Contenu du sommaire : Haïti : les vies à pied d'œuvre
Revue | A contrario |
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Numéro | no 32, 2021/2 |
Titre du numéro | Haïti : les vies à pied d'œuvre |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
- Haïti : les vies à pied d'œuvre - Marco Motta, Basile Despland p. 3-17
Articles
- Voyage en compagnie de mon ombre - Marie-Célie Agnant p. 19-29
- Le dévoilement performatif du « peuple » : une réflexion sur les bandes à pied et la politique de la rue en Haïti - Chelsey L. Kivland, Mathilde Périvier, Daniel Yepes, Chelsey L. Kivland, Marco Motta, Basile Despland p. 31-58 Cet article présente les bann a pye haïtiennes – les bandes à pied, les fanfares du carnaval – comme des plateformes stratégiques pour la critique politique de la gouvernance néolibérale. Au travers d'une ethnographie d'une bande à pied dans un quartier populaire de Port-au-Prince, je montre comment la bande se forme et se présente elle-même comme un porte-parole de son quartier défavorisé et de la population démunie qui y vit. Bien que la bande soit très critique de l'État, elle n'appelle pas à en finir avec celui-ci ; au contraire, elle exige une présence plus soutenue et engagée de sa part afin d'améliorer les conditions de vie des citadins pauvres. Les efforts continus de la bande pour reconstituer un État qui répond aux besoins de la population du quartier contredit les conceptualisations dominantes en sciences sociales qui postulent l'État comme une force répressive qui doit nécessairement être défiée, à laquelle on doit se dérober ou dont la structure doit être démantelée. Les chansons de ces bandes nous rappellent qu'en face d'un secteur public vicié, l'État resurgit comme le socle ambitieux d'une société juste et équitable.This article presents Haiti's bann a pye (Carnival street bands) as a key platform for political critique of neoliberal governance. Through an ethnography of a street band in a katye popilè (popular quarter) in Port-au-Prince, I reveal how the band creates and asserts itself as a spokesperson for its marginalized neighborhood and for the impoverished people who live there. Although positioning themselves as critics of the state, what I reveal is how the band is calling not for the state's end but for it to be more present and engaged in ameliorating life for the urban poor. The band's continued effort to reconstitute a state that responds to the needs of the urban poor counters prevailing social scientific conceptualizations of the state as an inherently repressive force that should be flouted, escaped or dismantled. Their songs remind us that, in the face of a vitiated public sector, the state resurfaces as the aspirational bedrock of a just society.
- `ibJwèt mò`/ib. L'engendrement du désordre en Haïti - Greg Beckett, Basile Despland, Marco Motta p. 59-85 Cet article est un chapitre traduit et extrait de There Is No More Haiti : Between Life and Death in Port-au-Prince. Greg Beckett y explore la manière dont la crise politique est ressentie et dont divers agents puissants « font le désordre ». Avec pour toile de fond la crise de 2004 qui a abouti à l'exil du président Jean-Bertrand Aristide et à l'arrivée d'une intervention militaire internationale, cet article montre comment les résidents urbains de Port-au-Prince ont utilisé le concept haïtien dezòd pour donner un sens à la crise politique, ressentie comme inéluctable et délibérément créée par des agents puissants cherchant à prendre le contrôle de l'État.This article is a translated and excerpted chapter from There Is No More Haiti : Between Life and Death in Port-au-Prince. It explores what political crisis feels like and how various powerful agents actively “create disorder.” Set against the backdrop of the 2004 crisis that resulted in the exile of President Jean-Bertrand Aristide and the arrival of an international military intervention, this article shows how urban residents in Port-au-Prince used the Haitian concept of dezòd to make sense of the political crisis as something that was both felt to be inescapable and understood to be deliberately created by powerful agents whose aim was to seize control of the state.
- `ibNap kenbe`/ib : une chronique haïtienne - Marco Motta p. 87-117 Dans un texte qui prend la forme d'une chronique composée à partir des notes consignées dans un carnet que l'auteur a tenu durant l'un de ses séjours en Haïti, il raconte comment la violence apparaît dans les interstices de la vie quotidienne. La chronique commence le 27 octobre, trois jours avant le début de la fête des Morts, et prend fin le 18 novembre, la date de la victoire de l'armée de Dessalines lors de la bataille de Vertières de 1803 qui mena Haïti à s'affranchir du colon français. Entre ces deux dates, le 13 novembre 2018 a eu lieu le massacre de La Saline. En prêtant attention aux détails des interactions ordinaires et aux remous qui affectent la vie en commun, l'auteur fait sentir le climat spécifique à une période de l'histoire récente d'Haïti où il est devenu difficile de dire et de penser la violence qui a lieu. La forme du texte elle-même est une invitation à repenser la relation entre les modes d'écriture en anthropologie et nos façons de penser la violence et la cruauté humaines.In a text that takes the form of a chronicle composed from notes that the author compiled in a diary he kept during one of his stays in Haiti, he recounts how violence appears in the interstices of everyday life. The chronicle starts on October 27th, three days before the Day of the Dead, and finishes on November 18th, the date of the victory of Dessalines' army at the battle of Vertières in 1803, which lead Haïti to free itself from the French colony. Between both dates, on November 13th, the massacre of La Saline took place. By paying attention to the details of ordinary interactions and the swells that affect communal life, the author makes his readers feel the atmosphere of Haiti's recent history, in which it has become difficult to say and think violence. The form of the text itself is an invitation to rethink the relation between modes of writing in anthropology and our ways of thinking violence and human cruelty.
- La fabrique de la corruption en Haïti - Claire Antone Payton, Basile Despland, Marco Motta p. 119-130 Cet article donne un aperçu de la corruption en Haïti au XXe siècle au travers de l'analyse du contrôle de la part de l'État de la vente et de la distribution du ciment. En éclairant la façon dont le monde de la construction est influencé par la violence d'État, l'article démontre à quel point les différentes formes de construction en Haïti après le tremblement de terre de janvier 2010 reflètent les tensions entre les citoyens et l'État. En faisant une analyse historique de la manière dont les méthodes d'extraction de l'État se sont modifiées avec les changements de pression de la part des acteurs locaux et internationaux, l'article propose de voir la corruption non comme une fatalité, mais comme un mode de gouvernance précaire et sans cesse sujet à révision qui peut être réformé.This article provides an overview of corruption in twentieth-century Haiti through an analysis of state control over the sale and distribution of cement. By illuminating how the world of construction is influenced by state violence, the article demonstrates that different forms of housing in post-earthquake Haiti reflect citizens' fraught relationships with the state. The article historically analyzes how the state's methods of extraction changed in relationship to shifting local and international pressures to propose that corruption is a precarious and constantly revised mode of governance that has the potential to be reformed.
- Éthiquette éclair, un éclat de lumière sur l'école haïtienne - Yves Érard p. 131-169 Le système scolaire haïtien souffre de deux injonctions paradoxales : a) l'école est gratuite est obligatoire, mais l'État haïtien n'a ni les moyens de garantir cette gratuité ni les moyens de faire respecter cette obligation ; b) l'enseignement doit se faire en français alors que le créole est majoritairement la langue du quotidien. Un gain en expression scolaire implique souvent une perte de confiance dans sa langue maternelle. Cet article veut donner une vue de cette double insécurité quand elle est vécue par celles et ceux qui y sont soumis (y compris l'auteur de ces lignes, qui est aussi soumis aux injonctions paradoxales qu'il décrit). C'est une invitation à rencontrer l'école en Haïti avec toutes celles et tous ceux qui la font tous les jours. La description des déterminismes sociaux et linguistiques se situe à la bonne hauteur de sa réalité ordinaire : sur le fil des jours.The Haitian school system suffers from two paradoxical injunctions : a) School is free and obligatory, but the Haitian state has the means neither to guarantee free education nor to enforce its obligation ; b) Teaching must be in French whereas Creole is mostly the language of everyday life. Progress at school thus often implies loss of confidence in one's mother tongue. This article seeks to give a view of both insecurities as experienced by those who are subjected to it (including the author of these lines, who is also subjected to the paradoxical injunctions he describes). It is an invitation to meet the Haitian school system with all those who contribute to its making every day. The description of social and linguistic determinisms is at the right level of its ordinary reality : on the edge of the days.
- Au creux d'une calebasse - Basile Despland p. 171-195 Ce texte revient sur plusieurs années passées dans un village du Bas-Artibonite et dresse une suite de tableaux de la vie ordinaire entre une mère et son fils en s'interrogeant sur ce que la figure de l'enfant peut nous apprendre de nos manières de penser nos rapports de parentalité aux prises avec la violence ordinaire. Il s'interroge sur les manières dont l'enfant-témoin peut hériter de la violence lorsque la mise à mort violente d'un être humain s'inscrit comme un horizon de possibilité dans le corps collectif, sur ses nouvelles manières d'improviser au quotidien et de chercher à retrouver son chemin à travers cette nouvelle géographie du trauma. En miroir de la relation complexe entre la mère et son fils, le texte s'interroge sur la relation qui se tisse entre l'enfant et l'anthropologue.This text revisits some of the years its author spent in a small town of Bas-Artibonite and presents a series of snapshots of the ordinary life between a mother and her child, reflecting on what we can learn from the child when violence is stitched into kin relations. It questions how the child, as a witness of his time, inherits violence when killing becomes part of the possibilities embedded in the collective body. Thus, it looks at how the child, looking for his path, improvises on a daily basis. Echoing the complexity of the relationship between the mother and her child, the text endeavors to think about the kind of relation that lies between the child and the anthropologist.
- Du théâtre derrière les barricades : conversation avec Guy Régis Jr. - Guy Régis Jr., Basile Despland, Marco Motta p. 197-223
Varia
- Pattern. Généalogies d'un concept à partir d'une histoire de l'anthropologie américaine - Christian Indermuhle p. 225-245 Avant d'être un concept opératoire signifiant tout aussi bien l'échantillon, le motif ou le modèle, le pattern faisait référence à une série de techniques liées à des opérations de classification, de reproduction et d'imitation. Pourtant, l'histoire de son transfert dans le champ scientifique indique comment ce repérage de répétitions de formes était intimement lié à la nécessité d'en créer des nouvelles. Cet article tente de rendre visible, dans l'histoire de l'anthropologie nord-américaine et autour du geste opéré par Franz Boas et ses élèves (Elsie Clews Parsons, Ruth Benedict, etc.), quelques jalons de ce motif paradoxal.Before being an operative concept meaning both sample or model, pattern referred to a series of techniques that were related to operations of classification, reproduction and imitation. However, the history of its transfer to the scientific field indicates how this identification of repetitions of forms was intimately linked to the need to create new ones. This article attempts to make visible some milestones of this paradoxical motif in the history of North American anthropology and around the gesture operated by Franz Boas and his pupils (Elsie Clews Parsons, Ruth Benedict, etc.).
- Pattern. Généalogies d'un concept à partir d'une histoire de l'anthropologie américaine - Christian Indermuhle p. 225-245