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Revue | L'Espace Politique |
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Numéro | no 43, 2021/1 |
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- La guerre géographique sous les tropiques : Yves Lacoste et la guerre du Vietnam - Gavin P. Bowd, Daniel W. Clayton Cet article est structuré en trois temps. Nous revenons tout d'abord sur l'influence que les révélations d'Yves Lacoste sur les bombardements du delta du fleuve Rouge, dans le nord du Vietnam (1972), ont eu sur le mouvement d'opposition à la guerre, et sur leur inclusion dans un débat politique plus large autour de ce que Hannah Arendt a qualifié de « mensonges en politique ». Dans une série de rapports et d'articles de presse, Lacoste a déployé les outils de la géographie classique – observation directe, cartographie, analyse méthodique des facteurs physiques et humains – pour mettre au jour une articulation du droit, de la guerre et de l'environnement (ce qu'il a appelé la « guerre géographique ») d'une importance politique préoccupante. Nous étudions ensuite le rapport qu'entretient l'argumentaire de Lacoste avec le thème de la tropicalité – c'est-à-dire la construction occidentale des « tropiques » comme « autre » environnemental –, qui transparaît en premier lieu dans son recours à l'étude de Pierre Gourou sur le delta (1936). Lacoste montre comment l'imagerie exotique des tropiques a constitué un moyen utile d'opposition et de critique, mais aussi un mode d'altérisation et de domination pour l'Occident. Enfin, le dialogue critique que Lacoste a engagé avec le travail de Gourou met en évidence l'impact critique ambivalent que la guerre du Vietnam a eu sur la géographie francophone et anglophone des années 1970 et 1980. Ce dialogue montre comment a émergé l'intérêt pour la notion de tropicalité, apparue dans la géographie française vingt ans avant sa prise en compte par la littérature critique anglophone, pourtant mieux connue.This article tells a three-layered story. First, it reexamines the impact of French geographer Yves Lacoste's 1972 exposé on the American bombing of the Red River Delta of North Vietnam on opposition to the Vietnam War and how it was implicated in wider political debate about what Hannah Arendt saw as systemic “lying in politics.” In various reports and newspaper articles Lacoste deployed the tools of classical geography—firsthand observation, mapping, and the integrated analysis of physical and human factors—to disclose connections among law, war, and environment (or what he termed “geographical warfare”) that had a troubling political significance. Second, we explore how Lacoste's exposé was bound up with the theme of “tropicality” (the West's construction of “the tropics” as its environmental other), chiefly through his recourse to Gourou's study (1936) of the delta. Lacoste showed how exotic imagery of the tropics has served as a means of opposition and critique as well as a mode of othering and Western dominance. Third, Lacoste's critical engagement with Gourou points to the ambivalent critical impact that the Vietnam War had on Francophone and Anglophone geography during the 1970s and 1980s, yet also how interest in the idea of tropicality developed in French geography twenty years before the better known Anglophone critical literature on the subject emerged.
- La Transnistrie, la mondialisation paradoxale d'un État non reconnu - Thomas Merle La mondialisation économique est une réalité qui s'est étendue presque à l'ensemble du monde. Même les États non reconnus, qui ne peuvent signer de traités avec d'autres États ou adhérer à des organisations supranationales comme l'OMC, sont concernées. La Transnistrie, État non reconnu qui a fait sécession de la Moldavie avec le soutien de la Russie au début des années 1990, constitue un cas intéressant montrant les stratégies d'adaptation d'une entité non reconnue pour s'insérer dans la mondialisation économique. La puissance géopolitique et géoéconomique russe est non seulement un facteur-clé de l'existence de la Transnistrie mais aussi de sa mondialisation. En quoi la Transnistrie est-elle une entité fermée sur le plan (géo)politique mais très ouverte sur le plan économique, au point d'être très sensible à la crise économique mondiale ? L'étude, fondée sur un travail de terrain et d'analyse statistique, se concentre notamment sur le secteur de l'acier, secteur-phare de l'entité, qui représentait à la chute de l'URSS l'essentiel du PIB de la Transnistrie et qui a beaucoup souffert depuis 2007, poussant le pouvoir à réagir afin d'assurer sa propre survie.The economic globalization has spread almost all over the world. Even the States with limited recognition, though they cannot sign treaties with other States or join supranational organizations such as the WTO, are involved in this process. Transnistria, a State with limited recognition which have seceded from Moldova with the support of Russia in the early 1990's, is an interesting case to show the adaptation strategies of an unrecognized entity to integrate into the globalization. The Russian geopolitical and geoconomical power is not only a key factor for the existence of Transnistria but also for its globalization. How can Transnistria be a closed entity from the (geo)political point of view but so highly opened from the economic point of view that it is very sensitive to the global economic crisis? The study, based on a field work and on statistical analysis, focuses on the steel industry, leading sector of the entity which accounted for more than half of the GDP of Transnistria at the end of the USSR; this sector was significantly impacted since 2007, inducing the political authorities to react in order to ensure their own survival.
- Le nationalisme au cœur du processus de paix à Chypre nord : les limites de la qualification « intercommunautaire » par l'ONU et l'Union européenne - Pierre Le Mouel Cet article analyse les limites du discours porté par les acteurs locaux et internationaux qualifiant la question chypriote de conflit « intercommunautaire » ou « bicommunautaire ». Il s'appuie sur une étude de l'actualité politique à Chypre nord, un terrain à Chypre effectué en 2018 et deux entretiens auprès de membres de la Commission au sein de la Cyprus Settlement Support Unit en 2020. Trois points se dégagent de cette étude. D'abord ce discours a un impact réel sur la géopolitique de l'île puisque d'une part il a servi à façonner le cadre juridique international dans lequel s'inscrivent les efforts de résolution négociée qui n'ont pas abouti en plus de 45 ans, et d'autre part il donne raison à la représentation que la Turquie a de Chypre. Ensuite, il ne permet pas d'expliquer les changements majeurs du paysage politique de Chypre nord depuis 2003. S'attacher au cadre d'interprétation « bicommunautaire » invisibilise les courants politique et démographique internes à la communauté chypriote turque. Enfin, depuis l'entrée de la République de Chypre dans l'Union européenne en 2004, un nouveau degré de complexité s'est ajouté. La stratégie de l'UE par rapport à la question chypriote s'est elle-même retrouvée dans l'impasse à cause de son attachement au cadre juridique international.This article analyses the limits of the main political discourses used by local and international actors, branding the Cyprus issue as an “intercommunal” or “bicommunal” conflict. It relies on a study of political developments in Northern Cyprus, a fieldwork done in Cyprus in 2018 and two interviews conducted with members of the European commission in the Cyprus Settlement Support Unit in 2020. Three main ideas come out of this analysis. The first is that this branding affects the geopolitics of the island of Cyprus. On the one hand, it has been used to set the international legal framework that binds the peace efforts that have failed to find a lasting solution for the past 45 years. On the other, it validates Turkey's stance on the Cyprus issue. Secondly, the term “bicommunal” cannot explain the major changes in the politics of Northern Cyprus since 2003. Focusing on the “intercommunal” definition of the conflict doesn't account for the political and demographic cleavages within the Turkish Cypriot community. Finally, since the Republic of Cyprus accessed the European union in 2004, a new level of complexity has been added to the Cyprus issue. The EU's strategy on the island through its attachment to a strict reading of international law, found itself locked into the framework that has prevented any major breakthroughs.
- Le Cameroun et le tabou de la marginalisation de sa diaspora - Raoul Nkuitchou Nkouatchet Parmi les efforts que fournissent les nations du Sud pour se doter en capacités nécessaires à leur développement, le rapatriement des compétences nationales de l'étranger (CNE) figure en bonne place. Depuis plusieurs décennies, la diaspora de la connaissance peut constituer une véritable aubaine pour l'essor des pays de départ. Les migrants hautement qualifiés (MHQ) peuvent ainsi faciliter les transferts scientifiques et technologiques, les investissements et d'autres capitaux vers les pays d'origine (Gaillard et Gaillard 2006 ; World Bank 2019). L'Afrique du Sud, l'Égypte, le Nigeria, le Maroc ou le Ghana l'ont fait au cours des dernières années. Alors, pourquoi cette tendance de la géopolitique du développement ne se généralise-t-elle pas en Afrique ?La faiblesse de l'option diaspora est traditionnellement analysée en termes d'insuffisance des moyens pratiques ou institutionnels de la réaliser. Dans cet article, nous examinerons l'hypothèse d'une marginalisation volontaire de sa diaspora par les autorités camerounaises ; afin de tenter de briser un tabou. Dans la mesure où il est extrêmement difficile d'apporter la preuve d'une telle assertion, nous procéderons par une approche empirique, proche de l'anthropologie ou de la sociologie qualitative, considérant que l'expérience est la source essentielle et le lieu de vérification de nos propositions. Après avoir insisté sur le défi méthodologique et épistémologique que pose l'étude d'un tel sujet qui relève de la stratégie politique, nous soulignerons la disposition de la plupart des MHQ à contribuer à l'effort de développement de leur pays d'origine. Nous aborderons ensuite la complexité des rapports entre les expatriés et les résidents, avant d'exposer de quelle manière les autorités mettent en scène une coupure entre « le pays » et « la diaspora », choisissant ainsi la sécurité de leur pouvoir plutôt que le risque de mettre en péril l'ordre établi en tirant parti de leur diaspora.The repatriation of national skills from abroad (NSA) is one of the most important efforts of Southern nations to build capacity for development. For several decades, the knowledge diaspora has been a real boon to the development of sending countries. Highly skilled migrants (HSMs) can facilitate science and technology transfers, investments and other capital to home countries (Gaillard and Gaillard 2006; World Bank 2019). South Africa, Egypt, Nigeria, Morocco or Ghana have done so in recent years. So why isn't this trend in the geopolitics of development becoming more widespread in Africa?The weakness of the diaspora option is traditionally analyzed in terms of the inadequacy of the practical or institutional means to realize it. In this article, we will examine the hypothesis of a voluntary marginalization of its diaspora by the Cameroonian authorities, in an attempt to break a taboo. Since it is extremely difficult to prove such an assertion, we will proceed by an empirical approach, close to anthropology or qualitative sociology, considering that experience is the essential source and place of verification of our proposals. After stressing the methodological and epistemological challenge of studying such a subject, which is a matter of political strategy, we will emphasize the willingness of most HSMs to contribute to the development efforts of their country of origin. We will then discuss the complexity of the relationship between expatriates and residents, before exposing how the authorities stage a split between “the country” and “the diaspora”, thus choosing the security of their power rather than the risk of jeopardizing the established order by taking advantage of their diaspora.
- Conflits d'aménagement, mobilisations territoriales et jeux institutionnels local Région État en Italie : le projet d'agrandissement de l'aéroport de Rome-Fiumicino - Dominique Rivière Les conflits locaux d'aménagement suscitent un nouveau regard sur l'action publique territoriale. À partir du cas italien et plus spécifiquement du projet d'agrandissement de l'aéroport de Rome-Fiumicino, cet article s'intéresse au rôle que tiennent dans la dynamique de ces conflits les articulations d'échelles institutionnelles entre les niveaux local/régional/national. Au-delà du caractère diffus de la problématique des conflits en Italie, cet exemple souligne le rôle ambigu du niveau local dans ses rapports aux autres échelles (Régions et surtout État), à la fois maillon central pour ses relations de proximité avec les mobilisations habitantes et maillon faible face au retour de l'État sur le devant de la scène. Les mobilisations locales apparaissent, à travers les temporalités institutionnelles complexes et parfois contradictoires qu'elles mobilisent, comme l'occasion d'un resourcement de l'action publique territoriale et d'évolution du projet d'infrastructure.Local planning conflicts bring a new perspective to territorial public action. The paper explores the Italian case and more specifically the planning conflict generated by the Fiumicino Airport expansion project, and is focused on the role of institutional scale articulations between local/regional/national levels in the dynamics of these conflicts. Beyond the diffusion of the territorial conflicts in Italy, this example highlights the ambiguous role of the local level in its relationships with the other levels (the Region and more especially the State). The local level is both a central one, for its proximity with the mobilization of the residents, and a weak one, confronted to the return of the State to the front of the stage. Local mobilizations, using complex and contradictory institutional temporalities, appear to be an opportunity for a resourcing of the territorial public action and have contributed to the evolution of the infrastructure project.
- Produire les échelles de la transition à Fessenheim : contingences et jeu d'acteurs autour de la fermeture d'une centrale nucléaire - Teva Meyer, Fanny Vallerand, Valentine Bour, Charlotte Dauwe, Valentine Erne-Heintz, Thomas Schellenberger La fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim en juin 2020 a été précédée de la signature d'un document programmatique, le Projet d'avenir du territoire de Fessenheim (PAT), devant accompagner son arrêt et assurer une reconversion industrielle. Rédigé par l'État et les collectivités territoriales, il institue trois échelles spatiales qui cadrent la transition post-nucléaire. Cet article propose de prendre le cas de Fessenheim pour renforcer nos connaissances sur les pratiques concrètes de la politique des échelles au sein de transitions énergétiques en interrogeant (1) les conséquences de l'inscription de ces trois niveaux sur la matérialisation de la transition et (2) le jeu social ayant mené à leur établissement. En nuançant une unique approche constructiviste des échelles, parfois critiquée pour sa nature téléologique, nous nous concentrons sur les « scalecraft » des acteurs, le travail artisanal, les techniques, compétences ainsi que les difficultés qui sous-tendent tout assemblage scalaire. Mobilisant des chercheurs venant de la géographie politique, de l'économie politique et du droit de l'environnement, cet article s'appuie sur la construction d'un corpus d'articles de la presse régionale ainsi que sur 46 entretiens menés avec les acteurs du PAT. Nos recherches montrent que les échelles du PAT, dont l'existence cadre la physionomie de la transition post-nucléaire, reposent sur trois dynamiques : un effort de naturalisation des échelles par les acteurs via une rhétorique d'économisation du problème et ainsi que l'interprétation du droit ; une mise en politique de la transition autour de l'enjeu conflictuel des pertes fiscales ; un travail de lobbying des collectivités. En conclusion, nous identifions sept facteurs participant à la construction des échelles à Fessenheim. Ces résultats nous amènent à questionner les processus de dénucléarisation d'un territoire.The permanent shut down of Fessenheim nuclear power plant in June 2020 had been preceded by the signature of a policy document, the Projet d'avenir du territoire de Fessenheim (PAT), which aims at ensuring its industrial reconversion. Drafted by the French administration's services and local authorities, it introduces three spatial scales framing the post-nuclear transition. Mobilizing the case of Fessenheim, this paper offers to strengthen our knowledge of the politics of scales' concrete practices within energy transitions by questioning (1) the impact of these three scales on the post-nuclear transition and (2) the sociopolitical dynamics leading to their production. By moderating the dominant constructivist approach to scales, sometimes criticized for its teleological nature, we focus on actors' “scalecrafts”, understood as the messy craftwork, techniques, competences and difficulties underpinning all scalar assemblage. To do so, this paper is built on a corpus of regional newspaper's articles and 46 semi-directive interviews with actors involved in the PAT's production. Results show that these scales, which are effectively constraining the extend of the post-nuclear transition, relies on three dynamics: discursive strategies tending to naturalize and essentialize scales through the economization of the debates as well as legal interpretations; the politicization of the transition around the conflicting issue of tax losses' compensation; and lobbying efforts by local authorities. We conclude by identifying seven entangled factors participating in the scales' production. These results lead us to question the process of territorial denuclearization.
- Mobilisation de la société civile contre la localisation d'industries de l'économie créative : les conflits pour la re-politisation des territoires - Bruno Lefèvre, Louis Wiart Cet article propose de caractériser les formes de conflits qui opposent, particulièrement depuis 2018 en France, des collectifs de citoyens et militants à des projets de localisation d'activités industrielles relevant des secteurs économiques des plateformes numériques et des complexes de loisirs. Nous situons ces projets dans le cadre de stratégies privées et publiques de développement territorial pensées selon le paradigme de l'économie créative. Nous avons identifié quinze conflits contemporains sur le territoire national relatifs à des projets de construction de sites logistiques pour le e-commerce ou de complexes de loisirs présentés comme ayant une dimension culturelle et créative. Nous avons articulé une analyse socio-sémiotique d'un corpus d'articles de presse et de communiqués institutionnels relatifs à ces conflits avec la réalisation d'une trentaine d'entretiens auprès des acteurs locaux concernés. Nous montrerons dans un premier temps que ces conflits consistent en une opposition entre différentes perceptions et conceptions des espaces, à différentes échelles ; à ce titre, ils relèvent d'une géopolitique locale pour la maîtrise des territoires. Au-delà de singularités locales, ces phénomènes ont en commun de confronter un ensemble de pratiques établies au sein des institutions publiques et privées à d'autres paradigmes du développement socio-économique des territoires, revendiqués par les opposants à ces projets. Ces conflits portent à la fois sur des valeurs et croyances que les opposants jugent « dépassées » ou incompatibles avec les grands enjeux sociétaux contemporains (environnement, inégalités sociales, fiscalité) et sur les modalités mêmes de la gestion des décisions publiques. À une logique du contrat Public/Privé, souvent couvert par le secret et qui tend à invisibiliser les spécificités socio-économiques locales au profit d'une harmonisation mondiale, est ainsi opposé un processus de construction de biens communs, qui repose sur l'articulation de multiples échelles spatiales. Après avoir caractérisé les formes d'organisation et d'action des acteurs concernés par ces conflits, nous proposons une modélisation de ces phénomènes de politisation multiscalaires à partir de contestations ancrées localement.This article proposes to characterize the forms of conflict that oppose, particularly since 2018 in France, citizen and activist collectives to projects for the location of industrial activities in the economic sectors of digital platforms and leisure complexes. We situate these projects within the framework of private and public territorial development strategies conceived according to the paradigm of the creative economy. We have identified fifteen contemporary conflicts on the national territory related to construction projects of logistic sites for e-commerce or leisure complexes presented as having a cultural and creative dimension. We articulated a socio semiotic analysis of a corpus of press articles and institutional communiqués related to these conflicts with the realization of about thirty interviews with the local actors concerned. We will first show that these conflicts consist of an opposition between different perceptions and conceptions of spaces, at different scales; as such, they are part of a local geopolitics for the control of territories. Beyond local singularities, these phenomena have in common that they confront a set of practices established within public and private institutions with other paradigms of socio-economic development of the territories, claimed by the opponents of these projects. These conflicts concern both values and beliefs that opponents consider “outdated” or incompatible with the major contemporary societal issues (environment, social inequalities, taxation) and the very methods of managing public decisions. To a logic of the Public/Private contract, often covered by secrecy and which tends to invisibilize local socio-economic specificities for the benefit of a global harmonization, is thus opposed a process of construction of common goods, which rests on the articulation of multiple spatial scales. After having characterized the forms of organization and action of the actors concerned by these conflicts, we propose a model of these multiscalar politicization phenomena based on locally anchored contestations.
- L'« espace partagé » à l'encontre du « droit au logement » ? Lutte pour l'attribution légitime des logements sociaux en Irlande du Nord - Hadrien Herrault Cet article étudie une lutte autour de l'attribution des logements sociaux en Irlande du Nord. Depuis l'accord de paix de 1998, le bureau exécutif nord-irlandais érige comme nouvelle catégorie d'action publique l'« espace partagé » légitimée par le vocable de « mixité ». Il donne forme à cette catégorie en établissant un seuil qui doit être respecté dans l'attribution des logements sociaux des résidences « partagées » et qui repose sur une catégorisation ethnique des demandeurs. En opposition, des associations affirment que ce seuil pourrait aller à l'encontre du « droit au logement », remettre en cause une attribution des logements sociaux selon le critère du « besoin » et engendrer de possibles pratiques discriminatoires. En retraçant cette lutte, cet article met au jour la construction, faite d'alliances et d'oppositions, de la « mixité » comme catégorie d'action publique en Irlande du Nord. Il montre que le résultat de cette lutte n'était pas évident. Le bureau exécutif a dû développer des stratégies symboliques (en mobilisant des rapports scientifiques, des chiffres, des stéréotypes) et administratives pour occulter les alternatives. L'article nuance ainsi l'idée présentant l'institutionnalisation de la « mixité sociale » dans des politiques publiques comme un mouvement transnational uniforme. L'imposition de la « mixité » s'explique en Irlande du Nord par des mécanismes structurels liés à la néolibéralisation des politiques du logement social, mais aussi par des mécanismes particuliers liés à des politiques de réconciliation et à des ajustements face aux contestations locales.This article explores a struggle over social housing allocation in Northern Ireland. Since the 1998 peace agreement, the Northern Ireland Executive has established “shared space” as a new policy legitimised under the term of “social mix”. It shapes this policy by defining a threshold which must be respected in the social housing allocation of “shared neighbourhoods” and which is based on an ethnic categorisation of applicants. In opposition, associations claim that this threshold could go against the “right to housing”, question social housing allocation based on housing “need” and generate possible discriminatory practices. By retracing this struggle, this article reviews the construction, based on alliances and oppositions, of “social mix” policies in Northern Ireland. It shows that the result of this struggle was not obvious. The Northern Ireland Executive had to develop symbolic strategies (by mobilising scientific reports, figures, stereotypes) and administrative strategies to conceal alternatives. Therefore, the article nuances the idea presenting the institutionalisation of “social mix” policies as the result of a uniform transnational circulation. Imposing “social mix” can be explained in Northern Ireland by structural changes linked to the neoliberalisation of social housing, but also by local changes linked to reconciliation policies and to adjustments in the face of local protests.
- Bâtiments en flux : le travail relationnel des concierges sur les infrastructures d'habitation - Ignaz Strebel, Alain Bovet, Tristan Loloum Prises dans de multiples flux de relations sociotechniques, nos habitations sont des infrastructures relationnelles cousues de multiples manières à l'environnement matériel et humain. L'approche ethnographique du travail des concierges montre comment s'opère cette couture, notamment à travers les interventions de réparation et de maintenance qui relient et reconfigurent nos infrastructures de logement en permanence. Contre la tentation de réduire le travail des concierges à des tâches isolées, l'approche relationnelle des infrastructures résidentielles permet de mieux saisir leur contribution essentielle à l'habitabilité et à la durabilité des infrastructures. La première section de l'article développe conceptuellement cet enjeu relationnel en insistant sur l'ancrage géographique des infrastructures, qui requiert de les aborder non pas comme des objets standards mais comme des espaces toujours situés. La collecte des données empiriques s'appuie sur une analyse ethnométhodologique et vidéo-ethnographique d'interactions et de routines sociotechniques de quatre types de concierges en Suisse alémanique. La deuxième section propose une immersion dans le travail des concierges en montrant comment s'organise leur travail au quotidien et comment en retour leur travail reconfigure les bâtiments. La troisième section contient une discussion théorique sur la dimension relationnelle des infrastructures en abordant le bâti résidentiel non pas comme un objet statique mais comme un flux permanent d'ajustements et d'expérimentations. La quatrième section apporte une illustration empirique montrant comment les concierges concourent à ordonner ces flux sociotechniques agissant comme des médiateurs entre un ordre social et un ordre technique. Tout en rappelant quelques concepts clefs de l'article (« provincialisation », « relationnalité » des infrastructures), la conclusion souligne le rôle (micro-)politique des concierges, dont le travail revient à gouverner les comportements d'autrui tout en veillant à la cohabitation pacifique entre humains et hon-humains.Caught up in multiple flows of socio-technical relations, our dwellings are relational infrastructures sewn in multiple ways to the material and human environment. The ethnographic approach to the work of caretakers shows how this sewing takes place, particularly through the repair and maintenance interventions that constantly link and reconfigure housing infrastructures. Against the temptation to reduce the work of caretakers to isolated tasks, the relational approach to residential infrastructures allows us to better understand their essential contribution to the habitability and sustainability of infrastructures. The first section of the paper develops this relational conceptualization by emphasizing the geographical anchorage of infrastructures, which requires to approach them not as standard objects but as always situated spaces. The collection of empirical data is based on an ethnomethodological and video-ethnographic analysis of interactions and socio-technical routines of four types of caretakers in the German-speaking part of Switzerland. The second section proposes an immersion in the work of caretakers by showing how they organize their daily work and how their work in turn reconfigures buildings. The third section contains a theoretical discussion on the relational dimension of infrastructures by approaching the residential building not as a static object but as a permanent flow of adjustments and experiments. The fourth section provides an empirical illustration showing how caretakers contribute to ordering these socio-technical flows, by reminding, updating or adjusting the norms of use, thus acting as real mediators between a social order and a technical order. While recalling some of the article's key concepts (“provincialisation”, “relationality” of infrastructures), the conclusion underlines the (micro-)political character of caretakers, whose work amounts to governing the behaviour of others and ensuring peaceful cohabitation between humans and hon-humans.
- Faire territoire : logiques de la dénomination des communes nouvelles françaises - Gabriel Bideau, Frédéric Giraut Cet article étudie les noms des communes nouvelles françaises, soit 778 nouvelles entités créées par la fusion de 2 517 communes historiques entre 2012 et le 1er janvier 2021. Sont utilisées les données de la statistique publique pour créer une typologie exploratoire, d'abord élaborée à partir des régularités de construction (confirmation, juxtaposition ou innovation dénominatives entre autres). La réalisation de cette typologie est détaillée et les principaux résultats analysés. L'ensemble (données, typologie et code du script) est mis à disposition dans le cadre d'une recherche ouverte et reproductible. L'analyse du sens des termes utilisés dans les néotoponymes fait l'objet d'une seconde typologie grâce à la consultation de la presse régionale.Cette contribution répond à trois questions de recherche. Alors que la littérature scientifique sur la toponymie s'est particulièrement développée ces dernières décennies, il s'agit d'interroger l'adéquation de ses grandes orientations à l'objet des communes nouvelles. Tout d'abord, comment les acteurs se sont-ils saisis de cette nécessité de création néotoponymique ? Nous montrons le poids déterminant des élus, avec une consultation plus ou moins importante de la population et très rarement des professionnels de la communication. Ensuite, nous observons comment la néotoponymie révèle les rapports de force entre collectifs territorialisés. En effet, les types de dénominations ne sont pas répartis de la même manière selon le nombre de communes participant à la fusion (pour les fusions de deux communes, la juxtaposition est préférée, la confirmation d'un nom unique de commune ou l'innovation emportant davantage l'adhésion pour des groupes plus importants), selon la domination d'une commune centre ou encore le profil des communes par rapport au zonage urbain (les centres urbains vont par exemple davantage choisir la confirmation ou une juxtaposition, les périphéries urbaines préférant l'innovation). Enfin, il s'agit de montrer que là où la référence à la ville-centre ne l'emporte pas, la néotoponymie est alors dominée par deux tendances. D'une part, elle est outil patrimonial et/ou de marketing territorial avec l'utilisation de termes à forts potentiels de promotion et une situation affirmée dans un arrière-pays qui accroît les ressources territoriales mobilisables. D'autre part, on observe fréquemment une forme de banalisation et d'uniformisation des toponymes autour de noms communs, notamment orographiques ou hydrographiques.This paper aims at geographically analyze the names of the 778 new municipalities (“communes nouvelles”), created in France between 2012 and January 1, 2021. Public statistics data are used to elaborate an exploratory typology of the 2,517 historical municipalities that have merged into new local bodies of governements, discussing recurring schemes of construction in a first typology (consolidation, juxtaposition, innovation). A second typology explores the meaning of terms used in neotoponymy with assistance of regional press records. All data sets and reproducible code are made available according to reproducible research principles.This contribution is threefold. First, elaborating on a growing scientific literature on toponymy, we examine the relevance of such an analysis on communes nouvelles's toponymy. We examine how actors dealt with the need to create a new toponymy? We show that elected officials had a stronger influence, than inhabitants or marketing experts. We then focus on how neotoponymy has revealed the balance of powers between territorialized groups. The different categories of neotoponymy used are not distributed evenly between mergers (two communes will prefer juxtaposition; confirmation of a central municipality is preferred for larger mergers). Results vary highly between urban centers and urban peripheries. Finally, we analyze how visibility and heritage toponymy, vs a more trivial and standardized use of topographic features are used for territorial marketing.