Contenu du sommaire : Les savoirs autochtones
Revue | Revue internationale des sciences sociales |
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Numéro | no 173, septembre 2002 |
Titre du numéro | Les savoirs autochtones |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Les savoirs autochtones
- Résumés - p. 315
- Introduction. Plaidoyer pour l'indétermination - Arun Agrawal p. 321
- Classification des savoirs autochtones : la dimension politique - Arun Agrawal p. 325 L'intérêt grandissant porté aux savoirs autochtones s'est traduit au cours des dernières années par l'apparition de stratégies nouvelles destinées à les protéger et à les faire largement connaître. Cet article sonde l'une des plus courantes – la collecte, l'analyse et le classement des savoirs autochtones en vue de leur introduction dans des bases de données accessibles au public. L'auteur s'interroge sur la viabilité de la stratégie qui préside à la construction de telles bases de données et met au jour les paradoxes qu'elle comporte en s'attachant surtout au processus à travers lequel les savoirs autochtones se voient conférer la scientificité. Il examine les conséquences pratiques, épistémologiques et politiques de cette « scientisation » et soutient en conclusion que bon nombre des faiblesses qu'il relève dans cette construction viennent de ce que les relations de pouvoir qui marquent l'existence des peuples autochtones n'y retiennent pas suffisamment l'attention.
- Mode de contestation : le "savoir indigène" et la "science des citoyens" en Afrique de l'Ouest et dans les Caraïbes - Melissa Leach, James Fairheas p. 337 Le « savoir indigène » et la « science des citoyens » s'expriment dans des discours parallèles apparus respectivement dans les sociétés du Sud et dans celles du Nord. Les auteurs de cet article comparent la façon dont ces deux traditions de recherche ont représenté les divers types de savoir et les relations de la science moderne avec des points de vue différents. D'un côté, les débats sur le « savoir indigène » mettent en évidence les discordances théoriques et morales et le divorce entre les savoirs en présence ; de l'autre, les travaux relatifs à la « science des citoyens » attestent qu'elle s'engage désormais directement dans un rapport de contestation avec la science des institutions détentrices de l'expertise. Les deux discours sont attaqués par la thèse suivant laquelle tous les savoirs sont le produit de constructions sociales, thèse qui dissout l'opposition entre le savoir indigène et le savoir scientifique, entre le savoir des profanes et celui des experts, pour les réduire à une multitude de points de vue partiels et de pratiques en situation propres à divers acteurs sociaux. Cette dissolution ne doit cependant pas masquer les différences réelles qui existent entre les divers modes de contestation des savoirs : ces différences reflètent les contextes sociaux et les pratiques sociales de la science, ainsi que les traditions institutionnelles dont ils sont issus. Les auteurs de l'article examinent ces différences à propos des chasseurs et des parcs nationaux dans les Caraïbes (Trinité) et en Afrique de l'Ouest (Guinée) ; ces deux exemples montrent que des concepts comme ceux d'indigène et de citoyen sont eux-mêmes le produit des contextes sociaux et historiques.
- Le savoir des femmes du tiers monde dans le discours sur le développement - Shubhra Gururani p. 353 La distinction entre savoir autochtone et savoir scientifique a beau être remise en question dans de nombreux ouvrages et publications, les femmes des zones rurales du tiers-monde sont systématiquement indigénisées et leur savoir est considéré comme le nouveau moyen d'assurer le développement durable et de conserver la biodiversité. À partir d'exemples ethnographiques recueillis dans le massif himalayen du Kumaon, au nord de l'Inde, l'auteur examine la configuration du savoir féminin et ses modalités de production, de diffusion et d'échange. Elle attire l'attention sur le jeu des facteurs qui conditionnent le savoir et insiste sur trois points : premièrement, si les femmes possèdent un savoir, ce n'est pas dû à leur nature féminine, mais à leurs activités et modes de subsistance, qui sont déterminés par la société dans laquelle elles vivent et qui en retour modèlent les rapports entre le pouvoir et le savoir. Deuxièmement, le savoir féminin, que les femmes elles-mêmes, comme les hommes, réduisent à de « simples bavardages », est façonné par de multiples échanges informels entre femmes et hommes, ce qui amène à poser le problème de sa spécificité. Troisièmement, ce savoir change en même temps que les pratiques de la vie courante reflétant l'évolution sociale, politique et écologique au niveau local et à l'échelle mondiale. Au lieu de considérer le savoir des femmes comme un nouvel instrument au service de la biodiversité, il convient, d'après l'auteur, de s'intéresser de près aux dimensions culturelles de l'articulation entre savoir, autorité et gouvernance.
- Les savoirs intimes - Hugh Raffles p. 365 Les travaux récents sur les savoirs locaux ne se sont guère attardés sur le sens du mot « local ». Dans cette étude, je présente des matériaux théoriques et ethnographiques qui font ressortir le caractère relationnel du local et j'examine en quoi cela pourrait nous aider à comprendre les savoirs locaux. À quoi ressemblent des savoirs locaux relationnels ? Compte tenu du fait que ce concept ainsi reconfiguré est très éloigné des notions traditionnelles de « lieuité », et décidé à résister à la localisation, je suggère qu'il y aurait beaucoup à gagner à repenser les savoirs locaux et leur production comme forme d'intimité.
- Des savoirs « traditionnels » pour évaluer les impacts environnementaux du développement moderne et occidental - Marie Roué, Douglas Nakashima p. 377 bLa prise en compte sur la scène internationale des savoirs autochtones dans la gestion des ressources est récente. Cet article est basé sur des entretiens collectés par les auteurs en 1994 chez les Indiens Cris de Whapmagoostui (baie James, Canada), dans le contexte de l'évaluation d'impact social et environnemental du projet hydroélectrique Grande Baleine. Un chasseur cri, pour pallier les nombreuses lacunes qu'il avait identifiées dans le document d'évaluation d'impact du développeur, nous a communiqué ses connaissances et sa vision du monde. Son analyse systémique, dont nous ne donnons ici que ce qui concerne le castor, met en valeur les relations écologiques qui lient humains, mammifères, poissons et oiseaux, sans oublier les besoins qu'ont les êtres, humains et non humains, d'un habitat, d'une alimentation et d'un abri spécifiques à chaque espèce. Sa vision conjugue les points de vue matériel, esthétique et éthique et considère les résultats des actions humaines tant sur le monde naturel que spirituel. Elle transcende la compartimentation des sciences occidentales. Elle démontre enfin la capacité prédictive du savoir et de la pensée cris, leur pertinence et leur légitimité en tant qu'instruments d'évaluation.
- Histoires et savoirs autochtones hybrides chez les petits cultivateurs d'hévéa d'Asie - Michael R. Dove p. 389 Cet article remet en cause les hypothèses à la base du concept de « savoir autochtone », à partir d'une étude de cas qui porte sur un système de savoirs autochtones apparemment exemplaire, celui des petits cultivateurs modernes d'hévéa dans le Sud-Est asiatique. L'analyse débute par un bref historique des techniques de culture de l'hévéa, avec notamment le transfert de l'Hevea brasiliensis depuis l'Amérique du Sud jusque dans le Sud-Est asiatique et l'édification d'un savoir relatif à la culture de l'hévéa pendant et après ce transfert. Cette histoire d'édification d'un savoir s'est caractérisée par deux ruptures essentielles, qui ont consisté à séparer l'hévéa de son contexte conceptuel d'origine, puis à expérimenter des techniques de production extensive du caoutchouc. Chez les petits producteurs asiatiques, le système de culture qui en est résulté n'est, comme beaucoup d'autres systèmes de cette nature, ni exogène ni indigène mais plutôt de nature hybride, et cette idée d'hybridité est vivement contestée par les principales parties concernées, à savoir les petits producteurs d'un côté, et le secteur des propriétés d'État de l'autre. L'auteur en conclut que le concept de savoir autochtone est un type de « pratique divisante », qui masque une histoire faite d'interactions et de contestations et que ce concept a connu un « cycle de vie », au cours duquel il a d'abord été reçu et utilisé avant d'être rejeté et de tomber en désuétude.
- Purification ethnique, savoir récursif et dilemmes du territorialisme - Tania Murray Li p. 401 Depuis que l'ex-président Suharto a été renversé (1998) et que le régime d'Ordre nouveau a desserré son étreinte, l'Indonésie compte plus d'un million de réfugiés internes qui fuient la violence intercommunautaire ou sa menace. L'expression « purification ethnique » est de plus en plus utilisée pour décrire les récupérations violentes de territoires et l'expulsion des « étrangers ». L'examen de ce processus n'est guère favorable à l'image dominante de populations autochtones comme victimes des violences perpétrées par des régimes sanguinaires, des sociétés commerciales ou des colons avides de terres. Il oblige les universitaires et les militants qui ont étudié – et, de fait, ont encouragé – « la résistance » et « l'autonomisation » des peuples autochtones à regarder en face les violences qui peuvent en découler, même lorsqu'ils s'accrochent à l'espoir d'un règlement pacifique. Il révèle également au grand jour le dilemme posé par ce que Liisa Malikki (1992) appelle la « métaphysique territorialiste », à savoir la valorisation fréquente de ce qui est « d'origine » et « chez soi » par rapport à ce qui se déplace ou vient de l'extérieur. Les apologistes des savoirs autochtones insistent sur les liens profonds qui existent entre les peuples autochtones et un sol qui leur est propre, faisant valoir qu'un déplacement peut être synonyme d'ethnocide. Reprises par les peuples autochtones, les hypothèses territorialistes peuvent servir à justifier l'exclusion ethnique et aller dans le sens de droits différentiels fondés sur des hiérarchies d'appartenance. Soulignant les limites du territorialisme, l'auteur de la présente étude propose d'autres solutions, moins tournées vers l'exclusion.
- « Indigéniser, indianiser et spiritualiser » l'éducation ? Tout un programme… - Nandini Sundar p. 413 En rapprochant deux exemples différents, mais intimement liés, empruntés à l'Inde – l'introduction de l'astrologie comme savoir autochtone ou indigène dans les programmes universitaires et l'instruction scolaire chez les peuples autochtones –, l'auteur analyse les rapports entre les savoirs autochtones et l'éducation formelle. Dans un cas comme dans l'autre, la valorisation d'un certain corps de savoir qualifié indigène ou autochtone et son incorporation dans un système formel (qui en certifie ensuite la nature de « savoir » légitime) reposent sur le rang dans la société et la puissance du groupe social qui revendique la qualité d'autochtone plus que sur la substance de ce savoir. Si l'astrologie védique s'est fait une place dans les programmes universitaires indiens, c'est parce que le groupe qui la défend, à savoir la droite hindoue, a réussi à se faire reconnaître cette « indigénité » et possède le pouvoir politique requis pour transmuer ses croyances en « savoir » homologué. En revanche, les peuples autochtones n'ayant pas su s'affirmer politiquement, leurs langues et leurs systèmes de connaissance demeurent marginaux. En dernière analyse, par conséquent, le savoir autochtone est une catégorie politique et contextuelle et non pas substantielle.
- Langues menacées, savoirs en péril - Luisa Maffi p. 425 Durant les années quatre-vingt-dix, les questions liées aux langues menacées de disparition et à la perte de diversité linguistique dans le monde sont arrivées sur le devant de la scène, ce qui a suscité chez les linguistes un nouvel intérêt pour l'inventaire et la revitalisation de ces langues. Il est également apparu que la crise de la diversité linguistique s'inscrivait dans une crise plus large de la diversité de la vie sur terre, embrassant la diversité linguistique, culturelle et biologique. La recherche a montré les nombreux recoupements de ces multiples manifestations de la diversité de la vie dans leur répartition, ainsi que leurs liens et leurs appuis mutuels. Elle a aussi montré que les causes et les conséquences de la perte de diversité, à tous les niveaux, sont liées les unes aux autres. De même, on a établi une relation étroite entre langue et environnement dans les savoirs écologiques traditionnels. De multiples organisations et activités ont vu le jour afin d'encourager la préservation des langues dans le monde et de promouvoir une approche de « diversité bioculturelle » propre à maintenir la diversité de la vie. À l'aube du xxie siècle, il convient d'analyser l'action déjà accomplie, aussi bien dans la recherche que dans les politiques, et d'examiner les caractéristiques que devrait offrir un domaine intégré de la théorie et de la pratique linguistiques pour être parfaitement à même de gérer la crise qui pèse sur les langues. Enfin, si l'on veut « faire passer le message », il importe également d'intégrer la science dans d'autres formes de communication, dont l'art.
- Actualité du savoir autochtone : l'exemple de Fidji - Joeli Veitayaki p. 435 Depuis la cnued, on discute beaucoup des raisons pour lesquelles les efforts de développement économique et d'industrialisation des pays en développement n'ont pas donné les résultats escomptés. Ces pays sont toujours aux prises avec des problèmes liés à la stagnation de leurs économies nationales, dont leurs centres urbains tentaculaires entourés d'un arrière-pays rural marginalisé offrent des exemples saisissants. Parallèlement, l'environnement y est considérablement altéré et pollué, ce qui prouve l'impact d'activités humaines prolongées, alors même que la technologie n'a sans doute encore jamais atteint une sophistication aussi poussée. D'où de graves interrogations sur la direction que devrait prendre le développement de l'humanité et les options qui s'offrent. La plupart des pays en développement étudient des approches nouvelles du développement reposant sur un bilan des changements apportés par les gens et les mesures destinées à corriger les erreurs commises. Dans des pays comme Fidji, le savoir autochtone fut ignoré, abandonné et modernisé à l'époque coloniale et dans les premières années de l'indépendance. Sa valeur et sa pertinence n'ont été reconnues que récemment, alors que des siècles durant ce savoir et cette sagesse avaient été mis à l'essai et vérifiés par ceux qui vivaient dans ces parages. Aussi, faut-il aujourd'hui que leurs descendants tirent parti de ces savoirs qui ont permis aux autochtones d'y vivre à travers l'histoire.
- La généalogie comme taxinomie - Brad Haami, Mere Roberts p. 443 Les Maoris de Nouvelle-Zélande ne pratiquent pas l'art de la généalogie uniquement pour définir les filiations et les rapports existant entre les êtres humains. Ils s'en servent également comme cadre épistémologique pour décrire l'ordre inhérent à la nature. Les whakapapa contiennent généralement des informations relatives à l'origine divine théorisée d'un organisme, à son ascendance, à ses rapports (spirituels et physiques) avec les autres et à l'utilisation qui en est faite. À certains égards, ils ont une fonction de « taxinomies populaires » de portée générale. Mais il est impossible de comprendre la nature des rapports ainsi établis sans connaître le récit ou les récits qui y sont associés, et qui renferment aussi bien des théories expliquant pourquoi les choses sont comme elles sont que des principes éthiques indiquant la conduite à avoir. Le regain d'intérêt pour les whakapapa des plantes et des animaux traduit la préoccupation que suscite, de la part des Maoris, le génie génétique, et plus particulièrement le transfert de gènes entre le genre humain et d'autres espèces. À cet égard, la nature des rapports esquissés dans les whakapapa, et leurs possibles rapprochements avec des concepts scientifiques modernes de taxinomie fondés sur la phylogenèse, ainsi que la nature de chaque espèce, sont primordiales. Nous nous proposons ici de décrire le whakapapa d'une importante plante comestible : la patate douce ou kumara, et d'en interpréter les multiples fonctions.
- L'utilisation des techniques d'évaluation participative dans les zones rurales comme stratégies métacognitives pour développer les savoirs autochtones : une étude de cas - Mansoor Shahvali, Kiumars Zarafshani p. 453 Les agriculteurs doivent avoir une conception stratégique des choses et adopter des stratégies pour établir des liens entre savoir nouveau et savoir ancien. Les stratégies d'apprentissage jouent donc un rôle important dans le processus didactique. Le concept de stratégie d'apprentissage recouvre généralement à la fois les stratégies cognitives et les stratégies métacognitives. Ceux qui ont des stratégies métacognitives sont dotés d'un savoir et maîtrisent leur pensée ainsi que leurs activités cognitives. Cette étude de cas sur la façon d'atteindre des niveaux élevés de savoir en utilisant des stratégies métacognitives par le biais de techniques d'évaluation participative dans les zones rurales mises en œuvre à l'ouest de l'Iran montre comment ces techniques d'évaluation peuvent offrir une stratégie efficace pour instaurer des comportements métacognitifs chez les agriculteurs.
- Les numéros parus - p. 461