Contenu du sommaire : Travail social et pratiques discrétionnaires
Revue | Les Politiques sociales |
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Numéro | no 3-4, 2021 |
Titre du numéro | Travail social et pratiques discrétionnaires |
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- Travail social et pratiques discrétionnaires. Introduction - Morgane Giladi p. 4-14
Partie 1. Bienveillance discrétionnaire et engagement professionnel
- Maisons de justice : entre bienveillance administrative et gestion du risque ? - Mathias Sabbe, Nathalie Schiffino, Stéphane Moyson p. 15-26 Au sein des Maisons de justice, des assistants de justice (AJ) sont chargés de la guidance des justiciables condamnés à une mesure probatoire. Ce travail est assorti de mesures de contrôle et d'assistance. Or, la tension qui accompagne ces deux missions est accrue par la hausse des exigences administratives et une importante scrutation médiatique en cas de récidive. Cette contribution explore la marge de manœuvre dont disposent les AJ dans l'exercice de leur fonction. Une analyse thématique conduite auprès de 29 AJ francophones révèle que – malgré un nombre croissant de dossiers, un temps limité pour les traiter et un contrôle managérial grandissant – les AJ ne donnent pas nécessairement la priorité aux profils les plus commodes. Au contraire, ils agissent prioritairement auprès des justiciables les plus problématiques. Cette bienveillance discrétionnaire est discutée au regard de la street-level bureaucracy (Lipsky, 2010). Elle s'explique autant par un ethos professionnel résistant aux injonctions néomanagériales que par un certain désir de préservation personnelle.In the Houses of Justice, judicial assistants (JAs) are responsible for guiding defendants sentenced to a probationary measure. This work is accompanied by control and assistance measures. However, the tension between these two tasks is increased by rising administrative demands and high media scrutiny in the case of recidivism. This contribution explores the room for manoeuvre that AJs have in the exercise of their function. A thematic analysis of 29 French-speaking AJs reveals that despite a growing number of cases, limited time to process them and increasing managerial control AJs do not necessarily give priority to the most convenient profiles. On the contrary, they give priority to the most problematic litigants. This discretionary benevolence is discussed in relation to street-level bureaucracy (Lipsky, 2010). It can be explained as much by a professional ethos that resists neo-managerial injunctions as by a certain desire for personal preservation.
- « Quelle est votre demande ? » : résistances éthiques à l'activation - Valentine Duhant p. 27-35 Cet article analyse la mise en œuvre de l'activation au sein du département de l'insertion socioprofessionnelle d'un CPAS bruxellois, à partir d'exemples issus d'une recherche ethnographique. Il montre que, contrairement à la majorité de la littérature sur la mise en œuvre des politiques publiques, des résistances éthiques à l'activation permettent une mise en œuvre capacitante de celle-ci. En effet, le CPAS étudié a structuré son organisation interne sur la base de la notion de « demande » du bénéficiaire. Bien qu'elle soit issue du programme politique de la présidente du CPAS et de la vision des responsables de département, cette notion constitue une ressource éthique et discursive pour les travailleurs sociaux, qui la mobilisent pour justifier le fait de ne pas recourir à la contrainte envers les bénéficiaires, et pour les protéger du « contrôle » inhérent aux politiques d'activation.This article analyses the implementation of activation within the socio-professional integration department of a Belgian social assistance organization (CPAS-OCMW) in Brussels, based on examples from an ethnographic research. It shows that, contrary to the majority of the literature on the implementation of public policies, ethical resistances to activation allow for its empowering implementation. Indeed, the studied CPAS structured its internal organisation on the basis of the notion of “request” of the beneficiary. Although this notion is derived from the political programme of the President of the CPAS and the vision of the department heads, it constitutes an ethical and discursive resource for social workers, who mobilise it to justify the fact of not resorting to coercion towards beneficiaries and to protect them from the “control” inherent to activation policies.
- Économie sociale d'insertion : entre logique du travail social et logique de gestion - Muriel Sacco p. 36-46 Vu la propension de l'économie sociale à engager des personnes bénéficiant d'un contrat d'insertion (article 60 § 7) ou d'une aide à l'emploi, l'économie sociale constitue à la fois un agent de la mise en œuvre des politiques du workfare et une street-level organization. Toutefois, son équilibre dépend également d'une certaine rentabilité de ses activités productives. L'enjeu de cet article est de saisir comment les logiques non marchandes et marchandes se combinent dans la fonction d'encadrement de ces travailleurs ; celle-ci étant peu codifiée, elle laisse une certaine discrétion à ceux qui l'endossent. L'article se centre sur des situations problématiques, et s'appuie sur une observation ethnographique menée entre 2017 et 2019 dans une structure d'économie sociale d'insertion en Belgique francophone.Given the propensity of the social economy to hire people eligible to an integration contract (article 60§7) or employment aid, the social economy is both an agent for the implementation of workfare policies and a street-level organisation. However, its balance also depends on a certain profitability of its productive activities. The aim of this article is to understand how non-market and market logics combine in the management function of these workers. As this supervisory function is not very codified, it leaves a certain amount of discretion to those who assume it. This article focuses on problematic situations. It is based on an ethnographic observation carried out between 2017 and 2019 in a social economy integration structure in French-speaking Belgium.
- Maisons de justice : entre bienveillance administrative et gestion du risque ? - Mathias Sabbe, Nathalie Schiffino, Stéphane Moyson p. 15-26
Partie 2. Dynamiques relationnelles des usages discrétionnaires
- Aider ceux qui ne l'ont pas (vraiment) demandé : le travail d'un SASE - Fadoua Messaoudi p. 47-57 À partir de la situation de la famille Demol, tirée des résultats d'une recherche doctorale en cours, je propose dans cet article de montrer comment les intervenants sociaux d'un service d'accompagnement socioéducatif (SASE) de Bruxelles s'emploient à intervenir auprès d'un public qui ne l'a pas (vraiment) demandé. Je confronte la thèse d'une « autonomie-condition » (Ehrenberg, 2012) à la façon dont elle est pratiquée en situation. Pour cela, je montre d'abord comment les pratiques des intervenants sociaux sont affectées par la nature de la relation qui les lie à leur public ; j'expose ensuite comment ils cherchent à intervenir pour induire un changement chez les bénéficiaires, en (ré)interprétant en permanence à qui ils ont affaire ; je présente enfin, à l'aide de la métaphore d'un match de football mobilisé par Norbert Elias, comment par ce travail de repérage ils se repèrent en fait au sein d'une « configuration ».From the situation of the Demol family drawn from the results of an ongoing doctoral research, I propose in this paper to show how the social workers of a socio-educational support service (SASE) in Brussels are working to intervene with an audience that has not (really) asked for it. I confront the thesis of an “autonomy-condition” (Ehrenberg, 2012) with the way it is practiced in a situation. To do this, I first show how the practices of social workers are affected by the nature of the relationship between them and their audience. I then show how they seek to intervene to induce a change in them, by constantly (re)interpreting who they are dealing with. Finally, by using the metaphor of a football match used by Norbert Elias, I show how, through this spotting work, they actually find their way within a “configuration”.
- Quel effet le cannabis a-t-il sur les travailleurs sociaux ? - Benoît Pinto p. 58-67 Les institutions installées à Bayemont inaugurent en 2009 un projet commun destiné aux 12-25 ans. Une coexistence pas toujours évidente se développe entre regroupements juvéniles, et elle se caractérise notamment par l'apparition de nouveaux usages au sein du dispositif. Nous porterons le regard plus spécifiquement sur l'un d'entre eux : la consommation de cannabis. Par l'intermédiaire de cette pratique singulière, il sera question de montrer que la fabrication de l'intervention sociale débouche sur une coconstruction de l'action au quotidien, impliquant non seulement les agents de terrain mais aussi les jeunes, voire le quartier. Le travail social fabriqué quotidiennement passe par l'élaboration de compromis, le maintien du dialogue, ou engage une réflexion sur ce qui édifie l'échange entre professionnels et usagers.In 2009, the institutions in Bayemont launched a joint project for 12-25 year-olds. A not always obvious coexistence is developing between youth groups, and it is characterised in particular by the appearance of new uses within the system. We will look more specifically at one of them: the use of cannabis. Through this singular practice, we will show that the creation of social intervention leads to a co-construction of daily action, involving not only the field workers but also the young people and even the neighbourhood. The social work that is produced on a daily basis involves the elaboration of compromises, the maintenance of dialogue, and a reflection on what builds the exchange between professionals and users.
- Émancipation et travail social : pratiques et arts de faire - Delphine t'Serstevens, Mélanie Vandeleene p. 68-80 Enseignantes en Haute École, nous avons pu relever, lors d'échanges avec les travailleurs sociaux de terrain, que les professionnels de l'action sociale souhaitaient échanger sur leurs pratiques dans le contexte actuel de mutations sociétales. Au travers de cet article, nous souhaitons partager une pratique reliant monde de l'enseignement et milieux professionnels. Notre intention, en tant que chercheuses formées en parallèle à l'analyse des pratiques, a été de tenter de se situer au plus près des gestes des travailleurs sociaux ; pour ce faire, nous avons développé une méthodologie toute spécifique. Cette recherche a donné lieu à la publication d'un livre présentant à la fois le contexte et les enjeux dans lesquels le travail social se développe, la méthodologie de la recherche utilisée et les résultats de celle-ci.During discussions with social workers in the field, we, teachers in university college, were able to note that social action professionals were willing to discuss their practices in the current context of societal changes. Through this article, we wish to share a practice linking the world of education to professional environments. Our intention, as researchers also trained in the analysis of practices, was to try to take a closer look at the actions of social workers and, to this end, we have devised a very specific methodology. This research resulted in the publication of a book presenting both the context and the issues in which social work develops, the research methodology used and the results thereof.
- Aider ceux qui ne l'ont pas (vraiment) demandé : le travail d'un SASE - Fadoua Messaoudi p. 47-57
Partie 3. Freins à la discrétion
- La plateformisation est-elle compatible avec l'exercice discrétionnaire ? - André Decamp p. 81-92 La mise en place du programme Action Publique 2022 met en lumière la redéfinition de la protection sociale et celle des relations de l'État avec les usagers, par le biais de la dématérialisation du Service public. Les agents du travail social voient leur pouvoir discrétionnaire pris en étau entre le big data et la plateformisation du service public. Quel est l'effet de la plateformisation et de ce big data sur les marges de manœuvres des fonctionnaires du travail social, leurs pratiques de contrôle et leur processus décisionnel ? Ce projet de programme gouvernemental Action Publique 2022 donne l'opportunité d'explorer les pistes de réponses à ces questions, et d'analyser la place actuelle de l'usager ainsi que les notions d'enjeux du numérique et du glissement progressif de la notion de « risques ».The implementation of the Public Action 2022 programme highlights the redefinition of social protection and of the State's relations with users, through the dematerialisation of public services. A recomposition of discretionary power is taking place with the push for complete digitisation of public services. Social work agents see their discretionary power caught between big data and the platformisation of public services. For social work officials, what is the effect of this platformisation and big data on their ability to act, their control practices and their decision making ? The draft government programme Public Action 2022 provides an opportunity to explore the answers to these questions and to analyse the current place of the user, the notions of digital challenges and the gradual shift in the notion of “risk”.
- « Suivre la règle », ou le (non)-usage du pouvoir discrétionnaire - Carla Mascia, Adriana Costa Santos p. 93-104 Le pouvoir discrétionnaire des agents de terrain, inhérent au travail social, émane de la nécessité d'adapter les règles générales aux situations singulières, et participe à la redéfinition de la politique publique (Lipsky, 2010). À partir d'une analyse de terrain auprès des différents intervenants (représentants politiques, responsables administratifs et travailleurs sociaux) dans sept CPAS bruxellois, nous nous sommes proposé de vérifier l'impact des normes censées encadrer les pratiques du travail social sur la marge de manœuvre des assistants sociaux. Au départ de la question des freins au pouvoir discrétionnaire, nous considérons l'impact du contexte organisationnel et des conditions de travail sur la non-mobilisation par les agents de leur marge de manœuvre – davantage que l'impact de leur attachement aux normes. Dans un contexte marqué par une complexité légale et normative, une surcharge de travail et des techniques managériales d'objectivation et de contrôle des pratiques, nos observations nous amènent à penser le suivi de la norme aussi en tant que pratique discrétionnaire.The discretionary power of field agents, inherent to social work, arises from the need of adapting general rules to particular situations, and contributes to the redefinition of public policy (Lipsky, 2010). Based on a fieldwork analysis with different stakeholders (political representatives, administrative officials and social workers) in seven CPAS in Brussels, we intend to examine the impact of guidelines established to regulate practices on the room for maneuver of social workers. Starting from questioning the limits on discretionary power, we ascertain the role of the organizational context and working conditions on the non-mobilization of discretion, rather than being related to social workers' attachment to norms. In a context shaped by legal and normative complexity, work overload and managerial techniques of objectification and control of practices, our observations lead us to consider following norms and rules as also being a discretionary practice.
- La plateformisation est-elle compatible avec l'exercice discrétionnaire ? - André Decamp p. 81-92
Varia
- Bilan de compétences et travail soutenable - David Laloy p. 105-116 L'article propose d'analyser, à travers le prisme du concept de travail soutenable, le bilan de compétences, un dispositif d'accompagnement individuel à l'orientation et à l'évolution professionnelle. Ce concept a une portée heuristique pour comprendre ce que vivent les travailleurs dans ce cheminement de questionnement et d'orientation professionnelle. L'auteur s'appuie sur les résultats d'une évaluation du bilan de compétences qu'il mène depuis de nombreuses années. Après une discussion et une présentation de la genèse du concept de travail soutenable, il décrit le bilan de compétences, ses objectifs, son mode de fonctionnement. Enfin, à partir des données récoltées dans le cadre de l'évaluation, il montre ce qui rend le travail « non-soutenable » et en quoi le bilan de compétences permet d'outiller le travailleur pour s'inscrire dans un parcours professionnel davantage soutenable.This article proposes to analyse, through the prism of the concept of sustainable work, the skills assessment, an individual support system for career guidance and development. This concept has a heuristic scope for understanding what workers experience in this process of questioning and career orientation. The author draws on the results of an evaluation of skills assessment that he has been conducting for many years. After a discussion and presentation of the genesis of the concept of sustainable work, he describes the skills assessment, its objectives and its mode of operation. Finally, on the basis of the data collected in the context of the evaluation, he shows what makes work “unsustainable” and how the skills assessment enables the worker to be equipped for a more sustainable career path.
- Bilan de compétences et travail soutenable - David Laloy p. 105-116
- Recensions - p. 127-129