Contenu du sommaire : La corruption du ministre public
Revue | Revue française d'histoire des idées politiques |
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Numéro | no 54, 2ème semestre 2021 |
Titre du numéro | La corruption du ministre public |
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Études
- La corruption du ministre public : droit, théologie et politique (XVIe-XVIIIe siècle). Présentation - Sylvio Hermann De Franceschi p. 9-11
- Les humanistes et la question de la corruption des magistrats au XVIe siècle - Marie Barral-Baron p. 13-37 Les humanistes de la première moitié du XVIe siècle dénoncent en chœur la corruption des élites et des gouvernants. Érasme comme Thomas More, Machiavel comme Boccalini, la traquent sans relâche et en viennent à définir une représentation normative du comportement civique afin d'être en mesure de condamner le manque de probité. Toutefois, ils ne sont pas dupes et constatent, chacun à sa manière, à quel point la corruption fait partie de la nature humaine. Faute de pouvoir l'anéantir, ils finissent alors par la transcender. Si la corruption est un vice, elle est aussi la preuve de la liberté de l'homme qui a le choix ou pas de marcher dans ses pas. Mieux même, comme la corruption habite toute chose, elle apparaît bientôt comme une forme de catharsis.The humanists of the first half of the sixteenth century denounced in chorus the corruption of elites and rulers. Erasmus as well as Thomas More, Machiavelli as well as Boccalini, were relentless in their pursuit of corruption and came to define a normative representation of civic behaviour in order to be able to condemn lack of probity. However, they were not fooled and noted, each in his own way, the extent to which corruption was part of human nature. If they cannot destroy it, they end up transcending it. If corruption is a vice, it is also the proof of man's freedom to choose whether or not to follow in its footsteps. Better still, as corruption inhabits everything, it soon appears as a form of catharsis.
- Péculat et concussion : la corruption des officiers à l'époque moderne (XVIe-XVIIIe siècle) - Cyrille Dounot p. 39-61 La répression de la corruption chez les agents du roi remonte au règne de François Ier qui établit les crimes de concussion et de péculat, commis par les financiers, les juges et autres officiers peu respectueux des biens privés comme de l'argent public. La particularité de ces crimes est marquée par une procédure spéciale, où la preuve est plus facile à apporter. Les peines, extrêmement variables, vont de l'amende et de la restitution des sommes volées à la mort, en passant par la perte de l'office ou les galères. Cependant, les juges ont tendance à adoucir le sort des péculateurs et des concussionnaires, ce qui entraîne souvent un dessaisissement de la justice ordinaire pour une justice d'exception, plus prompte à juger de la corruption des officiers.The repression of corruption among the king's agents dates back to the reign of Francis I, who established the crimes of concussion and peculate, committed by financiers, judges and other officers with little respect for private property as well as public money. The particularity of these crimes is marked by a special procedure, where the proof is easier to bring. The penalties, which varied greatly, ranged from fines and restitution of the stolen money to death, loss of office or the galleys. However, judges tended to soften the fate of peculators and embezzlers, which often led to a shift from ordinary justice to special justice, which was more likely to judge the corruption of officers.
- Publicisation d'un double pouvoir en temps de Fronde : une lecture de la corruption à partir de Gabriel Naudé - Frédéric Gabriel p. 63-86 Alors que la monarchie est en situation de banqueroute, les habiles malversations financières de Mazarin et son enrichissement personnel sont l'un des déclencheurs de la Fronde. Un Jugement publié anonymement par Gabriel Naudé, le bibliothécaire du cardinal, prend sa défense en 1649-1650. Suite à l'examen des ressorts de la publicisation et de la disjonction sociale mis en scène dans ce texte, on propose une conception de la corruption, propre au monde politique. Loin d'être seconde par rapport à un état « sain », la corruption constitue un mécanisme du pouvoir, un véritable système au cœur de l'État qui permet au détenteur du pouvoir d'en obtenir encore plus. En fin de compte, dans ce contexte, la corruption révèle l'essence du pouvoir.While French monarchy is bankrupted, Mazarin is getting rich out of skilled financial misappropriations and thus becomes one of the igniters of the Fronde. Anonymously published Judgment by Gabriel Naudé, the cardinal's librarian, stands up for him in 1649–1650. By examining the mode of publication and social disjunction as shown in that text, we are able to propose a concept of corruption specific to the political world. It appears that corruption is far from being an anomaly even in a healthy government: corruption is a mechanism of power, a proper system at the core of the State. It empowers the holder to obtain even more of it. In such a context, ultimately, corruption is the essence of power.
- La théologie morale catholique de l'âge classique face aux épices. Théologiens moralistes, probabilisme et corruption du juge en catholicité posttridentine (XVIe-XVIIe siècles) - Sylvio Hermann De Franceschi p. 87-113 Aux confins de la théologie, du droit et de la moralité publique, la question de la prévarication des magistrats s'est révélée un des plus sûrs exemples pour mettre en lumière les faiblesses de la casuistique indulgente développée par les moralistes de la Compagnie de Jésus. Les jésuites ont immédiatement compris l'importance de l'argument qui était ici avancé contre eux. Le basculement progressif de la théologie morale catholique vers la sévérité au cours de la seconde moitié du XVIIe siècle a achevé de discréditer les positions défendues par Lessius, dont le nom a fini par être étroitement associé à la légitimation antichrétienne de la figure du magistrat prévaricateur.On the borders of theology, law and public morality, the question of the prevarication of magistrates has proved to be one of the surest examples to highlight the weaknesses of the indulgent casuistry developed by the moralists of the Society of Jesus. The Jesuits immediately understood the importance of the argument that was being made against them on this point. The progressive shift of Catholic moral theology towards severity during the second half of the 17th century completed the discrediting of the positions defended by Lessius, whose name came to be closely associated with the anti-Christian legitimation of the figure of the prevaricator judge.
Variétés
- Le chapitre 8, livre XI de "L'Esprit des lois" Hypothèses complémentaires - Guillaume Bacot p. 115-124 On comprend difficilement comment Montesquieu peut voir dans l'assemblée de la nation chez les Germains l'origine d'un gouvernement gothique mêlé d'aristocratie et de monarchie. L'explication se trouve peut-être dans la confusion qu'il entretient entre toute l'armée des conquérants et la seule escorte de leur chef.It is difficult to understand how Montesquieu can see in the assembly of the nation among the Germans the origin of a mixed gothic government with aristocracy and monarchy. The explanation may lie in the confusion he maintains between the whole army of the Conquerors and the sole escort of their chief.
- L'union sacrée ? Rousseau, Dupin, Voltaire, et quelques autres contre `ibL'Esprit des lois`/ib - Catherine Volpilhac-Auger p. 125-158 L'Esprit des lois a été combattu par un véritable front d'auteurs disparates que l'on considère généralement comme des alliés de Montesquieu, ou des adversaires peu actifs. Au centre, le fermier général Dupin qui élabore dix ans durant une critique virulente qu'il n'arrive pas à diffuser, malgré le soutien de la Cour ; Rousseau a joué auprès de lui un rôle très mineur certes, mais méconnu ; plusieurs jésuites l'ont aidé, sans jamais apparaître au grand jour. Son plus tenace soutien a été Voltaire, qui a enrichi ses propres publications de son travail, jusqu'à renier (sans le dire) certaines des positions qui fondent sa démarche philosophique. Le paysage intellectuel des années 1750-1770 apparaît ainsi dans toute sa complexité, autour du salon de Mme Dupin, sans que jamais ces critiques n'aient remis en cause le cœur de L'Esprit des lois.The Spirit of Law was opposed by a veritable front of disparate writers who are generally considered as Montesquieu's allies or relatively passive adversaries. In between is the farmer general Dupin who for ten years elaborated a virulent critique which he could not manage to disseminate, despite the approval of the court. Rousseau played a very minor but little-known role with him; several Jesuits provided assistance, without ever declaring a public position. His most tenacious supporter was Voltaire, who used his work to enrich his own publications while denying (without so stating) certain of the propositions that underpin his philosophical method. The intellectual landscape in the years 1750 to 1770 thus appears in all its complexity, centered on the salon of Madame Dupin, no great damage being done by these critics to the heart of The Spirit of Law.
- La volonté générale comme moyen d'identification de l'intérêt général dans l'œuvre de Condorcet - Claire Aguilon p. 159-183 L'œuvre de Condorcet amène à s'interroger sur la façon dont le référendum et la représentation nationale permettent l'identification de l'intérêt général. L'analyse probabiliste de Condorcet montre que l'augmentation du nombre de votants ne permet de se rapprocher de l'intérêt général que si chaque personne possède moins d'une chance sur deux de se tromper. Dès lors, la question se pose, dans notre système électoral où le vote blanc demeure sans effet, des effets du vote de citoyens incertains. Aussi, Condorcet considère que la prise de décision par une assemblée élargie devrait être privilégiée lorsque l'égalité politique, l'indépendance du scrutin et l'instruction publique sont assurées. Des assemblées réduites se prononcent lorsqu'une décision doit être prise sans que ces conditions ne soient réunies (ces assemblées réduites ne peuvent concourir à l'expression de l'intérêt général que si l'indépendance des pouvoirs, l'égalité des classes, la liberté de la presse et celle du commerce sont garanties). Condorcet considère en particulier qu'une pluralité plus importante devrait être exigée lorsque la décision adoptée risque de limiter une liberté publique. Dans cette perspective, un encadrement par le droit de l'usage du référendum pourrait être imaginé.Condorcet's work leads us to question the way in which referendums and national representation allow the identification of the general interest.Condorcet's probabilistic analysis shows that the increase in the number of voters makes it possible to get closer to the general interest only if each person has less than one chance in two of being wrong. From then on, the question arises, in our electoral system where the blank vote remains without effect, of the effects of the vote of uncertain citizens. Condorcet therefore considers that decision-making by an enlarged assembly should be privileged when political equality, the independence of the ballot and public education are ensured. Smaller assemblies are used when a decision must be taken without these conditions being met (these smaller assemblies can only contribute to the expression of the general interest if the independence of the powers, the equality of the classes, the freedom of the press and the freedom of trade are guaranteed). Condorcet considers in particular that a greater plurality should be required when the decision adopted risks limiting a public freedom. In this perspective, a legal framework for the use of referendums could be imagined.
- Le pouvoir en fiducie : le trust dans la pensée politique britannique, c. 1680-1720 - Henri-Pierre Mottironi p. 185-214 L'idée de trust dans la pensée britannique de grands auteurs comme John Locke ou Algernon Sidney est encore trop souvent entendue dans son sens littéral de « confiance » au détriment de son sens juridique renvoyant à cette forme de fiducie anglo-saxonne si particulière qu'est le Trust. Cet emprunt au droit des affaires anglo-saxon est très mal connu et peu étudié dans les travaux de langue française, alors qu'il fait l'objet d'un débat toujours ouvert dans la littérature anglo-saxonne. C'est cette lacune que ce texte veut participer à combler à travers la pensée politique de cinq auteurs britanniques centraux de la fin du xviie siècle et du début xviiie siècle que sont Locke, Sidney, John Toland, Thomas Gordon et John Trenchard. Pour ce faire, nous commencerons par redonner des éléments historiques et juridiques centraux concernant le trust afin de mieux cerner la notion en tant que contrat de fiducie (I). Ces éléments nous permettront de montrer que John Locke est l'un des fondateurs de l'idée qu'un gouvernement libre est celui où le pouvoir n'est que confié en trust, idée qui ouvre la perspective d'une lecture plus économique des Traités sur le gouvernement civil (II). Si la théorie du gouvernement et celle du « pouvoir en fiducie » chez Locke s'avèrent très développées, nous verrons que la métaphore du trust public est un motif récurrent de la pensée « républicaine » anglo-saxonne à travers les écrits de Sidney, Toland, Gordon et Trenchard, auteurs dont les écrits vont inspirer les révolutionnaires américains et français de la fin du xviiie siècle (III).On the Continent, the notion of trust to be found in the works of great British authors such as John Locke or Algernon Sidney is too often understood in the sense of the French confiance (confidence or reliance), instead of being taken as a legal concept best understood as an Anglo-Saxon form of what the French call fiducie. Borrowed from Business Law, the Trust is scarcely known and discussed in studies written in French, while remaining an important topic in legal literature written in English. In order to start filling up the gap, this paper is discussing five prominent Late Seventeenth-Early Eighteenth Centuries English authors: Locke, Sidney, John Toland, Thomas Gordon and John Trenchard. We begin by listing the main historical and legal elements relating to the Trust in order to better understand this notion as a form of contract (I). These elements show that John Locke is one of the founders of the idea that a free government is but an entrusted power – which allows for a more economy-oriented reading of the Treatises (II). Public trust is also a recurring metaphor in the “republican” writings of Sidney, Toland, Gordon and Trenchard, whose works inspired the American and French revolutionaries at the end of the 18th century (III).
- Kant, penseur merkélien ? - Lucien Calvié p. 215-234 Mme Merkel devant quitter la Chancellerie après les élections de septembre, on peut, pour caractériser les fondements de sa politique, partir des éloges qui, en 2015, ont suivi sa décision d'ouvrir sans restriction les frontières de son pays aux réfugiés en provenance surtout de Syrie, « sauvant » ainsi « l'honneur » de l'Europe et donnant au monde une leçon de morale « kantienne ». Ce supposé « kantisme » invite à un retour critique sur la pensée politique de Kant à l'aune de la Révolution (1789) et de la République (1792). Entre le Kant « républicain », mais flou, de Luc Ferry et le Kant « nazi » d'Onfray, il y a place pour un Kant tiré vers la gauche, celui de Goldmann en 1945-1948, à la Libération, mais aussi un Kant « centriste », donc « merkélien », dont le « républicanisme » taillé très large laisse quasiment tout ouvert, dont le pire. L'Allemagne qui va suivre celle de Mme Merkel en est-elle plus rassurante ?Ms Merkel due to leave the Chancellery after the September elections, we can, to characterize the foundations of her policy, start from the praise which, in 2015, followed her decision to open up the borders of her country without restriction with refugees coming mainly from Syria, thus “saving” the “honor” of Europe and giving the world a lesson in “Kantian” morality. This supposed “Kantianism” invites to a critical return to Kant's political thought in the light of the Revolution (1789) and the Republic (1792). Between the “republican”, but vague, Kant of Luc Ferry and the “Nazi” Kant of Onfray, there is room for a Kant drawn to the left, that of Goldmann in 1945–1948, at the Liberation, but also a “centrist” Kant, therefore “Merkelian”, whose very broad “republicanism” leaves almost everything open, including the worst. Is thus Germany, which will follow that of Ms Merkel, more reassuring?
- Le chapitre 8, livre XI de "L'Esprit des lois" Hypothèses complémentaires - Guillaume Bacot p. 115-124