Contenu du sommaire : Un monde de frontières ?

Revue Bulletin de l'Association de Géographes Français Mir@bel
Numéro no 99/1, mars 2022
Titre du numéro Un monde de frontières ?
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Un monde de frontières ? - Bernard Reitel p. 3-10 accès libre
  • La frontière comme ressource : vers une redéfinition du concept - Christophe Sohn p. 11-30 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Le concept de frontières comme ressource est généralement compris comme la capacité des populations frontalières à traverser les frontières afin de bénéficier des différences qu'elles instituent. Dans un contexte global de sécurisation des frontières et compte tenu de la façon dont certains acteurs économiques et politiques tirent profit de leur fermeture, cet article se propose de reconsidérer le concept de frontière comme ressource selon deux dimensions : d'une part, en élargissant sa signification à un ensemble plus large de pratiques et de discours qui visent à mobiliser différentes opportunités frontalières ; d'autre part, en approfondissant notre compréhension des logiques qui sous-tendent la production des ressources liées aux frontières et leurs implications sociales, politiques et éthiques. L'élargissement du concept repose sur la mobilisation de la notion de structure d'opportunité. L'approfondissement du concept porte quant à lui sur les dynamiques de valorisation et de reproduction des ressources dans une perspective relationnelle. Ainsi redéfinie, la conceptualisation des frontières comme ressource permet d'éclairer de manière critique les différentes formes d'exploitations des frontières et les questions qu'elles soulèvent quant à leur changement de rôle et de signification.
    The concept of borders as a resource is generally understood as the ability of border populations to cross borders in order to benefit from the differences they create. In a global context of border securization, and taking into account the way in which certain economic and political actors profit from their closure, this article proposes to reconsider the concept of border as a resource according to two dimensions: on the one hand, by broadening its meaning to a wider set of practices and discourses that aim at mobilizing different border opportunities; on the other hand, by deepening our understanding of the logics that underpin the production of borders as resources and their social, political and ethical implications. The broadening of the concept is based on the mobilization of the notion of opportunity structure. The deepening of the concept relates to the dynamics that underpin the valorization and reproduction of resources from a relational perspective. Redefined in this way, the conceptualization of borders as a resource makes it possible to critically illuminate the different forms of border exploitation and the questions that arise as to their changing role and meaning.
  • La dimension socio-économique des barrières frontalières - Sébastien Piantoni, Stéphane Rosière p. 31-52 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Les barrières frontalières contemporaines sont souvent considérées comme des systèmes de protection dans des contextes d'insécurité. Cet article se propose de souligner leur dimension socio-économique, moins fréquemment évoquée. Basé sur l'analyse de 60 frontières dotées d'une barrière frontalière, les auteurs ont comparé les niveaux de vie des États « constructeurs » et « limitrophes » afin de souligner l'importance des discontinuités socio-économiques dans le processus d'édification de ces barrières. Cet article revient sur la méthode ayant permis de mesurer les écarts de niveau de vie entre pays « constructeurs » et « limitrophes ». Ces discontinuités mises en exergue valident finalement l'hypothèse selon laquelle les barrières frontalières répondent aux logiques initiales des gated communities dans les villes, c'est-à-dire de séparation des plus riches face aux plus pauvres. Ainsi, la dimension socio-économique serait inhérente à l'édification de ces artefacts et non fortuite.Les auteurs rappellent que nombre de ces barrières sont des dispositifs anti-migratoires inscrits au sein de courants migratoires dont les causes ne s'expliquent pas directement par la situation économique du pays constructeur et du pays limitrophe mais plutôt par la situation de pays tiers « émetteurs de migrants » parfois très éloignés des barrières analysées. Les auteurs soulignent également l'existence d'« hystérésis » (barrières produites par des contextes passés comme en Corée) qui viennent aussi brouiller la vision des barrières contemporaines. Néanmoins, chiffres à l'appui, cet article souligne comment les « murs » aux frontières sont aussi des dispositifs par lesquels les pays les plus riches se protègent des flux en provenance des pays les plus pauvres.
    Contemporary border barriers are often considered as protection systems in contexts of insecurity. This article aims to highlight their less frequently mentioned socio-economic dimension. Based on the analysis of 60 borders with a border fence, the authors compare the living standards of the "constructing" and "bordering" states in order to highlight the importance of socio-economic discontinuities in the process of building these barriers. This article reviews the method used to measure the differences in living standards between "constructor" and "border" countries. The discontinuities highlighted in the article finally validate the hypothesis that border barriers respond to the initial logic of gated communities in cities, i.e. the separation of the richest from the poorest. Thus, the socio-economic dimension would be inherent to the construction of these artifacts and not accidental. The authors point out that many of these barriers are anti-migration devices that are part of migratory flows whose causes are not directly explained by the economic situation of the constructing country and the neighboring country, but rather by the situation of third countries, which are "migrant-sending countries", sometimes very far from the barriers analyzed. The authors also point to the existence of "hysteresis" (barriers produced by past contexts, as in Korea) which also blurs the vision of contemporary barriers. Nevertheless, this article highlights how border "walls" are also devices by which the richest countries protect themselves from flows from the poorest countries.
  • Géohistoire des frontières sahariennes. L'héritage nomade enseveli sous les murs de sable - Laurent Gagnol p. 53-75 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    À partir du cas exemplaire des frontières au Sahara central qui séparent les États du Sahel aux États du Maghreb, cette analyse montre le renforcement d'une conception sécuritaire de la frontière qui se généralise aujourd'hui à ces régions de confins souvent considérées comme des « zones grises » aux frontières poreuses. En mettant en lumière un phénomène peu ou pas documenté et révélé par l'imagerie satellitaire – les constructions de murs de sable aux frontières – nous montrerons que le plus vaste désert au monde n'est pas ou n'est plus cet espace lisse et sans bornes de l'imaginaire occidental. Plus largement, à partir d'une approche géohistorique de longue durée, sont mises en évidence l'imbrication et l'évolution de trois régimes frontaliers successifs : un régime précolonial sous domination du nomadisme caravanier touareg et structuré à partir des puits-frontières ; un régime colonial et post-colonial imposant une conception westphalienne de la frontière ; et le régime sécuritaire contemporain qui participe au cloisonnement du Sahara par des murs de sable.
    Based on the exemplary case of the borders in the central Sahara that separate the Sahel states from the Maghreb states, this analysis shows the reinforcement of a security conception of the border that is now being generalized to these peripheral regions, which are often considered as ‘grey zones' with porous borders. By shedding light on a phenomenon that has been little or not at all documented and is now revealed by satellite imagery – the construction of sand walls at the borders – we will show that the largest desert in the world is not or is no longer the smooth and boundless space of the Western imagination. More broadly, based on a long-term geohistorical approach, the interweaving and evolution of three successive border regimes are highlighted: a pre-colonial regime under the domination of Tuareg caravan nomadism and structured on the basis of border wells; a colonial and post-colonial regime imposing a Westphalian conception of the border; and the contemporary security regime which participates in the partitioning of the Sahara by sand walls.
  • Au centre de l'Amérique du Sud : des frontières leviers de territorialisation - Laetitia Perrier-Bruslé p. 75-98 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cette réflexion porte sur une étude diachronique des frontières du centre du continent sud-américain. Elle montre comment leur constitution et leur évolution dépend d'une double logique de lieux et de flux, moins antinomique qu'il n'y parait de prime abord. Établies dans la diagonale du vide de l'Amérique du Sud, entre les Empires espagnol et portugais, elles se constituent d'abord comme des hauts-lieux politiques et symboliques : lisière de la civilisation, ligne de partage du monde, puis, à la suite des indépendances, limite de territoires nationaux. Pourtant, sur le terrain elles sont quasiment invisibles. Elles sont alors des lieux seulement au sens où elles sont des positions sur une carte. L'histoire ne s'arrête pas là. À partir des années 1960, ces frontières vides deviennent les horizons des processus de conquête, notamment dans le contexte des projets de colonisation intérieure. Le front pionnier doit rejoindre la ligne imaginaire, pour que la frontière puisse se réaliser pleinement, faire barrière et fermer le territoire. Dans ce processus de peuplement, la frontière gagne en consistance et s'inscrit enfin dans l'espace local. Mais le temps des projets de frontière n'est pas totalement clos. A la faveur de la promotion d'un nouveau régionalisme en Amérique du Sud, les frontières sont remodelées en fonction de flux de pouvoir qui émanent des centres politiques.
    This paper focuses on a diachronic analysis of the borders of the centre of the South American continent. It shows how their constitution and evolution depend on a double logic of places and flows, less antinomic than it seems at first sight. Established in the “diagonal of emptiness” in South America, between the Spanish and Portuguese Empires, they were first constituted as political and symbolic places: the edge of civilization, the dividing line of the world, and then, following independence, the limits of national territories. However, on the ground they are almost invisible, they are only places in the sense that they are positions on a map. But the history does not end there. From the 1960s onwards, these “empty borders” became the horizons of the conquest processes, especially in the context of the internal colonization projects. The pioneer front must join the imaginary line, so that the frontier can be fully realized, form a barrier and close the territory. In this process of settlement, the frontier gains in consistency and finally becomes part of the local space. But the time of border projects is not completely over. With the promotion of a new regionalism in South America, borders are being reshaped according to power flows emanating from the political centre.
  • La frontière de facto entre Transnistrie et (reste de la) République de Moldavie : la réactivation d'une ancienne frontière impériale ? - Thomas Merle p. 99-113 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Comme beaucoup d'autres frontières ou anciennes frontières d'Europe centrale et orientale, la frontière de facto entre Transnistrie et reste de la République de Moldavie – dont elle a fait sécession à partir de 1990 – constitue la réactivation d'une ancienne frontière impériale. La période soviétique fut structurante dans la divergence des trajectoires entre les deux rives du Dniestr, la frontière fantôme ayant été maintenue de manière active dans la gestion des territoires. Bien que non reconnue, cette frontière constitue aujourd'hui une véritable limite politique entre deux souverainetés étatiques ; les crises qui agitent la région depuis le début XXIe siècle contribuent à renforcer cette frontière plus qu'à l'effacer.
    Like many other borders or former borders in Central and Eastern Europe, the de facto border between Transnistria and the rest of Moldova (from which it seceded in 1990) results in the reactivation of a former imperial border. The Soviet period was structuring for the discordance of the trajectories between the two sides of the Dniester, the phantom border having been actively maintained in the management of territories. Although not recognized, this border nowadays constitutes a real political boundary between two state sovereignties. The crises disturbing the region since the beginning of the 21st century contribute to reinforcing this border rather than erasing it.
  • Frontières nationales et aménagement : Paradoxes territoriaux en France et dans l'Union européenne - Grégory Hamez p. 114-130 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Les enjeux territoriaux de l'aménagement ne connaissent pas de frontières, mais l'aménagement du territoire est une pratique organisée avant tout selon des traditions nationales, suivant des sphères de compétences cloisonnées aux frontières. L'article propose une définition de ce que recouvre l'aménagement en contexte transfrontalier dans l'Union européenne, qu'il s'agisse de la mise en place d'observatoires, de l'élaboration de stratégies conjointes ou de la réalisation d'équipements. La disjonction entre des approches différentes de l'aménagement de chaque côté de la frontière rend ce type de pratique éminemment paradoxal, même quand les objectifs sont partagés. L'article en donne différents exemples, notamment en matière de développement durable et de participation.
    The territorial issues of planning know no borders, but spatial planning is a practice organized above all according to national traditions, following spheres of competence compartmentalized at the borders. The article proposes a definition of what planning in a cross-border context covers in the European Union, whether it involves the setting up of observatories, the development of joint strategies or the construction of facilities. The disjunction between different approaches to planning on each side of the border makes this type of planning eminently paradoxical, even when the objectives are shared. The paper gives various examples of this, particularly in terms of sustainable development and participation.
  • Les politiques européennes et les villes frontalières en Europe - Bernard Reitel, Pauline Pupier, Birte Wassenberg p. 131-149 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    L'Europe, peut-être plus que d'autres régions du monde, se caractérise par la présence de villes et d'agglomérations frontalières, des zones urbaines dont la continuité morphologique et fonctionnelle se ressent par-delà une ou plusieurs frontières nationales. En 2010, le programme Metroborder d'ESPON a ainsi identifié une quarantaine d'espaces urbains transfrontaliers au sein de l'UE et à ses limites. Cette dimension des villes et des frontières a longtemps été négligée, tant par les États que par l'Union européenne. Pourtant, dans le cadre du régime d'ouverture propre aux frontières intérieures, ces espaces urbains sont des emblèmes et des vecteurs de l'intégration européenne à l'échelle locale. Cet article montre comment les villes frontalières ont été un élément essentiel du processus d'intégration européenne depuis ses débuts et comment leur intégration transfrontalière a été favorisée par les programmes de politique régionale de l'UE, surtout depuis les années 2000. Ces derniers les ont aidées à être reconnues comme des espaces frontaliers urbains dynamiques ce qui leur a permis d'utiliser ce label pour développer une multitude de projets transfrontaliers.
    Europe, perhaps more than any other region in the world, is characterized by the presence of border cities and conurbations, urban areas whose morphological and functional continuity can be felt across one or several national borders. In 2010, the ESPON Metroborder program thus identified some forty urban communities within the EU and on its limits. However, this dimension of towns and borders has long been neglected, by the states as much as by the European Union. And yet, as part of the opening regime specific to internal borders, those urban spaces are emblems and vectors of European integration on the local scale. This article demonstrates how border cities have been an essential part of the European integration process since its very beginning and how their contribution has been fostered by the EU's regional policy programs, especially since the 2000s, helping them to be recognized as specifically dynamic urban border spaces and to use this label in order to develop a multitude of cross-border projects.
  • Les frontières maritimes : quelles spécificités ? L'exemple des mers d'Asie du Sud-Est - Nathalie Fau p. 150-173 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    L'objectif de cet article est d'analyser des spécificités d'une frontière maritime et de présenter une synthèse de leurs enjeux contemporains à partir du cas de l'Asie du Sud-Est. L'analyse questionne 3 points : 1/ Les difficultés à concilier les principes de liberté des mers et de souveraineté nationale. 2/ La multiplication des conflits frontaliers mais aussi des accords de coopérations en lien avec la maritimisation des États. 3/ Le renouvellement de l'approche des enjeux des frontières maritimes suite à la nécessité de tenir compte des différentes perceptions des espaces marins mais aussi l'émergence d'une gouvernance mondiale sensibilisée à la fragilité des écosystèmes marins.
    The aim of this article is to analyze the specificities of a maritime border and to present a synthesis of their contemporary issues from the case of Southeast Asia. Analysis is mostly focused on three questions: 1/ The difficulties of reconciling the principles of freedom of the seas and national sovereignty; 2/ The multiplication of border conflicts but also of cooperation agreements in connection with the maritimization of the States. 3/ The renewal of the approach to the issues of maritime borders following the need to take into account the different perceptions of marine spaces but also the emergence of a global governance awareness of the fragility of marine ecosystems.