Contenu du sommaire : Pouvoir et société aux XVIIe et XVIIIe siècles
Revue | Cahiers du monde russe |
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Numéro | volume 63, no 2, avril-juin 2022 |
Titre du numéro | Pouvoir et société aux XVIIe et XVIIIe siècles |
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- Древнерусские патерики : mетаморфозы жанра ранней монашеской письменности - Дмитрий М. Буланин p. 289-311 Cet article examine les changements qui affectèrent le paterikon en tant que genre spécifique dans les différentes littératures du monde orthodoxe : byzantine, slave du sud (bulgare et serbe) et vieux-russe. Alors que les nouveaux représentants du genre à Byzance et en Bulgarie ne se distinguent en rien des anciens paterika (Evergetis Paterikon, Recueil de paterika), la littérature médiévale russe a produit quelque chose de complètement inédit dans ce domaine. Le Paterikon des Grottes de Kiev et celui de Volokolamsk ne ressemblent qu'en apparence à leurs prédécesseurs. En fait, ils remplissaient une fonction de propagande, les légendes qui y sont assemblées ont pour but de louer les ascètes de ces deux monastères. La tâche principale des compilateurs était à chaque fois de glorifier un monastère en particulier. Les paterika mêlent des récits à des légendes orales sur les abbés les plus célèbres : cette combinaison ne permet pas de dater exactement la collection des Grottes, la plus ancienne parmi les paterika russes. De plus, en l'absence d'intrigue transversale, les blocs narratifs dont le livre est constitué doivent être datés individuellement. Quel que soit le moment où chacun de ces blocs a été écrit, le paterikon en tant que tel semble avoir été constitué peu de temps avant que le premier manuscrit de la collection des Grottes n'ait été copié (1406). Le Paterikon des Grottes, bien qu'il se présente comme une œuvre littéraire remarquable, ne saurait être considéré comme une source historique fiable : il peut s'écouler de nombreuses années, voire des siècles entre la naissance d'une légende sous sa forme orale et le moment de sa fixation écrite. Pour étayer sa thèse, l'auteur s'appuie sur l'histoire d'autres cycles de légendes monastiques tels que le cycle d'Athos Patria et le cycle de Novgorod-Athos la Chronique des temps passés.The article examines the changes that the pateric as a special genre underwent in different literatures of the Orthodox world – Byzantine, South Slavic (Bulgarian and Serbian), Old Russian. While the new representatives of the genre in Byzantium and Bulgaria are in no way original in respect to the ancient paterics (Evergetis Paterikon, Collected Paterika), Russian medieval literature has produced something completely unprecedented. The Kiev Cave and Volokolamsk paterics only outwardly resemble their predecessors. Their actual function was to propagandize: the legends were put together to praise the ascetics of the Cave and Volokolamsk monasteries respectively. The compilers' main task was to glorify each monastery. The paterics blend narrative-writing tradition with oral legends about most famous abbas, and this combination makes it impossible to date the Cave collection, the most ancient Russian pateric, precisely. Besides, there is no cross-cutting plot in the pateric, therefore one must date the narrative blocks the book is constituted of separately. No matter when each block was written, the pateric as a whole seems to have been constituted shortly before the first manuscript of the Cave collection was copied (1406). Although an outstanding literary work, the Cave Paterikon is not a reliable historical source because many years and even centuries can pass from the birth of a legend in oral form up to its written fixation. In support of his argument, the author refers to the history of other cycles of monastic legends – the Athos cycle Patria and the Novgorod-Athos cycle Tale of Bygone Years or Primary Chronicle.
- Tavern revenues and alcohol consumption in the Muscovite state, 1620s-1640s - Dmitrii Liseitsev p. 313-336 Le niveau de la consommation d'alcool et le rôle des taxes sur l'alcool en tant que source de revenus de l'État dans la Russie d'avant Pierre Ier ont fait l'objet d'un grand intérêt de la part des chercheurs et de spéculations politiques, cependant les données fiables sur l'ampleur du commerce du « vin de grain » font toujours défaut. Cet article s'appuie sur les archives des agences du gouvernement central des années 1620 au début des années 1650 pour combler partiellement cette lacune. Dans les décennies qui ont immédiatement suivi le Temps des Troubles, les revenus des tavernes ont presque doublé en chiffres absolus et représentaient environ un quart des revenus totaux de l'État moscovite. Le taux de croissance des revenus des tavernes était égal à celui de la population (entre les années 1620 et 1640, la population urbaine a augmenté de 60 %). L'article examine différentes méthodes de gestion du monopole d'État sur l'alcool et évalue la rentabilité du commerce de l'alcool et les niveaux globaux de consommation d'alcool au cours de la période étudiée.The level of alcohol consumption and the role of alcohol taxes as a source of state revenue in pre-Petrine Russia have been the subject of much scholarly interest and political speculation, yet reliable data on the magnitude of trade in “grain wine” is still lacking. This article draws on the records of central government agencies from the 1620s to the early 1650s to partially fill this gap. In the decades immediately following the Times of Trouble, tavern revenues nearly doubled in absolute numbers and accounted for about a quarter of the total state revenue of Muscovy. The growth rate of tavern revenues was on par with the rate of population growth (the urban population increased by 60 percent between the 1620s and 1640s). The article discusses different methods of running the state alcohol monopoly and estimates the profitability of alcohol trade and the overall levels of alcohol consumption during the period under study.
- Patrick Gordon and Peter I, 1690-1698: Favorites and foreign policy - Paul Bushkovitch p. 337-366 Patrick Gordon fut pour Pierre Ier un compagnon de tous les instants pendant la première décennie de règne indépendant du tsar. Des contemporains aristocrates et, plus tard, des historiens lui ont attribué une influence prépondérante sur le jeune Pierre. L'examen du texte intégral du journal de Gordon ne confirme pas cette thèse. Gordon a certainement eu un impact sur les affaires militaires de Pierre et a servi à Azov et contre la révolte des mousquetaires de 1698, mais il ne semble pas avoir eu d'impact sur les décisions de Pierre en matière de politique étrangère. Il était en contact étroit avec les ambassadeurs des Habsbourg et de Pologne, alliés de Pierre contre les Ottomans, et peut avoir été la source d'une grande partie des informations contenues dans leurs rapports. Catholique écossais, Gordon semble avoir soutenu la guerre russo-turque comme l'ont fait les principaux États catholiques d'Europe, à l'exception de la France, qui, ironiquement, soutenait les jacobites écossais. Gordon fut une figure majeure à Moscou dans les années 1690, mais son influence fut plus militaire et culturelle que politique.Patrick Gordon was an almost constant companion of Peter I in the tsar's first decade of independent rule. Aristocratic contemporaries and later historians have ascribed to him predominant influence on the young Peter. An examination of the full text of Gordon's diary does not sustain that belief. Gordon certainly had an impact on Peter's military affairs, and served at Azov and against the musketeer revolt of 1698, but he does not seem to have any impact on Peter's decisions in foreign policy. He was in close contact with the ambassadors of the Habsburgs and Poland, Peter's allies against the Ottomans and may have been the source of much of the information in their reports. Gordon, a Scottish Catholic, seems to have supported the Turkish War as did the main Catholic states in Europe other than France, ironically the patron of the Scottish Jacobites. Gordon was a major figure in Moscow in the 1690's, but his impact was more military and cultural than political.
- «Восточный проект» Петра I - Николай Н. Петрухинцев p. 367-412 Dans cet article, l'auteur analyse ce qu'il appelle le « projet oriental » de Pierre Ier, – un ensemble de mesures interdépendantes afférentes à la politique « orientale » de la Russie à la fin du xviie siècle –, qui occupa une place centrale au début du règne indépendant de Pierre Ier. Initié au tournant des années 1694 et 1695 avec des plans d'intensification de la guerre russo-turque de 1686-1700, le « projet oriental » de Pierre Ier (1695-1712), selon l'auteur, connut trois phases principales de développement, associées à un changement cohérent de stratégie dans la confrontation avec l'Empire ottoman, et eut une influence significative sur la phase initiale des réformes (la Grande Ambassade de Pierre Ier [1697-1698] fut ainsi un élément important du « projet oriental »). Éclipsé par le projet « occidental » plus connu, le « projet oriental » est clairement sous-estimé dans l'historiographie (cela est probablement dû, pour une grande part, au fait que sa dernière phase était en cours de développement au début de la guerre du Nord).What the author calls “Oriental project” is a set of interdependent measures related to Russia's late seventeenth-century “Oriental” policy, which occupied a central place during the first years of Peter's independent rule (1695-1712). Initiated at the turn of 1694 and 1695 with plans of intensification of the Russo-Turkish war (1686-1700), Peter I's “oriental project,” the author argues, went through three main stages of development associated with a coherent strategic change in the confrontation with the Ottoman Empire and significantly impacted the first stage of reforms (for example, Peter I's Grand Embassy [1697-1698] was a meaningful part of the “Oriental project”). Overshadowed by the more well-known “Western” project, the “Oriental project” has clearly been underestimated by historiography (owing probably in great part to the fact that its last stage was underway when the Northern War broke out).
- За царя или за отечество? Отношение участников восстаний Петровской эпохи к стране и ее жителям - Евгений Трефилов p. 413-446 Cet article s'appuie sur diverses sources pour analyser l'attitude envers le pays et ses habitants des personnes impliquées dans les grandes révoltes de l'époque de Pierre Ier. Contrairement à ses prédécesseurs, l'auteur ne se contente pas d'analyser les déclarations directes de ces gens sur l'État, il analyse également leur proximité avec d'autres sujets de Pierre Ier et avec divers territoires situés à l'intérieur et à l'extérieur de l'État, afin de déterminer l'étendue de l'espace culturel et géographique que les rebelles considéraient comme « le leur ». Il en résulte que cet espace était principalement, sinon exclusivement, coextensif aux territoires situés à l'intérieur de l'État russe, avec pour cœur Moscou, la capitale de la Russie. Cela permet à l'auteur de conclure que les insurgés considéraient l'État russe, ou du moins le territoire habité par des personnes de confession orthodoxe, comme leur patrie, sans pour autant qu'ils ne l'aient jamais directement revendiqué.Drawing on a variety of sources, the article analyses the attitudes of those involved in the major revolts of the Petrine era towards the country and its inhabitants. In contrast to his predecessors, the author not only analyses direct statements of the people of that epoch about the state, but also reveals the closeness of the connection between these people and the other subjects of Peter I and to various territories inside and outside the state, i.e., he tries to find out the extent of the cultural and geographical area that the rebels considered “their own.” The analysis shows that this space was exclusively, or at least primarily, coextensive with the territories located within the Russian state, and that the main point on this space was the capital of Russia – Moscow. This allows the author to conclude that the insurgents regarded the Russian state, or at least the territory inhabited by people of the Orthodox faith, as their homeland, although they never directly claimed it.
- Уложенные комиссии в России в 1720-е – начале 1750-х гг. К постановке проблемы - Галина О. Бабкова p. 447-476 Cet article se concentre sur les commissions législatives instituées en Russie dans les années 1720 et jusqu'au début des années 1750. Traditionnellement considérées comme inefficaces, ces institutions ont été reconnues comme incapables de composer un nouveau code de lois pour toute une série de raisons (juridiques, techniques, procédurales, etc.). L'étude de leurs documents (procès-verbaux, projets, attestations du personnel, etc.) permet d'affirmer que dans la première moitié du xviiie siècle, les chancelleries des commissions législatives fonctionnaient comme des institutions permanentes. Elles œuvraient comme un service du Sénat, accumulant les documents juridiques et systématisant la législation en vigueur, rédigeant de nouvelles lois, apportant un soutien juridique à toute une série de sujets qui étaient soulevés et discutés à un haut niveau. Dans ce contexte, les commissions législatives de la Russie impériale faisaient partie intégrante du processus législatif, qui n'était pas considéré comme une prérogative totale et indivisible du monarque. Du point de vue des autorités, la procédure d'adoption d'un nouveau code devait inclure une phase de réflexion et d'approbation comprenant un appel à la représentation sociale et professionnelle, pour laquelle le Code juridique de 1649 a servi de modèle.The paper focuses on the legislative commissions appointed in Russia between the 1720s and early 1750s. Traditionally considered ineffective, these institutions have been recognized as unable to compose a new law code for a range of reasons (judicial, technical, procedural, etc.). Analysis of the commissions' documents (minutes, projects, staff attestations, etc.) allows one to assert that in the first half of the eighteenth century, their chancelleries functioned as permanent institutions. They operated as a Senate department that accumulated legislative texts and systematized current legislation, drafted new laws, provided legal support for a range of topics that were raised and discussed at a high level. In this context, Imperial Russia's legislative commissions were an integral part of the lawmaking process, which was not viewed as a total and indivisible prerogative of the monarch. From the point of view of the authorities, the procedure for adopting a new code had to include a stage of consideration and approbation through appeal to social and professional representation, for which the Legal Code of 1649 served as model.
- Власть и собственность: населенные имения правящей элиты России 1725-1762 гг. - Сергей В. Черников p. 477-526 En 1725-1762, la couche dirigeante – qui comprenait les personnes en service actif ayant atteint les rangs 1 à 5 de la Table des rangs, ainsi que les membres des autorités supérieures, les chefs des institutions centrales et provinciales –, comptait 1 159 personnes, dont 772 Russes (67 %) et 387 étrangers (33 %). Sept cent quatre-vingt-dix d'entre elles avaient des propriétés dans la partie européenne de la Russie, qui regroupaient plus de 1,8 million de serfs : 709 propriétaires étaient russes (92 %) et 81 étrangers (21 %). D'après les données du premier et du troisième recensement, l'élite dirigeante possédait de 21 à 24 % des paysans serfs du pays. Selon les indicateurs médians, on comptait 623 paysans pour un membre de l'élite, et la part des petits propriétaires (jusqu'à 20 âmes) n'était que de 3 %. L'article montre l'existence d'un lien étroit entre la propriété et le service : de bons états de services étaient un facteur important pour la préservation et l'expansion de la propriété, et la taille du fonds patrimonial dépendait du rythme de l'évolution de la carrière, des grades reçus et du temps passé au sein de la classe dirigeante.Between 1725 and 1762, the Russian ruling elite – which comprised people in active service ranking first to fifth in the Table of Ranks, higher officials, and heads of central and local institutions – numbered 1159, of whom 772 were Russians (67 percent) and 387 were foreigners (33 percent). Out of that number, 790 people owned inherited estates in European Russia: 709 (92 percent) were Russians and 81 (21 percent), foreigners. In total, they owned more than 1.8 million serfs. According to the figures of the first and third censuses, the ruling elite owned 21 to 24 percent of the country's serfs. On average, that makes 623 souls for one member of the elite, while the share of small landholders, who owned up to 20 souls, amounted to only 3 percent. The article shows that successful service helped preserve and expand estates and that the latter's size closely depended on the rate of career evolution, rank, and time of service in the elite.
- Преподавание в российских университетах XVIII в.: не «токмо на латинском и русском» - Татьяна В. Костина p. 527-542 En Russie, au xviiie siècle, comme en Europe, les universités ont été confrontées au problème de « l'affaiblissement » de la langue latine comme langue d'enseignement. Cependant, en Russie, l'alternative au latin n'était pas seulement le russe, il fallait compter aussi avec les langues européennes modernes, au premier chef l'allemand, puis le français.Au milieu du xviiie siècle, l'enseignement dans les langues européennes modernes était interdit dans les universités russes ; du point de vue du législateur, la transition depuis le latin ne pouvait s'effectuer que vers le russe. Pourtant, une analyse des sources a montré que les enseignements à l'université académique de Saint-Pétersbourg et à l'université de Moscou n'étaient pas soumis au même niveau de restriction dans l'utilisation de langues alternatives : à Saint-Pétersbourg, l'interdiction s'appliquait à tous les cours et à Moscou, uniquement à ceux ouverts au public. Cela permit aux enseignants de l'université de Moscou de contourner partiellement l'interdiction et, de temps en temps, de dispenser certains cours dans des langues européennes modernes, ce qui fut très bien accueilli par l'auditoire.L'article émet l'hypothèse qu'il était politiquement inacceptable pour Catherine II d'approuver l'utilisation de la langue moderne d'une nation non-titulaire comme langue d'enseignement dans les universités qui faisaient partie d'un espace éducatif européen. C'est probablement l'une des raisons pour lesquelles de nouvelles universités n'ont pas été fondées et l'Université académique transformée en un collège universitaire où les cours de sciences exactes et naturelles étaient dispensés dans les langues européennes modernes. En outre, à partir des années 1770, le Sénat autorisa les inscriptions à l'université sans qu'il fût obligatoire de connaître le latin.In the eighteenth century, Russian universities, like European ones, faced the problem of the “weakening” of Latin as a language of instruction. It was a distinctive feature of Russia that not only Russian but also modern European languages, German in the lead and then French, were seen as an alternative to Latin.In the mid-eighteenth century, teaching in modern European languages at Russian universities was prohibited; legislators reasoned that Latin could only be replaced by Russian. Yet, according to the documents, the Academy's University of St. Petersburg differed from the University of Moscow in teaching in alternative languages, viz. in St. Petersburg those ban restrictions applied to all lectures, in Moscow only to public ones. As a result, Moscow professors could circumvent that severe restriction and occasionally delivered lectures in modern European languages which enjoyed great success with audiences.The article advances the hypothesis that politically Catherine II could never accept the use of a modern language of a non-titular nation as a language of instruction at the universities which were part of a European educational space. It could have been one of the reasons why new universities were not founded and the Academy's University transformed into a college where courses in exact and natural sciences were offered in modern European languages. Besides, starting in the 1770s, the Senate permitted enrollment at universities without requiring mandatory knowledge of Latin.
- Livres reçus - p. 551