that not only does the asylum system fail to ensure the safety and health of all those who rely on it, but it also exposes them to increased health risks that sometimes lead to death.
- « Nous sommes des sans-droits ». La nécropolitique du VIH pour les sans-papiers en Belgique - Charlotte Pezeril p. 113-130 Cet article analyse les atteintes au principe de biolégitimité, telle que définie par Didier Fassin en 2001, qui accorde le droit du sol aux personnes malades ne pouvant se faire soigner dans leur pays. À partir d'une enquête menée sur les plaintes pour discrimination liée au VIH reçues à Unia, le Centre interfédéral belge de lutte contre les discriminations, il s'intéresse à trois figures anthropologiques permettant de rendre compte de trajectoires emblématiques de sans-papiers originaires du Maghreb et vivant avec le VIH en Belgique. Les figures d'Ahmed, de Djamila et de Saïd renvoient à des trajectoires idéales-typiques, relevant d'enjeux de sexualité, de genre et de criminalisation, profondément modulées par les politiques migratoires, de régularisation, d'asile et d'expulsion. Dans la trajectoire d'Ahmed, le VIH se mêle aux enjeux de sexualité, dans la mesure où le diagnostic de séropositivité vient s'ajouter à une homosexualité difficilement vécue. Or les restrictions d'accès à la régularisation sur base de l'état de santé ne lui permettent plus d'être légal sur le territoire. La seconde figure, incarnée par Djamila, renvoie à l'histoire genrée du VIH car elle s'inscrit dans un parcours de dépendance à un homme et de violences sexuelles. Le VIH est alors le moindre de ses problèmes, noyé dans une accumulation de dénis de droits, surtout que le rapprochement familial nécessite des années de cohabitation. Enfin, dans la troisième figure, personnifiée par Saïd, le VIH s'inscrit dans une dimension criminelle, aggravant la double peine des étrangers enfermés pour des délits ou du simple fait d'avoir été arrêtés sans papier, voire permettant une triple peine du fait de la récente pénalisation de la transmission et de l'exposition au risque de transmission du VIH. Ainsi, le durcissement des politiques migratoires européennes s'apparente aujourd'hui davantage à une nécropolitique qui crée des mondes de sans-droits et finalement de « morts-vivants » pour reprendre l'expression d'Achille Mbembe (2006).This article aims to analyze the contemporary effectiveness of bio-legitimacy as defined by Fassin in 2001, which allows sick people to stay in Europe if they cannot be treated in their own country. Based on a survey studying HIV-related discrimination complaints received at Unia (Pezeril, 2017), the Belgian Centre for Equal Opportunities and the Fight against Discrimination, three anthropological figures are identified in order to stress the emblematic trajectories of undocumented migrants with HIV coming from the Maghreb to Belgium. The figures of Ahmed, Djamila and Saïd refer to ideal-typical trajectories, linked to the sexual, gendered and criminalized history of HIV, which are deeply shaped by migration policies, and by regularization, asylum and expulsion practices. Ahmed's story shows how the HIV diagnosis complicates an already difficult situation of homosexuality which is partly hidden. Restrictions on regularization based on health status will prevent him from being legally established in the country. The second figure, Djamila, refers to the gendered history of HIV insofar as it finds its root in a conflictual relation with a man and in sexual violence. In this case, HIV is felt as being the least of her problems. Rather, she is preoccupied by her legal situation, as she cannot claim the right to stay in Europe without returning with and cohabitating with this abusive man. Finally, in the case of Saïd, HIV is grasped through his criminal history. His situation is typical of the double punishment encountered by foreigners who are incarcerated for petty offences or for having been arrested without adequate administrative documents. We may even analyse his situation as a triple punishment since transmitting HIV or exposing oneself to the illness has recently been criminalized. Thus, the restriction of European migration policies today is akin to a necropolitics which creates a world of people with no rights. And ultimately, as Achille Mbembe's calls it (2006), a world of “living deads”.
- Acts of Exposure: Reckoning with Representations of HIV and Sexual Identity in Morocco - Anne M. Montgomery, Abderrahim El Habachi p. 131-164 Cet article présente un échange hybride coécrit par une chercheuse américaine spécialiste du Maroc, Anne Montgomery, et un écrivain militant marocain, Abderrahim El Habachi. C'est une œuvre pluri-textuelle qui a été produite au moyen d'une méthode expérimentale collaborative. Au centre, se trouve une œuvre originale littéraire non-fictionnelle, The Story of Naoufel. Ce texte explore les difficultés surmontées par un jeune Marocain gay en quête de soutien et de soins après l'annonce de sa séropositivité. Il sert de tremplin à des conversations réflexives entre Anne et Abderrahim concernant les valences multiples de la discrimination, la honte, la fierté, et l'activisme. Cette œuvre de bricolage méthodologique souhaite remettre en question les notions actuelles de l'expertise, de la production du savoir, et des catégories et dichotomies trop simplistes qui organisent souvent les représentations de la séropositivité et l'identité sexuelle au Maroc.This article presents a hybrid, co-authored exchange between an American academic and scholar of Morocco, Anne Montgomery, and a Moroccan writer and activist, Abderrahim El Habachi. It is a multi-textual work that was produced through an experimental, collaborative method. At the center is an original piece of creative non-fiction, The Story of Naoufel (by El Habachi), which explores the challenges faced by a young gay Moroccan struggling to find care and a sense of belonging after being diagnosed with HIV. The story serves as a springboard for wide-ranging conversations between Anne and Abderrahim on the multiple valences of discrimination, shame, pride, positivity, and activism. This work of methodological bricolage strives to offer concrete lessons for public health programs while simultaneously challenging extant forms of expertise, knowledge production, and the simplistic categories and dichotomies that often frame representations of HIV positivity and sexual identity in Morocco.
- The Story of Naoufel - Abderrahim El Habachi p. 144-148 Cette œuvre originale littéraire non-fictionnelle, The Story of Naoufel explore les difficultés surmontées par un jeune Marocain gay en quête de soutien et de soins après l'annonce de sa séropositivité.This original piece of creative non-fiction, The Story of Naoufel (by El Habachi) explores the challenges faced by a young gay Moroccan struggling to find care and a sense of belonging after being diagnosed with HIV.
Varia
- « Chacun a droit à sa part ». Une lecture genrée de la production et distribution des olives au sud du Maroc - Lucille Florenza p. 167-186 La saison de récolte des olives fait naître une temporalité et un paysage qui façonnent les relations sociales et économiques. Ce moment d'effervescence collective autour d'une activité agricole emblématique de l'espace méditerranéen offre une perspective intéressante pour penser la négociation des rapports sociaux dans cette région. Dans le Souss marocain comme ailleurs, la division genrée du travail agricole et l'inégale distribution des ressources et des fruits de la production sont au cœur de la construction des dynamiques de genre. En suivant le cheminement des olives récoltées dans le village d'Aoulouz, cet article offre un éclairage sur ces constructions sociales. Les fruits sont d'abord cultivés par les propriétaires des arbres, récoltés par des mains familiales ou employées, puis transportés, partagés, pressés et vendus par d'autres, plus ou moins visibles. Cet article est le fruit d'une enquête réalisée pendant l'hiver 2019 au milieu des champs d'oliviers et d'une maisonnée d'oléiculteurs. Une ethnographie des différents protagonistes et des scènes autour de la cueillette met en lumière les rôles sociaux et assignations qui permettent de prétendre inégalement aux fruits de la récolte. Au cœur de ces disparités, les dynamiques de genre jouent un rôle important dans la répartition des tâches et des bénéfices, depuis les champs jusqu'aux espaces domestiques. En mettant l'accent sur une filière peu étudiée et en poussant les portes des foyers, cet article propose une analyse de la construction des inégalités fondées sur le genre et présente des éléments permettant de saisir les transformations en cours dans le monde rural au Maroc.The olive harvest season creates a temporality and a landscape that shape social and economic relations. This moment of collective effervescence around an agricultural activity emblematic of the Mediterranean area offers an interesting perspective for thinking about the negotiation of social relations in this region. In the Sous region of Morocco, as elsewhere, the gendered division of agricultural work and the unequal distribution of resources and the bounty of production are at the heart of the construction of gender dynamics. Following the path of the olives harvested in the village of Aoulouz, this article sheds light on these social constructions. The fruits are first cultivated by the tree's owners, harvested by familiar or employed hands, then transported, shared, pressed and sold by others, who are more or less visible in the process. This article is the result of an investigation which took place in various olive groves and in the house of an olive-cultivating family during the winter of 2019. Specifically, an ethnography of the different protagonists and scenes of the harvest provides insights into the social roles and assignments which set the stage for an unequal distribution of the harvest's fruits. At the core of these disparities, gender dynamics play an important role in the distribution of tasks and benefits of the harvest, from the fields to domestic spaces. By taking particular interest in a little explored sector and by stepping inside olive producers' homes, this article provides keys for understanding the gender based unequal social constructions, and the transformations at work in the rural areas of the Morocco.
- Maropéen.nes. De l'altérisation à la négociation des appartenances - Rim Affaya p. 187-203 Cet article propose d'examiner la capacité des personnes d'ascendance marocaine vivants en Europe à produire un imaginaire alternatif par le biais du commerce. Alors que la question de l'origine des individus mobilise les attentions politiques et académiques pour évaluer leur degré d'intégration dans les pays d'accueil et celui de leur attachement au pays d'origine, des pratiques culturelles et consommatoires sont à l'œuvre parmi des individus pour surmonter les altérisations auxquelles ils/elles font face dans leur quotidien. Par une approche d'anthropologie économique sur le monde du mariage, ses acteurs et son économie, cet article présente l'analyse d'un service nouveau en Europe. Le tangaft, en tant que prestation d'accompagnement du mariage marocain, agrège des expériences individuelles et collectives qui montrent comment certain.es acteur.rices transcendent les lignes de fracture entre origines et nouvelles citoyennetés en élaborant des registres de représentations qui, au lieu de s'opposer, allient les multiples appartenances auxquelles ils/elles s'identifient. La maropéanité, montre comment se fabriquent les identités plurielles à la fois dans les intimités qui se fondent dans le mariage et dans le développement d'entreprise entre le Maroc et l'Europe. Les entretiens qui fondent le propos de l'article sont menés auprès d'entrepreneures et de leur clientèle. Le mariage constitue un registre parmi d'autres pouvant illustrer la pertinence de la maropéanité.This article examines the ability of people of Moroccan descent living in Europe to produce an alternative imaginary through trade. While the question of the origin of individuals mobilizes political and academic attention to assess their degree of integration in host countries and their attachment to their country of origin, cultural and consumer practices are at work among individuals to overcome the othering they face in their daily lives. Through an economic anthropological approach to the world of marriage, its actors and its economy, this article presents an analysis of a new service in Europe. The tangaft, as an accompaniment service for Moroccan weddings, brings together individual and collective experiences that reveal how certain actors transcend the divide between origins and new citizenship by developing registers of representations that, instead of opposing each other, combine the multiple affiliations with which they identify. The moropeanity shows how plural identities are made both in the intimacies that are founded in marriage and in the development of business between Morocco and Europe.
- L'ethnographie militaire aux origines de la « politique berbère » du protectorat français au Maroc (1912-1915) - Mathieu Marly p. 205-221 Cet article propose une analyse exhaustive des archives militaires produites dans le Moyen Atlas marocain entre 1912 et 1915 dans lesquelles l'ethnonyme « berbère » devient une catégorie opératoire du pouvoir colonial. En l'absence de vastes enquêtes ethnographiques dans cette région du Maroc, les officiers sont les premiers à collecter et à analyser les informations disponibles sur les populations berbères avec les outils, les modèles interprétatifs et les préjugés d'une ethnographie militaire inspirée des bureaux arabes et des cercles soudanais. Ces archives de l'ethnographie militaire sont des lieux d'expérimentation et d'incertitudes dans lesquels les militaires analysent les informations recueillies sur les populations « indigènes », élaborent des hypothèses souvent contradictoires, sélectionnent et oublient les données avant que leurs observations ne se figent sous l'effet de la « politique berbère » du protectorat marocain visant à « protéger » l'autonomie des coutumes berbères au Maroc. Dans un premier temps, l'article analyse les préjugés des officiers quant à la légitimité politique du Maghzen, la « tiédeur religieuse » des populations berbères et le rôle politique du cadre tribal au Maroc. Dans un deuxième temps, l'article montre que l'ethnonyme berbère est produit dans un contexte opérationnel lié à la « pacification » du Moyen Atlas. En effet, à partir de 1913, un groupe d'officiers élabore un nouveau plan d'action politique fondé sur l'unité supposée des « coutumes berbères », espérant obtenir ainsi le ralliement des populations et faciliter la « pacification » de la région. Dans les archives militaires, cette nouvelle approche se traduit par l'apparition des questionnaires ethnographiques sur les coutumes berbères en complément des « fiches de tribus ». À partir de 1915 seulement, les militaires font appel aux représentants du monde académique pour mettre en forme leurs propres conceptions des « coutumes berbères » inspirées de leurs expériences auprès des populations kabyles et touarèg.This article focuses on the military archives produced in the Moroccan Middle Atlas between 1912 and 1915, in which the ethnonym “Berber” becomes an operative category of colonial power. For lack of extensive ethnographic surveys in this region of Morocco, officers were the first to collect and analyze available information on Berber-speaking populations with the tools, interpretative patterns, and prejudices of a military ethnography inspired by bureaux arabes and Sudanese circles. These archives of military ethnography were spaces of experimentation and uncertainty, in which officers analyzed information collected on “indigenous” populations, developed often contradictory hypotheses, and selected and forgot data, before their observations were fixed by the “Berber policy” of the French Protectorate in Morocco. This article first focuses on the prejudices that officers had toward the political legitimacy of the Maghzen, the “religious lukewarmness” of Berber populations, and the political role of the tribal framework in Morocco. It then shows that the Berber ethnonym was produced in an operational context linked to the “pacification” of the Middle Atlas. From 1913 onwards, a group of officers drew up a new political action plan based on the supposed unity of “Berber customs,” hoping to thereby rally the populations and facilitate the region's “pacification.” This new approach is reflected in the military archives through the appearance of ethnographic questionnaires on Berber customs that complemented the “fiches de tribus.” It was only beginning in 1915 that members of the military called on representatives from the academic world to help shape their own conceptions of “Berber customs,” as inspired by their experiences with the Kabyle and Tuareg populations.
- L'humanitaire islamique et les ONG musulmanes en France : quels registres de mobilisation ? - Lucas Faure p. 223-243 La focale de cet article porte sur les acteurs associatifs des causes humanitaires musulmanes, de leur genèse outre-Manche à leur affirmation comme des acteurs de premier plan en France, sans pour autant négliger le rôle des autorités publiques. Bien loin de l'uniformisation supposée à leur égard, l'article défend l'idée selon laquelle les associations humanitaires islamiques françaises usent de registres divers au moment de sensibiliser et mobiliser à leurs causes en contexte minoritaire. Deux catégories idéal-typiques permettent de saisir ces mobilisations selon qu'elles soient « attestataires » ou « contestataires ». Au premier abord, la promotion d'un « islam civil » épuré de sa dimension communautaire, y compris par une mise à distance de l'identité religieuse, semble offrir plus de garanties d'être légitimé et de contractualiser avec les pouvoirs publics. Inversement, les ONG qui opteraient pour un registre véhément ou qui mettraient trop explicitement leur appartenance confessionnelle et intra-communautaire en avant, se verraient marginalisées dans leurs actions. Pourtant, l'analyse basée sur une observation ethnographique et participante de 2017 à 2020, complétée par des entretiens et une veille numérique, met à jour une attitude étatique paradoxale à l'égard des ONG musulmanes. À rebours de la rhétorique républicaine qui stigmatise les confessionnalismes, l'État délègue en pratique une partie de la gestion d'un public musulman à des associations elles-mêmes musulmanes. Les injonctions étatiques sont donc duales : si les ONG musulmanes sont conduites à euphémiser leur dimension religieuse, elles sont dans le même temps mandatées en complément de l'action étatique pour intervenir au contact de publics majoritairement musulmans, au nom de leur « proximité culturelle » et de leur « plus-value islamique ».The present article will focus on Islamic humanitarian organisations, from their roots in the United Kingdom to their settlement in France, without neglecting the role of public authorities. Though this is often treated as a homogeneous field, the present article claims that French Islamic humanitarian organisations use different registers to mobilize and raise awareness for their causes in the context of Muslims' minority status in France. Two ideal-type categories help to classify these mobilisations depending on whether they use a register of “assertion” or “contestation”. At first sight, the promotion of a “civil Islam” purged of its communitarian aspect, coupled with a mitigation of the religious dimension of the association, seems to offer more guarantees to be legitimized by and to establish partnerships with state authorities. Conversely, vehement speeches, and the promotion of a religious and intra-communitarian aid, would contribute to marginalizing Muslim NGOs. However, this study based on ethnography and participant observation in France (2017-2020), supplemented by interviews and an online enquiry, brings to light the ambivalent attitude of French authorities towards Muslim NGOs. By contrast with the republican rhetoric that stigmatizes faith-based differences, the French State entrusts Muslim associations with caring for Muslim beneficiaries. The injunctions imposed by the French State are thus twofold. Muslim NGOs are encouraged to minimize their confessional affiliation, but they are also incorporated within the State's policy of intervention with sections of French society where Muslims are in a majority because of these NGO's supposed “cultural proximity” and the sharing of a common Islamic identity.
- « Chacun a droit à sa part ». Une lecture genrée de la production et distribution des olives au sud du Maroc - Lucille Florenza p. 167-186